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La conversion. Retour à l’identité[Record]

  • Géraldine Mossière

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  • Géraldine Mossière
    Anthropologie de la religion, Université de Montréal (Canada)

Par ses diverses racines étymologiques qui réfèrent au mouvement (du latin convertere ad se, se tourner vers), le concept de conversion semble particulièrement approprié pour penser les mobilités religieuses contemporaines. La littérature scientifique actuelle s’en est ainsi emparée pour donner à voir les subjectivités postmodernes axées sur la réalisation du soi (Mossière 2012), l’expérience religieuse et sa mise en récit (Harding 1987), les modes d’individualisation religieuse (Austin-Broos 2003), les nouvelles formes d’articulations entre religions et mémoires (Hervieu-Léger 1993), ou encore les réseaux religieux comme forme de socialité (Allievi 1999). Bien plus, pour la sociologue Danièle Hervieu-Léger (1999), le converti constitue une des figures archétypiques des religiosités modernes. Nul besoin de rappeler l’actualité d’un sujet qui, en temps et en espace, a pourtant été abordé selon des angles fort divers ; de quoi nourrir la réflexion sur les gestes, motifs et parcours de conversions contemporains. En ouverture de ce dossier, il convient donc de présenter quelques repères de cette évolution — un arrière-plan sur lequel pourra se découper l’originalité des contributions ainsi que leur pertinence. Si la notion de conversion épouse aujourd’hui les formes de l’individuation, elle jouit d’une grande profondeur historique et a d’abord été mobilisée pour rendre compte des changements de religion massifs ou collectifs, menés dans le cadre de contacts interculturels plus ou moins pacifiques ou belliqueux. Ce sont les processus d’islamisation et de christianisation qui ont d’abord monopolisé le champ des études sur la conversion qui doit ses premiers écrits aux missionnaires chrétiens, précurseurs de l’anthropologie, lesquels n’ignoraient pas leur position résolument située. De là, l’appropriation du concept en des domaines disciplinaires variés, dont les perspectives reflètent les définitions et approches du religieux de leur époque. Au cours des années 1960, le paradigme de la sécularisation couplé à l’apparition des Nouveaux Mouvements Religieux marquent les théories psychologiques de la conversion, insufflant l’hypothèse d’une « fausse conscience » des convertis, dont l’imaginaire commun ne s’affranchira plus. Depuis, le converti porte le stigmate de la présomption de faiblesse psychologique. Il a beau invoquer son libre-arbitre et souligner combien son choix de se libérer de la religion héritée et transmise par son groupe témoigne de son autonomie, qu’à cela ne tienne, le converti apparaît avant tout comme la victime d’une oppressante dialectique entre l’Autre et le Même. À lui le fardeau de la preuve d’attester de l’authenticité de sa démarche. Ainsi, ces femmes récemment converties à l’islam, dont le geste désempare leurs contemporains au point que ces derniers ne parviennent à lui donner sens qu’en l’associant à une maladie d’amour suscitée par un séduisant charmeur arabe — contribuant par la même occasion à perpétuer certains tropes orientalistes. À partir des années 1980, les scientifiques, quant à eux, ont tenté de comprendre l’énigme de la conversion à l’aide de diverses innovations théoriques. Dans la foulée de la modélisation causale de Lofland et Stark (1965) qui visait à identifier des motifs de conversion, sociologues et anthropologues ont tenté de formaliser le changement de religion en reconnaissant à l’acteur religieux une agentivité plus ou moins forte. Retenons à cet égard les travaux de Greil et Rudy (1983) qui proposent de considérer la conversion comme un mode de socialisation comparable à tout autre (éducation, etc.), et ceux de Rambo (1993, 1999) qui décompose la trajectoire de conversion en une série de sept étapes. Force est de constater que la pléthore de travaux sur la notion de conversion ne semble avoir abouti à aucun consensus quant à son essence même, tant et si bien que la définition minimaliste proposée par Heirich (1977) évoquant « a change of the heart » est longtemps restée la …

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