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La recherche urbaine se centre généralement sur l’étude des grandes villes, négligeant du coup de s’intéresser aux villes plus petites qui, bien que moins diversifiées et cosmopolites, offrent des exemples de dynamiques sociales et économiques particulières et dignes d’intérêt. Dans ce contexte, cet ouvrage sur les villes du Québec annonce plus qu’il ne livre. On y parle beaucoup de Montréal—et des chercheurs qui se sont penchés sur ses évolutions–, mais peu d’autres villes de taille moyenne.
L’ouvrage s’ouvre par un texte de Jean-Pierre Augustin, un observateur attentif de la scène urbaine québécoise. Digne héritier des géographes français qui ont étudié le Canada, l’auteur fait un bon tour d’horizon des grandes lignes de la recherche urbaine au Québec. Il dresse la cartographie des espaces urbains les plus importants et fait porter son attention sur les études urbaines montréalaises. L’École de Chicago a exercé sur celles-ci une influence importante, bien que selon Augustin elle se soit graduellement affaiblie, peut-être pour permettre l’émergence d’une École de Montréal en recherche urbaine. Cette question audacieuse est tout de même prématurée. Laissons aux futures générations de chercheurs le soin de trouver une cohérence d’École dans la grande variété de travaux sur la région de Montréal. Si cette recherche urbaine a, en grande partie, été produite par des auteurs d’institutions francophones, il ne faudrait pas passer sous silence la contribution des universités anglophones, qui, comme l’Université McGill, ont contribué à la compréhension de la diversité culturelle de Montréal et de ses dynamiques économiques et politiques.
La première partie du collectif se penche sur les villes comme laboratoire économique et comme objet de gouvernance. François Hulbert, qui a beaucoup connu et étudié Québec, fait une comparaison entre les villes de la province et celles de la France. Il s’attache à montrer les nombreuses réformes qui ont touché les deux ensembles urbains, pointant ici des convergences, comme la tendance à faire naître des entités de gouvernance supramunicipales, et là des voies divergentes qui font voir le caractère universel limité des dynamiques urbaines, toujours insérées dans des ensembles sociaux et spatiaux particuliers.
Le développement local et les organisations qui en font la promotion sont décrits dans deux articles plus empiriques sur l’économie montréalaise malmenée par la désindustrialisation. Plusieurs mouvements communautaires sont nés pour soutenir le développement local, bien que leur autonomie politique ne soit pas toujours assurée. En effet, les actions communautaires et locales demeurent très dépendantes des actions et des programmes des pouvoirs publics, municipaux et provinciaux.
La deuxième partie de l’ouvrage, à l’enseigne du cosmopolitisme, conduit le lecteur vers d’autres questions, plus identitaires, d’une part, et plus pointues, d’autre part, sur l’avenir de la coexistence ou de la cohabitation de la diversité culturelle à Montréal. Les débats publics récents sur la diversité culturelle ont été plus étroitement confinés à la comparaison, pour ne pas dire l’opposition, entre multiculturalisme et interculturalisme, à laquelle les auteurs n’échappent pas. Les articles qui abordent le cosmopolitisme cherchent à élargir les termes du débat social et politique. Annick Germain et Laurence Liégeois ont bien raison de se demander si Montréal est un laboratoire cosmopolitique et de montrer les mérites et les limites du cosmopolitisme en action. Si la sécurité est souvent invoquée et risque, comme les grands projets d’aménagement tel le Quartier des spectacles sur lequel les auteures se penchent, de diviser plutôt que d’unir, d’autres actions pourraient, comme la création des espaces verts et les transports en commun, devenir rassembleuses.
L’aménagement urbain occupe une large place dans l’ouvrage, la troisième partie lui étant entièrement consacrée. On s’éloigne aussi de Montréal. Québec offre un exemple de revitalisation urbaine de longue haleine. Simard et Mercier dressent un bilan critique de trente ans d’urbanisme dans cette ville. Ils collent d’assez près à l’évolution des schémas et des plans qui ont marqué les actions urbanistiques à Québec. Dommage que cet article soit trop court : on ne peut pas faire en quelques pages un bilan de trente ans qui soit fidèle aux décisions d’aménagement et en même temps rendre compte des dynamiques sociales, économiques et politiques à l’oeuvre.
La réflexion sur l’aménagement au Québec sur la longue durée est poursuivie par Douay, Lewis et Trépanier. Les auteurs focalisent leur analyse sur les structures, les lois, les plans et schémas, bref sur les aspects juridiques et administratifs de l’aménagement urbain. Il manque cependant des éléments fondamentaux à leur approche, à savoir une analyse sociologique fine de l’aménagement comme processus qui met en scène des acteurs variés, des conceptions et des enjeux différents, souvent contradictoires, ainsi que des arbitrages politiques difficiles. Peu de décisions en aménagement et en urbanisme vont de soi, la documentation officielle masquant les tensions qui y ont menées.
L’épilogue est réservé à Daniel Latouche, fin observateur et analyste de la modernisation du Québec. Le texte, parfois plus érudit qu’analytique, place en contexte historique plus large la recherche urbaine au Québec. Si les débuts de la recherche urbaine ont voulu comprendre le vaste processus (accélération serait plus juste) d’urbanisation de l’après-guerre, les thèmes de recherche sont assez variés. Dans l’histoire de la recherche urbaine, Latouche rééquilibre les contributions de l’«École de Laval», qui ne s’est pas uniquement intéressée au sort des régions. Il faudrait toutefois faire observer à l’auteur que la tradition de recherche et d’intervention dans la ville de Québec ne se limite pas à la protection et à la restauration du patrimoine urbain. Latouche y va de quelques réserves sur la manière dont on pense Montréal et la recherche qui s’y fait. Une dose de modestie ne fait jamais de tort.
Le Québec urbain en révolution depuis cinquante ou soixante ans n’a rien d’exceptionnel. Il manque à l’ouvrage des références à des exemples de même nature. L’urbanisation et l’urbanité québécoises se sont, avec des variantes notoires, reproduites en plusieurs exemplaires dans de nombreux endroits du monde développé. Le voisin ontarien est, en gros, passé par les mêmes étapes dans son processus d’urbanisation récent. La réflexion sur le cosmopolitisme et sur l’urbanité plurielle y est aussi plus ancienne et les travaux sur Toronto, Ottawa et les autres villes moyennes ontariennes peuvent contribuer en idées et en méthodes à la recherche urbaine au Québec. Les références à ces travaux sont malheureusement absentes des bibliographies.