TTR
Traduction, terminologie, re?daction
Volume 12, Number 1, 1er semestre 1999 Poésie, cognition, traduction I Poetry, Cognition, Translation I Guest-edited by Annie Brisset
Table of contents (13 articles)
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La poésie pense : une modalité assomptive de la connaissance
Annie Brisset
pp. 9–18
AbstractFR:
La poésie pense : une modalité assomptive de la connaissance — Dans un monde utilitariste dominé par la technologie, la poésie ne correspond pas forcément aux idées qu'on a sur elle. Exploration du monde et de la vie, elle est comme la science au coeur de la connaissance, repoussant elle aussi les limites de l'inconnu et de l’impensé. Elle est encore la conscience critique du rapport nécessairement subjectif à la connaissance. C'est par son caractère « épiphanique » que la poésie se distingue du discours scientifique. Au savoir-vrai argumenté du discours de la science, elle oppose la modalité assomptive, immédiate, de la saisie du monde.
EN:
Thinking Poetry : an Assumptive Approach to Knowledge — In our technology-dominated utilitarian world, poetry does not necessarily correspond to our definitions and ideas of it. An exploration of the world and of life, it is like the science at the heart of knowledge, pushing back the boundaries of the unknown and the unthought. The critical conscience in our inescapably subjective relationship to knowledge, its "epiphanic" character is that which sets it apart from scientific discourse. Poetry opposes science's fact-based discourse on knowledge with the world's necessarily assumptive and judgmental approach to it.
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Poetry, Science, and the Epistemological Debate
John Picchione
pp. 19–30
AbstractEN:
Poetry, Science, and the Epistemological Debate — The last few decades have witnessed a radical questioning of the cognitive possibilities traditionally associated both with science and literature. This article gives a brief overview of the debate and provides a critique of the deconstructive and post-modern theories in their attempt to subvert fundamental epistemological claims. The article then addresses the specificity of poetic cognition and, distancing itself from mimetic conceptions of poetry, proposes that poiêsis entails a peculiar creation of reality, unattainable with other tools. It is the uniqueness of the materiality of poetic language that contributes to the formation of subjectivity and to the expansion of human reality and consciousness.
FR:
La poésie, la science et le débat épistémologique — Au cours des dernières décennies, nous avons assisté à une remise en question radicale des possibilités cognitives qui étaient traditionnellement associées à la littérature et à la science. Le présent article se veut un bref survol de ce débat et une critique de la déconstruction et du post-modernisme dans leur tentative de remettre en question certaines des revendications épistémologiques fondamentales. Par la suite, l'article aborde la spécificité de la cognition poétique et, se distinguant des conceptions imitatrices de la poésie, propose que la poiêsis entraîne une création particulière de la réalité, inaccessible avec d'autres outils. C'est le caractère unique de la matérialité du langage poétique qui contribue à la formation de la subjectivité et au développement de la réalité humaine et de la conscience.
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Poetry as Knowing
Barbara Folkart
pp. 31–55
AbstractEN:
Poetry as Knowing — Like the pure sciences, poetry is first and foremost a cognitive instrument, one of the most rigorous modes of knowing that exist. Everything about it is shaped by the search for insight, or even truth. Poets are no more in the business of "making pretty" than molecular biologists or computer nerds; they put us into un-mediated contact with the grid of the world, force us to dig deeper than ever before into the amorphous business of being.
This they do by "making it new". Poetry is a "counter idiomatic" practise, one that grates against the words of the tribe, its received ideas and its verities. And "form" — whether "free" or forged out of constraints — plays an all-important part in making it new for us. Form is decorative only to the illiterate. For the competent receiver, it is acutely, intensely functional.
By giving it form, making it new, forcing us out of the lexicalized varieties that have gone stale on us, poetry makes us feel our way to new truths, or to a gut knowledge of old ones. Hence the maïeutic function of poetry.
The very fact that poetry is so intolerant of the already-said is what explains the irreplicability or what Berman referred to as la lettre and makes the poem refractory to translation. Yet, most practitioners conceive of translation as a way of replicating what's already there. It's hard to imagine a more anti-poetic stance.
FR:
Poésie et connaissance — Comme les sciences pures, la poésie est avant tout une entreprise cognitive tendue tout entière vers la recherche de vérités voire de la Vérité. Son propos n'est nullement de « faire joli » : pas plus que la biologie moléculaire ou l'astro-physique, elle ne vise à être un art d'agrément. Elle cherche au contraire à entrer plus avant dans la matière brute du monde, nous incitant de ce fait à fouiller le flou de notre existence.
Pour ce faire, la poésie travaille en marge du langage reçu. Pratique contre-idiomatique, elle s'insurge contre le déjà-perçu, le déjà-lexicalisé, le déjà-dit. Et la mise en forme poétique — qu'elle soit « libre » ou bâtie à partir de contraintes prosodiques — joue un rôle primordial dans cette entreprise de décapage et de découverte. La forme du poème n'est décorative qu'à l'ignare. Pour qui sait lire, elle est fonctionnelle au plus haut degré.
En donnant forme à l'informe, en bouleversant nos habitudes langagières, perceptuelles et cognitives, la poésie nous arrache à nos vérités toutes faites. Elle nous force à arriver par la voie de l'affectivité à des connaissances neuves, ou à une saisie viscérale de ce que nous pensions savoir déjà. D'où sa fonction maïeutique.
C'est le refus du déjà-dit qui fonde la singularité du langage poétique et qui rend la poésie réfractaire à la traduction. La plupart des traducteurs, cependant, envisagent la traduction comme affaire de réplication. On ne saurait méconnaître plus radicalement la dynamique de la poésie.
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Figure, figuralité, dé‑figuration, sur‑figuration : aspects de la traduction poétique
Paul Bensimon
pp. 57–89
AbstractFR:
Figure, figuralité, dé-figuration, sur-figuration : aspects de la traduction poétique — Le relief figural d'un poème s'avère souvent modifié, ou arasé, dans l'opération traduisante, par une insuffisante perception — en amont du traduire — de « l'espace intérieur du langage » qu'est la figure, ainsi que des mécanismes figuratifs. L'idée pernicieuse et tenace de la figure comme fleur de rhétorique, élément décoratif, sous-tend fréquemment aussi le rhétorique, élément décoratif, sous-tend fréquemment aussi le comportement traductif face à un texte de poésie ; c'est par là-même toucher du doigt un autre a priori tout aussi néfaste : l'appartenance de la figure à la forme du poème, envisagée comme dissociable de son sens.
On examine ici la fortune de quatre figures-clés — comparaison, métaphore, hypallage, répétition — dans diverses traductions de poésie, à la lumière du principe général de concordance énoncé par Meschonnic pour l'établissement d'un rapport poétique entre un texte et sa traduction. La démétaphorisation à laquelle procède telle ou telle traduction supprime ou anémie des éléments essentiels du processus de signifiance. À l'inverse de l'ablation ou de la destruction de figures, c'est un ajout de figures, voire une surcharge figurale, qu'on rencontre, à d'autres moments, dans la traduction poétique. Animé par le désir d'embellir, de poétiser l'original, le traducteur plaque des fioritures sur le texte source : la rhétorisation est une des pratiques les plus courantes de la « domination esthétisante ».
Rester au plus près du régime figural d'un poème, c'est respecter l'unité organique de ce poème, et préserver son intégrale textualité.
EN:
The Figure, the Figurative, De-Figuration, and Over-Figuration : Aspects of Poetic Translation — The figurative landscape of a poem is frequently modified, or, further, leveled, when translated, due to an incomplete understanding and perception — before its translation — of the "interior space of language" that constitutes the figure, as well as the figurative mechanisms. The pernicious, tenacious concept of the figure as the rhetoric's flower, as decorative element, is also often a frequent underlying theme in the translator's approach to a poetic translation; and it is here that we see the destructive tendency of translation : the figure's belonging to the poem's form, which is seen as being one with its meaning : the two indivisible.
We examine here the fate of four key figures — comparison, metaphor, hypallage, and repetition — in diverse translations of poetry, in light of Meschonnic's general principle of concordance, for the establishment of a poetic relationship between a text and its translation. The demetaphorisation of any given translation suppresses or weakens the essential elements of the development and creation of meaning. The inverse of this ablation — or destruction, of figures is the addition of poetic translation. Animated by the desire to embellish or to beautify, to poeticize the original text, the translator adds supplementary flourishes onto the source text : this rhetorization is one of the most common translation practices of "aesthetic domination".
Staying close to the figurative scheme of a poem means respecting its organic unity, and preserving its textual integrity.
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Du « texte véridique » au « fait rythmique et transitoire ». Les rythmes du traduire et la poétique de Mallarmé
Lucie Bourassa
pp. 91–114
AbstractFR:
Du « texte véridique » au « fait rythmique et transitoire ». Les rythmes du traduire et la poétique de Mallarmé — Mallarmé a été profondément marqué par l'oeuvre de Poe, au point d'en faire l'emblème d'un idéal poétique, « [à] savoir que tout hasard doit être banni de l'oeuvre moderne ». L'admiration de Mallarmé pour Poe a certes pesé dans sa décision de traduire les poèmes que Baudelaire avait laissés de côté parce que « trop concertés ». Les années au cours desquelles s'effectuent les traductions sont aussi, en partie, celles de l'élaboration d'une théorie et d'une écriture proprement mallarméennes. À partir de l'analyse de la version mallarméenne de quelques poèmes de Poe (en particulier « Ulalume » et « The Bells »), le présent article essaie de voir dans quelle mesure la pratique de la traduction témoigne de la formation de cette poétique. L'analyse s'attache surtout au déploiement temporel, au mouvement du rythme et de la signifiance des textes, parce que les problèmes du rythme et de la temporalité jouent un rôle fondamental dans le désir qu'a Mallarmé de « révéler les aspects mystérieux de l'existence », et se trouvent ainsi au coeur des contradictions de sa théorie du langage.
EN:
From the "True Text" to the "Rhythmic and Transitional Elements." The Rhythms of Translation and the Poetics of Mallarmé — Mallarmé was deeply influenced by the works of Poe, to the point of making of them an ideal poetics, "That is there should be no accidents in modern writing." Mallarmé's admiration for Poe certainly influenced his decision to translate his poems, that Beaudelaire had set aside because they were "too orchestrated." The years over which he translated the poems were also, in part, the years where a "Mallarmean" theory and writing style slowly achieved definition. By analyzing the "Mallarmean" versions of a few of Poe's poems ("Ulalume" and "The Bells" in particular), this article is an attempt to understand to what degree the practice of translation revealed the development of the poetics. The analysis relies heavily on the nature of the passage of time, the movement of rhythm and the texts' importance, since the problems of rhythm and temporality play a fundamental role in Mallarmé's desire to "reveal the mysterious aspects of existence," and therefore find themselves at the centre of the contradictions of his theory of language.
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Mallarmé visible et invisible
Serge Gavronsky
pp. 115–130
AbstractFR:
Mallarmé visible et invisible — Le grand poète américain Louis Zukofsky, fondateur de l'école dite Objectiviste, dans la lignée de l'épique, incorpore la totalité du vécu. Dans cette vaste entreprise, intitulée « A », Mallarmé figure brièvement mais jamais jusqu'à présent n'a-t-on relevé les nombreuses naturalisations textuelles où le poète français, « translaté » en anglais dans « A »-19 (sans attribution aucune), non seulement figure dans l'oeuvre zukofskienne mais l'inspire profondément.
EN:
Mallarmé Visible and Invisible — Major American poet and founder of the Objectivist School, Louis Zukofsky, adheres to the definition of the epic poem while incorporating the totality of his own history as well as of History itself. In "A" Mallarmé figures both explicitly and metonymically, as well as in unsuspected ways. In fact, in Zukofsky's hands, Mallarmé is transfigured to the point of gaining a sort of American nationality, unsuspected until now, exceeding his acknowledged presence in "A"-19.
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Lecture finie du texte infini : Galaxies de Haroldo de Campos
Inês Oseki-Dépré
pp. 131–154
AbstractFR:
Lecture finie d'un texte infini : Galaxies de Haroldo de Campos — Cet article porte sur le fragment 45 des Galaxies de Haroldo de Campos dans sa traduction française considérée comme texte original. Dans la première partie, l'auteure interroge l'aspect météorique du texte afin de démontrer de quelle façon le poème est à la fois mémoire et devenir de la langue. Dans un deuxième temps, la question de l'intertextualité latente dans le fragment est abordée comme savoir sur la littérature. Il s'agit de montrer, à travers une analyse de l'aporie de la traduction, que si le texte porte un savoir sur la littérature, il comporte d'autres éléments cognitifs à décoder lors de sa réception. L'écriture haroldéenne est ainsi appréhendée dans sa réappropriation des structures baroques.
EN:
A Finite Reading of an Infinite Text : Haroldo de Campos’Galaxies — This article examines fragment 45 of Haroldo de Campos' Galaxies in its French translation considered to be the original text. The author first questions the meteoric side of the text in order to demonstrate how language, in the poem, is at once memory and its state of becoming. The author goes on to question the latent intertextuality in the fragment, seen as knowledge of literature. We see that by way of an analysis of the aporie of translation, that if the text deals with this knowledge of literature, it contains other cognitive elements to be decoded upon the text's reception. Haroldean writing is thus understood in its reappropriation of its baroque structure.
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Salut Haroldo! Olá Inês! Linéaments de synchronicités pour un mandala à l’écrivivant
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Perception and Cognition in Translating Chinese Landscape Poetry : A Case Study of Liu Zongyuan’s poem River Snow
Chunshen Zhu
pp. 167–189
AbstractEN:
Perception and Cognition in Translating Chinese Landscape Poetry : A Case Study of Liu Zongyuan's Poem River Snow — The article, based on the Heideggerian dichotomy of calculative versus meditative thinking and with reference to Arnheim's psychology of visual art, argues that a poem thinks in the way it makes the reader think, and it is the poetic (meditative) way of thinking that a poem inspires that determines the poem's being a poem. Through an intensive case study of a classical Chinese poem, it tries to illustrate how a poem's textual formulation can set a reader thinking. It follows that to translate a poem as a poem, the translator must approach the source text with the mind open and released to the meditative thinking it inspires as gift — by stepping back from calculative thinking which strives to represent objects in their material accuracy, so as to produce a target text that will set the target reader thinking in a similar, meditative way.
FR:
La perception et la cognition dans les traductions de la poésie chinoise du paysage : cas du poème River Snow de Liu Zongyuan — Cet article, basé sur la dichotomie heideggerienne de la pensée calculative par opposition à la pensée méditative et sur la psychologie des arts visuels de Arnheim, propose que la pensée d'un poème est celle d'un lecteur et que c'est la méditation inspirée par le poème qui détermine sa vraie nature. Par le biais de l'étude d'un poème classique chinois, nous tenterons de démontrer comment la formulation textuelle d'un poème oriente la pensée du lecteur. Ainsi pour traduire le caractère poétique d'un poème, le traducteur doit aborder le texte de départ l'esprit « vide » en se laissant imprégner par la pensée méditative offerte par le poème, c'est-à-dire en refusant la pensée calculative qui tente de représenter les objets dans leur matérialité, afin de produire un texte en langue d'arrivée qui provoquera aussi chez le lecteur une pensée méditative.
Comptes rendus de lecture
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Michel Ballard (dir.). Europe et traduction. Artois Presses Université et Les Presses de l’Université d’Ottawa, 1998, 417 p.
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David Katan. Translating Cultures, An Introduction for Translators, Interpreters and Mediators. Manchester, St. Jerome Publishing, 1999, 271 p.
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Maurice Pergnier, Du sémantique au poétique avec Baudelaire, Cocteau, Magritte (Préface de Denis Slatka). Paris-Montréal, L’Harmattan, 1997, 127 p.