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La relation entre l’islam et l’Occident – termes qui renvoient le plus souvent à des simplifications abusives, assurément – constitue de nos jours un sujet extrêmement polarisé. L’essai de Rachad Antonius (professeur associé, ancien professeur titulaire, à l’UQAM, d’origine égyptienne) et d’Ali Belaidi (maître de conférence à l’ENSM en Algérie) tente une lecture équilibrée de la question, ce qui représente déjà en soi une entreprise audacieuse. Les objectifs sont de deux types : d’une part, offrir un portrait nuancé et fidèle à la complexité de la réalité actuelle, et, d’autre part, proposer des éléments en faveur d’une posture dialectique qui contraste avec l’ardeur polémique que l’on rencontre désormais systématiquement dans les médias et, hélas, trop souvent dans le monde universitaire aussi.
Tout en reconnaissant qu’il y a dans la problématique ciblée deux dimensions principales, qui concernent l’attitude de chacun des sujets de cette difficile relation, à savoir les résistances de la société d’accueil d’un côté, et une certaine déclinaison de l’islam de l’autre côté, Antonius et Belaidi choisissent de se concentrer sur cette dernière. Ils éclairent en cela un angle mort du discours courant des milieux progressistes auxquels ils appartiennent : en effet, si l’analyse des facteurs dépendant du racisme, du colonialisme et des préjugés découlant de l’orientalisme est fréquente, le poids représenté par certaines dérives de l’islam contemporain se trouve à être systématiquement ignoré par la gauche politique et universitaire.
Cet ouvrage, d’une certaine manière, prend l’allure d’une autocritique, non pas des auteurs eux-mêmes, mais du camp dans lequel ils se situent. Il s’agit alors de comprendre comment la montée des courants islamistes influence – et menace – une intégration sereine des musulmans dans les pays d’immigration, en particulier le Québec. Pour ce faire, un détour est nécessaire : une première partie du livre se concentre donc sur les fondements historiques du rapport particulier entre religion et politique dans les sociétés musulmanes. L’institution du califat et le mythe que celui-ci a engendré dans l’imaginaire musulman font l’objet de deux premiers chapitres. L’opération proposée est celle d’une démystification, menée sans animosité et en se référant aux connaissances scientifiques accessibles aujourd’hui. La partie suivante, qui comprend quatre chapitres, s’intéresse au salafisme dans ses manifestations contemporaines. Des repères historiques permettent de prendre toute la mesure des transformations majeures auxquelles ont été soumises les sociétés arabo-musulmanes dans le courant du XXe siècle et début XXIe siècle. Le contraste qui émerge oppose la pluralité des versions locales et traditionnelles de l’islam, adaptées à leur contexte socioculturel, par rapport à la nouvelle homogénéisation intransigeante de l’islamisme, qui s’impose par le biais d’une lecture littéraliste et intemporelle du Coran et des Hadiths, et ce, dans la volonté de réaliser l’utopie d’un retour à des origines fantasmées. Émerge alors la difficile question du rapport de l’islam à la modernité et aux enjeux que celle-ci pose, dans les pays musulmans avant même que dans les sociétés occidentales d’accueil. La dernière partie du livre, composée de trois chapitres, s’intéresse à la situation au Québec : le rapport que celui-ci entretient avec la religion ; la montée des tensions à partir de la difficile réception des accommodements raisonnables, apparus en 1985 ; quelques cas spécifiques tirés de l’actualité plus récente. On termine avec une chronologie de l’islam et du califat, et un glossaire des termes arabes.
Tout au long de cet essai, les auteurs se caractérisent par une attitude qui combine une parrhésie désarmante, à laquelle on n’est plus habitué et qui les exposera sans doute à toutes sortes d’accusations, et une finesse, tout en nuances, dans l’analyse des causes et des tensions de la situation actuelle. Indépendamment des positions – loin des extrêmes, quoi qu’il en soit – prises sur les différents cas d’actualité, la contribution la plus précieuse de l’essai réside précisément en l’attitude dialectique, qui tient compte des motivations profondes de toutes les parties impliquées sans se limiter aux caricatures ou aux procès d’intention si courants dans la polémique actuelle. Antonius et Belaidi nous proposent un essai très accessible, mais où chaque mot est savamment pesé, un livre courageux et nécessaire.