Liminaire

(In)justice socialeHéritage et échos des prophètes bibliques[Record]

  • Éric Bellavance

…more information

  • Éric Bellavance
    Exégèse vétérotestamentaire, Université de Montréal (Canada)

Dès le 3e millénaire, certains dirigeants mésopotamiens comme Gudéa de Lagash (2141-2122 A.É.C. environ) et Hammurabi de Babylone (1792-1750 A.È.C. environ), pour n’en nommer que deux des plus connus, se sont donnés pour mission de faire respecter la justice en général et d’appliquer la justice sociale en particulier. En tant que gardien du droit et de la justice, le roi avait le devoir de protéger ses sujets les plus vulnérables — la veuve, l’orphelin, l’étranger, l’affligé, le pauvre, le faible, etc. — souvent ignorés, exploités et plus susceptibles d’être victimes des riches et des gens en position de pouvoir, le roi avait comme devoir de les protéger. Il s’agissait là d’une volonté des dieux. Ces principes étaient si communs qu’on les retrouve encore, plusieurs siècles plus tard, dans la Bible hébraïque. En Ex 22,21 par exemple : « Vous n’opprimerez pas veuve et orphelin. » Au Psaume 68, Dieu est qualifié de « père des orphelins et défenseur des veuves » (Ps 68,6). Comme les dieux mésopotamiens, le Dieu d’Israël est la source et le gardien de la justice et confie au roi le soin de maintenir, d’entretenir, de préserver la justice sociale. Le Psaume 72, attribué au roi Salomon, décrit clairement le rôle du roi : « Ô Dieu, donne au roi tes jugements, donne ta justice au fils du roi ! Qu’il juge ton peuple avec justice, et tes pauvres avec jugement. […] Il défendra les pauvres du peuple, il délivrera les enfants de celui qui est dans le besoin et il écrasera l’oppresseur. » (Ps 72,1-4) C’est ainsi que le roi d’Israël aurait dû se comporter. Mais il s’agit évidemment d’un portrait idéalisé : c’est ce que le roi aurait dû faire dans le meilleur des cas. Or, il semble que l’application de ces principes en Israël, comme au Proche-Orient en général, ait été plutôt limitée, voire complètement ignorée. C’est ce que dénoncent, entre autres choses, certains prophètes bibliques comme Michée, Isaïe Jérémie, Habacuc, Sophonie, Zacharie, Malachie et, évidemment, Amos que l’on qualifie souvent de « prophète de la justice sociale » (da Silva 1997, 37). On ne s’étonnera donc pas que deux articles sur les six de ce dossier, ceux de Nicodème Kolani et de Éric Bellavance, portent sur le message de ce prophète. Amos a en effet été le premier prophète biblique à dénoncer les comportements injustes des Israélites, mais aussi ceux de leurs voisins envers les citoyens les plus vulnérables. Kolani et Bellavance proposent toutefois une lecture différente des textes du prophète Amos, le premier insistant davantage sur la portée théologique du message, le second sur le contexte impérial qui a influencé le discours du prophète du viiie siècle. Plusieurs théories ont été avancées pour expliquer les raisons qui ont poussé Amos à condamner les gestes posés par les nations voisines des royaumes de Juda et d’Israël. Kolani, dont l’article est placé en ouverture, insiste sur la dimension « cosmique » à laquelle Amos fait référence. En tant que « créateur et maître de l’univers », le Dieu d’Israël est le gardien du droit et de la justice, valeurs essentielles au maintien de l’équilibre non seulement de la société, mais de l’univers en général. Reprenant l’idée de Bovati et Meynet (1994, 173), Kolani insiste pour dire que les injustices sont des actes de « dé-création », en ce sens qu’elles font retourner la société au chaos. Et mène à la ruine, parce que contraire à la volonté de Dieu. Selon Kolani, pour Amos, les inégalités et les injustices causent la ruine sociale. Les injustices sont des actes de dé-création, des actes déraisonnables …

Appendices