Lectures critiques

Le désir du réel dans la philosophie québécoise : une approche réformatrice de la philosophie au QuébecPierre-Alexandre FRADET, Le désir du réel dans la philosophie québécoise, Montréal, Nota Bene, « Territoires philosophiques », 2022, 246 p., ISBN 9782895187967[Record]

  • Georges Leroux

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  • Georges Leroux
    Département de philosophie, Université du Québec à Montréal

On trouve souvent chez les historiens de la philosophie proches du mouvement analytique, tels que John Wisdom ou Roderick Chisholm, l’expression d’une distinction entre une approche réformatrice et une approche systématique ou descriptive de l’analyse philosophique. Bien que cette distinction ne soit pas toujours claire, elle a le mérite de mettre en lumière ce qui, par exemple chez Descartes, relève d’une considération d’abord réformatrice de l’entendement : selon cette approche, le projet réformateur propose de corriger, en le réformant, l’exposé des philosophes qui ont devancé le critique, dans le cas présent la pensée thomiste. Dans le récent livre de Pierre-Alexandre Fradet, nous sommes en présence d’une proposition de cette nature : l’auteur entend corriger une lecture, à ses yeux lacunaire, voire erronée de la philosophie québécoise prémoderne. Disons-le d’emblée, cette proposition est neuve et audacieuse, notamment pour tout ce qui concerne le jugement sévère communément porté sur une période considérée comme pauvre ou privée de philosophie. Selon l’auteur, cette pauvreté n’est que relative, et la lecture qui y conduit doit être corrigée. Cette entreprise de relecture concerne la notion même de « modernité ». Elle s’amorce avec un réexamen de la pensée de plusieurs philosophes injustement poussés à la marge par l’importance donnée à Jacques Lavigne, considéré certes par l’auteur comme un penseur important, mais qui ne saurait recevoir seul le crédit d’être le premier moderne au Québec. Ce serait oublier entre autres des auteurs tels qu’Hermas Bastien ou Louis Lachance, dont les contributions ne peuvent être disqualifiées. De la même manière, une pléiade de penseurs plus récents, parmi lesquels l’auteur choisit cinq philosophes particuliers, peuvent en toute légitimité prétendre à la noblesse du titre de « modernes ». Il s’agit de Charles de Koninck (1906-1965), de son fils Thomas de Koninck (1934- ), tous deux professeurs à l’Université Laval, de Jacques Lavigne (1919-1999), de Charles Taylor (1931 -) et de Jean Grondin (1955- ). Ce choix exclut plusieurs philosophes importants et reconnus, dont l’auteur donne une liste hétéroclite et non-exhaustive, mais qu’il ne justifie pas. On peut le regretter. Le choix des cinq auteurs retenus se fonde en effet simplement sur le caractère jugé « essentiel » de leur oeuvre. Comment reconnaître une oeuvre essentielle ? Pour l’auteur, ces cinq penseurs ont consacré leurs efforts au « problème ontologique du réel ». En dépit d’importantes différences, et bien qu’ils n’aient pas appartenu à une école ou à un courant particulier, ces auteurs se distinguent d’abord par leur refus d’adopter des méthodes formelles ou de contraindre leur pensée dans le cadre d’un langage technique. Par ailleurs, et c’est le second trait qui les distingue, ces penseurs ne renient pas « l’héritage de la religion en matière intellectuelle ». L’aspect réformateur de cette dernière affirmation est central : l’auteur s’érige fermement en effet contre l’idée selon laquelle « aucun véritable philosophe n’a pu voir le jour dans un contexte religieux au Québec ». Pierre-Alexandre Fradet entend défendre au contraire une certaine prégnance de l’univers spirituel. C’est ainsi que le choix des philosophes étudiés dans ce livre s’éclaire de la commune reconnaissance de leur dette à « ce qui fut jadis ». Bien informé des travaux de ses devanciers, notamment des recherches d’Yvan Lamonde, l’auteur propose une relecture de leur oeuvre inspirée des principes du mouvement du « réalisme spéculatif », tel que représenté dans l’oeuvre de quatre philosophes, Quentin Meillassoux, Graham Harman, Iain Hamilton Grant et Ray Brassier, dont il a présenté ailleurs le travail. Sans entrer dans une discussion détaillée des thèses propres à ces philosophes considérés individuellement, l’auteur relève leur critique de Kant et leur défense d’un accès à …

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