Liminaire

Dire et/ou maudire Dieu par la musique[Record]

  • Éric Bellavance and
  • Vivek Venkatesh

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  • Éric Bellavance
    Exégèse vétérotestamentaire, Université de Montréal et Université Concordia (Montréal, Canada)

  • Vivek Venkatesh
    Éducation artistique, Chaire UNESCO-PREV, Université Concordia (Montréal, Canada)

Comme le soulignait le musicien et théologien Pierre Charru (2012, 311), « les rapports entre la musique et la théologie restent un domaine de recherche encore peu exploré ». Pourtant, comme la théologie, la musique et les chants qui l’accompagnent ont souvent été utilisés pour dire Dieu. La musique fait en effet partie intégrante des différentes religions du monde depuis des millénaires. Que ce soit par des hymnes, des cantiques, etc., l’humain s’est servi de la musique pour tenter d’exprimer, de définir ce rapport entre lui et le divin. On peut donc dire que depuis les débuts de l’Histoire, on fait de la théologie avec la musique. La musique peut certes avoir une « résonance théologique », pour reprendre l’expression de François Vouga (1983) et être utilisée pour propager la grandeur, la toute-puissance et la splendeur de Dieu. Comme l’ont fait les grands compositeurs baroques et classiques, tels que Bach, Verdi, Mozart, Beethoven, et comme le font encore de nos jours les artistes de musique gospel ou de rock chrétien. Mais la musique est ambivalente. Elle peut aussi être utilisée pour critiquer Dieu. Pour maudire Dieu. Cela est particulièrement vrai depuis la deuxième moitié du xxe siècle, alors que la musique a été utilisée pour proposer un discours différent sur Dieu. Une nouvelle théologie. Toujours dire Dieu, mais autrement. Pour le contester, le dénoncer, voire le renier. Pour exprimer le rapport entre l’humain et Dieu qui a changé, qui s’est transformé. Silence, impuissance, insouciance… Voilà ce qu’on reproche souvent à Dieu dans la musique contemporaine. Cette contestation, cette remise en question de Dieu, n’est toutefois pas nouvelle. Dans certains psaumes de la Bible hébraïque, la musique et le chant sont utilisés pour reprocher à Dieu son inaction, son insensibilité, sa condescendance ou encore sa colère injustifiée. Mais les auteurs bibliques ne rejettent pas Dieu, contrairement à certains musiciens contemporains et leurs « fidèles ». Dans ce numéro de la revue Théologiques, nous proposons une série d’articles qui font état de cette ambivalence de la musique. Parfois utilisée pour dire Dieu, mais aussi pour maudire Dieu, la musique oscille entre promotion et dénonciation de Dieu et de la religion en général. Les onze articles que nous présentons ici, sur des sujets aussi variés que la musique classique, les hymnes nationaux, la musique de films d’horreur, en passant par le rock chrétien, la musique métal extrême ou encore la propagande guerrière, d’hier à aujourd’hui, démontrent que la musique forme et transforme le rapport entre l’humain et Dieu. Ainsi, les actes du continuum de profession de foi et de dépossession des divers dieux trouvent leur sens dans la musique, que ce soit dans sa forme lyrique, par la cadence des chants élogieux ou des grondements démoniaques évoquant l’opposition, ou encore dans l’enchantement pur et sacré de la musique religieuse et de son antithèse, la cacophonie des scènes culturelles marginales qui en appellent à l’enfer plutôt qu’aux cieux. Comme certains louangent le Créateur et la générosité de ses nombreux sacrifices, d’autres maudissent la nonchalance dont on accuse souvent les religions organisées. Ce numéro spécial rassemble des chercheurs et des penseurs spécialisés dans des disciplines aussi variées que la sociologie, les sciences humaines, la culture de consommation, l’étude des sons, les arts visuels et, bien sûr, la théologie, dans le but d’aider à faire tomber certaines cloisons paradigmatiques renvoyant à des louanges vides, et ainsi favoriser un dialogue pluraliste sur certains thèmes évoluant au fil du temps, des endroits et, de toute évidence, d’un genre musical à l’autre. Cette volonté de dire ou de maudire Dieu est habituellement influencée par le contexte …

Appendices