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Pour célébrer leurs anniversaires marquants, les institutions choisissent souvent l’album souvenir qui jalonne le grand récit de leur développement. Jean Panneton, fils de la maison et supérieur du Séminaire depuis 1989, s’est dévoué à la tâche pour souligner le 150e anniversaire du Séminaire Saint-Joseph de Trois-Rivières, dans un style familier où la répétition didactique des idées principales rappelle la carrière de l’enseignant en littérature que fut l’auteur. Celui-ci nous livre un ouvrage, bien illustré, qui dépasse le catalogue en nous proposant une histoire de cette institution essentielle dans le développement de Trois-Rivières et de la région.
Pour rendre compte de l’évolution institutionnelle et des activités éducatives du séminaire, Jean Panneton divise son ouvrage en six parties. La première est consacrée au Collège des Trois-Rivières fruit de l’initiative de notables trifluviens. L’ancienne résidence du gouverneur devenue caserne trouve ainsi une troisième vocation. La polémique marque les débuts du collège. Le recrutement des enseignants place les prêtres, et surtout les séminaristes, en conflit de loyauté avec le Séminaire de Nicolet leur alma mater. Dès 1873, le collège se dote d’une section commerciale à côté du ratio studiorum qui décourage plus d’un élève et épuise financièrement plus d’une famille. Un an plus tard, le Collège cède la place au Séminaire Saint-Joseph qui vient ravir à Nicolet son séminaire, coup de grâce après l’anéantissement des prétentions épiscopales de la rive sud en 1852. L’institution s’éloigne de la ville et se dote de ses propres édifices. Cette deuxième partie mène le lecteur jusqu’en 1929 à l’orée du projet d’agrandissement de l’édifice qui marque le « temps du granit ». Cette troisième période, largement étudiée, court jusqu’en 1989 et se subdivise en une présentation de la vie et de la mort du cours classique en 1968, puis de la « quête d’identité ». Les « belles années » du cours classique débutent en 1929 quand le cours commercial disparait au profit de deux années préparatoires au long cursus de sept ans. À partir de 1936, les séminaristes se consacrent à leurs études, et seuls des prêtres enseignent jusqu’à près de 800 élèves en 1960. Par la suite, la redéfinition institutionnelle se poursuit jusqu’en 1989 et se traduit par l’abandon du niveau collégial pour un recentrement sur le secondaire. La place des professeurs laïcs progresse à partir de 1955 ainsi que la syndicalisation des différentes catégories d’employés. Laissant vibrer sa corde littéraire, l’auteur parcourt le « Bel aujourd’hui », cette quatrième période dans la vie du Séminaire où se renforce la présence laïque dans l’administration et le corps enseignant. Les femmes s’y font une place, et c’est seulement en 1998 que les filles entrent dans les classes. Panneton consacre une partie aux activités parascolaires et une dernière aux institutions nées des initiatives du Séminaire ou encouragées par ce dernier, « L’arbre et ses branches ». Il présente des notices sur chacune, du Séminaire Sainte-Marie de Shawinigan à l’UQTR ou au Musée Pierre-Boucher.
L’auteur a bénéficié d’un accès illimité aux archives de l’institution. Il les exploite avec habileté pour ménager l’intérêt de son lecteur et particulièrement celui des anciens de l’institution. Il n’a pas renoncé pour autant à des bilans quantitatifs sur les effectifs professoraux et étudiants, les finances, les frais de scolarité. La vie au Séminaire, le rythme scolaire et les programmes font l’objet d’une présentation détaillée qui permet de bien comprendre le projet éducatif et son évolution. La transition des années 1960 et les différentes réformes qui mèneront à la fondation des cégeps font l’objet d’une présentation très claire, malgré leur complexité.
Malheureusement, l’historiographie, renouvelée depuis quelques années sur les collèges classiques, n’a pas été utilisée pour situer le Séminaire Saint-Joseph et son impact dans l’éducation des garçons, la formation d’une élite, la création de réseaux et les aménagements de programmes. Les travaux cités portent essentiellement sur la Mauricie et le Séminaire de Québec. L’impact régional du Séminaire est certes indéniable. Il se traduit dans un recrutement majoritairement rural qui peut surprendre. L’institution draine en effet les jeunes talents des grosses paroisses, tandis que la bourgeoisie trifluvienne préfère Brébeuf et Loyola pour ses garçons.
C’est aussi sous le signe de la concurrence que s’opèrent les grandes mutations du 20e siècle. L’apparition du collégial public et la chute des vocations orientent l’institution vers le secteur secondaire. La baisse du recrutement des élèves à la fin des années 1990, au-delà des justifications pédagogiques, fait entrer les filles dans ce bastion masculin au détriment des institutions privées qui les accueillaient. Ces faits ne sont pas occultés par l’auteur qui ne tombe pas dans la nostalgie des anciens temps, souvent associée à ce type d’ouvrage. La discipline ancienne reçoit son lot de critiques, les divergences sur les grandes décisions apparaissent, mais le portrait n’en demeure pas moins assez lisse. La transition clercs-laïcs dans l’administration de l’école semble parfaitement harmonieuse. On s’en assure peut-être en privilégiant le recrutement d’anciens du Séminaire connaissant bien la culture de leur alma mater. L’auteur ne cache pas le caractère inégalitaire de traitement des personnels laïcs, avant la syndicalisation. La mesure de l’évolution de l’institution est le progrès qui s’inscrit dans le patrimoine bâti : des vieilles casernes louées aux bâtiments de granit imposants. Des prêtres providentiels prennent les bonnes décisions et savent organiser le financement des grands projets dans la région et auprès des anciens. Ces topoï de l’histoire institutionnelle des collèges ne remettent pourtant pas en question l’intérêt de l’ouvrage, car un certain équilibre est maintenu entre l’action des individus et les forces structurelles. Quelques élèves sortis des rangs apparaissent ici et là, sans name-dropping abusif toutefois, car si chaque collège aime à revendiquer ses célébrités pour stimuler le recrutement, l’exercice devient assez vain du point de vue de l’historien puisque ces institutions profitaient d’une situation de monopole dans la formation des élites masculines québécoises.