Perspectives océaniques pour les études animales critiques

Les animaux marins sujets de discorde. Études critiques au croisement du politique, des savoirs et des dispositifsIntroduction[Record]

  • Gaëlle Ronsin,
  • Nathalie Lewis,
  • Émilie Mariat-Roy and
  • Geneviève Brisson

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  • Gaëlle Ronsin
    Maitresse de conférences en sociologie et anthropologie, UBFC

  • Nathalie Lewis
    Professeure en sociologie, Université du Québec à Rimouski

  • Émilie Mariat-Roy
    Maitresse de conférences en anthropologie, Université de Tours

  • Geneviève Brisson
    Professeure en anthropologie, Université du Québec à Rimouski

L’attention croissante portée à l’Océan (UNESCO, 2021, 2022) par les politiques climatiques et environnementales actuelles invite les sciences sociales à se pencher à nouveau sur les systèmes politiques et sociaux des communautés côtières et marines, dans des perspectives critiques et multiscalaires renouvelées. Ce virage « bleu » aussi nommé « tournant océanique » (DeLoughrey, 2017, Artaud et al., 2021) est adopté depuis peu par les sciences sociales ou environnementales et par les acteurs politiques. Une triple perspective sur les questions marines se dégage : l’image d’un Océan en danger, menacé par le changement climatique côtoie celle d’un milieu réservoir d'où extraire de la valeur (issue des poissons, des minéraux, des gènes, et cetera). L’Océan est troisièmement défini comme allié potentiel appelé à « rendre service » aux sociétés humaines en atténuant les désordres environnementaux qu’elles ont créés, en invoquant notamment les puits de stockage de carbone. Or, la sanctuarisation et la marchandisation de la nature relèvent de processus non pas antagonistes mais bien concomitants et complémentaires (Stépanoff, 2021), d’autant plus quand ils concernent les milieux et les animaux marins. L’« océanisation » qui se profile doit donc être appréhendée de façon critique pour confronter les perspectives, pour adopter des approches théoriques ou empiriques plus symétriques (Grancher, 2023) et pour penser nos devenirs, sur terre et en mer. Pour appréhender les écologies des « mondes liquides » (Calafat, 2022), nous proposons aux sciences sociales environnementales de puiser dans les études animales critiques développées depuis une trentaine d’années (Houdart et Thiery, 2011 ; Manceron et Roué, 2009). Ce « tournant animal » (Delon, 2015) a eu pour effet de discuter les modalités de catégorisation des êtres vivants, les frontières produites entre ces catégories et d’étudier largement les relations que les animaux composent avec les humains (Frioux et Pépy, 2009, Leblan, Roustan, 2017 ; Laugrand et al., 2015) pour comprendre les mécanismes sociaux, économiques, culturels, juridiques qui régissent ces relations. Ce numéro propose ainsi d’explorer les « communautés hybrides » formées avec les animaux marins, encore peu étudiées, à partir de concepts et méthodes qui rappellent « que sociétés humaines et sociétés animales ne sont jamais totalement séparées, qu’elles se sont construites mutuellement » (Michalon et al., 2016). Pour une perspective des mondes océaniques, ce numéro s’appuie deuxièmement sur des travaux en écologie politique qui document les causes et les conséquences de la catastrophe environnementale. Cette littérature révèle les rapports aux animaux constitués (Tsing, 2022 ; Leblan et al., 2022 ; Descola et Palsson, 1996, Haraway, 2021) ainsi que les mécanismes politiques et les inégalités qui structurent les problèmes environnementaux des sociétés côtières (pollutions, érosion des ressources, santé environnementale, injustices, et cetera). Produire des connaissances sur fond de crise d’extinction de la biodiversité actuelle (elle-même sujet à travaux scientifiques) constitue un enjeu scientifique majeur pour les études environnementales, notamment à propos de milieux moins explorés, comme l’Océan, qui occupe pourtant plus de 70 % de la surface de notre planète. Par ailleurs, cette manière de postuler l’hybridité du vivant se rapproche des travaux en écologie et en sciences de l’environnement débattus depuis plus de quarante ans (Berkes et Folke, 1998 ; Gunderson et Holling, 2002 ; Vaillancourt, 1982 pour ne nommer que ceux-ci) en mettant précisément l’emphase sur la coprésence et le croisement des vivants sur un même territoire, un même écosystème, jusque dans ses retranchements sociopolitiques. En adoptant une approche critique et attentive aux rapports de forces politiques, ce numéro cherche ainsi à discuter le « tournant océanique » en cours (Artaud, 2023) à partir des études animales et d’analyses issues de différentes disciplines sur l’écologisation …

Appendices