Abstracts
Résumé
Le rêve de Nabuchodonosor et sa vision de la statue composite dans le second chapitre du livre de Daniel appartiennent au folklore de la tradition judéo-chrétienne depuis l’Antiquité. Le personnage de Nabuchodonosor étant basé en grande partie sur Nabonide, le dernier roi de Babylone (556-539 av. J.C.), le présent article offre quelques réflexions sur les origines de cette vision, arguant notamment que le motif de la succession des empires remonte au règne de Nabonide, et que les exigences de Nabuchodonosor envers les Chaldéens contiennent une réminiscence de l’obsession de Nabonide pour ses propres rêves et leur aspect prémonitoire.
Abstract
Nebuchadnezzar’s dream of the composite statue in Daniel 2 has belonged to the traditional folklore of the Judeo-Christian tradition since Antiquity. Since the figure of Nebuchadnezzar is based largely on Nabonidus, the last king of Babylon (556-539 BC), this article offers new elements of reflection on the origin of this vision, arguing that the motif of the succession of empires originated during the reign of Nabonidus, and that the demands of Nebuchadnezzar to the Chaldeans reflect a reminiscence of the obsession of Nabonidus for his own dreams and their mantic content.
Article body
Aucun sujet ne semble plus approprié, dans un recueil à la mémoire d’Aldina da Silva, que les rêves et l’inquiétude qu’ils peuvent provoquer[2]. Le sujet est d’autant plus pertinent qu’il touche à ce que furent ses deux domaines de prédilection : la Bible et le Proche-Orient. La Bible ne comprend qu’un petit nombre de rêves, rassemblés pour la plupart dans le livre de la Genèse. Du côté cunéiforme nous possédons des sources relativement abondantes : descriptions de visions oniriques, rituels, incantations, et même une clé des songes qui constitue l’un des plus anciens traités connus d’interprétation des rêves, devançant l’Onirocritique d’Artémidore de plusieurs siècles[3]. Cette riche documentation mérite une approche historique renouvelée, car les civilisations antiques partageaient un certain nombre d’opinions et de croyances sur la nature des rêves qui n’ont jamais vraiment bénéficié d’une étude comparative. Dans cette optique, il me fait grand plaisir d’offrir ici, en souvenir de notre regrettée collègue, quelques réflexions sur les rêves du dernier roi de Babylone, Nabonide, et celui de son alter ego Nabuchodonosor dans le second chapitre du livre de Daniel.
1 Nabonide et Nabuchodonosor
J’utilise le terme alter ego, car il est avéré depuis longtemps que le Nabuchodonosor de Daniel 1-5 n’est qu’une projection du Nabonide de l’histoire, mais il faut nuancer cette assertion[4]. Ce n’est qu’à la suite d’un processus complexe de transmission orale et écrite de la mémoire historique juive que le livre de Daniel a atteint sa forme actuelle. La rédaction finale eut lieu à l’époque de la révolte des Maccabées, autour des années 167-164, quatre siècles après le règne du véritable Nabuchodonosor (605-562 av. J.-C.) et de son ultime successeur Nabonide (556-539 av. J.-C.). La découverte de la fameuse « prière de Nabonide » (4Q242) parmi les écrits de Qumran a en partie élucidé le processus de composition des chapitres 1-5, qui forment un cycle distinct à l’intérieur du livre de Daniel[5]. S’ouvrant sur la première prise de Jérusalem par Nabuchodonosor, le cycle se termine par la chute de Babylone sous Belshazzar. On doit identifier celui-ci comme le Bēl-šarru-uṣur de l’histoire. Il n’était pas le fils de Nabuchodonosor, comme l’affirme le livre de Daniel, mais de Nabonide, et il exerça le pouvoir en tant qu’héritier présomptif et régent de l’Empire néo-babylonien durant le long séjour de son père dans l’oasis de Tayma en Arabie du Nord. Ceci nous incite donc à chercher dans le Nabuchodonosor de Daniel des traits de personnalité et événements associés à Nabonide. Ainsi, la retraite de Nabonide au milieu du désert d’Arabie serait à l’origine de la folie de Nabuchodonosor, déposé de son trône et exilé loin des hommes pendant sept ans, broutant de l’herbe avec les animaux de la steppe (Daniel 4-5). La « prière de Nabonide » rappelle cet épisode de l’exil à Tayma et contient même des correspondances textuelles précises avec Daniel 5. Il ne fait donc aucun doute que la prière préserve une tradition plus ancienne et qu’il y eut substitution de Nabonide par Nabuchodonosor au cours de la transmission de cette légende. Mais le Nabuchodonosor de l’histoire apparaît aussi dans le livre de Daniel. Il est surtout présent dans le prologue en hébreu formé par le chapitre 1 et les versets 1-4a du chapitre 2. Il s’agit d’un ajout tardif pour introduire Daniel et ses compagnons, exilés à la cour babylonienne. Au-delà de ce prologue, il est évident que le récit en araméen de Daniel 2-5 conserve pour l’essentiel une réminiscence du règne de Nabonide et de son fils Bēl-šarru-uṣur.
Nul aspect du livre de Daniel n’illustre mieux cette substitution historico-littéraire que l’obsession de Nabuchodonosor pour ses propres rêves, car ce sujet n’est jamais abordé dans les nombreuses inscriptions officielles du Nabuchodonosor de l’histoire. Nabonide en revanche, un usurpateur à l’âme inquiète et superstitieuse, éprouvait une véritable appréhension face au contenu de ses rêves ; pas moins de neuf d’entre eux figurent dans ses inscriptions, certains par une brève mention, d’autres par une relation détaillée de leur contenu. Il s’agit d’un cas unique dans la longue histoire de la Mésopotamie ; outre Nabonide, seul Gudéa, le prince de Lagaš qui régna vers la fin du 3e millénaire et dont on peut admirer les nombreuses statues au Louvre, nous relate en détail dans son Cylindre A un songe où le dieu Ningirsu lui ordonna de rebâtir son temple[6].
2 Les rêves de Nabonide
Le catalogue des rêves de Nabonide s’établit comme suit.
2.1 Le rêve de l’entretien avec Nabuchodonosor
Ce rêve est rapporté en détail dans une stèle retrouvée à Babylone. Nabonide aperçoit une conjonction astronomique. Un jeune homme lui apparaît et l’assure qu’il s’agit d’un présage favorable. Puis il voit Nabuchodonosor debout sur son char accompagné d’un serviteur. Ce dernier persuade Nabuchodonosor de s’adresser à Nabonide afin qu’il lui décrive ce présage favorable. Ce dernier s’exécute, mais une cassure dans la stèle en interrompt la description (RINBE 2, Nabonidus 3, 65-66, Col. VI).
2.2 Le rêve incubatoire de la déesse Gula
La même stèle mentionne une visite nocturne de Nabonide au sanctuaire de la déesse guérisseuse Gula (Nintinugga) pour lui demander protection et bonne santé. Celle-ci lui répond favorablement. Il s’agit sans aucun doute d’un rêve d’incubation, mais la stèle est avare de précisions[7] (RINBE 2, Nabonidus 3, 66-67, Col. VII, 11’-21’).
2.3 Le rêve du cylindre de Sippar
Cette relation détaillée d’un rêve que Nabonide reçut au début de son règne se retrouve dans un cylindre de fondation découvert à Sippar et connu par de nombreux exemplaires. Le dieu de Babylone Marduk et le dieu-lune Sîn ordonnent à Nabonide de reconstruire le temple de ce dernier à Harran en Syrie du Nord, dans les confins septentrionaux de l’Empire néo-babylonien. Mais, objecte Nabonide, la région est occupée par les Mèdes et leur puissance est excessive. Marduk lui annonce la chute imminente de l’empire mède, provoquée par la rébellion de Cyrus contre Astyage. La prédiction s’accomplit. Il est également question que le rêve inspire de la crainte à Nabonide (RINBE 2, Nabonidus 28, 147, Col. I, 15-32 ; et la variante RINBE 2, Nabonidus 29, 152-153). En raison de son importance, ce rêve est donné ici en traduction :
Au début de mon règne éternel, il (le dieu Sîn) me fit voir un rêve. Le dieu Marduk, le grand seigneur, et le dieu Sîn, le luminaire des cieux et de la terre, se tenaient tous deux debout. Le dieu Marduk me parla ainsi : « Nabonide, roi de Babylone, transporte des briques avec les chevaux de ton char (royal), construit l’Ehulhul, et permets au dieu Sîn, le grand seigneur, d’y établir sa résidence ». Je m’adressai avec déférence au dieu Marduk, l’Enlil (c.-à-d. le chef) des dieux : « Ce temple dont tu as ordonné la construction, une horde barbare (c.-à-d. les Mèdes) l’entoure et ses forces sont très puissantes ». Le dieu Marduk me parla (ainsi) : « La horde barbare dont tu as parlé, elle, son pays, et les rois qui marchent à ses côtés cesseront d’exister ». Quand arriva la troisième année (de mon règne), ils soulevèrent Cyrus, roi du pays d’Anšan, son jeune vassal, contre lui (Astyage), et il (Cyrus) dispersa la horde barbare (les Mèdes) avec sa petite armée. Il captura Astyage, le roi de la horde barbare (les Mèdes), et le ramena prisonnier dans son pays. (Ainsi s’accomplit) la parole du grand et divin seigneur, le dieu Marduk, et du dieu Sîn, le luminaire des cieux et de la terre, dont l’ordre ne peut être altéré. En raison de leur ordre sublime, je devins terrifié, inquiet, anxieux, et mon visage était tourmenté.
2.4 Le rêve d’Adad-guppi
Il ne s’agit pas d’un rêve de Nabonide, mais de sa mère Adad-guppi. Il est mentionné dans la stèle funéraire de celle-ci retrouvée à Harran. Le dieu Sîn apparaît à Adad-guppi et prédit que son fils restaurera son temple de Harran et ses rites. Ce rêve fait donc écho au rêve du cylindre de Sippar (RINBE 2, Nabonidus 2001, 226, Col. II, 5-11a).
2.5 Le premier rêve de la stèle de Harran
Dans une stèle retrouvée à Harran, Nabonide revient brièvement sur le rêve du cylindre de Sippar, affirmant que le dieu Sîn lui donna la royauté et lui apparût en songe, lui ordonnant de rebâtir son temple de Harran et lui promettant de lui livrer la souveraineté sur tous les pays (RINBE 2, Nabonidus 47, 189, Col. I, 11b-14a).
2.6 Le second rêve de la stèle de Harran
Après dix ans passés en Arabie, Nabonide reçoit un rêve terrifiant (pardat) qui apparemment le convainc de retourner à Babylone[8]. Le passage est mutilé, mais on note la mention de l’haruspice (bārû) et de l’oniromancien (šā’ilu), consultés à plusieurs reprises par le roi (RINBE 2, Nabonidus 47, 191, Col. III, 1-4 ; et la variante de la stèle de Larsa, Nabonidus 17).
2.7 Le rêve de la restauration de l’Ebabbar de Larsa
Le dieu Šamaš de Larsa ordonne à Nabonide de restaurer l’Ebabbar, son temple dans la ville de Larsa, dans un rêve vu non seulement par le roi mais aussi par d’autres personnes à son intention : ina šutti ša āmuru u nišū ītammarūni, « dans un rêve que je vis et que des gens virent à plusieurs reprises pour moi[9] » (RINBE 2, Nabonidus 27, 135, Col. I, 64-67a).
2.8 Le rêve de la restauration de l’Eulmaš de Sippar-Anunītu
Dans un rêve envoyé à Nabonide, la déesse Anunītu lui demande la restauration de son temple Eulmaš dans la ville de Sippar-Anunītu. Ce rêve provoque la joie chez le roi (RINBE 2, Nabonidus 27, 138, Col. III, 36-38a).
2.9 Le rêve de la perle votive
Courte inscription sur une perle votive en calcédoine mentionnant une dague demandée par le dieu Sîn à Nabonide dans un rêve. La perle était probablement à l’origine incrustée sur la dague, qui ne nous est pas parvenue (RINBE 2, Nabonidus 53, 198).
Outre les inscriptions royales, il faut mentionner deux autres sources. L’une est le Verse Account, un pamphlet composé sans doute peu après la chute de Nabonide et qui condamne sans appel les actes du dernier roi de Babylone. Le pamphlet se moque de ses prétentions au savoir en le paraphrasant ainsi : « le dieu Ilteri m’a montré (un rêve) et m’a tout fait [connaître][10] ». Le dieu Ilteri (à normaliser Śeḥr), une manifestation du dieu-lune vénérée en Syrie du Nord, apparaît dans certains noms propres araméens de Babylonie. Le Verse Account constitue un témoignage précieux qui indique que l’obsession de Nabonide pour ses rêves, surtout ceux envoyés par le dieu-lune à qui il vouait une dévotion toute particulière, faisait publiquement l’objet de moqueries. C’est une réminiscence de ce genre, liée à un monarque extravagant, que l’on retrouve transvasée dans le personnage de Nabuchodonosor du livre de Daniel.
Une autre source importante est YOS 1 : 39, une petite tablette cunéiforme datée de la septième année du règne de Nabonide et qui contient deux messages envoyés par un certain Šumu-ukīn[11]. Le premier message, daté du 15e jour du mois de Ṭebētu (10e mois), rapporte une conjonction astronomique qu’il observa dans un rêve. Le second, daté deux jours plus tard, mentionne un rêve similaire. Dans les deux cas, Šumu-ukīn affirme avoir adressé aux astres qui lui sont apparus des prières pour le bien-être de Nabonide et de son fils Bēl-šarru-uṣur. Le nom Šumu-ukīn est assez courant à cette époque, mais il pourrait s’agir du même Šumu-ukīn, descendant de Basiya, qui obtint de Nabonide au début de son règne la ferme générale des terres agricoles du temple de l’Eanna d’Uruk avec son neveu Kalbāya[12]. Jouissant évidemment de la faveur royale, il était peut-être un familier de Nabonide et de son fils. La tablette provient vraisemblablement d’Uruk.
Sur la base de ces données, peut-on comparer les rêves de Nabonide avec ceux du Nabuchodonosor de Daniel ? À première vue, on serait tenté de répondre par la négative, car leurs rêves diffèrent en tout point. Mais on ne s’attendrait guère à ce qu’une tradition rédigée sous sa forme définitive au deuxième siècle av. J.-C. reproduise fidèlement les inscriptions d’un monarque babylonien qui avait régné quatre siècles auparavant. C’est plutôt une mémoire diffuse mais persistante de Nabonide qui refait surface dans Daniel, et avant tout le souvenir d’un despote anxieux, obsédé par le contenu prémonitoire de ses rêves. Il faut donc procéder à une archéologie de cette mémoire.
3 Le caprice de Nabuchodonosor
Le récit du premier songe de Nabuchodonosor figurant dans le deuxième chapitre du livre de Daniel est bien connu. Je n’en rappellerai ici que les principaux éléments. Dans la deuxième année de son règne, Nabuchodonosor reçoit un songe le troublant à un point tel qu’il en perd le sommeil. Il fait appeler les Chaldéens et autres experts de sa cour, les sommant de lui révéler son rêve de même que son interprétation et les menaçant de mort s’ils s’en trouvent incapables, mais promettant de les couvrir d’honneurs en cas de réussite. Pris de court par cette sommation, les experts prient le roi de leur faire part de son rêve afin qu’ils puissent l’élucider, mais le roi insiste de nouveau pour qu’ils lui révèlent son contenu. Cette demande réitérée jette les Chaldéens dans le désarroi, et devant leur impuissance avouée le roi ordonne leur exécution de même que celle de Daniel et ses compagnons, car personne parmi les sages de Babylone ne doit être épargné. Daniel convainc toutefois le roi de lui accorder un sursis. Il implore le dieu d’Israël qui lui révèle le tout dans une vision nocturne. Amené devant Nabuchodonosor, Daniel lui rapporte dans les détails le songe qui l’avait tant troublé, et lui en dévoile aussi sa signification. Le roi reconnaît alors le pouvoir du dieu d’Israël, comble de bienfaits Daniel et ses compagnons, et leur confie la plus haute autorité sur l’administration de la province de Babylone.
Le récit contient des contradictions évidentes, et plusieurs commentateurs considèrent que les versets 13-23 constituent un ajout postérieur pour harmoniser le récit avec celui du chapitre 1. D’autres postulent deux versions originales qui auraient été maladroitement fusionnées[13]. Mais le noeud du drame reste le même : comment les Chaldéens auraient-ils pu deviner le rêve du roi ? On a avancé diverses explications pour ce qui semble être un odieux caprice de la part de Nabuchodonosor. Peut-être ne cherche-t-il qu’un prétexte pour exécuter les Chaldéens en leur demandant l’impossible sous peine de mort, ou encore veut-il mettre leur science à l’épreuve en testant ses limites. On a aussi prétendu que le roi avait oublié son rêve, ce qui constituait en soi un très mauvais présage. Quoi qu’il en soit, les exigences de Nabuchodonosor ne semblent nullement outrancières dans le cadre de l’oniromancie antique. Tous les rêves n’avaient pas la même importance. Dans son Onirocritique, Artémidore opère une distinction théorique fondamentale entre l’enhypnion, issu du patient, et l’oneiros, le songe qui lui est envoyé et qui possède une valeur mantique[14]. Tout indique qu’en Mésopotamie aussi on reconnaissait que beaucoup de rêves ne révélaient que des symptômes de l’état mental et physique du patient, alors que d’autres avaient valeur mantique ou contenaient des avertissements envoyés par les dieux[15]. Hérodote a bien mis en relief cet aspect des croyances antiques qu’on croit souvent être une découverte exclusive de l’époque moderne[16]. Artaban, à qui Xerxès raconte le rêve terrifiant qui l’a hanté à deux reprises, tente de le convaincre qu’il ne s’agit pas d’un message du ciel, mais du produit de son imagination : « Ce que l’on voit en rêve, c’est d’ordinaire ce qui nous préoccupe dans la journée[17] » (Hérodote 1964, 16). Mais Xerxès insiste pour qu’Artaban se substitue à lui pour une nuit et reçoive le rêve en personne. Artaban s’exécute et voit en effet le même songe qui avait effrayé son souverain. Désormais persuadé de l’importance prémonitoire de son rêve, Xerxès se décide à une invasion de la Grèce, car tel était le message envoyé par le ciel.
L’histoire de Xerxès et Artaban illustre la croyance que certains songes servaient d’avertissement et pouvaient affecter le domaine public. Ceux-ci n’étaient pas produits par le patient mais avaient une origine externe, et souvent pouvaient être envoyés par les dieux. Cette origine externe explique que le même songe pouvait être vu par plusieurs personnes. Le cas rapporté par Hérodote n’est pas unique. Plutarque rapporte que des Tyriens, durant le siège de leur ville par les armées d’Alexandre, virent le même songe où le dieu Apollon annonçait qu’il allait abandonner Tyr à son sort, alors qu’Alexandre pour sa part recevait deux autres rêves prémonitoires de la chute de la ville[18]. Les mêmes croyances prévalaient en Mésopotamie. Dans l’épopée de Gilgameš, la courtisane Šamhat connaît déjà le premier rêve de Gilgameš au moment même où celui-ci le reçoit[19]. Assurbanipal rapporte que son armée entière avait reçu le même rêve d’une victoire contre les Élamites[20]. Il était d’ailleurs du devoir des devins de rapporter leurs propres rêves au roi. Plusieurs lettres adressées au roi de Mari indiquent que cette pratique était déjà courante dans la Mésopotamie du 18e siècle[21]. Cela restait vrai un millénaire plus tard. Assurbanipal mentionne à deux reprises que des rêves le touchant lui avaient été rapportés. Dans le premier cas, la déesse Ištar apparut en songe à son oniromancien (šabrû), lui annonçant qu’elle livrerait combat pour lui contre le roi d’Élam[22]. Dans le second cas, un jeune homme aperçut dans un rêve une inscription sur le piédestal de la statue du dieu Sîn qui annonçait à Assurbanipal qu’il triompherait de ceux qui complotaient contre lui[23].
La demande de Nabuchodonosor ne semble donc pas singulière. Ce qu’il exige de ses devins – c’est-à-dire qu’eux aussi voient le songe qui lui a été envoyé – ressort de leurs compétences et participe de la nature même de l’oneiros, qui est un message destiné au patient, mais externe à lui et par conséquent susceptible d’être envoyé à plusieurs individus. Elle correspond aussi à ce que nous savons de Nabonide. Ses inscriptions nous fournissent en effet le seul cas dans toute la documentation historique mésopotamienne où le songe du roi a été vu par d’autres personnes, et probablement à son intention (RINBE 2, Nabonidus 27, 135, Col. I, 64-67a). Nous savons aussi par la tablette YOS 1 : 39 que les rêves vus par d’autres, en l’occurrence peut-être un familier du roi et du prince héritier Bēl-šarru-uṣur, lui étaient rapportés. Dans ce cas-ci, le contenu du rêve de Šumu-ukīn rappelle celui de Nabonide dans la stèle de Babylone (RINBE 2, Nabonidus 3, 65-66, Col. VI), où le roi aperçoit une conjonction de Jupiter (MUL GAL, « la grande étoile ») et de la lune (le dieu Sîn) et leur adresse une prière (uṣallīšunūtu). Ce présage fut considéré comme favorable. La tablette YOS 1 : 39 emploie le même vocabulaire ; Šumu-ukīn aperçoit des astres (Jupiter, la Lune, le Soleil, Vénus et Sirius) et prie à ceux-ci (uṣallīšunūtu) pour le roi. Il semble donc fort probable que Šumu-ukīn agissait à la demande du roi, curieux de toute configuration astronomique aperçue dans un songe, car lui-même en avait fait l’expérience. Tout cela indique que la demande adressée par Nabuchodonosor à ses devins pourrait très bien reproduire un souvenir lointain de Nabonide, qui aurait exigé de telles performances de son entourage.
4 La vision de la statue composite
Dans le contexte biblique, tout rêve prémonitoire est implicitement un avertissement envoyé par le dieu d’Israël. C’est d’ailleurs la leçon du deuxième chapitre du livre de Daniel. Si les devins de Nabuchodonosor échouent à satisfaire aux exigences de leur souverain, c’est que seul le dieu d’Israël peut révéler le contenu et la clé du songe par l’intermédiaire de son prophète : « Un grand dieu a fait connaître au roi ce qui adviendra par la suite. Le songe est sûr, et son interprétation, digne de foi » (Dn 2:45). Le rêve de Nabuchodonosor constitue une allégorie de la chute imminente de l’Empire néo-babylonien et de celle, plus lointaine, des empires qui lui succéderont, et comme le rappelle Daniel, c’est le Dieu tout puissant qui fait et défait les rois et les empires : « C’est lui qui fait alterner les temps et les moments ; il renverse les rois et élève les rois » (Dn 2:21). C’est donc un avertissement que Dieu a donné à Nabuchodonosor. La matière du songe a fait l’objet de nombreux commentaires. Le roi a vu une statue composite dont la tête est d’or, le torse et les bras d’argent, le ventre et les cuisses de bronze, les jambes de fer, et les pieds en partie de fer et en partie d’argile. Puis un roc s’abat sur la statue, la pulvérise et occupe toute la terre. Selon l’interprétation donnée par Daniel, la tête de la statue représente Nabuchodonosor, et les autres parties les royaumes qui lui succéderont. Notons que certains auteurs ont relu cette interprétation à la lumière de l’histoire du Proche-Orient en associant les quatre royaumes avec l’empire néo-babylonien (l’or), le royaume des Mèdes (l’argent), l’Empire achéménide (le bronze), puis l’empire d’Alexandre et les royaumes macédoniens des Lagides et des Séleucides (le fer et l’argile)[24]. Le roc qui abat la statue et remplit la terre figure le royaume de Dieu qui remplacera le royaume d’Antiochus IV, cible probable de cette vision apocalyptique ex eventu. On a depuis longtemps décelé l’influence d’Hésiode, et surtout du Bahman Yasht de la tradition zoroastrienne, dans le schéma des périodes historiques symbolisées par des métaux de valeur décroissante[25]. Une vision analogue des quatre royaumes, représentés cette fois par des créatures monstrueuses surgies de la mer, se retrouve dans le terrifiant rêve de Daniel au chapitre 7, qui clôt la partie araméenne du livre.
Les visions oniriques de dieux ou de leurs statues étaient relativement fréquentes dans le monde antique. Artémidore consacre plusieurs passages de son traité à ce phénomène[26]. Selon Plutarque et Tacite, le roi Ptolémée Soter aperçut en songe une statue du dieu Pluton (ou Sérapis)[27]. Une stèle de son lointain prédécesseur, le pharaon Mérenptah, relate la vision en rêve d’une statue géante du dieu Ptah[28]. Le prince Gudéa de Lagaš raconte avoir aperçu le dieu Ningirsu, qu’il décrit de la tête aux pieds comme un être composite, anticipant le rêve du deuxième chapitre du livre de Daniel de deux millénaires. Il existait aussi des statues réelles de dieux qui pouvaient atteindre des proportions considérables ; on pense à la statue de Zeus à Olympie, mais aussi à celle du dieu Marduk à Babylone qui, selon Hérodote (1964, 183), était entièrement en or. La statue apparue dans le rêve de Daniel 2 doit aussi être interprétée à la lumière de la « prière de Nabonide » retrouvée à Qumran ; affligé d’un ulcère, le monarque babylonien adresse ses prières aux « dieux d’argent et d’or, [de bronze et de fer], de bois, de pierre et d’argile » (4Q242), un passage qu’on retrouve presque mot pour mot au chapitre 5, verset 23 de Daniel, où le prophète reproche à Belshazzar son idolâtrie : « Tu as loué les dieux d’argent et d’or, de bronze, de fer, de bois et de pierre, qui ne voient ni n’entendent ni ne connaissent. » La statue dont il est question dans le deuxième chapitre de Daniel rappelle donc les statues de culte mésopotamiennes, qui étaient composées de divers matériaux.
Mais la statue vue par Nabuchodonosor représente-t-elle un dieu ? Pas nécessairement. Et il n’y a d’ailleurs aucune affirmation explicite à cet effet dans le deuxième chapitre de Daniel. On décèle la même ambigüité dans le récit du troisième chapitre. Le roi fait ériger une colossale statue en or près de Babylone et ordonne à ses sujets de se prosterner et de la vénérer. Certains auteurs ont proposé de relier cet épisode à un passage du Verse Account qui décrit une image monstrueuse et sacrilège du dieu-lune que Nabonide aurait créée de toute pièce, possiblement pour l’imposer comme statue de culte. Aussi, le récit dans le troisième chapitre du livre de Daniel n’est pas sans évoquer l’histoire du pharaon Amasis qui, selon le livre II de L’Enquête d’Hérodote, fit ériger une statue divine en or et la proposa comme objet d’adoration à ses sujets pour gagner leur soutien (1964, 172). Il pourrait donc s’agir d’un motif littéraire et folklorique qui circulait alors dans le monde antique. Cela dit, dans leur rédaction définitive, les récits du deuxième et du troisième chapitre du livre de Daniel semblent délibérément maintenir l’équivoque sur la nature de ces statues : représentent-elles des dieux ou des rois, le pouvoir spirituel ou temporel ? En fait, la question semble superflue dans une perspective biblique puisqu’il ne s’agit dans les deux cas que de variantes de l’idolâtrie. Mais on peut se demander si sous sa forme la plus ancienne, le récit du deuxième chapitre du livre de Daniel (ainsi que celui du troisième chapitre) ne se rapportait pas à une image représentant le pouvoir royal. On note en effet que Nabonide fit ériger des monuments représentant la royauté. Fait à souligner, nous possédons plus de représentations officielles de Nabonide que de son prédécesseur, Nabuchodonosor, voire de tout autre monarque babylonien. Un passage très révélateur d’une chronique sur le règne de Nabonide relate que, lors des travaux de réfection du temple du dieu Šamaš à Sippar au début de son règne, on découvrit une statue du roi Sargon d’Akkad (ca. 2334-2278 av. J.-C.). Nabonide la fit restaurer « en raison de sa vénération pour les dieux et de son grand respect pour la royauté[29] », et établit un culte pour cette statue dans l’Ebabbar de Sippar. Dans les archives de ce temple, on a d’ailleurs retrouvé des textes qui mentionnent des offrandes à cette statue de Sargon[30]. Le culte rendu aux souverains défunts existait depuis longtemps en Mésopotamie, mais la chronique souligne un trait propre à Nabonide : celui-ci aurait mis sur un pied d’égalité la vénération des dieux et celle de la royauté. Aucune statue en ronde-bosse représentant Nabonide ne nous est parvenue, mais de nombreuses stèles et bas-reliefs à son effigie ont été mis à jour dans diverses régions de l’Empire néo-babylonien. En 1994, on a même retrouvé en flanc de montagne à Sela en Jordanie une représentation de Nabonide vêtu des insignes de la royauté accompagnée d’une inscription. Stèles et bas-reliefs taillés dans le roc constituaient de puissants objets de propagande visuelle, projetant l’image du roi comme symbole du pouvoir impérial[31]. Nabuchodonosor a laissé des reliefs rupestres au Liban, et une stèle le représentant face à la ziggourat de Babylone a été exhumée lors de fouilles clandestines en Irak[32]. C’est dans ce type de monument qu’il faut peut-être aussi chercher l’origine du motif de la statue composite du rêve de Nabuchodonosor, et de la statue mentionnée dans le troisième chapitre du livre de Daniel.
5 Un rêve inquiétant
La vision de la statue provoque une grande inquiétude chez Nabuchodonosor, même de l’effroi. Il en est de même pour son second rêve (Dn 4) et pour celui du prophète Daniel (Dn 7). Dans le monde antique, l’inquiétude, la frayeur ou même la terreur provoquée par un songe ne dépendait pas tant de son contenu apparent et sensible – ce que nous appellerions un cauchemar – que de sa valeur prémonitoire. Surtout le rêve symbolique ou allégorique, celui qu’on avait du mal à déchiffrer, mais qui, on le sentait bien, servait d’avertissement, d’ordre des dieux au patient, ou de fenêtre ouverte sur l’avenir. Les trois rêves reçus par Gilgameš dans sa célèbre épopée illustrent bien ce sentiment. L’interprétation fournie par Daniel semble toutefois rassurer Nabuchodonosor. Le rêve confirme sa prééminence et celle de l’Empire néo-babylonien, tout en faisant entrevoir sa fin et son remplacement par des avatars inférieurs. Le thème du songe est la succession des empires, la translatio imperii de l’historiographie médiévale. Le concept remonte à l’époque hellénistique et l’on peut même en retracer les sources jusqu’à Hérodote, qui nous présente dans le premier livre de son Enquête un tableau rapide de la succession des empires assyrien, mède, et néo-babylonien – ce dernier n’étant pour lui que la dernière incarnation de l’Assyrie – pour finalement aboutir à l’Empire perse. Le motif est aussi présent dans les « prophéties akkadiennes » d’époque tardive, notamment la « Prophétie d’Uruk » et surtout la « Prophétie dynastique » qui couvre les empires néo-babylonien et achéménide et les débuts de l’époque hellénistique (Argéades et Séleucides)[33]. En remontant plus loin, on peut même arguer que le motif de la succession des empires trouve son origine à l’époque de l’Empire néo-babylonien et surtout de son dernier souverain Nabonide. Celui-ci, probablement né à Harran en Syrie du Nord d’où sa mère était originaire, vécut dans sa prime jeunesse l’effondrement de l’Empire assyrien et le transfert subit et inattendu du pouvoir à Babylone. Introduit dans les cercles du pouvoir sous le règne de Nabuchodonosor, il se trouva hissé à la fonction royale par un coup d’État moins de six ans après la mort de ce dernier. Durant son règne, il fut témoin de la chute de l’empire des Mèdes, à l’origine alliés des Babyloniens contre l’Assyrie, puis devenus rivaux en raison de leurs visées hégémoniques sur l’Anatolie et la Syrie du Nord. Abattu par Cyrus le Grand, l’empire des Mèdes se trouva rapidement incorporé à l’Empire perse qui s’agrandit bientôt de la Lydie, conquise vers la dixième année du règne de Nabonide (546-545 av. J.-C.). Cyrus se retourna finalement contre Babylone et fit son entrée triomphale dans la ville à l’automne 539 av. J.-C.. Nabonide survécut à la chute de son royaume et, selon Bérose, mourut exilé en Carmanie[34].
Le motif de la statue composite et de la succession des empires pourrait-il trouver son origine dans des légendes qui circulaient à propos de Nabonide ? Il est impossible de le prouver, mais cela semble plausible. En effet, c’est également dans un rêve que les dieux Sîn et Marduk annoncèrent à Nabonide la chute imminente de l’Empire mède, prélude à la restauration du temple Ehulhul dans cette ville (RINBE 2, Nabonidus 28, 147, Col. I, 15-32). Nabonide fait encore brièvement allusion à ce rêve dans sa stèle de Harran (RINBE 2, Nabonidus 47, 189, Col. I, 11b-14a), et le monument funéraire d’Adad-guppi mentionne qu’elle eut un rêve similaire (RINBE 2, Nabonidus 2001, 226, Col. II, 5-11a). Le rêve de Nabonide devint vraisemblablement objet de propagande, et possiblement de dérision pour ses opposants et donc susceptible d’être entré dans la légende qui donna naissance aux récits de la cour de Babylone dans le livre de Daniel. Rappelons que le songe qui annonça la chute de l’Empire mède provoqua la frayeur chez Nabonide (RINBE 2, Nabonidus 28, Col I, 32. aplaḫ akkud nakutti aršêma dulluḫū pānū’a « je devins terrifié, inquiet, anxieux, et mon visage était tourmenté »). Les sentiments de crainte exprimés ici furent provoqués non par l’annonce de la déchéance des Mèdes, mais par l’importance du commandement divin relatif à la reconstruction du temple de Harran. C’est une crainte religieuse exprimée ailleurs dans les inscriptions royales, mais qui se retrouve plus souvent encore chez Nabonide. Mais la grande peur de celui-ci fut provoquée par le second rêve de la stèle de Harran (RINBE 2, Nabonidus 47, 191, Col. III, 1-4 ). Le contenu ne nous en est malheureusement pas révélé, mais il s’agissait sans doute d’un songe récurrent ou de plusieurs songes reliés, car Nabonide parle de ses fréquentes visites chez les experts (RINBE 2, Nabonidus 47, Col. III, 1. itti bārî u šā’ili alaktu ul parsat « mon passage chez le devin et l’oniromancien ne cessait pas »), quand tout ceci culmina en un rêve effrayant (Col. III 1-2. attīlma ina šāt mūši šuttu pardat « je me couchai et durant la nuit le rêve fut terrifiant »). L’adjectif verbal pardu « terrifiant » se retrouve dans la littérature onirique mésopotamienne pour décrire les songes qui inspiraient la terreur. Le texte de la stèle est mutilé mais laisse entrevoir un ordre divin. Ce nouveau songe convainquit probablement Nabonide de retourner à Babylone après une absence de dix ans en Arabie du Nord, car la narration se poursuit avec son retour vers la capitale. N’oublions pas que le contexte international était devenu très alarmant après la conquête récente de la Lydie par Cyrus. Encerclé par les Perses, la situation de l’Empire néo-babylonien devenait intenable, et l’on peut deviner que le songe de Nabonide annonçait peut-être la chute de son royaume de façon voilée et allégorique, de nature à provoquer la terreur chez le roi.
Conclusion
La légende juive de Nabonide et de son fils Bēl-šarru-uṣur s’élabora au fil des siècles. Nous n’en connaissons que les points de départ et d’arrivée, car aucune source n’éclaircit le long parcours de la tradition orale et écrite qui aboutit au cycle sur Nabuchodonosor et Belshazzar. Néanmoins, un texte unique qui a miraculeusement refait surface parmi les écrits de Qumran, la prière de Nabonide (Nabunay) (4Q242), prouve ce que plusieurs soupçonnaient déjà avant sa découverte, qu’on substitua Nabuchodonosor à Nabonide avant que le récit ne trouvât sa forme définitive dans le livre de Daniel. Faire l’archéologie de cette mutation mémorielle nous conduit inévitablement dans le domaine de l’hypothèse. Mais certaines pistes se dégagent malgré tout. La valeur accordée aux songes dans les inscriptions de Nabonide explique presque assurément leur prépondérance dans le livre de Daniel. La légende du souverain autoritaire et tourmenté que fut Nabonide se retrouve plus particulièrement dans le rêve de la statue composite. Bien que les statues apparaissent à l’occasion dans les rêves antiques, le motif d’une statue symbolisant la monarchie et les empires s’accorde particulièrement avec ce que nous savons de Nabonide et de son respect pour les symboles du pouvoir temporel. L’interprétation donnée par Daniel au songe de la statue, dans la rédaction finale de cette tradition au 2e siècle av. J.-C., ajouta une orientation apocalyptique et eschatologique au motif historiographique de la succession des empires. Elle reflète aussi assez fidèlement, et peut-être de façon fortuite, la situation internationale de l’Empire néo-babylonien finissant, de même que le vécu de son dernier souverain, qui fut un témoin privilégié de l’effondrement de pouvoirs successifs, dont le sien. Tout ceci sous l’emprise de la peur, de l’angoisse des songes prémonitoires et des signes divinatoires qui annonçaient l’inéluctable catastrophe. La peur et le songe ont rarement connu une telle fortune dans les annales de l’histoire.
Appendices
Note biographique
Paul-Alain Beaulieu est professeur d’assyriologie au Department of Near and Middle Eastern Civilizations de l’Université de Toronto et Membre de la Société Royale du Canada. Ses recherches portent principalement sur la Babylonie du premier millénaire av. J.-C. Il est l’auteur de nombreux articles et monographies, notamment The Pantheon of Uruk During the Neo-Babylonian Period (Brill Academic Publishers, Leiden, 2003), et A History of Babylon 2200 BC-AD 75 (Wiley Blackwell, 2018).
Notes
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[1]
Les abréviations utilisées dans cet article sont : CAD (= The Assyrian Dictionary of the Oriental Institute of the University of Chicago, Chicago, The Oriental Institute, 1956-2010) ; RINBE 2 (= Weiershäuser et Novotny 2020) ; et YOS (= Yale Oriental Series - Babylonian Texts, New Haven et Londres, 1915-). Les citations bibliques sont tirées de la Traduction oecuménique de la Bible, 2ème édition, Paris, Société Biblique Française et Éditions du Cerf, 1977.
-
[2]
Nous pouvons souligner, notamment, son étude sur le rêve comme expérience démoniaque en Mésopotamie : Da Silva (1993).
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[3]
L’étude fondamentale sur l’oniromancie mésopotamienne reste celle de Oppenheim (1956), avec édition du traité cunéiforme d’interprétation des songes. D’autres études s’y sont ajoutées depuis (Butler 1998 ; Zgoll 2006 ; Koch 2015, 296-311). Pour les sources égyptiennes, voir l’article de Ritner (2001).
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[4]
Pour cette question, on se rapportera aux principaux commentaires sur le livre de Daniel (Delcor 1971 ; Hartmann et Di Lella 1978 ; Collins 1993 ; Newsom 2014), et à l’étude de Dommershausen (1964). Holm (2013) a consacré une étude exhaustive au cycle de la cour de Babylone (Daniel 1-6).
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[5]
Ce texte a fait l’objet de multiples analyses et interprétations; voir la mise au point de Holm (2013, 336-343).
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[6]
Traductions par Oppenheim (1956, 245-246) et plus récemment par Edzard (1997, 71-72). Assurbanipal, le célèbre monarque assyrien, rapporte aussi des rêves dans ses inscriptions, mais jamais les siens propres (Zgoll 2006, 189-215).
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[7]
On note que le terme pour « rêve », šuttu, n’apparaît pas dans le texte, mais seulement šat muši « (vision) de la nuit ».
-
[8]
CAD P, p. 182-183, s.v. pardu « terrifiant » ; le terme est utilisé surtout pour décrire les songes. Notons que la stèle de Nabonide reproduit ici mot pour mot un passage du poème babylonien du juste souffrant, Ludlul bēl nēmeqi, dont le protagoniste Šubši-mešrê-Šakkan est aussi obsédé par des rêves terrifiants.
-
[9]
La forme ītammarūni est à l’itératif (thème Gtn) et implique donc la répétition et la pluralité. Le suffixe de la première personne -ni fait toutefois problème ; si l’allatif était encore compris à cette époque, ce qui est discutable, on devrait traduire « pour moi, à mon intention, me concernant ». Schaudig (2001, 462, ligne 67’) propose une traduction similaire. En tout état de cause, le sens général est clair.
-
[10]
Le passage ne mentionne pas de rêve comme tel, mais le verbe ušabrân(ni), « il m’a montré », est normalement utilisé dans les descriptions oniriques. Traduction et commentaire par Schaudig (2001, 569 et 576, Col. V, 11’).
-
[11]
Sur ce texte et sa traduction, voir Beaulieu (1989, 192) et Oppenheim (1956, 205). La tablette ne nous fournit pas le contexte de ces messages, seulement leur contenu.
-
[12]
Sur la carrière de ce personnage, voir Jursa (2010, 425-428).
-
[13]
On retrouve cette opinion, par exemple, dans Hartmann et Di Lella (1978, 139).
-
[14]
Artemidorus (2020, 4-10 et 166-169).
-
[15]
Voir plus particulièrement la classification proposée par Oppenheim (1956, 184), qui distingue les rêves qui sont des révélations directes des dieux (nécessitant ou non une interprétation), les rêves mantiques qui annoncent l’avenir, et les rêves personnels qui reflètent l’état physique ou somatique du patient.
-
[16]
Certains philosophes niaient aux rêves toute valeur mantique, n’y voyant que le produit de l’âme ou des sens du patient, notamment Aristote (De Insomniis), Lucrèce (De Rerum Natura 4, 962-1036), et Cicéron (De Divinatione 2, LVIII-LXXII).
-
[17]
La traduction est celle de A. Barguet (Hérodote - Thucydide, 1964).
-
[18]
Ces rêves sont rapportés par Plutarque dans la Vie d’Alexandre (24, 4-9) ; King (2013) leur a consacré un long article.
-
[19]
Ce passage se retrouve à la fin de Tablette I de l’épopée selon la traduction de Foster (2019, 12) : « Even while he (Gilgameš) was having his dreams, Šamhat was telling the dreams of Gilgameš to Enkidu, as the pair of them were making love together ».
-
[20]
Sur ce rêve, voir Butler (1998, 1-2).
-
[21]
On pourra consulter à ce sujet les lettres rassemblées par Nissinen (2003, 13-77).
-
[22]
Ce rêve est traduit par Oppenheim (1956, 249), et plus récemment par Novotny et Jeffers (2018, 69-70). Assurbanipal ajoute avoir prié la déesse Ištar durant la journée qui précéda le rêve de l’oniromancien, et que celle-ci lui était apparue en lui adressant des paroles rassurantes.
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[23]
Ce rêve eut lieu au milieu de la guerre civile entre Assurbanipal et son frère Šamaš-šumu-ukīn, qui avait hérité de la royauté de Babylone; traduction par Oppenheim (1956, 249-250), et plus récemment par Novotny et Jeffers (2018, 242).
-
[24]
Voir, entre autres, Hartmann et Di Lella (1978, 29-42). On pourrait aussi entendre l’Empire néo-babylonien, l’empire des Perses et des Mèdes, l’empire d’Alexandre, puis l’empire divisé des Lagides et des Séleucides.
-
[25]
La question est bien résumée par Collins (1993, 162-165).
-
[26]
Les références sont rassemblées dans Artemidorus (2020, 364, s.v. Statues).
-
[27]
Ptolémée Soter voit en rêve une statue de Pluton selon Plutarque (De Iside et Osiride, 28), mais de Sérapis selon Tacite (Histoires, 4.83). Il s’agit de deux divinités chtoniennes.
-
[28]
Le rêve de Mérenptah est traduit par Oppenheim (1956, 251).
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[29]
Pour ce passage de la chronique voir Glassner (2004, 314-315, lignes 29’-36’). La copie de ce texte date tout probablement de l’époque hellénistique (Clancier 2009, 451). Les traditions sur Nabonide restaient donc toujours vivantes et auraient encore pu influencer les auteurs juifs dans l’élaboration de leurs légendes sur l’empire néo-babylonien. Waerzeggers (2017) a récemment argué dans ce sens ; le discours de la période hellénistique sur Nabonide ne serait pas uniquement le reflet d’une mémoire historique diffuse, mais aussi le produit d’une nouvelle réflexion sur la base des sources cunéiformes, dont certaines auraient pu être créées à cette époque.
-
[30]
Voir à ce sujet Beaulieu (1989, 133-136); les textes sont datés du règne de Nabonide et de ses successeurs Achéménides.
-
[31]
On a retrouvé des stèles de Nabonide en Babylonie (Babylone, Larsa, Uruk), en Syrie du Nord (Harran), et en Arabie (Tayma), et des bas-reliefs sculptés dans le roc en Arabie (Al-Ḥā’iṭ = Padakku) et en Jordanie (Sela). Pour la liste des monuments voir RINBE 2, 20. Pour le bas-relief de Sela, voir Dalley et Goguel (1997).
-
[32]
Les monuments de Nabuchodonosor sont bien analysés par Da Riva (2015). Pour la stèle de Babylone, voir George (2011, 153-169, pl. LVIII-LXVII); la provenance de la stèle, qui nous est parvenue en deux fragments, est inconnue. On note que la figure de Nabuchodonosor sur cette stèle est de taille égale à la ziggurat.
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[33]
Toutefois, les prophéties akkadiennes ne découpent pas le temps historique en empires successifs, mais plutôt en règnes individuels. Sur la « Prophétie Dynastique », voir l’édition princeps par Grayson (1975, 24-37).
-
[34]
Cette affirmation de Bérose est corroborée par la « Prophétie Dynastique ». Sur l’exil de Nabonide, voir Beaulieu (1989, 231).
Bibliographie
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