Dossier

Présentation[Record]

  • Jean-François Chassay and
  • Katherine Roberts

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  • Jean-François Chassay
    Université du Québec à Montréal

  • Katherine Roberts
    Bowling Green State University

Depuis maintenant près de vingt-cinq ans, l’oeuvre de Monique LaRue se déploie avec une cohérence certaine et une intelligence jamais démentie. De La cohorte fictive en 1979 jusqu’à La gloire de Cassiodore, son dernier roman (prix du Gouverneur général en 2002), en passant par des nouvelles publiées dans différents collectifs, la production a été constante et chaque livre, étonnant, même s’ils faisaient circuler des motifs semblables, posaient des questions récurrentes. L’obsession pour certains sujets revenant comme des leitmotive, repris sous des angles sans cesse différents, sous des formes changeantes, est un phénomène qu’on retrouve chez tout écrivain important et Monique LaRue n’y fait pas exception. Si ses deux premiers romans (La cohorte fictive et Les faux fuyants) ont eu un très grand succès critique, c’est en 1989, avec Copies conformes, que l’auteure va atteindre un large public. Outre ses qualités intrinsèques, on peut dire que ce roman, qui s’inscrit dans la filiation du roman noir (notamment par ses références à l’oeuvre de Dashiell Hammett) et s’interroge sur l’originalité d’une oeuvre arrivait au bon moment. Car la diégèse de Copies conformes concerne les droits d’un individu sur une création à l’ère de l’informatique. Alors que l’arrivée massive des ordinateurs sur le marché à la fin de cette décennie provoquait des modifications importantes dans le rapport des Occidentaux à l’information, ce roman avait l’intelligence — nous dirions : l’intelligence littéraire — de souligner avec subtilité, sans didactisme mais plutôt à travers une trame narrative solide, certains effets de l’informatique sur la conscience des individus. Copies conformes proposait, à travers la voix singulière d’une narratrice, une sorte de mise en crise sociale à l’ère de L’utopie de la communication, pour reprendre le titre d’un essai de Philippe Breton, publié à peine quelques années plus tard (sur Copies conformes, on lira en particulier dans le dossier l’article de Véra Lucia dos Reis). Une des grandes qualités de l’oeuvre de Monique LaRue tient justement à sa capacité de s’attaquer à des questions qui sont dans l’air du temps, sans jamais appuyer de manière lourde sur des données sociologiques qui feraient en sorte que le texte romanesque viendrait redoubler ou calquer ce qui s’écrit dans d’autres domaines (en sciences humaines, par exemple). La coalescence entre le texte littéraire et le discours social dans lequel il baigne ne signifie d’aucune façon une parfaite adéquation entre la diégèse romanesque et la « société réelle ». Au contraire, on pourrait dire que le travail de Monique LaRue, comme celui de tout bon romancier, toute bonne romancière, consiste à attirer l’attention sur de l’étrangeté, des inconséquences, des contradictions dissimulées, faisant surgir des lignes de force, des lignes de tensions sociales, mais de biais en quelque sorte, en attaquant de manière périphérique une situation, en la faisant vivre à travers des personnages singuliers et une forme particulière. Ainsi, La cohorte fictive, son premier roman, publié à une époque où le discours féministe occupait une place importante au Québec, entre en résonance avec celui-ci, mais de manière particulièrement originale. En discourant sur la maternité, en inscrivant la naissance au coeur du roman, la romancière se trouve en porte-à-faux avec le discours féministe, qui, dans les années soixante-dix, tendait à évacuer cette question. Mais la maternité, qui fonctionne dans ce roman fragmenté selon une habile mise en abîme, se pense dans le cadre d’interrogations existentielles de personnages féminins qui réfléchissent sur leur condition, et dans une structure narrative qui superpose la naissance de l’enfant et la naissance de l’oeuvre, abolissant le cliché manichéen qui place les femmes du côté de la nature (la naissance) et les …

Appendices