Comptes rendus

Charles Le Blanc. Le complexe d’Hermès. Regards philosophiques sur la traduction. Ottawa, Les Presses de l’Université d’Ottawa, coll. « Regards sur la traduction », 2009, 155 p.[Record]

  • Jean Delisle

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  • Jean Delisle
    Université d’Ottawa

Charles Le Blanc n’est pas anti-intellectuel ni réfractaire à tout métalangage. Il est le premier à affirmer qu’on « ne peut rejeter la valeur des modèles théoriques pour réfléchir sur la traduction » (p. 61). Mais il y a modèle et modèle. Tous ne se valent pas. Il n’est pas le premier à déplorer que l’étude théorique de la discipline baigne dans une sorte de « flou artistique ». Pour dissiper le flou est d’ailleurs le titre d’un collectif publié à Beyrouth en 2005 dans l’espoir de jeter un peu de lumière sur la babélisation dont, ironie du sort, souffre la traductologie, où prolifèrent les métalangages et les courants théoriques les plus contradictoires (Abou Fadel et Awaiss, 2005). Dans l’avant-propos de La traduction en citations, j’ai montré que, depuis des millénaires, la contradiction est le support de la réflexion sur la traduction (Delisle, 2007, pp. xv-xxxiii). La contradiction et une certaine confusion. La traduction elle-même n’échappe pas, semble-t-il, à la malédiction de Babel. Que valent tous les modèles théoriques quand « on a l’impression de se retrouver devant des hiérophantes dont les mystères sont si obscurs, que la Pythie elle-même aurait besoin de consulter un oracle pour les percer » (p. 61)? Le traité porte en épigraphe un aphorisme de Lichtenberg, auteur que Charles Le Blanc a lui-même traduit de l’allemand : « L’âne me semble un cheval traduit en hollandais. » Le choix d’une épigraphe n’est jamais innocent. Quand on referme Le complexe d’Hermès, on comprend le sens que l’auteur a voulu lui donner : telle qu’elle est développée sous la plume de certains théoriciens, la théorie de la traduction semble un cheval traduit en volapuk, pense l’auteur. Henri Meschonnic a donné un Coup de Bible dans la philosophie (2004) en réitérant son appel en faveur du rythme pour rendre le langage et le poème de la Bible, en faveur aussi d’une théorie du langage et de l’historisation du poème. La Bible lui a servi « de levier théorique pour transformer toute la pensée du langage, du rythme et du traduire » (Meschonnic, 2004, p. 13). En suivant un autre chemin, celui de la critique des concepts philosophiques empruntés aux philosophes allemands de la période classique, notamment, concepts repris par certains théoriciens et leurs disciples, Charles Le Blanc donne lui aussi quelques coups de pieds dans la fourmilière de la réflexion théorique sur la traduction. Il arrive à la même conclusion que l’auteur de Pour la poétique et Poétique du traduire lorsqu’il écrit : « Il ne saurait y avoir de théorie de la traduction qui rendît compte des hypothèses dressées sur un grand texte, mais uniquement de réflexion ordonnée – et par ailleurs, contingente – de l’usage que tel ou tel texte, ou que telle ou telle traduction fait de la langue. Cet usage place la poétique au coeur du problème de la traduction » (pp. 154-155). Henri Meschonnic aurait pu écrire ces lignes. Est-ce un hasard si ces deux auteurs sont des philosophes? Est-ce la philosophie qui sauvera du naufrage la traductologie qui vogue actuellement sur la mer houleuse des concepts mal définis (ou indéfinissables), mal assimilés, ce qui est source d’hermétisme? L’étymologie du mot hermétisme nous fait remonter précisément à Hermès (Rey, 2000, II, p. 1710). Les mots altérité, éthique, étrangeté, fidélité, intuition, littéralisme, même/autre (Lévinas), visée du traducteur signifient tantôt une chose, tantôt une autre selon la philosophie qui les thématise. On peut appliquer aux théories thématisantes ce que Edmond Cary disait de la traduction scolaire mise au service de l’apprentissage des langues étrangères : « …

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