Volume 21, Number 2, 2013 La conversion Guest-edited by Géraldine Mossière
Table of contents (12 articles)
Liminaire
Thème
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La conversion : le tournant monastique du ive siècle
Fabrizio Vecoli
pp. 17–41
AbstractFR:
La conversion est au départ un phénomène judéo-chrétien, donc culturellement très connoté. Et c’est précisément dans cette perspective limitée que se situe notre intervention. L’intérêt est celui de mieux comprendre — d’un point de vue historique — une phase clé de l’évolution de la notion de conversion dans l’histoire du christianisme ancien. Il s’agit ici de remonter aux éléments premiers qui ont forgé le sens du mot tel que nous l’utilisons aujourd’hui en Occident. On ne se propose pas de forger la définition ultime, correspondante à la chose même à sa naissance, mais plutôt de saisir la dimension évolutive — donc dynamique — de la conversion, à travers l’étude d’une période charnière de son développement : c’est ce que l’on nomme ici le tournant monastique (iv-ve siècles). Nous voulons montrer comment le phénomène de la conversion s’est transformé de façon significative à partir du ive siècle de notre ère.
EN:
At its beginning, conversion was a Judaeo-Christian phenomenon, that is to say a culturally connoted one. And this article was written with precisely this perspective in mind, the aim being to develop a better historical understanding of a key phase in the evolution of the notion of conversion in the history of late Ancient Christianity. We intend to trace back the very first components that made up the current meaning of the word “conversion”. We do not pretend to provide the ultimate definition of this notion, nor the version most closely resembling its definition at the time of its emergence. Our intent is rather to recognize the dynamic aspect of conversion by studying a central period of its development. We have named this stage the “monastic turn” (iv-vth c.). In short, our purpose is to prove how — in the ivth century C.E. — conversion underwent a significant transformation by the agency of Christian monasticism.
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Paul de Tarse, figure de conversion ? Une interprétation théologale, à partir d’une perspective théologique
Alain Gignac
pp. 43–78
AbstractFR:
Cet article souhaite problématiser le recours à Paul comme figure de conversion, avant d’analyser quelques textes du Nouveau Testament qui essaient de rendre compte de l’expérience paulinienne « de Damas » (spécialement 1Co 15,8-10 ; Ph 3,2-14 ; Ga 1,11-24 ; 2,19-20 ; Ac 9). L’article montre l’existence d’un clivage entre deux approches de la conversion, qui gagnent à être considérées comme complémentaires : 1) objectivation d’un processus « cause/effet », sous le mode du comment ; et 2) interprétation subjectivante (mais non pas subjectiviste) d’une expérience inattendue, sous le mode du pourquoi. Ce clivage traverse les sciences humaines, les études exégétiques sur Paul, et peut-être même le Nouveau Testament (Actes des Apôtres vs lettres proprement pauliniennes). Au plan théologique, l’énonciation paulinienne des lettres à propos « de Damas » peut être appréhendée comme l’effort de comprendre après coup le saisissement d’une rencontre messianique qui a tout changé, selon une double hypothèse. D’une part, l’expérience implique une totale identification de Paul au Christ (Ga 2,19-20 comme clé de lecture de Ph 3,2-14 et Ga 1,11-24) ; d’autre part, elle peut être interprétée comme un « effet de Sujet », dans la ligne de la réflexion philosophique d’Alain Badiou.
EN:
It is necessary, though paradoxical and difficult, to reexamine the position of Paul of Tarsus as a figure of conversion. In the social sciences, the humanities, and theology, Paul has become, for better or for worse, a fascinating paradigm. But here as in any case of conversion study, there is a risk of reductionism, with its ensuing fragmentation and atomization of the explanations about the “Damascus Road” experience. Hence, the twofold aim of this paper is to problematize this use of Paul as a conversion paradigm, and to analyze some New Testament texts that try to describe the Pauline experience (especially 1Co 15:8-10, Phil 3:2-14, Gal 1:11-24, 2:19-20, Acts 9). These two steps of the presentation show that two distinct approaches to conversion coexist, which are not necessarily mutually exclusive and may even be seen as complementary: 1/ the objectification of a “cause/effect” process, questioning the “how”; 2/ the “subjectivizing” interpretation (not purely subjectivist) of an unexpected experience, questioning the “why.” This cleavage between the two approaches spans the humanities and the social sciences, Pauline studies (largely adhering to the “cause/effect” perspective), and even the New Testament itself, with its two distinct approaches in Acts and the Pauline corpus proper. Moreover, on a theological level, the Pauline discourse about “Damascus,” laconic and elliptic as it may be, can be understood as an effort to apprehend, after the fact, the shock of a messianic encounter that changed everything. This understanding can be developed with two hypotheses: on the one hand, the experience implies a total identification between Paul and Christ (Gal 2:19-20 as interpretative key to Phil 3:2-14 and Gal 1:11-14); on the other hand, it can be interpreted as a “subject-effect,” in the line of the French philosopher Alain Badiou.
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Une lecture durkheimienne de la conversion et du baptême dans les colonies huttériennes
Raphaël Mathieu Legault Laberge
pp. 79–99
AbstractFR:
Cet article utilise les groupes anabaptistes, et plus précisément les huttériens, en tant que laboratoire social pour l’analyse de trajectoires de conversion. Ainsi, d’une part, certains individus se sont convertis aux religions anabaptistes. L’exemple le plus frappant de ces conversions est représenté par l’implantation d’une colonie huttérienne au Japon. D’autre part, certains individus nés dans une colonie huttérienne ont quitté leur groupe d’origine pour se convertir à un autre groupe religieux, groupe qui adopte une religion qui rejoint davantage leurs aspirations, voire leur spiritualité. Pour les anabaptistes, le baptême se trouve au coeur de ces processus de conversion. Pour les individus qui joignent ou qui quittent les groupes anabaptistes, qu’est-ce qui détermine l’acceptation ou le refus de la conversion et du baptême ? Notre hypothèse est que la conversion procède par affinité religieuse. L’opérationnalisation de certains concepts durkheimiens, tirés de l’ouvrage Les formes élémentaires de la vie religieuse (Durkheim 2007), nous permettra d’étayer cette hypothèse.
EN:
Anabaptists groups, and Hutterites in particular, are used here as social spaces to analyze ways of conversion. On one hand, some individuals had been converted to Anabaptism. The most striking example of those kinds of conversion is the creation of a hutterite colony in Japan. On the other hand, some individuals who were born Hutterite have made the decision to leave their community to join a new religious group, a group that better suits their aspirations and their spirituality. In Anabaptism, baptism is central to all those dynamics of conversion. For these individuals who decide to join or to leave Anabaptist communities, which factors determine the acceptation or the rejection of the conversion and baptism ? Our hypothesis is that the conversion works primarily by religious affinity. The operationalization of a few durkheimian concepts taken from the book Les formes élémentaires de la vie religieuse (Durkheim 2007) will lead us to explore this hypothesis.
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« Faire communauté ». Comment les Églises fabriquent leurs convertis ?
Loïc Le Pape
pp. 101–120
AbstractFR:
Cet article vise à explorer et à questionner le fonctionnent d’une institution religieuse dans sa capacité à faire communauté, c’est-à-dire à former et à façonner des croyants. Ce travail s’appuie sur des recherches menées lors de mon doctorat, qui présentait une analyse comparative des modalités de la conversion dans les trois religions monothéistes dans la France contemporaine : judaïsme, catholicisme et islam. L’intérêt d’une telle comparaison permet de qualifier le travail des « institutions religieuses » (au sens large) face aux « nouveaux convertis ». En référence aux travaux de J. Lagroye, nous verrons quelle est la réalité de ce travail, en supposant qu’une institution doit « faire communauté ». Pour cela, elle doit imposer une vision générale de l’adhésion et de l’appartenance, en mettant à distance les émotions des convertis et en imposant du banal. Nous pourrons alors conclure sur la tension intrinsèque des institutions religieuses, face à la question de la conversion et l’impératif de « faire communauté » : utiliser les émotions pour mieux les faire oublier.
EN:
This paper studies how a religious institution is able to create a feeling of community, that is to say making and shaping believers. This study is based on my doctoral research, namely a comparative analysis of conversion mechanisms in the three monotheistic religions in contemporary France: Judaism, Catholicism, and Islam. Such a comparison has the advantage to show how “religious institutions” (largely speaking) deal with their new converts. In reference to J. Lagroye’s research, this paper shows what is really at work —taking into account that an institution must create a feeling of community. As a consequence, it must enforce a common vision of membership and belonging by pushing away the converts’ emotions and focusing on triviality. Some conclusions are drawn concerning the paradox that characterizes religious institutions when it comes to conversion and belonging: using emotions so they can be forgotten more easily.
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Prêcheurs(ses) musulman(e)s et stratégies de communication au Burkina Faso depuis 1990 : des processus différentiés de conversion interne
Muriel Gomez-Perez and Frédérick Madore
pp. 121–157
AbstractFR:
Depuis le tournant des années 1990, la visibilité accrue de l’islam dans l’espace public au Burkina Faso s’est manifestée entre autres par l’émergence de prêcheurs et prêcheuses de plus en plus médiatisés. La participation active tant des hommes que des femmes invite l’ensemble des membres de la communauté musulmane du pays à faire évoluer les discours religieux pour atteindre des fidèles aux profils diversifiés et tenter de répondre à la concurrence des chrétiens. Il s’agira ici de proposer un regard croisé entre prêcheurs et prêcheuses du Burkina Faso afin de relever les permanences et les ruptures dans leurs stratégies de conversion — à savoir le raffermissement de la foi des croyants et les tentatives de rejoindre de nouveaux profils de fidèles — et leur utilisation des médias. La médiatisation croissante de l’islam a favorisé l’émergence de trois figures de converti à travers lesquelles l’expérience religieuse oscille entre individualisation et individuation. Selon qu’il s’agisse d’un homme ou d’une femme, d’un arabisant ou d’un francisant, d’un jeune ou d’un aîné, différentes logiques se dégagent que ce soit la recherche d’une plus grande légitimité, visibilité ou autonomie dans une perspective individuelle et communautaire.
EN:
Since the early 1990s, Islam has been increasingly visible in Burkina Faso’s public space. At the same time, several preachers, including women, have become more mediatized. The active participation of both men and women invite all Burkinabe Muslims to adapt their religious discourse in order to attract converts from different social classes and to respond to the fierce competition from Christian movements. This paper seeks to provide a new perspective on the ruptures and continuities in male and female preachers’ conversion strategies in Burkina Faso, namely to strengthen the faith of believers and to attempt to reach new groups of converts. It also explores how the use of modern communication methods has affected the religious message. The higher mediatization of Islam has favored the emergence of three figures of convert through which religious experience oscillates between individualization and individuation. Depending on whether it is a man or a woman, an Arabisant or a French speaker, youth or elders, different approaches have emerged such as the search for more legitimacy, visibility and autonomy in an individual and collective perspective.
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Ce que devenir juif veut dire
Sébastien Tank-Storper
pp. 159–178
AbstractFR:
En affirmant que devenir juif, c’est devenir un juif pratiquant et non un juif « ethnique » ou « national », et en tentant de s’arroger le monopole sur les conversions au judaïsme, notamment en Israël, les institutions religieuses de sensibilité orthodoxe défendent l’idée qu’elles se font de ce qu’être juif veut dire : un collectif soumis à la loi. Elles entendent ainsi lutter contre ce qu’elles considèrent être une réification de l’identité juive dans une entité nationale israélienne ou contre sa réduction à un groupe ethnique ou à une identité dont l’héritage ne constituerait plus un principe structurant mais se réduirait à quelques traits discriminants.
EN:
By claiming that becoming Jewish is becoming a religious Jew rather than an ethnic or national Jew, and by trying to impose this idea by the way of keeping the monopoly on conversions to Judaism in Israel and the diaspora, orthodox religious institutions stand up for their idea of collective Jewishness —meaning a collective submitted to the Jewish law. Their purpose is also to fight against what they understand as a reification of Jewish identity in a national or an ethnic identity which heritage wouldn’t be a structuring principle anymore, but a would be reduced to some discriminants features.
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Ritualités dans la (dis-)continuité : agencements et petits arrangements de femmes françaises converties à l’islam
Amélie Puzenat
pp. 179–199
AbstractFR:
La réappropriation de rites de passage islamiques que sont le mariage, l’aqîqa et la circoncision, par des femmes converties à l’islam, marque leur inscription dans un nouveau groupe d’appartenance. La mise en conformité de rituels traditionnels avec les exigences du renouveau islamique contemporain, tel qu’il prend forme en France, en sus de la négociation avec une culture héritée non islamique qu’elles mettent en oeuvre, s’apparente à un agencement de l’entre-deux qui participe, d’une part, à leur inclusion sociale au sein de la communauté de croyants et, d’autre part, à produire une nouvelle éthique religieuse. Toutefois, à la suite d’une volonté marquée de dé-culturer le religieux, de se distancier de rites perçus comme coutumiers et non valides sur le plan religieux, la fonction de rassemblement des ritualités se limite à un entre-soi religieux, car une mise à distance, voire une mise à l’écart des familles s’opère.
EN:
The re-appropriation of Islamic rites of passage such as marriage, aqiqa and circumcision by women having converted to Islam denotes their belonging to a new social group. Making traditional rituals comply with the requirements of French-style contemporary Islamic revival, in addition to the necessary negotiations with inherited non-Islamic culture, is a sort of « in-between » arrangement. On the one hand, it contributes to their inclusion in the community of believers, and on the other hand, it forges a new religious ethic. However, given the determination to « deculturize » religion, to create a distance from rituals perceived as traditional, superstitious and not valid from a religious point of view, the function of these rituals that gather people together is simply that of a religious group identity, for families are kept at a distance, if not completely excluded.
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« La religion n’est pas la culture ! » : de la grande authenticité religieuse à l’authenticité spirituelle subjective. Les convertis à l’orthodoxie au Québec
Daniela Moisa
pp. 201–227
AbstractFR:
Dans le présent article, nous nous interrogeons sur l’authenticité spirituelle chez les convertis à l’orthodoxie du Québec, plus particulièrement du village de Rawdon. Une recherche ethnographique déroulée sur plusieurs années révèle un lien très sensible entre l’authenticité spirituelle et la vérité personnelle, forgée à travers une pratique réfléchie et un cheminement quotidien séparés des articulations culturelles et ethniques. Cette vérité est à l’opposé des orthodoxies nationales transportées par les immigrants dans la diaspora et qui continuent à articuler les pratiques et les discours religieux en fonction d’une référence russe, ukrainienne, roumaine, etc. Toutefois, malgré cette différence importante entre les orthodoxes « de naissance » et les « convertis », la séparation entre la vie spirituelle et la culture des derniers n’est pas radicale : l’identité culturelle, québécoise « de souche » est activée lorsque l’authenticité de la pratique et de l’identité spirituelles est bousculée par d’autres vérités, individuelles ou de groupe.
EN:
In this article, we question the spiritual authenticity among converts to the orthodoxy of Quebec, particularly in the town of Rawdon. An ethnographic research conducted over several years shows a very sensitive relationship between spiritual authenticity and personal truth, forged through reflexive practice, separated from cultural and ethnic identity. This truth is the opposite of national orthodoxies transported by immigrants of diaspora which continue to articulate practices and religious discourse based on a reference Russian, Ukrainian, Romanian, etc. However, despite this important difference between the Orthodox « natives » and the « converted » ones, the separation between spiritual life and culture is not radical : cultural identity, among the people who were born in Quebec, is activated when the authenticity of the religious practice and of the spiritual identity is questioned by other truths, from individuals or groups.
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La conversion dans un cadre féministe, interculturel et interreligieux
Denise Couture and Tanja Riikonen
pp. 229–250
AbstractFR:
Cet article présente les résultats d’une recherche empirique menée à Montréal auprès de femmes féministes, engagées dans des pratiques interculturelles, interspirituelles ou interreligieuses. Il aborde les récits autobiographiques spirituels des femmes, en posant la question : comment vivent-elles la « conversion » dans le contexte contemporain ? Pour approfondir cette question, l’article propose une définition opératoire du concept de conversion qui comprend trois dimensions : un retour à une énergie vitale propre, la conscientisation et l’autosubjectivation. À partir de cette définition provisoire, l’article analyse les récits des participantes selon quatre thématiques principales : des histoires de transformation des sujets, un rapport critique et créatif aux coutumes et aux traditions, un désapprentissage vers la justice relationnelle et une ascèse, un travail sur soi.
EN:
This article presents the results of an empirical study conducted in Montreal amongst feminist women who are engaged in intercultural, interspiritual or interreligious practices. It tackles their autobiographical spiritual narratives through a question : how do they undergo a “conversion” in a contemporary context ? To go further into this matter, this article suggests a threefold operative definition of the concept of conversion : a turning towards one’s own vital energy, conscientization and self-subjectivation. In light of this transient definition, this paper examines participants’ stories through four important topics : narratives of transformation of the subject, a critical and creative relation to customs and traditions, an unlearning toward a relational justice, and self-discipline, a working on oneself.
Hors-thème
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Quelle mystique pour la renaissance africaine ?
Gabriel Tchonang
pp. 251–284
AbstractFR:
L’on ne peut parler de Renaissance africaine qu’après avoir réfléchi à l’avènement de l’homme nouveau africain, sujet libre, imprégné d’idéal, capable d’assumer son histoire et dégagé d’un grégarisme accablant. Cet homme nouveau sera aussi le produit des forces religieuses et spirituelles qui l’entourent et structurent son environnement. En bonne place figurent les Religions Traditionnelles Africaines et le christianisme. Ces deux forces religieuses qui correspondent à une double mystique peuvent grandement contribuer au développement de l’Afrique et à sa sortie de son marasme légendaire si elles évitent respectivement l’écueil de l’utilitarisme, de la non-objectivation de la nature, de la sacralisation du pouvoir, du grégarisme, de l’éclipse de la subjectivité pour les Religions Traditionnelles Africaines, du spiritualisme et de la compromission avec les pouvoirs politiques injustes pour le christianisme.
EN:
It is impossible to think about African Renaissance without thinking about the advent of a new African subject, a free person who is able to assume his history and to project himself in the future. This new African subject will necessarily be the product of spiritual strengths governing the African environment. Two main religions have to be taken into account : the traditional religions of Africa and Christianity. These two spiritual and mystical strengths can deeply contribute to the development of Africa if they avoid certain pitfalls : in the case of traditional religions, the pitfalls of utilitarianism, the eclipse of the subjectivity, and the consecration of power ; in the case of Christianity : the pitfalls of spiritualism and the involvement in unjust political powers.