Si la traduction reste un phénomène complexe et dynamique, c’est parce qu’elle se manifeste différemment selon le modèle culturel auquel elle participe. Depuis l’avènement de la mondialisation et l’apparition du médium électronique, les modalités d’interrogation et de recherche se sont diversifiées au point qu’il ne soit plus possible d’étudier la traduction uniquement à partir de la cohérence entre langue, culture et territoire. Désormais la traduction se joue non seulement dans différentes configurations spatiales pouvant imposer aux traducteurs les règles du jeu qui varient d’un contexte à l’autre, mais aussi dans un espace où règne la discontinuité, dont l’expérience altère sans cesse la perception de la réalité et les dynamiques intersubjectives. Le virage multilingue en traductologie est en quelque sorte porté par le mouvement postcolonial, qui a permis de contester les rapports de force et de mettre à nu l’idéologie de la domination et cela de l’intérieur même du système colonial. Cela a coïncidé avec l’intérêt pour différentes formes de déplacement, que ce soit l’exil, la migration ou la communauté diasporique, ou encore à l’égard de la zone frontalière dominée par le contact interculturel accru. La subversion, l’hybridité et la transformation sont identifiées alors comme modes de fonctionnement privilégiés autant sur le plan identitaire qu’esthétique ou épistémologique. L’apparition d’Internet en tant que nouveau moyen de (re)production et de communication planétaire sera ensuite synonyme de contact virtuel instantané qui, bien qu’il ne se passe pas dans la proximité physique, annihile à sa manière la distance. Ces trois types de contact interculturel, à savoir la dynamique postcoloniale, le contexte de migration et l’échange virtuel, se réalisent alors dans la proximité et la permanence de la différence et sont ancrés dans l’existence la plus concrète et la routine quotidienne. Ils posent par conséquent le problème du multilinguisme de manière différente : non pas comme un phénomène extérieur ou une expérience sporadique qu’on peut résoudre à l’aide d’une médiation, comme la traduction ou l’interprétation, mais qui se manifeste à cause de la coprésence incontournable des autres avec lesquels, certes, on partage le même espace social ou virtuel et peut-être même le code de communication, mais avec lesquels on ne partage pas nécessairement la même origine culturelle. Une telle situation présuppose des pragmatiques d’échange clairement inscrites dans l’anticipation – chargée d’appréhension ou de bienveillance – de la différence : à force d’être exposé à l’imprévisible et parfois même à l’incompréhensible, un degré de disponibilité s’installe, ayant le potentiel de forger une prédisposition mentale proche de la sensibilité éthique. Quel serait donc le rôle de la traduction dans un contexte hautement marqué par l’activité multilingue ? Comment les institutions étatiques et culturelles gèrent-elles le multilinguisme auquel elles font face, ainsi que la traduction qu’elles sollicitent ? De quelle manière les traducteurs s’adaptent-ils à la mobilité et à la diversité ? Ont-ils un impact réel sur les pratiques sociales et les mentalités en général ? Quelles sont les avenues qui restent encore peu étudiées dans ce domaine ? L’objectif de ce numéro thématique est justement d’explorer les enjeux liés au rôle que la traduction joue dans les sociétés modernes aux prises avec le problème d’intégration de la multiplicité, la présence du multilinguisme et la diversification des modes de communication. Les contributions réunies dans ce volume abordent la traduction et le contact multilingue sous différents angles : la traduction culturelle dans les enjeux épistémologiques et éthiques (Kyle Conway) ; l’intervention étatique et institutionnelle en Bretagne dans le but de revaloriser la langue régionale (David ar Rouz) ; le dynamisme de la littérature migrante et les mécanismes de son insertion au sein de l’institution littéraire québécoise (Julie Turcotte) ; le …
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Aurelia Klimkiewicz
Université York