TTR
Traduction, terminologie, rédaction
Volume 33, Number 2, 2e semestre 2020 Matérialités de la traduction : le livre, la ville, le corps Materialities of Translation: The Book, the City, the Body Guest-edited by Marie-Alice Belle and Hélène Buzelin
Table of contents (10 articles)
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Présentation
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The Copy Effect in Translation: On Formal Similarity and the Book Historic Perspective
Ryan Fraser
pp. 13–40
AbstractEN:
This study takes up the perspective of material book history to revisit the paradox of identity and difference that has always been central to translation. I will argue here that a cognitive effect of identity in translation—which I am calling the “copy effect”—remains to be grappled with theoretically in its own right, and that contemporary theory has generally used the idea of “identity” in translation as a mute antithesis from which to repel with discourse privileging variance and difference. My goal here is to talk about the identity inherent in any translation, and the powerful effect of formal identity that a good number of translations display. First, I will address the paradox itself. Then I will draw attention to the material side of the verbal and linguistic and make a sharp distinction between two types of “form” that textual discourse can take: (1) a “stylistic form” that is qualitative and that translators feel free to vary; and (2) a “Pythagorean form” that is primarily quantitative and derived from textual materiality, and that translators tend to map over with a stricter attention to invariance. Translation scholars, we will see, have been reluctant to distinguish between these two types of form, which has resulted in denials and elisions conflicting with the material evidence of translation. Then I will pursue this material perspective on translation and seek out discourse situating a “copy effect” historically and culturally. This will lead to a discussion of Rita Copeland’s connection between translation and the classical and medieval copia verborum. Finally, I will enter into a new line of reflection opened by Anthony Pym, and propose that through the copia verborum and its historic and contemporary use in construing literalist translations, a compelling analogy can be drawn between medieval translation practices and modern-day digital ones using translation memories.
FR:
Cette étude adopte la perspective de l’histoire matérielle du livre pour revenir sur le paradoxe « identité-différence » qui est au sein de la traduction depuis toujours. Je propose ici qu’un effet d’identité en traduction – que j’appelle « effet de copie » – reste encore à expliciter, et que la théorie contemporaine ne voit dans l’idée de l’identité qu’une antithèse contre lequel des discours valorisant la différence et la variance peuvent être formulés. J’espère mettre en valeur ici l’identité que toute traduction propose ainsi que l’effet d’une identité formelle que bon nombre de traductions produisent. En premier lieu, je ferai le point sur le paradoxe lui-même. Ensuite je mettrai en valeur le côté matériel du verbal et ferai une distinction importante entre deux « formes » présentes dans le discours textuel : une « forme stylistique » (qui est fondamentalement qualitative et constitue pour les traducteurs un lieu de variation) et une « forme pythagoréenne » (qui est quantitative, dérivée entièrement de la matérialité textuelle, et qui contraint plutôt le traducteur à une orientation d’invariance). Les traductologues, comme nous le verrons, ne font souvent pas cette distinction, ce qui donne lieu parfois à des conflits avec les preuves matérielles de la traduction. Viendra ensuite un effort pour situer cet « effet de copie » historiquement et discursivement. Je vais souligner le lien proposé par Rita Copeland entre la traduction et la copia verborum classique et médiévale, puis j’en proposerai un autre, suivant une nouvelle piste de réflexion ouverte par Anthony Pym : les principes de la copia verborum, tels qu’ils ont été exploités et sont exploités encore pour produire des traductions littérales, permettent d’entrevoir un parallèle intéressant entre les pratiques médiévales et les pratiques contemporaines de traduction assistée par ordinateur, qui intègrent la copie directement dans leur fonctionnement.
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Du livre de poche subversif au standard sobre « à la française » : les trajectoires matérielles d’Invitation to Sociology en anglais et en français
Anne-Marie Gagné
pp. 41–65
AbstractFR:
La traduction d’un ouvrage est généralement accompagnée de changements au plan matériel. Dans le cas des manuels d’introduction à la sociologie, ces transformations liées à l’importation d’un titre dans d’autres espaces culturels et linguistiques n’ont, à notre connaissance, jamais retenu l’attention. Dans le présent article, nous examinons les composantes physiques de certaines versions en anglais et en français d’un manuel d’introduction à la sociologie, Invitation to Sociology (Berger, 1963). Plus précisément, nous nous penchons d’abord sur les dimensions matérielles de la première version publiée de l’ouvrage, pour évaluer son influence potentielle sur les trajectoires des versions ultérieures. Puis, nous analysons les couvertures et le format d’une version adaptée pour le Royaume-Uni (Berger, 1966) en lien avec les traditions visuelles éditoriales de ce pays, avant de réaliser le même travail pour les différentes éditions des deux traductions françaises (Berger, 1973b, 1977, 2006b, 2014). Deux conclusions se dégagent de ce travail exploratoire sur la matérialité des traductions de manuels d’introduction à la sociologie. D’une part, les aspects matériels de la première version ont eu, dans notre étude de cas, un effet important sur la circulation subséquente du manuel et sur sa traduction. D’autre part, les transformations matérielles qui marquent les versions d’Invitation to Sociology au Royaume-Uni et en France laissent entrevoir des changements relatifs au public cible et à la fonction assignée à cet ouvrage par leurs maisons d’édition respectives.
EN:
The translation of a book typically involves a new material presentation. Yet, to our knowledge, the physical transformation of sociology primers in relation to their importation in other cultural and linguistics spaces have never received any attention. In this paper, we focus on the physical dimensions of a sociology primer, Invitation to Sociology (Berger, 1963), and on that of some of its versions in English and French. More specifically, we first examine the material aspects of the first published version, and then consider them with regard to the subsequent versions trajectories. Second, we analyze the size and cover of an adapted version for the United Kingdom (Berger, 1966) in relation to the visual tradition of this country publishing industry, before employing the same approach for the different editions of the two French translations (Berger, 1973b, 1977, 2006b, 2014). Two main conclusions emerge from this exploratory study focusing on the materiality of sociology primers and their translations. The material dimension of the first published version had indeed an important effect on the international circulation and translation of this work. Moreover, the material transformations of the British and French versions of Invitation to Sociology also suggest that their respective publishers were aiming at a different readership and assigned a different function to them.
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La politique de traduction d’Edmonton : une étude de terrain
Sathya Rao
pp. 67–94
AbstractFR:
Depuis près d’une dizaine d’années, le concept de politique de traduction (« translation policy ») a fait son entrée dans le domaine de la traductologie sous la plume d’auteurs comme Reine Meylaerts et Gabriel González Núñez. Cet article met à profit la typologie que ce dernier emprunte au sociolinguiste Bernard Spolsky pour caractériser la politique de traduction mise en oeuvre par la ville d’Edmonton depuis le début des années 2000. Par comparaison avec une ville comme Toronto dont la politique de traduction se trouve clairement formalisée dans le cadre de la Multilingual Information Provisions Policy (City of Toronto, 2017), celle d’Edmonton demeure relativement floue. Après avoir brossé le cadre général de la politique linguistique au Canada et en Alberta, nous décrirons la politique de traduction d’Edmonton en nous appuyant sur diverses données empiriques et documents que nous avons collectés. Ce faisant, notre propos sera moins d’évaluer cette politique (à l’aulne d’une certaine idée du multiculturalisme, du bilinguisme ou de la politique) que d’en comprendre les spécificités.
EN:
For almost a decade, the concept of translation policy has entered the field of translation studies through the writings of authors such as Reine Meylaerts and Gabriel González Núñez. This article uses the typology borrowed from sociolinguist Bernard Spolsky to characterize the translation policy implemented by the City of Edmonton since the early 2000s. Comparatively to a city like Toronto, whose translation policy is clearly formalized under the Multilingual Information Provisions Policy, Edmonton’s translation policy remains relatively unclear. After outlining the general framework of language policy in Canada and Alberta, we will describe Edmonton’s translation policy based on various empirical data and documents we have collected. In doing so, our purpose will be less to evaluate this policy (using a certain idea of multiculturalism, bilingualism or politics) than to understand its specificities.
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The Newcomer’s Guide to Edmonton and Community Translation: Materially and Culturally Situated Practices
Odile Cisneros and Ann De Léon
pp. 95–123
AbstractEN:
In line with the current turn towards the study of material culture in Translation Studies, this paper explores community translation in Edmonton through the case study of the Newcomer’s Guide to Edmonton (NGE). A 63-page handbook of essential information for new residents published by the City of Edmonton (2016), the NGE was translated into 7 languages in a project that employed community translators. This research examines community translation as both a materially and a culturally situated practice. We discuss how the materialities of communication and translation (Littau, 2016) can be addressed through this case study on community translation (Taibi and Ozolins, 2016). We also look at the process of community translation, specifically, the material conditions under which community translators work, often as volunteers with limited training who serve newcomers. We explore the case of the translation of the NGE as a culturally situated practice where community translators faced the particularities not only of the material translated, but also of the local context and target communities. Our research suggests that the process of the NGE’s translation not only empowered translators to make appropriate choices for their local communities, but also developed strategies for elevating the quality of the final product.
FR:
Dans le sillage du tournant actuel vers l’étude de la culture matérielle dans le domaine de la traductologie, nous explorons dans cet article la situation de la traduction communautaire à Edmonton à travers l’étude de cas du Newcomer’s Guide to Edmonton (NGE). Le NGE est un document de 63 pages publié par la ville d’Edmonton en 2016 regroupant des informations essentielles pour les nouveaux résidents. Traduit en 7 langues, le NGE a été réalisé par des traducteurs communautaires. Cette recherche examine la traduction communautaire en tant que pratique située du point de vue matériel et culturel. Nous discutons la manière dont les matérialités de la communication et de la traduction (Littau, 2016) peuvent être abordées à travers cette étude de cas sur la traduction communautaire (Taibi and Ozolins, 2016). Nous examinons également le processus de traduction communautaire, en particulier, les conditions matérielles dans lesquelles les traducteurs communautaires travaillent, souvent en tant que bénévoles avec une formation limitée au service des nouveaux résidents. Nous explorons le cas de la traduction du NGE en tant que pratique culturellement située où les traducteurs communautaires ont été confrontés aux particularités non seulement du matériel traduit, mais aussi du contexte local et des communautés cibles. Notre recherche suggère que le processus de traduction du NGE a permis aux traducteurs de faire des choix appropriés pour leurs communautés locales, mais a également développé des stratégies pour améliorer la qualité du produit final.
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Re-thinking Neutrality Through Emotional Labour: The (In)visible Work of Conference Interpreters
Irem Ayan
pp. 125–146
AbstractEN:
Relying upon a combination of ethnomethodological and sociological tools provided by Hochschild’s (2003 [1983]) theory of emotional labour, this article examines the concept of the interpreter’s neutrality as a form of feeling management at work which requires interpreters to align their behaviours with the norms shaping each interpreting setting. Drawing on the interviews conducted between March and August 2018 with twenty-one interpreters working in various social, cultural, and institutional settings, the study describes the interpreter’s emotional labour in the context of conference interpreting, and argues that the interpreter’s actual task of becoming the voice of the speaker intrinsically involves emotional labour. Achieving neutrality entails suppressing personal beliefs and displaying certain emotions which may not always be genuine in some contexts, and tending to the needs of clients in others. The conceptual framework of emotional labour offers an important analytical tool to re-visit theoretically and empirically not only the notion of the interpreter’s neutrality from a critical perspective, but also the incoherence of professional codes of practice, which oftentimes leaves interpreters in a practical and ethical quandary.
FR:
En s’appuyant sur une combinaison de perspectives ethno-méthodologiques et sociologiques offertes par le concept de « travail émotionnel » développé par Hochschild (2003 [1983]), le présent article étudie la neutralité de l’interprète comme une forme de gestion des émotions au travail qui demande aux interprètes de mettre leur comportement en conformité avec les normes régissant chaque contexte d’interprétation. Partant d’une série d’entrevues menées entre mars et août 2018 avec vingt et un interprètes provenant de divers contextes sociaux, culturels et institutionnels, la présente étude décrit le travail émotionnel de l’interprète dans le contexte de l’interprétation de conférence et fait valoir que la tâche véritable de l’interprète, qui consiste à devenir la voix de l’orateur, exige un travail émotionnel. Le fait d’atteindre la neutralité a pour nature, dans certains contextes, d’éliminer des convictions personnelles et d’afficher des émotions qui ne sont pas toujours authentiques et, dans d’autres, de veiller aux besoins des clients. Le concept de travail émotionnel constitue un outil analytique important, non seulement pour interroger théoriquement et empiriquement la notion de la neutralité de l’interprète, mais également pour mettre en relief l’incohérence des codes de déontologie qui placent souvent les interprètes devant un dilemme éthique et matériel.
Comptes rendus
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Helle V. Dam, Matilde Nisbeth Brøgger et Karen Korning Zethsen, dir. Moving Boundaries in Translation Studies. Londres, Routledge, 2019, 249 p.
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Karen Emmerich. Literary Translation and the Making of Originals. New York, Bloomsbury, 2017, 224 p.
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Marc Lacheny, Nadine Rentel et Stephanie Schwerter, dir. Errances, discordances, divergences? Approches interdisciplinaires de l’erreur culturelle en traduction. Berlin, Peter Lang, 2019, 351 p.
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Raghavanka. The Life of Harishchandra. Translated by Vanamala Viswanatha. Cambridge, Mass., and London, England, Murty Classical Library of India, Harvard University Press, 2017, 640 p. / Paul St-Pierre. Translating Odisha. Bhubaneshwar, Dhauli Books, 2019, 436 p.