Volume 23, Number 1, 2015 Derniers repas Guest-edited by Olivier Bauer
Table of contents (11 articles)
Liminaire
Thème
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La Cène : l’avant-dernière, la dernière, la première
Olivier Bauer
pp. 15–37
AbstractFR:
Il est d’usage de qualifier le repas que Jésus prend avec ses disciples la veille de son arrestation de « dernier repas ». Or, il n’en est rien. Une lecture attentive des évangiles de Luc et de Jean montre que Jésus mange encore après sa mort : au moins du poisson, peut-être du pain et du miel. Un tel constat pourrait relever de l’anecdote et le travail qui y conduit d’un pur souci d’érudition. Sauf qu’ils ont des conséquences pratiques et des impacts contemporains. Car l’insistance sur une « dernière cène » où Jésus partage le pain et le vin a conduit l’Église chrétienne à survaloriser l’eucharistie comme seul repas liturgique, alors que le christianisme primitif semble avoir fait de tous les repas l’occasion de rencontrer le Ressuscité.
EN:
It is common to call «the Last Supper» the meal Jesus had with his disciples just before his arrest. But careful readings of the gospels of Luke and John show that Jesus keeps eating after his death: some fish, at least — maybe even bread and honey. This could be considered as an anecdote and a research on the subject considered as a purely intellectual concern. Except that this has practical consequences — and still does. As a matter of fact, insisting on that «Last Supper», when Jesus shares wine and bread, has brought the Church to overvalue the Eucharist as the only liturgical meal, even after primitive Christianity appears to have found in every meal an occasion to meet the Resurrected.
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Le Cenacolo de Leonardo da Vinci : un « trompe-la-bouche »
Olivier Bauer and Nancy Labonté
pp. 39–65
AbstractFR:
Pourquoi Léonard de Vinci a-t-il, notamment, placé des anguilles, des harengs et des oranges sur la table de sa représentation de la Dernière Cène ? Pourquoi y fait-il figurer une salière renversée devant Judas ? Sachant qu’il ne sera plus possible de connaître les intentions de l’artiste, les auteurs mettent à l’épreuve quatre hypothèses qui peuvent nous aider à comprendre la valeur de chacun des aliments figurant sur la peinture. Tour à tour, ils évaluent si les aliments correspondent à ceux mentionnés dans les récits du Nouveau Testament, à ceux que Léonard aimait manger ; si leur goût ou leur nom leur donne une valeur symbolique particulière. Leur parcours rigoureux à travers l’exégèse biblique, les biographies de Léonard de Vinci, l’histoire médiévale de l’alimentation et la sémiotique de l’image, leur permet de conclure que le maître du sfumato a probablement « enfumé » celles et ceux qui ont contemplé son Cenacolo, en leur proposant une oeuvre en « trompe-la-bouche ».
EN:
Why did Leonardo da Vinci place, for instance, eels, herrings, and oranges on the table of his representation of the Last Supper? Why did he paint a turned over salt shaker in front of Judas? Acknowledging that it will never be possible to fully understand the artist’s intentions, this paper puts to the test four hypotheses that can help assess the importance of the foods depicted in the painting. Are the foods identical to the ones mentioned in the New Testament or are they foods da Vinci liked eating? Did their names or their tastes give them a symbolic meaning? After a careful research through biblical exegesis, biographies of da Vinci, medieval history of food, and semiotics of images, the article concludes that the master of sfumato probably created some sort of a “smoke screen” for all who have been contemplating his Cenacolo.
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Morbide gastronomie : le dernier repas des condamnés à mort dans le système carcéral américain contemporain
Muriel Schmid
pp. 67–80
AbstractFR:
Cet essai propose une réflexion théologique et anthropologique autour de la pratique du dernier repas des condamnés à mort dans le système carcéral américain. L’argument principal de l’auteure démontre que la pratique du dernier repas participe indirectement à la justification morale de la peine de mort. La tension entre le discours qui transforme le condamné en monstre et le geste charitable de l’institution carcérale renforce l’idée d’un système juste et nécessaire. Dans sa conclusion, l’auteure suggère que seule la représentation artistique du dernier repas des condamnés (et c’est peut-être là que se trouve un rapprochement possible avec les évangiles) offre un espace de rédemption. Paradoxalement, les représentations artistiques contemporaines du dernier repas des condamnés se concentrent sur le repas lui-même, évitant avec soin le portrait du condamné. Ce faisant, elles se réapproprient le repas comme un geste quotidien et simple et renvoient ainsi à l’aspect humain et social du condamné.
EN:
This essay offers some theological and anthropological reflections around the ritual of the last meal given to criminals about to be executed. The main argument demonstrates that this practice in the American prison system indirectly justifies the death penalty. The opposition between a public discourse that transforms the criminal into a monster and what appears to be the human ritual of the last meal reinforces the idea that the penal system is fair and death penalty necessary. In her conclusion, the author suggests that only the artistic representations of the last meal (and this opens a parallel with the gospel narratives) offers an opportunity for a redemptive vision of it. Paradoxically, these representations focus on the meal itself and fully avoid the portrayal of the condemned. In so doing, they reinstitute the meal as a simple daily act and thus recapture the human and social side of the condemned.
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Le sens du quotidien en Occident. Du « dernier repas » omnivore aux « premiers repas » végétaux : anthropologie d’une spiritualité alimentaire face aux syncrétismes socio-culturels contemporains
Fanny Parise
pp. 81–106
AbstractFR:
Le contexte incertain produit une multitude de quêtes de sens pour le consommateur occidental : il se « bricole » une réalité qui rend plus acceptable les « dissonnances cognitives » avec lesquelles il doit composer quotidiennement et qui affecte son régime alimentaire. Les réseaux numériques hébergent une pluralité de nouveaux mangeurs : les praniques, les sans glutens, les végétariens, les crudivores, etc. Ces nouveaux mangeurs souhaitent s’émanciper du système marchand traditionnel, tout en se positionnant non pas en opposition mais en stratège constructiviste du modèle économique actuel. Ces « créatifs culturels » construisent une consommation signifiante où leur interlocution angoissée avec le monde devient ultra-visible. Ils intègrent certains mythes anciens comme l’allégorie chrétienne du « dernier repas » du Christ au sein de leur quotidien afin de bâtir un nouveau cadre normatif ; objectivant un syncrétisme socio-culturel singulier, tout comme l’établissement d’une nouvelle temporalité du rituel.
EN:
The uncertain context produces a multitude of quest for meaning for the Western consumer : he “tinkers” a reality that makes more acceptable the “cognitive dissonances” with which he must compose on a daily basis and which impacts his diet. Digital networks host a number of new eaters : pranics, gluten-free, vegetarians, crudivores… They want to emancipate themselves from the traditional trading system, while positioning themselves not in opposition but as a constructivist strategist of the current economic model. These “cultural creatives” construct a meaningful consumption in which their anguished interlocution with the world becomes ultra-visible. They integrate certain ancient myths such as the Christian allegory of Christ’s “last meal” in their daily lives in order to build a new normative framework ; Objectifying a singular socio-cultural syncretism, as well as the establishment of a new temporality of the ritual.
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Choisir l’absence de repas : le jeûne : implications théologiques d’une pratique dans le judaïsme, le christianisme et l’islam
Florence Ollivry-Dumairieh
pp. 107–137
AbstractFR:
Tandis que le repas occupe une place importante dans la vie religieuse juive, chrétienne ou musulmane, il appert que la pratique du jeûne y occupe elle aussi une place centrale. Qu’implique cette prescription au plan théologique ? Comprend-elle une exhortation à renoncer à nourrir l’organisme, à mépriser ce monde ? Ou bien a-t-elle au contraire pour fonction de nous préparer à célébrer les fruits de la Création au cours d’un repas ? De nous permettre de mieux apprécier la saveur d’un « dé-jeûner » ? J’explore dans cet article les implications théologiques du jeûne dans le judaïsme, le christianisme et l’islam. J’étudie les écrits de certaines figures spirituelles (mystiques, moines, ascètes) relatifs à cette pratique et je m’efforce de comprendre quelle relation au corps, à la Création, à la vie et à la mort induit le jeûne dans les trois religions étudiées.
EN:
Whereas the meal occupies an important place in Jewish, Christian or Muslim religious life, it appears that fasting also occupies a central place in these traditions. What does this religious obligation imply theologically ? Is fasting an exhortation to forego feeding the body, to scorn this world ? Or, on the contrary, is fasting a practice preparing us to celebrate the fruits of Creation during a meal ? To better appreciate the taste of a « break-fast » ? In this article, I will explore the theological implications of fasting in Judaism, Christianity and Islam. I will study the writings of some spiritual figures (mystics, monks, ascetics) related to this practice and try to understand what relationship fasting induces with the body, Creation, life and death in each of these three religions.
Hors thème
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Humanimalités : continuités et discontinuités dans l’oeuvre de Nishida
Jacynthe Tremblay
pp. 139–165
AbstractFR:
Les recherches scientifiques de l’époque de Nishida Kitarō (1870-1945) ont clairement établi que l’émergence de l’être humain, comparée à l’animal, n’est pas une différence de nature mais de degré, et que toutes les fonctions cognitives ont une assise biologique déterminée. S’appuyant sur ces recherches innovatrices, Nishida s’efforça de mettre à jour les continuités et les discontinuités dans la transition de l’animal à l’être humain. En particulier, il mit l’accent sur l’aspect conscient de l’animal, ainsi que sur l’aspect corporel de l’humain. À cet égard, il fut un pionnier dans le développement d’une question très importante, à savoir celle de l’animalité de l’être humain. Ce faisant, il montra que le centre de gravité de l’existence humaine n’est pas la raison mais le corps. Ainsi considérées, les réflexions de Nishida concernant l’animal peuvent aider à effacer les différences radicales établies dans l’histoire de la philosophie et de la religion entre la partie spirituelle de l’être humain et sa partie animale, et par extension, l’ensemble du règne animal. Elles conduisent à aborder de manière positive ce que l’humain partage avec le monde animal, à savoir son propre corps et sa propre animalité.
EN:
Scientific research contemporary with Nishida Kitarō (1870-1945) has clearly established that the emergence of the human being, compared to the animal, is not a difference in kind but one of degree, and that all cognitive functions have a specific biological foundation. From these innovative researches, Nishida tried to set the continuities and the discontinuities in the transition from the animal to the human being. In particular, he focused on the conscious aspect of the animal, as well as on the bodily aspect of the human being. In this regard, he was a pioneer in the development of an important issue, namely the animality of the human being. In doing so, he showed that the center of gravity of the human existence is not the reason but the body. Thus considered, Nishida’s reflections on the animal can help erase the radical differences that the history of philosophy and religion established between the spiritual part of the human being and his/her animal part, and by extension, the entire animal kingdom. They lead to consider more positively what the human shares with the animal world, namely his/her own body and his/her own animality.
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Le monachisme chrétien orthodoxe vu au prisme des relations Église-État : survol à l’occasion d’un colloque dédié à l’ancien Porphyre
Athanase Giocas
pp. 167–180
AbstractFR:
Pour mettre en oeuvre un modèle ecclésiologique qui corresponde à l’enseignement de l’ancien Porphyre, la relation intime entre histoire et théologie doit être plus profondément appréciée. Dans cet esprit, l’article expose les grandes lignes d’une réflexion plus large sur le parcours historique du monachisme orthodoxe, se référant à la conception traditionnelle du développement du monachisme au ive siècle, ainsi qu’à certaines expressions plus contemporaines du monachisme. Dans tous les cas, le monachisme agit comme une sorte de contrepoids à la présence continue de forces sécularisantes qui agissent sur la réalité ecclésiale de l’Église et sa mission.
EN:
In seeking to implement an ecclesiological model in keeping with the wisdom of Elder Porphyrios, the intimate relationship between history and theology must be more deeply appreciated. In this vein, the article outlines the possibility of a broader reflection on the historical journey of Orthodox monasticism on the basis of the traditional understanding of the development of monasticism in the 4th century, as well as with respect to specific contemporary expressions of monasticism. In all instances, monasticism can be seen as compensating for the ongoing presence of significant secularizing challenges to the ecclesial reality of the Church and its mission.
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La fonction politique d’Actes 15,23-29
Robert Hurley
pp. 181–207
AbstractFR:
Utilisé comme test décisif pour la fiabilité historique de Luc, le décret apostolique d’Ac 15,23-29 impose quatre interdictions aux chrétiens non juifs. Bien que normalement considéré comme la raison d’être de la Conférence apostolique, la dispute à Antioche sur la commensalité entre Juifs et Gentils (Ga 2) s’avère postérieure au décret et révèle un conflit interprétatif concernant les implications du Décret (Böttrich). Dans un monde où rituel, politique et éthique sont inextricablement liés, le refus de participer aux rituels païens signifie aussi un éloignement des valeurs et structures oppressives de la méritocratie romaine. Ac 15 décrit la manière dont les chrétiens doivent résoudre des litiges (ethniques), une démarche qui contraste symboliquement avec la militaro-politique de Rome. Si Luc peut éluder certains détails historiques, il établit clairement une opposition entre la politique impériale et les valeurs égalitaire et pacifiste de la jeune ἐκκλησία chrétienne. Sur cette question centrale, lui et Paul parlent d’une seule voix.
EN:
Used as a litmus test for Luke’s historical reliability, the Apostolic Decree of Ac 15,23-29 contains four prohibitions directed at Gentile Christians. Although normally considered to be the raison d’être of the apostolic conference, the dispute about table fellowship between Jews and Gentiles at Antioch (Ga 2) postdates the decree and in fact describes a dispute about the decree’s meaning (Böttrich). In a world where ritual, politics and ethics are inextricably linked, prohibiting Christians from participating in pagan temple activities will avoid any appearance of support for the values and oppressive structures of the Roman meritocracy. Acts 15 offers an example of how Christians should resolve (ethnic) disputes which contrasts symbolically with the militaristic politics of Rome. While Luke may be fudging historical details, the distance he establishes between imperial politics and Christian egalitarian and pacifist values is clear. On this central issue, he and Paul speak with one voice.
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Une rhétorique de réconciliation : empreinte stylistique de Vatican II dans l’Ordo Paenitentiae
Ai Nguyen Chi
pp. 209–232
AbstractFR:
Suite à la demande de la réforme faite par Vatican II, un nouveau Rituel intitulé « Ordo Paenitentiae » fut publié en 1974. Bien qu’il ait réouvert une fenêtre sur une pratique de l’Église antique, longue de huit siècles, en mettant en oeuvre la célébration communautaire du sacrement de réconciliation avec confession et absolution collectives, ce Rituel romain se tenait encore entre deux théologies, à savoir la théologie de la réconciliation et celle de la pénitence. Plusieurs pays n’ont fait que le traduire, mais les pays francophones ont voulu adapter ce texte en ajoutant certains éléments propres. Dans notre article, en suivant le cadre théorique que propose J.W. O’Malley, nous examinons les notes doctrinales et pastorales de ce Rituel en sa version française, que nous comparons avec la version latine pour repérer les changements au niveau de la forme littéraire, par rapport, par exemple, au concile de Trente. Nous considérons que le Rituel francophone, en se situant dans le mouvement innové par Vatican II, a privilégié la théologie de la réconciliation qui insiste sur la démarche communautaire de ceux qui désirent recevoir le sacrement du pardon.
EN:
Given the call for reform made by the Second Vatican Council, a new Ordo Paenitentiae, the Ritual for the Sacrament of Reconciliation and of Penance, was published in 1974. It opened to view the practice of the celebration of the sacrament involving collective confession and collective absolution. The new Ritual was torn, however, between two differing theological viewpoints, the newer theology of reconciliation on the one hand, and the older theology of penance on the other. Several countries accepted the New Ritual tout court, merely translating its Latin into their own vernacular, but the French-speaking countries altered it somewhat with certain specific additions. In this paper, following the theoretical framework proposed by J.W. O’Malley, we examine the doctrinal and pastoral notes of the French version by comparing it with the Latin version, in order to discover the changes which, at the level of literary form, it introduced. We argue that the French Ritual, situated more firmly in the movement initiated by Vatican II, and emphasizing the communal dimension of the Sacrament of forgiveness, favored the theology of reconciliation over the theology of penance.