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Introduction

Ce papier porte sur le lien entre les aires protégées et les dynamiques conflictuelles dans le parc du W-Bénin[1]. Il vise à mettre en évidence la complexité de la gouvernance dans cette zone, où les dynamiques locales, les tensions communautaires et les stratégies des groupes armés s'entrelacent, exacerbant les défis sécuritaires (Promédiation, 2021, Hubert, 2021, Promédiation, 2022, ICG, 2023, Sampaio et al., 2023). Il analyse comment la gouvernance du parc du W-Bénin est influencée par la conservation des aires protégées (pour des raisons politiques, économiques ou idéologiques), par les besoins fondamentaux des communautés, l’opportunisme des groupes armés et les efforts de sécurisation face aux attaques récurrentes contre l’État et les populations.

En Afrique subsaharienne, dès l’ère coloniale, les premières mesures de protection de la biodiversité et les législations visant à limiter les impacts des activités humaines ont été perçues localement comme particulièrement punitives (Blanc, 2020 ; Hartmann, 2014 ; Stan, 2014). Elles ont entraîné l’interdiction d’accès des populations aux aires protégées, la criminalisation de l’exploitation de leurs ressources, la délocalisation forcée de villages mitoyens et un recours excessif à la force contre des communautés qui considèrent ces espaces comme faisant partie intégrante de leur territoire (Duffy, 2014, 2016 ; Duffy et al., 2019 ; Hagberg et al,. 1996 ; Lunstrum, 2014).

Les acteurs étatiques chargés de la gouvernance des aires protégées constatent que le patrimoine floristique et faunique exceptionnel de ces zones est souvent soumis à une forte dégradation sous l’effet de multiples pressions anthropiques, notamment l’exploitation minière (Hubert, 2022), les pratiques agricoles et pastorales non durables (McGahey et al., 2017), les feux de brousse récurrents (CEREEC/CEDEAO, 2015), l’urbanisation croissante (Lindeque, s.d.), les conflits fonciers (Kasisi, 2012) et l'exploitation illégale des ressources forestières (Sournia, 1990).

Alors qu’elles cherchent le plus souvent simplement à satisfaire leurs besoins quotidiens, les populations vivant à l’intérieur et autour des espaces naturels à protéger sont souvent perçues comme des exploitants à la recherche de gibier et de terres vierges à défricher (Ntiamoa-Baidu et al., 2000, Adams et Hulme, 2001a, 2001b). Alors que certaines communautés occupent ces espaces de manière permanente et exclusive, d’autres y ont seulement un usage temporaire (GIZ-ZFD, 2019). L’abondance des ressources fourragères pour les éleveurs, ainsi que du bois et de la faune pour l’ensemble des usagers, rend les aires protégées particulièrement attractives, mais aussi sujettes à des conflits (Djohy et al., 2021).

Les populations riveraines des aires protégées ne sont ni fondamentalement destructrices, ni des écologistes engagées en faveur du développement durable (Fournier et Millogo-Rasolodimby, 2007). Comme le démontre le cas du parc du W-Bénin, elles peuvent néanmoins s’avérer des alliées directes et efficaces de la conservation (Giazzi et Tchamié, 2007). Ainsi, bien avant que le Bénin ne légifère sur la gestion et la protection des parcs, les chasseurs Dambanga ou Odè contribuaient à leur surveillance et étaient impliqués au sein de comités locaux de vigilance. Ils dépendaient ainsi des ressources des parcs et des forêts environnantes, qu’ils connaissaient parfaitement (Mossi, 2018).

La gestion des aires protégées met en lumière le décalage entre une gouvernance institutionnelle, définie par les normes et cadres en vigueur, et d’autres modèles portés par des acteurs locaux, qui visent à défendre leurs intérêts ou à capitaliser sur les revendications locales (UICN/PACO, 2012, ICG, 2023). Ces formes de gouvernance évoluent et s’influencent mutuellement sous l’effet de divers facteurs, notamment la coexistence de normes multiples, la diversité des acteurs impliqués, ainsi que la prolifération des centres de pouvoir et des instances décisionnelles (Nguinguiri, 2003).

Au Bénin, la reconnaissance du statut d’aire protégée a entraîné à la fois le déclin des confréries de chasseurs et l’émergence d’initiatives locales, telles que les Associations villageoises de gestion des réserves de faune (AVIGREF). En 1996, le Centre National de Gestion des Réserves de Faune (CENAGREF) a été désigné comme gestionnaire des aires protégées, avec pour mission de développer une approche participative visant à impliquer les populations riveraines et la société civile dans la conservation et la gestion des parcs nationaux béninois. Avec le transfert de gestion à African Parks Network en octobre 2020, le CENAGREF a cessé d’assurer la gestion directe du parc, mais joue désormais un rôle d’interface de référence, garantissant le contrôle régalien et la durabilité de la gestion des réserves de faune sur le long terme. Bien que le partenariat entre le gouvernement béninois et African Parks Network ne soit ni exclusif ni destiné à supplanter tous les autres modèles de gestion des aires protégées, son acceptation politique demeure encore fragile dans une zone où les vulnérabilités politiques, économiques et sociales demeurent.

Les projections démographiques pour 2030 estiment que la périphérie du Complexe W-Arly-Pendjari (ou Complexe WAP, désignant trois parcs nationaux transfrontaliers) comptera plus de 5 millions d’habitants (Gnanguênon, 2023). Cette situation engendre déjà des besoins considérables en matière d’accès aux services de base, à l’emploi et aux ressources naturelles. Des populations victimes des expropriations se manifestent par des coupes anarchiques de bois, des défrichements illicites, une réinstallation illégale des villages jadis déplacés et la destruction massive de la faune sauvage (Foley, 1987). La conservation est compromise non seulement dans les zones fortement peuplées, mais aussi en l'absence d’une surveillance renforcée.

Néanmoins, dès lors que les autorités publiques s’engagent activement pour protéger les aires naturelles, les relations entre les populations riveraines et les acteurs en charge de la protection de ces espaces sont marquées par des contentieux et des conflits. La forte croissance démographique, l’évolution des politiques foncières (GIZ-ZFD, 2019), la destruction et la conversion d’écosystèmes, l’urbanisation, les changements climatiques et le contexte sécuritaire sont autant de facteurs déstabilisateurs et porteurs de conflits s’agissant de la protection et de la gestion des aires protégées en Afrique.

La conservation de la biodiversité dépend plus que jamais de l’efficacité de la gouvernance des aires protégées, à laquelle s’ajoute un nouveau défi pour les acteurs chargés de la protection : celui d’une militarisation croissante de ces espaces (Sinsin et al., 2007 ; ICG, 2023). La « militarisation verte », comme en a fait l’expérience le parc national Kruger en Afrique du Sud, ne se limite pas à la lutte contre le braconnage de l’ivoire, du bois précieux (comme le bois de rose) et des peaux d’animaux sauvages (Lunstrum, 2014).

Le cas du parc du W-Bénin rappelle que la militarisation est aussi le résultat d’une intensification des conflits dans et autour des aires protégées, où les revendications et frustrations de certaines communautés vis-à-vis de l’État constituent un terreau favorable à l’implantation de groupes djihadistes. Ces derniers, grâce aux trafics et aux réseaux criminels, tirent des financements essentiels à leurs activités (Promédiation, 2021, Promédiation, 2022, ICG, 2023). Dans les zones frontalières du Bénin, l’économie criminelle, le banditisme et le djihadisme sont désormais étroitement imbriqués (GRANIT, 2024).

Ces dernières décennies, la situation s’est complexifiée, car de nombreuses aires protégées ont été investies par des groupes armés non étatiques qui cherchent à les sanctuariser en en faisant des espaces de repli à partir desquels ils préparent et mettent en œuvre leurs opérations contre l’État et les populations environnantes, y compris dans diverses parties du complexe transfrontalier WAP (Hubert, 2021 ; Promédiation, 2021). D’ores et déjà, cette insécurité a provoqué l’arrêt du tourisme de nature et cynégétique, pourtant une source importante de revenus pour l’État, les gestionnaires de parcs et, dans une certaine mesure, les populations locales (African Parks, 2023, pp. 27-3). Les conflits entre communautés, entre les communautés et l’État, ainsi que ceux opposant les groupes extrémistes violents aux communautés locales et à l’État, transforment désormais les aires protégées en zones de violence régulière.

Méthodologie

Partant de l’exemple du parc national du W-Bénin, cet article cherche à mettre en lumière la manière dont les agendas, les intérêts et les enjeux des différents acteurs locaux et nationaux s’articulent autour des dynamiques de pouvoir liées à la conservation, à la sécurisation et à la survie. Il est issu d’une recherche documentaire effectuée principalement en ligne, notamment sur les sites de certaines institutions produisant des rapports et publiant des articles sur les thématiques abordées. Une vingtaine d’entretiens qualitatifs a également été réalisée à Cotonou et par téléphone en mars 2022 avec des acteurs clés impliqués dans la gestion du parc : des agents de African Parks Network (3), les responsables de CENAGREF (2), les autorités des collectivités territoriales (8), ainsi que les communautés riveraines du parc du W-Bénin (agriculteurs, éleveurs, tradithérapeutes, membres des AVIGREF) (9). La collecte des données a ciblé plus particulièrement les communes de Malanville et Banikoara, situées dans le département béninois de l’Alibori. La collecte des données qualitatives a été réalisée selon un échantillonnage ciblé et pré-identifié, fondé sur l’expérience de recherche et de terrain des auteurs dans la zone d’étude[2]. Les données recueillies, tant par la recherche documentaire que par les entretiens, ont été triangulées puis analysées à la lumière de travaux précédents et des données empiriques.

Alors qu'un nombre croissant de publications s'interrogent sur l’expansion de l’extrémisme violent dans le nord du Bénin et, plus largement, dans les pays côtiers de l'Afrique de l'Ouest, très peu de travaux analysent le lien entre l'augmentation des dynamiques conflictuelles dans le complexe WAP, les conflits locaux et les acteurs impliqués dans la gestion de la conservation des aires protégées (Soule, 2024 ; Promédiation, 2022 ; Pellerin, 2022 ; Hubert, 2021 ; de Bruijne, 2021 ; ICG, 2019, 2023).

En outre, bien que le sujet des aires protégées dans le complexe WAP soit bien documenté, peu de recherches se concentrent spécifiquement sur le parc W côté Bénin. L'essentiel des informations disponibles sur ce parc provient de restitutions d'études menées dans le cadre de projets financés par des bailleurs.

L’étude du Bénin met en évidence la manière dont diverses formes de gouvernance, fragilisées par des dynamiques politiques, sociales, économiques, institutionnelles et environnementales, interagissent et s’influencent mutuellement. Les espaces protégés suscitent de nombreuses convoitises, tant de la part des communautés riveraines que des braconniers, des défricheurs, voire de groupes rebelles et forces armées (Dalmon, 2007). La gestion et la préservation de ces zones reposent ainsi sur une diversité de modèles de gouvernance. Certains, informels, s’appuient sur les pratiques traditionnelles des communautés locales où l’agriculture, l’élevage et l’exploitation des ressources naturelles occupent une place centrale (Fournier et Millogo-Rasolodimby, 2007). D’autres, portés par le gouvernement béninois et African Parks Network, reposent sur un cadre légal visant à renforcer l’application de la loi pour sécuriser la zone et préserver la biodiversité. Une gouvernance partagée a également été instaurée entre le CENAGREF et les AVIGREF, mais avec un succès limité. Par ailleurs, dans un contexte de revendications croissantes des populations locales, les groupes armés proposent aussi une forme de gouvernance alternative, exploitant les tensions pour s’implanter et recruter au sein des aires protégées (Promédiation, 2021 ; Hubert, 2021 ; Promédiation, 2022 ; ICG, 2023). Ces acteurs ont en effet réussi à combler les lacunes des structures de gouvernance en place, souvent marquées par l'absence d’institutions étatiques impartiales (justice, armée, douanes), tout en tirant parti de la dépendance économique de nombreux habitants du parc aux activités illicites (Sampaio et al., 2023).

La première partie de cet article aborde le cadre institutionnel et réglementaire ainsi que les politiques mises en œuvre pour la conservation du parc du W-Bénin. Par la suite, l’article explore les différentes formes de gestion du parc, en mettant l’accent sur la gestion concertée du W-Bénin entre 1996 et 2020, à travers l’exemple des Associations villageoises de gestion des réserves de faune (AVIGREF). Enfin, la dernière partie interroge la sécurisation des populations autour du parc, en prenant en compte les différents modes de gouvernance observés.

Les cadres normatif et institutionnel de l’aire protégée du W-Bénin

Avec sa grande variété d’écosystèmes, l’Afrique abrite près d’un tiers de la diversité biologique terrestre mondiale (IPBES, 2018). Les aires protégées du continent couvrent une surface d’environ 14,5 % en Afrique australe et orientale et 10,5 % en Afrique centrale et occidentale (Fournier et Millogo-Rasolodimby, 2007). D’une superficie d’environ 32 250 km2, soit un espace plus grand que la Belgique (30 688 km2), le Complexe écologique W-Arly-Pendjari (WAP) constitue la plus grande mosaïque d’aires protégées transfrontalières d’Afrique de l’Ouest. Il fait partie de la « Grande muraille verte d’Afrique », un projet continental qui s’étend sur 7 100 km, de Djibouti à Dakar (Dia et Duponnois, 2010). Ce projet vise à lutter contre le changement climatique et la désertification, en endiguant l’expansion du désert du Sahara.

Le parc national du W. est une zone transfrontalière partagée entre le Bénin, le Burkina Faso et le Niger qui tire son nom de la forme du fleuve Niger à sa limite nord. Le Bénin représente 56 % de cet espace, soit la plus grande partie du parc du W (18 060 m2)[3]. Le parc national du W. et le parc national de la Pendjari (PNP) au Bénin constituent les zones centrales du Complexe WAP, le bloc Arly-Pendjari étant composé de la réserve totale de faune et du parc national d’Arly au Burkina Faso adjacents au parc national de la Pendjari.

L’aire protégée est généralement d’abord considérée dans son acception normative, c’est-à-dire un espace classé avec des objectifs spécifiques de conservation des ressources naturelles et de développement durable (Nguinguiri, 2003). À ce titre, la mise en place d’un cadre institutionnel et légal a conféré au parc du W-Bénin un statut d’aire protégée, classée au Patrimoine mondial de l’humanité de l’UNESCO, à compter des années 1950. L’aire protégée est définie comme « une portion de terre, de milieu aquatique ou de milieu marin, géographiquement délimitée, vouée spécialement à la protection et au maintien de la diversité biologique, aux ressources naturelles et culturelles associées pour ces fins, cet espace géographique doit être légalement désigné, réglementé et administré par des moyens efficaces, juridiques ou autres » (UICN, 1994, p. 95).

Les statuts juridiques du parc national de la réserve biosphère transfrontalière (RBT) W-Bénin ont été définis pour la première fois par le décret du 4 août 1954 portant transformation en parcs nationaux de trois réserves totales de faune existant en Afrique occidentale française (AOF). D’une aire de chasse pour l’administration coloniale, la RBT est devenue progressivement une aire protégée qui combine conservation et exploitation contrôlée des ressources.

Conformément au concept de réserve de biosphère adopté par l’UNESCO, la RBT se structure en trois zones en fonction du niveau de protection (UNESCO, 1995) :

  • Une aire centrale (parc national et réserve totale) n’est pas habitée et les activités humaines sont restreintes à la recherche et à la surveillance. Le parc du W est fondé sur un statut commun établi par le décret de classement du 4 août 1954.

  • Une zone tampon est constituée par une bande de cinq kilomètres autour de la limite du parc. Le règlement d'usage de cette zone tampon est le même que celui du parc national. Seules des activités compatibles avec les objectifs de conservation peuvent y avoir lieu. Cette zone a pour but de créer une marge de sécurité entre le noyau central du parc du W et les zones périphériques habitées. Deux zones cynégétiques sont situées en périphérie de la RBT-W du Bénin : la zone de chasse de la Mékrou et la zone cynégétique de la Djona dont l’ordonnance du 19 mars 1959 établit les limites et indique le statut.

  • Une zone de transition est délimitée par les unités administratives qui bordent ces zones. Elle est aussi appelée zone d’occupation contrôlée (ZOC) car elle est soumise à une utilisation durable et contrôlée des ressources naturelles. Au Bénin, elle couvre le département de l’Alibori dans les communes de Karimama, Banikoara, de Kandi et de Kèrou. Les communes qui disposent d’une autonomie administrative et financière ont à leur charge la gestion de la périphérie du parc.

À partir des années 1970, à la demande du gouvernement béninois, d’importantes mesures de valorisation desdites aires ont été prises à travers l’élaboration des premiers plans directeurs des parcs nationaux de la Pendjari (1979) et de la RBT-W (1989) avec le soutien de l’Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO)[4]. Malheureusement, ces mesures de valorisation n'intègrent pas suffisamment les besoins des communautés riveraines telles que l’évaluation des besoins des populations, l’amélioration des terres cultivables, l’évaluation de leurs modes alimentaires, et cetera. qui devraient permettre d’assurer une cohabitation en symbiose entre les aires protégées et les communautés. Ces dispositions sont censées permettre aux aires protégées d'avoir un objectif qui est à la fois écologique, économique et social. Or, les arrêtés de classement mettent l'accent sur la protection des terres comme seule et unique finalité (Badiane et Robinson, 1996).

Alors que l’État est censé jouer un rôle central dans la gouvernance des aires protégées, la politique environnementale soulève des questions quant à la volonté des gouvernants d’ériger la préservation de ces espaces en véritable priorité (Sournia, 1990, p. 453), tandis que la communauté internationale s’inquiète de la disparition sans précédent de la biodiversité (Kasisi, 2012). S’agit-il d’un effet de mode, favorisé par le soutien financier des pays du Nord et des institutions internationales ayant développé des projets visant à pallier les carences de l’État (Lamarque et Mensah, 2007), ou d’une véritable stratégie qui, bien que balbutiante, cherche à obtenir des bénéfices économiques à l’échelle nationale (Adams et Hulme, 2001a) ?

À la veille des années 1980, le défi majeur pour la protection des aires protégées et de la conservation de la faune est la mobilisation de financement pour mettre en application les plans d’aménagement des parcs nationaux (UICN/PACO, 2011). Jusqu’au transfert de gestion à l’Organisation Non Gouvernementale (ONG) sud-africaine African Parks Network [5], en 2020, la gestion publique des aires naturelles protégées béninoises associées au complexe WAP par les AVIGREF est inefficace en raison de la difficulté à mobiliser les fonds et le personnel nécessaire au contrôle et à la protection de la biodiversité face aux braconniers, aux collecteurs de bois de chauffage, au bétail en pâture ou aux agriculteurs à la recherche de terres à cultiver (Issa et al., 2007 ; Fournier et Millogo-Rasolodimby, 2007).

Les bailleurs internationaux ont donc été très présents pour soutenir l’État dans la mise en œuvre de projets visant à la préservation des aires protégées et des espèces sauvages. Dans le Complexe WAP, les projets ont notamment été financés par l’Union européenne (UE)[6], la Coopération financière allemande (KfW)[7], la Coopération technique allemande (GIZ)[8], ou plus récemment par la Fondation des Savanes ouest-africaines (FSOA)[9].

Le Projet d’aménagement des parcs nationaux (PAPN) et la protection de l’environnement à partir de 1985 permettent de faire des progrès substantiels en la matière dans le parc de la Pendjari et ses zones attenantes. À la fin du PAPN en 1992, après un vide institutionnel d’un an, la Sous-direction des réserves de faune (SDRF) est créée en mars 1993 pour succéder à l’Inspection de la protection de la nature et de la chasse (IPNC) qui avait coordonné le PAPN. Cette structure ne durera que trois ans sans véritablement fonctionner puisque ses attributions, son organisation et son fonctionnement n’ont jamais été officiellement précisés (ECOPAS, 2005).

Au Bénin, il existe depuis longtemps dans les villages riverains des organes de gestion des ressources naturelles mais l’implication des populations riveraines à la gestion des ressources naturelles a été entérinée par la loi 93-009 du 2 juillet 1993 (Issa et al., 2007). Le contexte change notamment avec le Projet de gestion des ressources naturelles (PGRN) qui élabore et teste des approches de cogestion avec les populations riveraines de la Pendjari et de la RBT-W à travers l’exécution d’activités d’éducation environnementale et de formation. Le PGRN organise les populations en structures dites d’associations villageoises de chasse (AVC) (PGRN, 1997).

En 1996, la restructuration de l’administration forestière aboutit à la création d’une institution spécialisée et autonome pour la gestion des aires protégées au Bénin, placée sous la tutelle du ministère du Cadre de vie et du développement durable, chargé des infrastructures et du Transport : le Centre national de gestion des réserves de faune (CENAGREF) qui remplace la SDRF. Cette réorganisation est proposée par le PGRN et l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) dans le souci de garantir une meilleure conservation et une gestion durable de ces espaces (Giraut et al., 2004 ; Funder et Ladekjær Gravesen, 2021).

Suite à l’évolution du cadre institutionnel et légal pour la conservation et la gestion du parc du W-Bénin, toute activité humaine est prohibée pour protéger la faune et la flore. La protection des parcs est une question particulièrement sensible qui ne trouve pas toujours un écho favorable auprès des populations riveraines. Celles-ci se sentent dépossédées suite à la reconnaissance du statut particulier d’aire protégée (Adélani Olatoundji et al., 2021). Dans ce contexte, la création du CENAGREF marque une avancée remarquable vers une gestion plus efficace des aires protégées, couvrant l’ensemble des parcs nationaux, zones cynégétiques et leurs zones tampons ainsi que les réserves de Biosphère du Bénin. Il met en application une nouvelle approche de partenariat réel de gestion des aires protégées où les AVIGREF deviennent des acteurs clefs dans la cogestion des réserves de faune (Kouassi et al., 2023).

Première tentative de gouvernance partagée conjointe autour du CENAGREF

La création du CENAGREF permet de lancer une première expérience de gestion concertée prenant en compte les acteurs locaux, notamment les AVIGREF, qui remplacent les AVC, et autres communautés présentes dans le parc du W-Bénin. Les effets de cette première tentative de gouvernance partagée conjointe resteront cependant limités.

Le CENAGREF

Le CENAGREF est créé le 2 avril 1996 par décret 96-73 avec le statut d’office à caractère scientifique, culturel et social, suite aux recommandations de la stratégie de conservation et de gestion des parcs nationaux, élaborée par le gouvernement béninois et l’UICN. Il devient un établissement public doté de la personnalité morale et d’une autonomie financière suite au décret n° 98-487 du 15 octobre 1998. Dans son article 8, le décret précise la composition plurielle de son conseil d’administration, montrant un souci évident de faire participer la population, les opérateurs touristiques, les ONG et le pouvoir politique local.

Le CENAGREF s’inscrit dans le cadre d’une gouvernance dite partagée à savoir que « le partage de l’autorité et des responsabilités de la gestion est réparti entre une pluralité d’acteurs gouvernementaux et non gouvernementaux par des processus institutionnels complexes » (UICN/PACO, 2009). Sa création constitue un changement majeur tant au niveau de l’approche participative écologique avec les populations et les communes qu’au niveau de la coopération technique transfrontalière entre les administrations gestionnaires du Bénin, du Niger et du Burkina Faso (Présidence de la République, 2012). Entre 1996 et 2020, date à laquelle la gestion du parc du W-Bénin est confiée à African Parks Network, le CENAGREF s’engage pour mettre en œuvre, comme il l’a fait dans la réserve de la biosphère de la Pendjari, une gouvernance partagée conjointe entre ces différentes parties prenantes qui ont des intérêts variés dans la zone (UICN/PACO, 2012).

Le CENAGREF initie notamment une série de réformes structurelles, législatives et réglementaires qui mettent l’accent sur le principe de l’implication des communautés dans la gestion durable des ressources naturelles. En 2001, le parc national du W-Bénin est classé RBT et bénéficie alors du support financier de l’UE dans le cadre du programme de conservation et d’utilisation rationnelle des aires protégées contiguës du Bénin, du Burkina Faso, du Niger et de leurs zones d’influence, appelé Programme Régional Parc du W (ECOPAS). Son objectif est d’inverser les processus de dégradation des ressources naturelles, en préservant la biodiversité du Complexe, au bénéfice des populations riveraines et des zones d’influence.

La loi sur la faune de 2003 prévoit une association systématique des populations riveraines à la gestion des aires protégées, de leur zone tampon et leur participation aux revenus. En 2004, le Plan d’aménagement et de gestion participative de la Pendjari élaboré avec une large implication des communautés riveraines, a été approuvé par le gouvernement (Parc national de la Pendjari, 2003) et mis à jour en 2015 (Centre National de Gestion des Réserves de Faune, 2015). L’approche participative dans la gestion des ressources naturelles offre la possibilité à une nouvelle catégorie d’acteurs de participer, les organisations villageoises. La coordination avec les populations est surtout assurée par les AVIGREF.

Les AVIGREF

Créées en tant qu’Associations villageoises des chasseurs (AVC), les AVIGREF ont été restrucutrées en 2001 et sont mises en place dans le cadre de l’application de la politique nationale de gestion participative des ressources naturelles par le volet gestion de la faune et des ressources naturelles. Ce volet s’inscrit dans le cadre du PGRN qui permet une avancée significative dans la responsabilisation des populations vis-à-vis des aires protégées. Jusque-là considérées comme un bien appartenant à l’État, et à l’usage des expatriés et hauts fonctionnaires béninois, les aires protégées deviennent partie intégrante du patrimoine des populations, avec les obligations et droits que sous-tend cette implication (Promédiation, 2021). Jusque-là, les AVC mises en place par le PGRN en 1998 n’avaient pas été fonctionnelles.

Les AVIGREF regroupent les chasseurs traditionnels et/ou leurs descendants et divers autres acteurs concernés par l’exploitation des ressources naturelles. Dans le nouveau sigle, l’appellation « gestion » a remplacé celle de la « chasse », afin d’insister sur la nécessité de préserver les ressources naturelles, tout en prenant en compte le bien-être de l’homme dans le cadre d’une structure plus large et opérationnelle (Issa et al., 2007). Les éleveurs pensent généralement que les AVIGREF sont plutôt faites pour les non-éleveurs justifiant des problèmes de sous-représentation. Si, en théorie, toutes les couches sociales et professionnelles sont représentées, dans les faits, les Peuls restent peu présents (Promédiation, 2021).

La plupart des villages riverains des parcs nationaux et de leurs zones cynégétiques au Bénin se fédèrent au niveau communal (UC/AVIGREF) et au niveau régional (UR/AVIGREF). Les villageois participent ainsi à la prise de décisions relatives à la gestion et la protection des sites. En 2022, 82 villages riverains au parc du W-Bénin sont membres d’associations. Durant la gestion du parc par le CENAGREF (1996-2020), les principaux rôles des AVIGREF sont la sensibilisation, la surveillance (rôle de dénonciation des délinquants, surveillance par la mise à disposition au CENAGREF des pisteurs, participation aux cadres de concertations) et la protection des aires protégées, la cogestion des ressources (touristiques et cynégétiques), ainsi que la matérialisation des limites des zones cynégétiques. Elles participent aussi à des activités dites d’écodéveloppement rural dans les terroirs riverains (vulgarisation de techniques d’amélioration de la fertilité des sols, de foyers améliorés, de l’apiculture, et cetera) (ECOPAS, 2005).

Dans son rapport publié en 2012, l’UICN considère que le modèle qui présente le plus de réussite est celui de la « gouvernance partagée conjointe » telle qu’expérimenté dans la Réserve de Biosphère de la Pendjari et repris dans le parc du W-Bénin. Pour autant, ce modèle ne présente pas seulement des avantages.

Les limites du modèle de gouvernance partagée proposé par le CENAGREF

L’importance des recettes générées par l’exploitation de la réserve et de sa périphérie peut être considérée comme un atout, en favorisant la mise en œuvre, non seulement des principes d’autonomie des institutions mais aussi de partage des bénéfices. Le premier modèle de gouvernance partagée, repris dans le parc du W-Bénin se caractérise en effet par une grande autonomie administrative et financière du CENAGREF, en tant que structure gouvernementale chargée de l’aire protégée. Lorsque le parc est géré par le CENAGREF, les AVIGREF reçoivent 30 % des recettes du parc, ainsi que des subventions de bailleurs (ECOPAS, 2005). Elles disposent ainsi d’un montant de plusieurs millions de francs CFA par an (16 millions pour la seule Union des AVIGREF de la RBT-W en 2002, 11,5 millions en 2003). Cela leur permet, par exemple, de réaliser des micro-projets d’intérêt communautaire.

La participation de représentants élus des populations organisées en Unions des AVIGREF constitue l’autre force du mode de gouvernance. Un effet indirect de l’existence de ces structures faîtières est qu’elles conduisent les communautés à mieux s’organiser et à désigner des représentants. Leur implication en matière de gouvernance favorise une forme de démocratie locale, sous réserve d’une certaine homogénéité ethnique et d’une situation sécuritaire stable. Enfin, le dernier atout est que ce mode de gouvernance fait l’objet d’un appui sur le long terme de la coopération internationale pour garantir la mise en place de mécanismes de gouvernance testés et adaptés au cours du temps.

Cependant, l’expérience de gestion concertée du parc du W par le CENAGREF a aussi connu certaines limites. La mise en place du modèle de gouvernance partagé autour du CENAGREF est un processus coûteux en termes de concertation et d’organisation du sommet de l’État à l’échelon villageois. La gouvernance partagée conjointe comporte une limite fondamentale : sa mise en œuvre s’inscrit dans des processus particulièrement longs et soutenus exigeant la mobilisation de ressources financières excédant largement les budgets des États (UICN/PACO, 2012). Cette situation constitue à n’en point douter un risque réel pour la pérennité des aires protégées, étant entendu qu’elle pourrait entraîner le retrait des bailleurs de fonds qui financent la préservation de ces espaces, et en fin de compte déboucher sur une perte des labels pour certaines aires.

L’analphabétisme de certains membres des structures faîtières constitue un handicap pour faire des AVIGREF des organisations performantes dans un délai raisonnable. À cela s’ajoutent le manque d’expérience, les risques de mauvaise gestion et de répartition des fonds entre les villages (Issa et al., 2007). La répartition des revenus entre les zones et villages est en outre porteuse de conflits latents. Afin de désamorcer ceux-ci, la direction du parc du W a par exemple proposé aux AVIGREF que l’arbitrage se fasse sur des critères tels que la participation aux travaux d’aménagement du parc (pistes), le nombre de délinquants appréhendés dans chaque village, le nombre d’hommes/jour de participation par village aux activités de surveillance, etc. (Issa et al., 2007).

La question de la représentativité est régulièrement soulevée. Alors que les populations riveraines du parc béninois sont représentées au conseil d’administration du CENAGREF, les acteurs étatiques gardent un rôle déterminant et les opportunités qu’offre l’accès à une telle instance diffèrent fortement (UICN/PACO, 2012). Enfin, les faibles capacités techniques des cadres du CENAGREF, le manque de motivation des gardes (et de leur hiérarchie), l’absence de leadership ainsi que les dysfonctionnements et lourdeurs administratives ont créé des contraintes dans le modèle de gouvernance proposé. Les écoles formant des spécialistes dans le domaine de la gestion des réserves de faune restent rares.

L’exemple de la réglementation de la chasse est assez illustratif de certaines critiques à l’encontre du CENAGREF. À partir du moment où la surveillance des zones protégées a été confiée à l’administration à travers le service des eaux et forêts et du CENAGREF, les villageois, et plus spécialement les chefs de sociétés traditionnelles de chasse, s’estiment déchargés de toute responsabilité concernant la chasse qui est interdite dans ces zones (Gnanguênon, 2023). Alors qu’elle devient une activité clandestine, plus difficile à maîtriser, les villageois sont frustrés de ne plus pouvoir chasser dans le parc et jugent sévèrement l’attitude ambiguë des gardes forestiers du CENAGREF qui autorisent certains groupes à braconner dans le parc. Les nombreux interdits, auxquels s’ajoute la corruption de certains fonctionnaires, notamment les agents des eaux et forêts, alimentent l’insatisfaction des populations.

Finalement, le choix du gouvernement de confier la gestion du parc du W à African Parks Network aurait été, entre autres, motivé par la volonté de mettre un terme aux critiques. Avec la passation de charge à African Parks Network en octobre 2020, le CENAGREF est déchargé de la gestion directe du parc mais devient l’interface de référence pour assurer le contrôle régalien et la durabilité de la gestion des réserves de faune sur le long terme. Le gouvernement de Patrice Talon s'efforce de remédier au manque de cohérence de ses cadres juridiques et institutionnels, à la faible capacité du personnel de gestion du parc, et aux faibles taux de participation locale à la conservation (ICG, 2023). L’arrivée dans la zone francophone d’un acteur anglophone, African Parks Network, favorise le développement des partenariats public-privé (Brugière, 2020). Ce type de partenariats rentre dans le cadre d’un autre mode de gouvernance partagée, celui de la gestion déléguée (Baghai et al., 2018)[10].

African Parks Network, une gestion déléguée de la gouvernance comme solution ?

Au Bénin, des changements majeurs et rapides se manifestent au sein de l’État après l’élection de Patrice Talon à la présidence de la République en 2016. Sa volonté d’accroître la contribution du secteur du tourisme à la création de la richesse nationale a accéléré la mise en œuvre de réformes pour une meilleure gestion des aires protégées. En 2017, le gouvernement béninois délègue à African Parks Network, une ONG sud-africaine disposant d’une solide expérience dans la gestion des aires protégées en Afrique anglophone, la responsabilité de la gestion, de la levée de fonds et du développement de la Réserve de faune de la Pendjari, puis, en 2020, du parc du W-Bénin. Cette délégation illustre également l’intérêt croissant des bailleurs de fonds internationaux pour le modèle de partenariat public-privé dans le domaine de la conservation au cours de la dernière décennie (Brugière, 2020).

Le plan d’action du gouvernement (PAG) 2021-2026 rappelle l’objectif de faire de la Pendjari/W le parc de référence de l'Afrique de l'Ouest (Présidence de la République du Bénin, 2021). Pour y parvenir, African Parks Network est désigné comme gestionnaire mandaté du parc du W-Bénin, suite à la signature d’un premier accord de dix ans avec le pays. Il est le second parc national à entrer dans son portefeuille après celui de la Pendjari pour lequel le gouvernement du Bénin a conclu un accord à long terme avec l’ONG sud-africaine en mai 2017. Dans les deux cas, il s’agit d’un partenariat public-privé avec un mandat de délégation du gouvernement pour lequel il a obtenu une autonomie de gestion ; à savoir recruter et renvoyer du personnel, appliquer la loi sans interférence extérieure. En échange, African Parks Network s’engage sur les objectifs donnés par le gouvernement. Un accent particulier est mis sur le renforcement de la loi et la sécurisation de la zone au bénéfice tant des communautés locales que de la faune sauvage.

Avant son arrivée dans le parc du W-Bénin, l’acceptation d’African Parks Network par les populations riveraines du parc de la Pendjari avait été difficile. Les membres des AVIGREF ont eu l’impression d’être dépossédés de leurs droits à chasser et à utiliser les ressources tandis que les agents du CENAGREF ont perdu les privilèges liés à leur statut. African Parks Network a pris des décisions strictes afin d’appliquer une rigueur et une discipline auxquelles les acteurs vivant dans et autour du parc n’étaient pas habitués. Les rangers ont négligé les avis des populations riveraines, tué des centaines de têtes de bétail et arrêté des dizaines d’éleveurs qu’ils ont envoyés devant la justice.

L’enlèvement des deux touristes français et l’assassinat de leur guide béninois en mai 2019 a marqué un tournant pour la direction d’African Parks Network qui a décidé de modifier son mode de gouvernance pour mieux impliquer les populations riveraines. L’ONG craignait en effet de voir celles-ci prendre les armes et peut-être même rejoindre les djihadistes, à l’image de ce qui se passe de l’autre côté de la frontière. Au Burkina Faso, lorsque les groupes armés non étatiques prennent le contrôle d’une forêt, ils font savoir aux populations locales qu’elles peuvent à nouveau l’exploiter (Promédiation, 2021). La direction du parc s’est donc rapprochée des anciens agents du CENAGREF, des élus locaux et des AVIGREF, avec lesquelles elle dit avoir mis en place une collaboration étroite.

Bien qu’elle ait appris de ses erreurs dans la Pendjari, l’ONG a repris la gestion du parc du W dans un contexte compliqué. Le parc a été institué en 1952 et, durant trente ans, les populations étaient assez libres d’y mener leurs activités. Il a fallu attendre les années 1980 pour que les interdits commencent à être appliqués. Contrairement au parc de la Pendjari, le parc du W est occupé depuis très longtemps par des bœufs et dispose d’un grand nombre de portes d’entrée. Il est entouré de plus de 80 villages, contre 22 pour le parc de la Pendjari.

À l’instar de la plupart des aires protégées, le parc du W est confronté aux problèmes de braconnage, de pêche et de pâturage illégaux et d’avancée du front agricole due à une démographie en constante croissance et en besoin de terres cultivables dans des zones où la pratique agricole est extensive depuis toujours. À ce sujet, les statistiques sur les projections démographiques, incitent au pessimisme. Selon les résultats du Recensement Général de la Population et de l’Habitation réalisé en 2013 au Bénin le taux d’accroissement se situe à 4,7% dans la zone du parc du W. À ce taux d’accroissement annuel s’ajoute une forte immigration liée à l’expansion de la culture du coton, situation qui débouche actuellement sur des densités humaines de l’ordre de 50 et 90 habitants au km². Les quatre départements du nord du pays, Alibori, Borgou, Atakora et Donga, ont connu une prolifération particulièrement rapide depuis 1961, passant de 618 000 à 3,4 millions d'habitants. Cette croissance déjà spectaculaire s'accélère depuis un demi-siècle. Une telle dynamique de la population devient un sujet de préoccupation majeure vu les besoins alimentaires et les prélèvements des produits végétaux spontanés que cela induirait partant du principe qu’un lien direct peut être établi entre la diminution du couvert forestier et la pression démographique (Hervé et al., 2015).

Une étroite collaboration a été tissée avec les AVIGREF et les élus locaux qui servent d’interface entre African Parks Network et les communautés. Afin d’avoir un ancrage local, African Parks Network a établi un système de gouvernance qui prend en compte les acteurs locaux et de nombreux animateurs ont été recrutés sur place pour faire le lien avec les populations. Le parc a un conseil de gestion qui est l’organe de gouvernance qui examine et valide les documents-cadres élaborés par l’organe de gestion opérationnelle. Dans le parc du W-Bénin, les AVIGREF font partie du conseil de gestion. Elles approuvent le plan d’affaires, bénéficient d’un soutien d’African Parks Network pour l’exécuter, et elles sélectionnent les communautés qui travaillent avec eux. Un comité de suivi donne aussi des avis techniques et suit la mise en œuvre du plan d’affaires validé par African Parks Network et le gouvernement. Ce comité assure une fonction d’évaluation des actions conduites par l’ONG pour la gestion du parc. Le comité local de suivi des projets se réunit trois fois par an.

Bien qu’il y ait toujours eu des discussions et des échanges entre les gestionnaires des aires protégées et les communautés locales, la création de structures consultatives, en parallèle de la structure de gouvernance constitue une avancée étant donné qu’elles se faisaient plutôt dans le cadre de structures ad hoc. Ainsi, la formalisation du dialogue via une entité formelle oblige African Parks Network à considérer les requêtes des parties prenantes et à justifier ses choix (Brugière, 2020).

Des programmes ont également été développés pour permettre aux populations de vivre de la terre et de bénéficier au mieux des richesses de la forêt. La quasi-totalité des aires protégées a développé des mécanismes d’appui aux communautés locales vivant en périphérie. African Parks Network, qui est chargé des ZOC, a créé un département des actions périphériques, avec des directeurs des zones périphériques pour éviter de rester enfermé à l’intérieur du parc sans contact avec les populations[11]. L’objectif est de s’assurer que les communautés soient sensibilisées à la protection des aires : organisation de visites des parcs pour les élèves des villages situés dans les 50 km autour du parc ; offres de stages pour le personnel qui se spécialise ; volet entreprise pour planifier et faciliter les activités économiques au niveau communautaire (tourisme, promotion de la pêche) et promouvoir un Label W à travers la transformation des produits tropicaux issus du parc du W comme la fabrication de divers produits issus du baobab, la production du miel, etc.

Pour African Parks Network, les aires protégées en Afrique avec leurs faune et flore sauvages n’en restent pas moins des produits à haute valeur commerciale (Silva et Motzer, 2015; Naidoo et al., 2016). Les ressources renouvelables sont une source de revenus à travers les activités écotouristiques (chasse sportive) (Lindsey et Taylor, 2011), commerciales (vente de la chasse, des produits artisanaux locaux tels que le cuir et les peaux) (De Merode, et al., 2004)., des produits de consommation (viande, poisson) (Fa et Peres, 2001) et d'autres produits utiles aux communautés rurales (Lund et Treue, 2008).

En 2021, African Parks Network crée une direction en charge du commerce et du tourisme dans le parc du W, qui s’investit dans la promotion des produits dénommés Label W. Cette direction promeut la transformation et la commercialisation des produits issus du parc du W comme le miel et les dérivés du baobab (bonbons, jus, etc.). Les revenus générés sont néanmoins majoritairement destinés à soutenir les investissements de l’ONG au sein des communautés riveraines au parc et ne suffiraient pas à eux seuls à soutenir les coûts nécessaires à la gestion et l’encadrement des programmes de conservation dans les relations communautaires (Schmidt-Soltau et Moser, 2014). Le modèle économique soutenu par African Parks Network repose principalement sur la levée de fonds auprès de donateurs privés ou de subventions liées à l’aide publique au développement international (African Parks, 2024, p. 30).

Certaines interventions ont permis de nouer des relations durables avec les communautés. Pour autant, un responsable d’African Parks Network reconnaît que les interactions avec les communautés restent un défi étant donné que ce processus s’inscrit dans la durée[12]. Un comité de suivi des plaintes et du droit du travail a été mis en place par African Parks Network, les AVIGREF et le ministère de tutelle. Au-delà de la gestion des plaintes, il ressort des entretiens que les AVIGREF se sentent abandonnées par African Parks Network : « il n’y a pas de voie d’accès praticables et le réseau téléphonique ne marche pas. On voit bien que l’objectif d’African Parks Network est d’abord les parcs puis les communautés »[13].

Même si la gouvernance conjointe offre aux populations la possibilité d’être partie prenante dans le cadre des organes décisionnels et de gestion, la question de l’influence réelle de leurs représentants sur les décisions reste posée (UICN/PACO, 2012). Peu de décisions fondamentales sont le produit de l’influence des AVIGREF. À titre d’exemple, avec African Parks Network, les AVRIGREF ne touchent plus de participation sur les recettes mais disposent d’un budget annuel alloué par l’ONG (Promédiation, 2021). Face à African Parks Network, dotés d’une longue expérience dans l’administration des aires protégées, les représentants des populations sont généralement en position faible pour faire valoir leurs revendications. Pour certains observateurs extérieurs, African Parks Network n’implique pas assez les communautés afin d’éviter qu’elles soient trop informées sur leurs activités et ne pas donner lieu à des revendications financières[14]. Elles manquent par ailleurs de moyens financiers et matériels pour jouer leur rôle.

Le modèle du partenariat public-privé n’est certes pas exclusif et n’a pas vocation à remplacer tous les autres modèles de gestion des aires protégées. Pour autant, l’acceptation politique de ce modèle reste encore fragile en Afrique francophone, notamment dans un contexte de militarisation accrue de la conservation (Duffy 2014, 2016 ; Duffy et al., 2019 ; Lunstrum 2014). Devenue une réalité dans le parc du W-Bénin, cette militarisation va de pair avec celle du grand braconnage et la montée de l’insécurité, due à des mouvements insurrectionnels ou à connotation religieuse qui alimentent les conflits entre les communautés (Brugière, 2020)

La gouvernance du Parc du W-Bénin fragilisée par des enjeux conflictuels historiques entre communautés et acteurs institutionnels

Prégnantes autour des parcs nationaux du W, comme de la Pendjari, les tensions persistent encore entre les acteurs qui interagissent dans la zone. Les habitants se plaignent des contraintes sur la terre, imposées par la présence de l’aire protégée, et de l’arbitraire des autorités en charge de les faire respecter. Ils dénoncent la violence des éco-gardes contre les braconniers, ainsi que la corruption et les abus de pouvoir à l’encontre des agriculteurs et des éleveurs.

Des tensions existent également entre l’AVIGREF et les représentants des communes limitrophes du parc. Les autorités locales considèrent parfois que l’AVIGREF restreint leur autorité et leurs missions étant donné que la loi béninoise prévoit que les ressources naturelles sont du ressort des communes[15]. Avant que la situation sécuritaire n’affecte la chasse et le tourisme, les ressources prélevées annuellement dans le Parc au titre de ces activités faisaient l’objet de redistribution : 30 % pour AVIGREF et 10 % pour les mairies riveraines (Baastel, 2022). Ces ressources étaient alors estimées pour l’AVIGREF de 5 à 6 millions de francs CFA par an. Le contexte sécuritaire actuel est en train de fragiliser l’ensemble des acteurs présents dans les parcs.

Dans la pratique, les aires protégées font l’objet de nombreuses convoitises à la fois des communautés, des trafiquants et autres acteurs de l’économie criminelle qui sont responsable des conflits entre divers acteurs qui ne partagent ni les mêmes intérêts et perceptions, ni les mêmes objectifs et qui restent figés chacun dans leur propre logique. Bien qu'importante pour la protection de l'environnement, l’arrivée d’African Parks Network au Bénin a ostensiblement modifié l'équilibre très fragile et ténu qui s'était installé entre agriculteurs et éleveurs (ELVA, 2023). Même si les origines des conflits sont diverses d’une aire protégée à une autre et d’un pays à un autre, on note que les conflits autour du parc du W-Bénin dans le contexte actuel marqué par la présence dans cet espace de plusieurs acteurs aux intérêts différents sont de deux ordres et concernent l’intérieur du parc et les zones périphériques.

À l’intérieur du parc, les populations autochtones riveraines entrent pour exploiter le pâturage, chasser et même pratiquer l’agriculture, défiant ainsi toute réglementation. Cela débouche souvent sur des conflits avec les administrations publiques chargées de l’environnement et les conservateurs des aires protégées. Ces conflits occasionnent parfois des pertes en vies humaines aussi bien dans le rang des populations que dans celui du personnel des administrations en charge de la protection. En effet, le braconnage à grande échelle de la faune et le trafic de viande de brousse, d’ivoire d’éléphants constituent une menace de taille face à des administrateurs qui ne disposent pas toujours des moyens suffisants à la mesure des enjeux et des ambitions. Par exemple de 2011 à 2013 près de 102 éléphants ont été braconnés dans le bloc Arly-Pendjari et 33 dans le bloc du W soit un total de 135 individus sur l’ensemble du WAP (Salifou, 2019). À cela s’ajoute le pillage des produits agro- forestiers, en débit d’une législation en vigueur, sans compter l’insécurité grandissante liée à l’installation des groupes djihadistes qui n’hésitent pas à enfouir et stocker des explosifs et des mines anti- personnelles à l’exemple des secteurs Malanville-Karimama ou Banikoara.

À la périphérie des aires, l’installation de groupes armés non étatiques a favorisé ces dernières années l’enrôlement des populations riveraines dans la lutte armée. Une telle situation pèse lourdement sur le fonctionnement des aires protégées puisque l’insécurité oblige les structures de surveillance à se replier (surtout du côté du Niger et du Burkina Faso), laissant le champ libre aux hommes armés qui se livrent au braconnage. Faute d’une meilleure collaboration, la non-participation des communautés riveraines aux travaux d’aménagement et de gestion, constitue un motif de leur désengagement et un manque à gagner très important. La prolifération des armes légères et des engins explosifs improvisés, à laquelle s’ajoute la criminalité transfrontalière marquée par des attaques à mains armées, des vols et trafics divers, vient assombrir le tableau déjà peu reluisant. Par ailleurs l’installation anarchique des sites d’orpaillage - à l’exemple de Tamou au Niger - constitue une menace environnementale qui vient perturber le fragile équilibre du parc du W.

Concernant le foncier, les éleveurs se retrouvent poussés en quête de fourrage à l’intérieur des parcs, ou au-delà des zones tampons du parc du W, que les agriculteurs ont aussi tendance à s’approprier, augmentant ainsi le risque de conflits. Les infractions et complicités d’exploitation illégale de l’aire protégée sont persistantes, même chez les populations périphériques bénéficiaires des avantages et initiatives divers censés susciter leur appropriation des objectifs du projet. Cette réalité n’est pas généralisée à tout le Complexe WAP mais elle nourrit le ressentiment des usagers et populations riveraines. Le sentiment d’exclusion persiste et la frustration croissante est l’un des facteurs de risque de basculement des civils dans la violence dans des aires protégées devenues stratégiques pour les groupes armés non étatiques.

La menace sécuritaire, un défi majeur pour la gouvernance du Parc du W-Bénin

Toute la difficulté pour l’État et African Parks Network à développer leur modèle de gouvernance réside autour de l’existence d’autre forme de gouvernance aussi proposée par les groupes armés qui ont tiré parti des tensions et des conflits communautaires complexes qui existent de longue date à l'intérieur et aux environs du complexe WAP. La présence de ces groupes qui s’est accompagnée d’une militarisation des espaces protégés est un autre de facteur à prendre en compte dans l’analyse des relations entre les acteurs gravitant dans les zones du parc du W-Bénin (Lunstrum, 2014).

La présence de groupes armés dans les parcs a conduit à une réduction des opérations de surveillance et de comptage de la faune. Au-delà de la présence de ces groupes, la criminalité se manifeste par une recrudescence des actes de braconnage, ciblant des espèces à haute valeur économique (lions, éléphants, buffles). En 2021, l’ONG Promédiation fait référence à un pacte qui aurait été scellé entre des braconniers béninois et les groupes armés :

« Les premiers, qui n’ont plus accès au parc de la Pendjari en raison de la surveillance plus stricte exercée depuis trois ans par le nouveau gestionnaire, African Parks Network ont négocié avec les seconds le droit de venir chasser dans le parc d’Arly et dans les zones de chasse de Pama, en territoire burkinabé. En échange, ils ravitaillent les djihadistes en aliments de base (huiles, céréales, sucre) et en carburant, qu’ils transportent sur leurs motos depuis leur pays. Il est également possible qu’ils payent une taxe aux djihadistes ou qu’ils leur donnent une partie de leur butin. Ces braconniers proviennent pour la plupart de la commune de Materi » (Promédiation, 2021).

Les mêmes types d’alliance sont révélés par le GI-TOC dans son rapport publié en mai 2023 concernent le complexe WAP de manière globale et surtout le parc du W entre le Niger et le Bénin où le rapport fait état de ces alliances entre les transhumants clandestins, les braconniers nigérians et les groupes armés, notamment le Groupe de soutien à l'islam et aux musulmans (JNIM) (Sampaio et al., 2023).

Dans les pays frontaliers du Bénin, comme dans le reste de la sous-région en proie à une augmentation de la violence l’économie criminelle, le banditisme et le djihadisme sont de plus en plus imbriqués (GRANIT, 2024). Si les djihadistes ne contrôlent pas forcément ces trafics, ils peuvent y participer ou les faciliter, et ainsi trouver des sources de financement indispensables à leurs activités. Le Complexe WAP se caractérise donc par une criminalité forestière avec la présence de braconniers d’ivoire, de bois précieux et tropicaux (bois de rose) et de peaux. À cela s’ajoutent d’autres activités illicites liées (fraude et falsification de documents, corruption, recel et blanchiment du bois et des revenus gagnés par ce trafic). La pêche illégale, le vol de bétail et les enlèvements se sont également intensifiés depuis l’installation de groupes armés dans la région.

S’approvisionnant grâce aux nombreux trafics, les groupes armés non étatiques se sont sanctuarisés à l’Est du Burkina Faso et utilisent le complexe WAP comme base arrière du fait de l’absence de contrôle des frontières. La stratégie des groupes armés non étatiques a donc évolué durant ces dernières années et comme le mentionne un rapport de l’institut Clingendael (Clingendael, 2021). En 2019 et 2020, le Bénin était une zone d'enlèvement et d'approvisionnement du JNIM, qui s'est transformée en zone de transit et de cachette en 2021. Comme le rappelle le rapport de Promédiation (2021), cela fait des années que les mouvements insurrectionnels sahéliens ont compris les multiples intérêts de coloniser les forêts et aires protégées. Tout d’abord, ce sont de bonnes cachettes. La densité de la végétation limite les déplacements en véhicules (char ou 4x4) et protège de la surveillance aérienne (hélicoptères ou drones) (Promédiation, 2021). Les éco-gardes et les agents forestiers, pas assez nombreux et ne disposant pas de moyens suffisants, rencontrent des difficultés pour patrouiller à pied dans certaines zones. Les groupes armés non étatiques peuvent donc circuler, se reposer, voire se former sans être inquiétés. L’instrumentalisation des conflits locaux dans les aires protégées contribue aussi à étendre le recrutement et la légitimité des groupes, comme c’est le cas dans la réserve de chasse Pama (Hubert, 2021).

Cette colonisation progressive des parcs par les groupes armés fait que depuis 2021, les incidents sécuritaires dans le complexe WAP se sont multipliés et incluent des violences contre des civils, des enlèvements, des destructions de biens, l’usage d’engins explosifs improvisés et des attaques contre les forces de sécurité. Ces attaques visent des agents et des institutions de l’État, des personnels d’African Parks Network et des populations civiles[16]. Les attaques contre les installations des forces armées béninoises (FAB) et d’African Parks Network le long des frontières du Parc du W-Bénin ont commencé en janvier et février 2022 (RFI, 2022), avec le ciblage spécifique des installations utilisées par l'African Parks Network et les FAB (de Bruijne, 2022). La multiplication des engins explosifs improvisés dans les parcs et les embuscades ont chassé le personnel d’African Parks Network et des FAB du parc du W-Bénin.

L’objectif est alors de diminuer la capacité des autorités béninoises à menacer les bases burkinabés du JNIM. À partir d'avril 2022, plutôt que de repousser les militaires béninois, l'objectif du JNIM au Bénin semble être de créer une zone tampon, s'étendant à travers les parcs nationaux de Monsey, du W et de la Pendjari au Bénin et jusqu'aux villages de Mandouri au Togo (de Bruijne, 2022). Cette situation confirme que face à l'augmentation des revendications des communautés vivant autour du parc, les groupes armés parviennent à s'établir et à recruter au sein des zones protégées (Promédiation, 2021 ; Hubert, 2021 ; Promédiation, 2022 ; ICG, 2023). Ces groupes profitent de la dépendance d'une partie de la population locale à l'économie informelle et illicite. Le principal objectif des groupes armés qui interagissent avec les activités économiques illicites n'est pas uniquement d’en tirer profit au sein du complexe WAP, mais de faire avancer leurs ambitions de gouvernance, se positionnant comme un modèle de gouvernance alternatif à celui de l’État (Sampaio et al., 2023).

Conclusion

En dépit de nombreuses avancées, le modèle de gouvernance participative ou de cogestion censée inclure les communautés dans la gestion des parcs et leur permettre de bénéficier des retombées, peine encore à se mettre en place. Au lieu de l'approche conjointe officiellement prônée, la gouvernance qui prévaut dans les faits est plutôt collaborative, voire exclusivement gouvernementale, déléguée à African Parks Network. Les villageois se plaignent d’un manque d’infrastructures de base et d’un sous-recrutement de membres des communautés locales. Alors que les AVIGREF ont été pendant longtemps des partenaires du CENAGREF, elles peinent à trouver leur place dans le modèle de gestion d’African Parks Network. La participation des populations dans les processus de gestion et décision du parc n’affecte pas nécessairement leurs pratiques concernant l’aire protégée.

Une autre des faiblesses de ce mode de gouvernance est liée au fait que les conditionnalités exigées pour appartenir aux comités de cogestion, suivant une logique de représentation, excluent les acteurs qui portent réellement atteinte à l’intégrité du parc. Les critères sont sélectifs et excluent de nombreux acteurs qui ne savent ni lire ni écrire et ne comprennent pas vraiment les enjeux soulevés ainsi que les sujets en débats. Les expériences où la participation des riverains est plus effective sont celles où les populations sont les mieux organisées (UICN/PACO, 2012). L'autre limite fondamentale de la gouvernance des aires protégées en Afrique de l’Ouest se rapporte donc à la faiblesse organisationnelle des populations riveraines devant y prendre part. Les processus participatifs en cours reposent, dans la majorité des cas, sur des petites structures villageoises dispersées et de niveaux de fonctionnalité et d’activités faibles.

Certes l’émergence d’organisations faîtières renforce le sentiment de responsabilité des populations et leur présence dans les espaces officiels de décision qui, en vertu de la décentralisation, se situent aux niveaux supra-villageois, c’est-à-dire aux échelles communale, régionale, nationale (UICN/PACO, 2012, p. 49). Toutefois, cette option ne réduit pas le risque d’une confiscation des organisations par les élites, représentant la population avec moins de redevabilité, voire de légitimité, envers cette dernière.

La mise en œuvre d’une gouvernance qui prenne en compte les attentes des communautés locales suppose donc un accroissement conséquent de leurs pouvoirs d’influence ainsi que de celui des collectivités territoriales sur les termes des décisions et sur les pratiques touchant aux aires protégées. L’effectivité d’une telle gouvernance locale requiert la mise en place et l’application de règles formalisées régissant le partage des prérogatives et des retombées financières. Elle nécessite, en outre, une élévation du niveau d’organisation des instances villageoises agissant au nom des populations et, à terme, des mécanismes de reconnaissance légale des communautés locales, à un niveau plus faible que celui de la commune, celle-ci représentant généralement un grand nombre de villages (UICN/PACO, 2012).

Ces modèles de gouvernance s’inscrivent dans un contexte de militarisation croissante de la zone, résultat d’une intensification des conflits dans et autour des aires protégées, où les revendications et frustrations de certaines communautés vis-à-vis de l’État constituent un terreau favorable à l’implantation de groupes djihadistes et où l’économie criminelle, le banditisme et le djihadisme sont de plus en plus imbriqués.