Abstracts
Résumé
L’objectif de cet article est d’interroger le concept de souveraineté hérité de la modernité européenne à partir de sa « traduction » en maori dans le traité de Waitangi conclu en 1840 entre les chefs maoris d’Aotearoa (Nouvelle-Zélande) et l’Empire britannique. Le concept de souveraineté est difficilement traduisible en maori puisqu’il ne possède pas d’équivalent direct. Le terme kawanatanga choisi par le missionnaire-traducteur Henry Williams n’est qu’une translittération du mot anglais governor auquel le suffixe -tanga a été ajouté; ce terme rend mal l’idée du pouvoir absolu du souverain. Est-ce une « mauvaise » traduction pour autant? Henry Williams était-il incompétent? A-t-il plutôt voulu sciemment tromper les Maoris, comme le laissent entendre certains chercheurs? Le concept était-il lui-même intraduisible? Lorsqu’on analyse la traduction du terme souveraineté, on découvre qu’il n’y a pas d’équivalence formelle préétablie avant sa réalisation et que la souveraineté ne se transfère pas, mais se performe. Le contenu du concept est ainsi isomorphe à sa production : la souveraineté est une performance, et la traduction comme opération de création de termes participe à son actualisation. En utilisant un terme étranger mais profane pour rendre le concept, Henry Williams, sans peut-être le vouloir ou en être conscient, refuse la souveraineté dans son abstraction et, ce faisant, résiste aux tentatives de sceller l’interprétation du texte dans une unicité souveraine. Vue sous ce nouvel angle, la traduction de Williams participerait d’une « pensée sauvage » au sens de l’anthropologue Pierre Clastres, instituant une relativité toujours vulnérable, mais essentielle dans la perspective d’une traduction postcoloniale.
Mots-clés :
- traduction des sciences humaines et sociales,
- colonialisme et impérialisme,
- Nouvelle-Zélande,
- langue maorie,
- traité de Waitangi
Abstract
This article questions the concept of sovereignty as European modernity translated it into Māori in the Treaty of Waitangi established in 1840 between the Māori chiefs of Aotearoa (New Zealand) and the British Empire. The concept of sovereignty is difficult to translate into Māori as it has no direct equivalent, and so the term kawanatanga—a transliteration approximating the sound of the English “governor” (kawana + the suffix –tanga) and therefore doing very little to convey the idea of absolute power wielded by a sovereign—was chosen by the missionary and translator Reverend Henry Williams. Did the latter wish to deceive the Māori, as some scholars have suggested? Or was the concept itself simply untranslatable? Careful consideration of this translation problem reveals that no formalized equivalent of “sovereignty” ever precedes its realization—that “sovereignty,” in fact, is not “transferred” at all, but rather performed, its conceptual content and its production in culture isomorphous: sovereignty is performed, and translation, as a concomitant creative operation, partakes in this performance’s actualization. By coining a term (kawanatanga) that is at once foreign yet still vernacular, Henry Williams rejects (perhaps without meaning to) “sovereignty” as a ready-made abstraction or transferable signified. And in so doing, he resists the urge to close the text within a univocal interpretation of “sovereignty.” Seen from this new perspective, William’s translation demonstrates something of anthropologist Pierre Clastres’ “pensée sauvage,” introduces a potentially vulnerable yet essential relativity into discourse on postcolonial translation.
Keywords:
- translation in humanities and social sciences,
- colonialism and imperialism,
- New Zealand,
- Māori language,
- Waitangi Treaty
Appendices
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