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  • Chantal Gagnon

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  • Chantal Gagnon
    Université de Montréal

Le thème de la subversion habite notre discipline depuis longtemps. Par exemple, dans les années 1990, on l’a souvent abordé avec des ouvrages porteurs comme celui de Suzanne Jill Levine, The Subversive Scribe, en 1991, ou comme le collectif Translation, Power, Subversion, dirigé par Román Álvarez et Ma Carmen África Vidal Claramonte en 1996. On voyait par ces ouvrages différentes façons d’aborder la traduction politique; ces ouvrages présentaient, d’une façon ou d’une autre, les traducteur·rice·s comme des agent·e·s de la subversion. Depuis, le thème de la subversion n’a rien perdu de sa pertinence, et il ratisse large : la traduction de sous-titres dans des films portant sur les droits de la personne (Di Giovanni, 2007), le doublage parodique comme manifestation subversive (Baños Pinero, 2019) ou la traduction de langage sexiste ou discriminatoire dans des textes littéraires (Li, 2024) n’en sont que quelques exemples. Le thème de la subversion était également très cher à Denise Merkle, qui nous a récemment quittés. Non seulement elle a publié sur le sujet de façon convaincante (par exemple, 2003, 2009, 2010), mais elle a aussi co-organisé le colloque de l’Association canadienne de traductologie en mai 2021 sur le thème de la subversion, puis co-dirigé le numéro TTR 35.2 qui en a découlé. Étant donné l’intérêt quasi inépuisable pour ce thème, en octobre 2023, Denise Merkle a co-organisé avec moi une journée d’études très courue à l’Université de Montréal sur la traduction et la subversion, avec Nicolas Froeliger comme conférencier invité. Les trois contributions présentées ici ont émergé de cette journée, et Denise avait commencé à y travailler avant son triste départ. Aussi les articles de Nicolas Froeliger, Ilaria Berlose et Audrey Coussy forment-ils un mini dossier thématique, que TTR dédie à la mémoire de Denise. Nicolas Froeliger revisite le concept de « subversion » tout en faisant valoir ses différentes facettes. Il explique notamment que s’il existe des cas bien documentés de traductions subversives, la vaste majorité du temps, les traductions (pragmatiques) sont conformistes, pour répondre aux besoins des client·e·s. Ilaria Berlose a pour sa part choisi d’explorer la traduction subversive par l’intermédiaire du genre en traduction, en adoptant une perspective féministe intersectionnelle non hétéronormative. En montrant les limites de la démarche subversive qu’est l’affirmation de la traduction féministe au Canada à la fin des années 1980, elle nous rappelle que toute subversion est ancrée dans une situation sociale, historique et politique donnée, et qu’il importe d’élargir les perspectives pour tenir compte des réalités changeantes. Quant à Audrey Coussy, elle investigue les représentations autistiques et leur traduction en littérature jeunesse, et elle affirme qu’il faut aborder ce type de problématique par le prisme de la subversion, puisque les personnages autistes interrogent eux-mêmes la norme de multiples manières. En fait, la traduction de la poétique autistique incite à bousculer les règles de la grammaire normative (déjà remises en question par la poétique autistique du texte source) et à revoir certains principes de l’édition jeunesse, qui favorisent généralement la lisibilité du texte, mais éventuellement au détriment de la vie intérieure et émotionnelle des jeunes narrateur·trice·s autistes. Ces contributions montrent bien que peu importe les époques, les sociétés ou les types d’écriture abordés, la question de la subversion est complexe et féconde en traductologie, puisqu’elle met en relief les inégalités, les luttes de pouvoir et les transformations de la société, contribuant ainsi à combattre les idées reçues et à remettre en question les normes établies.

Appendices