Le livre de Michael Cronin se présente comme un tableau à la fois riche et vivant des réalités et des enjeux de la traduction à notre époque, celle de la mondialisation. Soumis à ce phénomène économique caractérisé par des échanges croissants et accélérés à l’échelle de la planète, la traduction dans sa pratique mais aussi dans son acception subit de sérieux bouleversements. Ce sont ces bouleversements que tente d’examiner Cronin. Plus précisément, les contraintes de l’économie mondialisée, dont l’émergence d’une société d’information et la course technologique sont les traits principaux, imposent de resituer à la fois la traduction et le rôle du traducteur : que traduit-on ? Pour quoi faire ? Et qu’exige-t-on du traducteur ? Mais aussi : quels sont les moyens mis en oeuvre par la traduction ? Car parmi les sujets importants que traite le livre, la question des outils de traduction, de leur évolution, de leur signification et de leurs implications est sans doute la plus instructive, notamment parce que rarement abordée ailleurs. Dans cet ouvrage très équilibré, où le pour et le contre sont toujours pesés et où les avis divergents sont exposés clairement, Cronin ne craint pourtant pas de généraliser les problématiques pour leur donner une vraie portée traductologique : ainsi, si le texte, puis le traducteur ont été tour à tour au centre des débats dans le passé, il est fort possible qu’à l’avenir cette place centrale soit tenue par les choses, estime-t-il : les choses (biens de consommation et de production…) « hybrides » créées par la société post-industrielle, dont relèvent les CAT (traduction assistée par ordinateur) et autres projets de STAS (Systèmes de traduction autonome synchrones). Sortir des sentiers battus, ne pas hésiter à revenir sur les idées reçues, adopter une vision globale sans négliger les analyses fouillées : telle est en gros la méthode adoptée par l’auteur. De ce travail aussi riche que complexe, qui fourmille de métaphores et de renvois, on ne tentera ici de restituer que quelques lignes de forces. Pour comprendre les enjeux, il faut, au préalable, cerner les données, les éléments primordiaux du « contexte ». C’est dans les deux premiers chapitres que Cronin jette les bases d’une compréhension approfondie des choses. D’abord, il importe de bien saisir la nature même des nouveaux biens de consommation de l’ère post-industrielle (biens post-modernes) et leur pertinence traductologique : 1) ce sont des biens où le signe prend une importance croissante : en termes textuels on pense bien sûr à la dimension publicitaire, mais aussi à tous les objets virtuels du web et des stations de travail, sans oublier les modes d’emploi et autres dispositions légales ; 2) ce sont pour une grande part des biens internationalisés, c.-à-d. destinés à une diffusion qui transcende les frontières et les cultures. La tâche du traducteur, au XXIe siècle, consistera de plus en plus à « localiser » l’objet internationalisé (qui peut aussi bien être une nouvelle marque d’ordinateur de poche, un logiciel industriel qu’un livre à succès), c’est-à-dire à le traduire dans l’une des multiples langues et cultures de destination. Ainsi située, la traduction apparaît déjà comme un rouage essentiel de la mondialisation : elle intervient même à un niveau critique, celui de l’appréhension de l’objet par le consommateur final. Michael Cronin cite à cet égard quelques chiffres qui donnent une idée de l’avenir immédiat : la localisation des logiciels et des pages web représente un marché de 20 milliards de dollars US en 2004 ; en 2005, les deux tiers des internautes seront des non-anglophones tandis que 91 % des sites Internet seront en anglais. Le traducteur …
Cronin, Michael. Translation and Globalization, London, Routledge, 2003, x-197 p.[Record]
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Patrick Ramamonjisoa
Université York