Chroniques : Poésie

Ici, c’est ailleurs[Record]

  • André Brochu

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  • André Brochu
    Université de Montréal

Des écrits de prime jeunesse de Saint-Denys Garneau, les poèmes et de fulgurants souvenirs en prose de Michel van Schendel, les actes d’un colloque consacré à Gaston Miron composent le programme de cette chronique. L’on y examinera quelques façons d’être ailleurs en étant d’ici, ou l’inverse. Giselle Huot, bonne cuisinière, n’en finit plus d’apprêter l’oeuvre de Saint-Denys Garneau à toutes les sauces, multipliant éditions critiques, anthologies et — c’est le cas aujourd’hui — publication d’inédits. Or le Recueil de poésies – Inédit de 1928 ne révèle rien de neuf puisque les textes en avaient tous été publiés, dès 1971, dans les « Juvenilia » de l’édition Brault-Lacroix, avec d’autres de la même   époque. C’est dire que le mince recueil, version réduite du « Recueil de Poésies » qui terminait le premier Cahier du célèbre Journal, n’a d’inédit que son existence comme recueil, plus (peut-être) les six aquarelles jolies et simplettes qui l’illustrent. On a sauté sur l’occasion du 90e anniversaire de la naissance du poète, mort il y a 59 ans (un autre anniversaire en perspective), pour reproduire photographiquement, puis en édition commentée, les poèmes du futur grand écrivain qui patauge ici dans les gentilles niaiseries (« Le dinosaure ») et les influences de l’apprentissage. Sans doute peut-on observer une maîtrise grandissante dans l’utilisation des lieux communs, qui remplissent le vers avec de plus en plus d’aisance et composent une tonalité romantique convenue. À l’époque, c’était cela être poète, surtout pour un élève des collèges classiques qui se destinait aux lettres. L’originalité viendra plus tard et commencera par le sacrifice impitoyable du bric-à-brac initial. La nature qu’évoquent les « Esquisses en plein air » sera plus savamment naïve, le désespoir des dernières sections de Regards et jeux en plein air plus réel, voire outrancier. La littérature aura fait place à ce qui dérange, à la névrose, au corps à corps du langage et du mal intime. Dans une longue postface, Giselle Huot réunit les renseignements disponibles sur l’enfance et l’adolescence du poète. En l’absence d’une magistrale biographie comme celle que François Ricard a consacrée à Gabrielle Roy, on consultera ces pages avec intérêt. Né en France, élevé d’abord en Belgique puis à Paris, arrivé par hasard à Montréal en 1952 et fixé là depuis, Michel van Schendel aura souffert une bonne partie de sa vie de ne pas « être » Québécois. Car il a découvert chez nous une forme d’humanité supérieure, tant sur le plan intellectuel qu’affectif. Le Québécois, on le sait, est le chef-d’oeuvre de la création, et la Québécoise a bien des charmes pour un bipède normalement constitué. Par une réaction assez normale qui prouve sa bonne santé, le jeune poète décide de ne pas se laisser impressionner par tant de perfection et en vient tôt à se considérer lui-même comme un être exemplaire. Il affichera même quelque mépris pour l’indigène, qui souffrirait de sous-développement — telle jeune femme ne dit-elle pas c’est beau beau beau au lieu de c’est très beau ? « Infantile ? Non, inculte […]. Des sous-développés qui ne savent même pas qu’ils le sont. En de tels moment, Xavier ne se possède plus et devient bête. » (p. 161) Bête, on le serait à moins. Telle autre ne désigne-t-elle pas couteaux et fourchettes par le mot ustensiles, ignorant « la civilité imagée du mot “couverts” » (p. 231) ? Heureusement elle est mignonne, et notre généreux poète surmonte son « agacement ». Il est merveilleux de pouvoir lire les mémoires, ou plutôt les anti-mémoires (le narrateur se dédouble plusieurs fois, se projetant notamment sous la figure de Xavier, personnage …

Appendices