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Traduction, terminologie, rédaction
Volume 34, Number 1, 1er semestre 2021 La traduction comme acte politique (Europe : 1500-1800) Translation as a Political Act (Europe: 1500-1800) Guest-edited by Diana Bianchi, Patrick Leech and Francesca Piselli
Table of contents (13 articles)
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Presentation
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L’alexandrin dans la tragédie humaniste en France au XVIe siècle : un choix politique
Brice Denoyer
pp. 21–45
AbstractFR:
L’alexandrin est indissolublement lié au succès du théâtre français classique. Le caractère d’évidence qui semble les réunir n’a pourtant rien de naturel, et cette relation s’inscrit en réalité dans une historicité où le politique a une part prépondérante. Nombre de mystères demeurent lorsque l’on essaye d’expliquer pour quelle raison les dramaturges du XVIe siècle ont favorisé ce vers alors peu usité, et réservé auparavant à des usages très spécifiques – hormis durant une période où il fut à la mode, vers le XIIIe siècle, pour le genre épique. Fortement lié à la traduction et à la réappropriation de l’héritage théâtral antique, le choix de l’alexandrin a aussi une indéniable portée politique : vers prestigieux d’abord, par sa rareté comme par ses usages, il devient en outre associé, au cours du XVIe siècle, à la réinvention du modèle de tragédie à l’antique. Du fait de son prestige, il devient facilement le vers par excellence des personnages puissants, dont le statut social ne saurait être représenté sur scène que dans une parole « altiloque », comme le dit Ronsard, dont l’alexandrin devient le vecteur évident. Les auteurs ne cesseront, au fur et à mesure que le siècle se déroule, de jouer des parallélismes qui peuvent exister entre les discours expressément politiques et les tragédies (en témoignent par exemple les liens poétiques et politiques reliant chez Garnier l’Hymne à la monarchie et plusieurs de ses pièces) : là encore, ils se réapproprient les exigences de la rhétorique antique, sans ignorer que de telles exigences valent pour une parole publique dont la portée politique n’est pas à mésestimer. Dès lors, l’utilisation de plus en plus constante de l’alexandrin comme vers du dialogue tragique devient une métaphore parfaite de la complexité de la chose politique, mise en scène alors comme une somme fragmentaire de discours antithétiques, faisant du politique un objet de représentations (dans tous les sens du terme) et de débats.
EN:
The alexandrine is indissolubly linked to the success of classical French theatre. However, there is nothing natural in what would appear to be an obvious relationship, in which politics historically played a preponderant role. There are still many unknowns when one attempts to explain why 16th century playwrights promoted this otherwise ill-favoured verse that was only used in very specific situations, except for a period, around the 13th century, when it was frequently used for the epic genre. Indeed, strongly linked to the translation and reappropriation of ancient Greek and Latin theatre, the choice of the alexandrine was undeniably political in scope. Because of its prestige, it quickly became the verse par excellence of the powerful, whose social status could only be represented in emphatic or “altiloque” speech, as Ronsard termed it, which made the alexandrine an obvious medium for kingly discourse. As the century progressed, authors consistently underscored the similarities between openly political texts and tragedies (as we can see, for example, in the poetical and political links between Garnier’s Hymn for the Monarchy and several of his plays). Furthermore, they reappropriated the imperatives of ancient rhetoric, fully aware that such imperatives, designed for public speeches, carried with them significant political weight. As a result, the increasing use of the alexandrine as the verse of dialogue in tragedy become a fitting metaphor for the complexity of politics, depicted as a body of antithetical speeches, thereby making politics an object of representations (in all senses of the word) and debates.
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Homer like Thucydides? Hobbes and the Translation of the Homeric Poems as an Educational Tool
Andrea Catanzaro
pp. 47–75
AbstractEN:
Thomas Hobbes had a deep and, to some extent, controversial relationship with both the classics and the classical world. At the beginning of his career as a political thinker, for example, he translated from Greek into English the History of the Peloponnesian War by Thucydides. Despite this initial involvement, the philosopher subsequently stopped translating, although, several decades later, in the final period of his life, he decided to return to this activity, translating the Iliad and the Odyssey, apparently for his own amusement, nothing more. However, recent literature has suggested that these works, as in the case of his translation of Thucydides’s work, hid another motive: he wanted to continue spreading his political thought in a period when he no longer able to do it in the usual way because of old age, illness, and, above all, censorship. By offering a comparison of the original Greek texts and Hobbes’s translations, this essay aims to show how he handled the political elements of the Iliad and the Odyssey that did not fit his political theory and ran the risk of undermining his attempt to teach moral and political virtue. It focuses in particular on the political question of overlapping sovereignties, with a view to explaining some systematic uses of translation choices that clearly deviate from the Greek.
FR:
Thomas Hobbes entretenait une relation profonde et, dans une certaine mesure, controversée avec les classiques et le monde classique. Au début de sa carrière de penseur politique, par exemple, il a traduit du grec en anglais l’Histoire de la guerre du Péloponnèse de Thucydide. Malgré cette implication initiale, le philosophe finit par cesser de traduire. Plusieurs décennies plus tard, dans la dernière période de sa vie, il a choisi de revenir à ce genre de travail en traduisant l’Iliade et l’Odyssée, apparemment pour son propre amusement, rien de plus. Cependant, des ouvrages récents avancent l’hypothèse que ces travaux, tout comme sa traduction de l’oeuvre de Thucydide, cachaient un autre motif : il voulait continuer à diffuser sa pensée politique dans un contexte où il ne pouvait plus le faire à sa manière habituelle, à cause de la vieillesse, de la maladie et, surtout, de la censure. En proposant une comparaison entre les textes grecs originaux et leurs traductions hobbesiennes, cet essai vise à montrer comment Hobbes a traité les éléments politiques de l’Iliade et de l’Odyssée qui ne cadraient pas avec sa théorie politique et, par là, risquaient de contrecarrer sa volonté d’enseigner la vertu morale et politique. Il s’attache en particulier à sonder le problème politique des souverainetés superposées, en vue de clarifier certains choix de traduction systématiques qui s’écartent clairement du grec.
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Les Letters concerning the English Nation et les Lettres écrites de Londres sur les Anglais : un original dédoublé
Guy Rooryck
pp. 77–99
AbstractFR:
L’article a pour objectif d’analyser les jugements littéraires de Voltaire tant dans les Letters concerning the English Nation (1733) que dans les Lettres écrites de Londres sur les Anglais et autres sujets (1734). Les lettres XVIII à XXIV ont pour sujet différents aspects touchant les belles lettres. Notre questionnement portera sur les différences et les analogies entre les deux versions et renverra également aux traductions anglaises modernes qui, par contraste, font ressortir la spécificité du texte anglais paru en 1733. L’activité créatrice du traducteur (en l’occurrence John Lockman) se manifeste comme une prolongation de certaines figures de rhétorique, en particulier celles de la brevitas (concision) et de l’amplificatio (emphase). La traduction anglaise de 1733 a le plus souvent recours à l’emphase qui souligne la force illocutoire du texte. En raison du contexte politique, Voltaire se doit de tenir compte de la censure en France et freine en français son audace qui se donne libre cours dans la version anglaise de 1733. Il juge d’autre part selon les critères du « bon goût » de son époque, et bien qu’il apprécie le génie d’écrivains anglais, il s’exprime souvent en faveur de la retenue de chefs-d’oeuvre français, qui, nés dans le contexte d’une « société de cour » se construisent par le biais d’une parole allusive faite de sous-entendus, alors que les littérateurs anglais ne reculent pas devant l’âpreté de la réalité. La voix énarrative du traducteur de 1733 a tendance à intensifier les jugements de Voltaire dans une mise en énonciation qui s’adresse à un public anglais. Les traductions modernes (Dilworth (1961); Tancock (1981); Steiner (2007), basées sur l’édition Jore/Lanson (1909)) reprennent, en revanche, les appréciations des Lettres philosophiques (1734) dans une mise en énonciation adoucissant la force illocutoire de la version anglaise initiale qui, elle, aiguise la pensée de Voltaire dans ses jugements tant critiques que favorables.
EN:
This article aims to analyse Voltaire’s literary judgements both in the Letters concerning the English Nation (1733) and in the Lettres écrites de Londres sur les Anglais et autres sujets (1734). Letters XVIII to XXIV deal with various aspects of the fine arts. Our study focuses on the differences and analogies between the two versions and also refers to the modern English translations which, by contrast, bring out the specificity of the English text published in 1733. The creative activity of the translator (in this case John Lockman) manifests itself as an extension of certain figures of rhetoric, in particular those of brevitas (brevity) and amplificatio (emphasis). The English translation of 1733 most often uses emphasis to underline the illocutionary force of the text. Because of the political context, Voltaire had to take into account censorship in France and downplayed the audacity of his message in French, which was given free rein in the 1733 English version. On the other hand, his judgements respected the criteria of what was considered “good taste” at the time. Although he appreciated the genius of English writers, he often spoke in favour of the restraint of French masterpieces, which, born in the context of a “court society,” were constructed through allusive speech and innuendo, in opposition to English writers who did not shy away from expressing the harshness of reality. The enarrative voice of the translator of 1733 tends to intensify Voltaire’s judgments and tailors his expressive choices to an English audience. The modern translations (Dilworth (1961); Tancock (1981); Steiner (2007), based on the Jore/Lanson edition (1909)) remain faithful to the assessments of the Lettres philosophiques (1734) in an enunciation that softens the illocutionary force of the initial English version, in which Voltaire’s thinking with respect to both his critical and favourable judgements was sharpened.
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Argumentative Voice in English Eighteenth-Century Translations of Jean-Jacques Rousseau’s Du contrat social (1762)
Lieve Jooken
pp. 101–126
AbstractEN:
This study compares two contemporary English translations of one of Jean-Jacques Rousseau’s major works on the nature of society and the institution of political sovereignty, Du contrat social; ou principes du droit politique (1762). The case study intends to elucidate the extent and nature of translators’ interpretative discursive presence in their rendering of philosophical discourse. The analysis considers a selection of excerpts in source and target texts and traces instances of the implicit argumentative mediation of the translator, which mainly surfaces in the addition of rhetorical emphasis (amplificatio) and the explicit expression of implied meaning, but also in the alteration of denotation and down toning or omission of arguments (brevitas). The discussion reveals that both the 1764 and 1791 translations of the Social Contract primarily render the author’s arguments in a more emphatic and explicit tenor, which indicates the translators’ “associative attitude” (Hermans, 2010) to the discourse represented. The 1791, “revolutionary” rendering of Du contrat social moreover shifts the meaning of the proposition in places by introducing a clearer connotation of despotism in references to royal power.
FR:
Cette étude compare deux traductions anglaises contemporaines d’un des principaux ouvrages de Jean-Jacques Rousseau sur la nature de la société et l’institution de la souveraineté politique, Du contrat social; ou principes du droit politique (1762). L’étude de cas vise à éclairer davantage l’étendue et la nature de la présence discursive interprétative des traducteurs dans leur rendu du discours philosophique. La présente contribution analyse une sélection d’extraits dans les textes source et cible afin de dégager les traces de médiation argumentative implicite du traducteur. Cette médiation se manifeste principalement par l’emphase rhétorique (amplificatio) et l’explicitation de sens implicites, mais aussi par l’altération de la dénotation et l’affaiblissement ou l’omission d’arguments (brevitas). L’étude révèle que les traductions de 1764 et 1791 du Contrat social expriment la plupart du temps les arguments de l’auteur de façon plus emphatique et explicite, conformément à une « attitude associative » de la part des traducteurs (Hermans, 2010) dont les interventions corroborent le discours d’origine. La traduction « révolutionnaire » du Contrat social de 1791 a en outre tendance dans les passages où il est question du pouvoir royal à instiller une connotation qui dénonce plus ouvertement le despotisme monarchique.
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Les paratextes d’oeuvres traduites de sciences humaines et sociales : un espace à explorer / Regard posé sur les premières traductions en langue française de An Inquiry into the Nature and Causes of the Wealth of Nations d’Adam Smith
Nadine Celotti
pp. 127–152
AbstractFR:
Existe-t-il une spécificité des paratextes des oeuvres traduites de sciences humaines et sociales? Ce questionnement, qui s’insère dans les études qui ont, récemment, reconnu la spécificité de la traduction des oeuvres des sciences humaines et sociales, représente la toile de fond de cet article. Ici, ce sont les paratextes d’An Inquiry into the Nature and Causes of the Wealth of Nations d’Adam Smith traduit en langue française qui feront l’objet de réflexion. L’ouvrage de Smith, qui a représenté un tournant dans la pensée de l’économie en ayant marqué la naissance de l’économie politique, a provoqué en France une véritable « effervescence traductive » dès sa parution en 1776 et jusqu’en 1802, période historique de transformations radicales pour la France. Il en ressort une vaste activité paratextuelle qui révèle, d’une part, de vives polémiques entre les traducteurs et, d’autre part, leur engagement pour la diffusion, voire la transformation des idées smithiennes pour le bon gouvernement de la société.
EN:
Is there any specificity in the paratexts of translated texts in the social sciences and humanities? This question fits into work that has recently recognized the specificity of translation in these areas, and forms the backdrop of this article, which examines the paratexts of the French translation of Adam Smith’s An Inquiry into the Nature and Causes of the Wealth of Nations. Smith’s work, which represented a turning point in economic thought and marked the birth of political economy, led to a veritable “effervescence of translations” in France from its original publication in 1776 until 1802, a historic period of radical transformations in France. The result was an extensive paratextual activity that reveals, on the one hand, major controversies amongst the translators and, on the other hand, their commitment to disseminate new ideas, and even to transform Smith’s ideas for the good government of society.
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Lutter contre la Révolution. Péritexte et voix du traducteur dans le Mercurio britannico (1798-1800)
Francesca Piselli and Regina Lupi
pp. 153–179
AbstractFR:
La note allographe infrapaginale est un élément stratégique de l’appareil péritextuel et un seuil où le traducteur et/ou l’éditeur font entendre leur voix. Cet article s’intéresse aux notes de bas de page ajoutées par le traducteur dans le Mercurio britannico, version italienne du périodique Mercure britannique, publié à Londres de 1798 à 1800, qui joua un rôle remarquable dans la circulation des idées contre-révolutionnaires. Nous nous demandons quelles sont les fonctions assumées par la voix du traducteur et si ses notes infrapaginales seraient un indice révélateur de sa volonté d’« agir politique ». Pour répondre à ce questionnement, nous nous penchons d’abord sur le projet éditorial et les enjeux politiques du Mercurio britannico. Nous présentons ensuite une typologie de quatre fonctions remplies par les notes de bas de page en nous appuyant sur de nombreux exemples. L’accent est mis sur les multiples fonctions de cet espace liminaire et, plus généralement, sur les dynamiques qui se tissent entre traduction et circulation des idées politiques. Enfin, dans la conclusion, nous revenons sur les résultats de notre analyse et des pistes de réflexion sont proposées.
EN:
The allographic footnote is a key element of the peritext and a threshold where the translator and/or the editor make their voice heard. This article examines the translator’s footnotes in the Mercurio britannico, the Italian translation of the periodical Mercure britannique, published in London from 1798 to 1800, which played a significant role in the circulation of counter-revolutionary ideas. We speculate as to the functions carried out by the translator’s voice and whether the footnotes could be clues of his or her desire to “act politically.” To answer these questions, we first consider the editorial project and the political issues raised by the Mercurio britannico. We then introduce four types of functions performed by the footnotes, illustrated by several examples. Emphasis is placed on the multiple functions of this liminal space and, more generally, on the dynamics linking translation and the circulation of political ideas. Finally, we reflect on the results of our analysis and suggest some avenues of further enquiry.
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Political Corrections: The Revolutionary Context and English Retranslations of Johann Georg Zimmermann’s Vom Nationalstolze [On National Pride] (1768)
Laura Tarkka
pp. 181–208
AbstractEN:
This article concerns the English translations of a popular eighteenth-century work on national pride. Originally entitled Von dem Nationalstolze [On National Pride], it was first published in 1758 and then twice revised by the author, Johann Georg Zimmermann (1728-1795). A physician by profession, the Swiss-born Zimmermann treated patriotism as a collective sentiment and soon attracted interest across Europe. Accordingly, the second revised edition Vom Nationalstolze (1768) also appeared in a number of translations, including in English as An Essay on National Pride for the first time in 1771. Since an English retranslation by Samuel Hull Wilcocke was published in 1797 and yet another anonymous retranslation in 1805, the article examines these as attempts to correct the first English translation and to demonstrate the perceived relevance of the source text in the context of the French Revolutionary Wars. Starting from the premise that Zimmermann himself wrote about national pride in order to correct the false preconceptions of his readers, I argue that each translation also participated in the negotiation of a “healthy” form of patriotism. In so doing, the retranslation by Wilcocke in particular took considerable liberties in relation to the source text, while the second retranslator appears to have aspired to produce the most precise and transparent rendition of Zimmermann’s original words. However, as revealed by an examination of the linguistic transformations which the work underwent in Britain, all of the English translations adjusted its political meaning in ways that were significant to contemporary readers.
FR:
Cet article porte sur les traductions anglaises d’un ouvrage populaire du XVIIIe siècle sur la fierté nationale. Initialement intitulé Von dem Nationalstolze [De l’orgueil national], il a été publié pour la première fois en 1758, puis révisé deux fois par l’auteur, Johann Georg Zimmermann (1728-1795). Médecin de profession, Zimmermann, d’origine suisse, a traité le patriotisme comme un sentiment collectif et a rapidement suscité l’intérêt dans toute l’Europe. En conséquence, la deuxième édition révisée de l’original, Vom Nationalstolze (1768), a été traduite en plusieurs langues, y compris en anglais sous le titre An Essay on National Pride pour la première fois en 1771. Étant donné qu’une retraduction anglaise par Samuel Hull Wilcocke a été publiée en 1797 et qu’une autre retraduction, anonyme, a été publiée en 1805, cet article les examine comme des tentatives de corriger la première traduction anglaise et de démontrer la pertinence du texte source dans le contexte des guerres révolutionnaires françaises. Partant du principe que Zimmermann lui-même a écrit sur la fierté nationale afin de corriger les fausses idées préconçues de ses lecteurs, je soutiens que chaque traduction a également participé à la négociation d’une forme « saine » de patriotisme. Ce faisant, la retraduction de Wilcocke en particulier a pris des libertés considérables par rapport au texte source, tandis que le second retraducteur semble avoir aspiré à produire l’interprétation la plus précise et la plus transparente des mots originaux de Zimmermann. Cependant, comme l’ont révélé les transformations que le langage politique de l’oeuvre source a subies en Grande-Bretagne, toutes les traductions anglaises ont adapté sa signification politique en fonction des attentes de leurs lecteurs.
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Traduire la liberté. La démocratie libérale selon Benjamin Constant
Jane Elisabeth Wilhelm
pp. 209–235
AbstractFR:
Benjamin Constant est l’un des premiers grands penseurs de la démocratie libérale. Il joua un rôle de premier plan dans la vie politique et intellectuelle de son époque, à une période charnière pour l’avenir de l’Europe. Son héritage politique est d’une rare envergure et il est aussi l’auteur d’un chef-d’oeuvre d’analyse psychologique, le roman Adolphe (1816). Loin d’être seulement une doctrine politique et économique, le libéralisme apparaît désormais comme l’un des courants originels de la politique moderne, consubstantiel à la démocratie. En Europe, les origines du libéralisme politique, représentées par Benjamin Constant, Mme de Staël et leurs amis, le « Groupe de Coppet », sont étroitement liées à la circulation des idées et au cosmopolitisme, aux échanges culturels et à la pratique du traduire. La traduction à Coppet peut ainsi se comprendre au sens strict de transfert linguistique d’une langue à l’autre, comme au sens plus large d’interprétation ou d’herméneutique selon Paul Ricoeur, qui invoque le paradigme de l’hospitalité langagière. C’est autour du cercle de Coppet, au sein duquel se déploie une intense activité de traduction et d’interprétation, que s’élaborent les catégories politiques, littéraires et esthétiques à l’entrée dans l’âge démocratique. Dans la distinction restée célèbre qu’il développera entre la liberté des Anciens et celle des Modernes, Constant s’attachera à traduire, en politique et dans les institutions, l’irréductible différence de la modernité, à savoir le principe individuel né de la Révolution. En favorisant le libre commerce des idées et les échanges avec l’étranger, la traduction, tant au sens large qu’au sens restreint, permet non seulement la diffusion des idées politiques du libéralisme, mais illustre également la nécessité de la différence et de l’altérité comme composantes essentielles de la démocratie libérale.
EN:
Benjamin Constant is one of the first foremost thinkers of liberal democracy. He played a leading role in the political and intellectual life of his time, at a decisive period for the future of Europe. His political legacy is exceptionally far reaching and he is also the author of the masterpiece Adolphe (1816), a forerunner of the modern psychological novel. Far from being only a political and economic doctrine, liberalism appears today to be one of the original sources of modern politics that is consubstantial with democracy. In Europe, the origins of political liberalism, represented in this case by Benjamin Constant, Mme de Staël and their friends, known as the “Coppet Group,” are closely related to the circulation of ideas and cosmopolitism, cultural exchanges and the practice of translation. In the Coppet circle, translation can be understood as meaning the transfer of a linguistic message from one language to another, but also as having the broader sense of interpretation and hermeneutics following Paul Ricoeur, who invokes the paradigm of linguistic hospitality. It is within that circle, in which was deployed an intensive activity of translation and interpretation, that were formulated the political, literary and aesthetic categories of the coming of age of democracy. In the famous distinction he developed between the liberty of the Ancients compared with that of the Moderns, Constant aimed to translate into politics and institutions the essential and irrevocable difference of modern times, that is, the primacy of individual rights born through the Revolution. While allowing for the free exchange of ideas and interchange with foreign countries, translation understood both in its narrower meaning and in the broader sense of interpretation, not only promotes the dissemination of the political ideas of liberalism, but also illustrates the need for difference and otherness as necessary features of liberal democracy.
Comptes rendus
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Michel Ballard, avec la collaboration de Yves Chevrel et Christian Balliu. Antiquité et traduction. De l’Égypte ancienne à Jérôme. Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2019, 124 p.
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Lucile Davier. Les enjeux de la traduction dans les agences de presse. Villeneuve d’Ascq, Presses du Septentrion, 2017, 334 p.
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Irène Cagneau, Sylvie Grimm-Hamen et Marc Lacheny, dir. Les traducteurs, passeurs culturels entre la France et l’Autriche. Berlin, Frank & Timme, 2019, 268 p.
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Rebecca Ruth Gould et Kayvan Tahmasebian, dir. The Routledge Handbook of Translation and Activism. New York et Londres, Routledge, 2020, 543 p.