Volume 19, Number 1, 2011 Théologie africaine et vie Guest-edited by René Heyer and François Kabasele Lumbala
Table of contents (12 articles)
Liminaire
Thème
-
Conception africaine de la vie et du temps
Nathanaël Yaovi Soede
pp. 13–25
AbstractFR:
Cet article va au-delà des clichés afro-pessimistes. Sa réflexion anthropologique et théologique montre que la conception africaine de la vie et du temps, articulée autour de la catégorie de « l’être-vie », enrichit celle des autres peuples de l’humanité. Synonyme de la vie, le temps nous invite à l’espérance, à l’inventivité et à faire vibrer le monde au rythme de la vie, de la Vie faite chair…
EN:
This article goes beyond afro-pessimistic clichés. Its anthropological and theological reflection shows that the African conception of life and time thought of in terms of “being life” (être-vie in French) enriches the conceptions of peoples around the world. Synonymous with life, time invites us to hope, to inventiveness and to make the world vibrate to the rhythm of life, the Life made flesh…
-
« Respecte pourtant sa vie » (Jb 2,6) : réflexion sur la valeur de la vie en Afrique noire
Ghislain Tshikendwa Matadi
pp. 27–46
AbstractFR:
L’article traite de la valeur de la vie en Afrique noire en partant du livre de Job (Jb 2,6) où Yahvé intime au Satan l’ordre de respecter la vie de Job. Au-delà de la souffrance évidente qu’endurent les Africains depuis des siècles, leur amour pour la vie est un fait presque banal. Cette attitude ne diffère pas beaucoup de celle de Job qui, au-delà de ses différentes épreuves et peut-être à cause d’elles, continue de croire en la vie et en Celui qu’il croit en être l’auteur : Yahvé. Job devient ainsi un paradigme, celui d’une personne qui, en s’adressant à Dieu pendant l’épreuve, privilégie sa relation avec Celui qui est capable de donner à l’homme non seulement des richesses matérielles, mais aussi et surtout la vie — et qui est capable de la faire respecter à tout prix.
EN:
This article studies the value of life in Africa. Starting from Jb 2.6 where Yahweh says to the Satan : « He is in your power. But spare his life », the author seeks to demonstrate that beyond the human suffering which is the main theme of the Book of Job, the love of life is an ever-present undercurrent. Indeed, the author points out that if suffering cannot help but draw the reader’s attention, it is because the abundant life of a believer is threatened. Life in Africa is threatened nowadays more than ever. This is in part because material richness tends to become the center of human lives. Yet, African people seem to be happy and celebrate their lives through songs and dance. Job teaches us that even though one’s material belongings and health are threatened, a believer may discover through his experience that God remains the one who gives life and urges everyone to protect it. Hence, the book of Job becomes a paradigm of the abundant life that God urges the human kind to respect by all means.
-
La vie dans les contes et fables d’Afrique noire
Ntumba Muena Muanza
pp. 47–69
AbstractFR:
Oeuvre de liturgie et d’anthropologie esthétique, cette publication révèle la vitalité d’une communauté chrétienne d’Afrique centrale (du Congo Kinshasa, à Cikapa) qui affronte ses problèmes de survie, dans une liturgie eucharistique dominicale, émaillée de contes comme quatrième lecture. Ces contes y apparaissent comme un moment important de Révélation en Afrique et un moyen mnémotechnique puissant d’éducation et d’action populaire. Y est interprétée, de manière critique et métaphorique, la vie des sociétés postcoloniales, dominées par un capitalisme commercial sauvage avec ses méthodes immorales d’accumulation, au détriment de la majorité et au service d’une minorité interne liée à l’impérialisme. La vie apparaît aussi dans la créativité artistique même des contes qui ne sont jamais figés et dans la manière vivante de les déclamer. Les contes sont une constante réinterprétation de la vie dans le miroir culturel africain et chrétien.
EN:
This paper, which draws from both liturgical and anthropological studies shows the artistic creativity that can be at work in black African Christian communities, more specifically the community of Tshikapa, in West Kasayi (DR Congo). This Christian community uses African traditions as a fourth biblic reading passage in the liturgy, in order to show how they can courageously address the problem of their survival. Through oral tradition, they try to describe and interpret their difficult, painful African post-colonial life, thus reinventing their culture and church life.
-
Art et vie : de l’expression à l’action
Lupwishi Mbuyamba
pp. 71–85
AbstractFR:
Le phénomène de l’art est apparu en même temps que l’homme prenait conscience de sa présence dans un environnement qui l’interpellait : d’abord, par des manifestations figurées dans les peintures rupestres que de nombreuses cavernes disséminées à travers l’Afrique révèlent et, plus tard, dans des oeuvres de grande ampleur dont on peut suivre verticalement le parcours historique.
Dans l’Antiquité comme au Moyen Âge, au temps de la formation des grands empires, on est subjugué par des réalisations impressionnantes dans tous les domaines de l’art, malgré les mutations subies au travers des itinéraires imposés par la traite négrière, les cultures coloniales et, aujourd’hui, par la campagne pour un art volontariste de la revendication, de l’authenticité et de la renaissance.
Horizontalement, on peut s’arrêter sur le phénomène de l’art et pénétrer dans les cavernes de la création. On y découvrira la contradiction fondamentale qui existe entre le monde de l’oeuvre en elle-même et celui des acteurs des différentes sphères de la vie.
L’oeuvre d’art, résistant aux tentatives d’apprivoisement, suivra toujours le sens de son destin, tendue qu’elle est vers l’envol, pour s’échapper, insaisissable même par son géniteur, se libérer du carcan et de la prison de la contingence « corruptrice » et rejoindre le domaine du sacré dont elle émane. Tel est le sens qu’on peut donner à la présence de l’art dans la vie.
EN:
Art as a phenomenon appeared at the same time men became aware of their presence in an environment that appealed to them. It was first as figurative cave wall-paintings disseminated across Africa, and, later, as bigger scale pieces of which the progression can be retraced vertically through history. Throughout Antiquity as well as the Middle Ages, when large empires were rising, it is stunning to see the impressiveness of some works of art, even when they were mutated through slave trade, colonialism and, today, by a lobby for a vindicating art form of authenticity and rebirth.
Horizontally, it is possible to study art as a phenomenon and penetrate through the caverns of creation. This study reveals the fundamental contradiction between the world of the piece of art and the world of the actors that take part in the different aspects of life. Works of art, evading any attempt to be appropriated, will always seek to follow their destiny, longing to take off and fly freely — never completely understood, even by their creators — flying away from any corrupting forces, to return to the sacred domain from which they came. That is how it is possible to understand the presence of art in life.
-
Vie et mort en Afrique noire
Marcel Anganga
pp. 87–106
AbstractFR:
En Afrique, continent-Mère de l’homme et source de notre civilisation, vie et mort, depuis plus de 200 000 ans avant notre ère, sont liées. Inséparables. Elles constituent, ensemble, les deux faces de l’existence humaine et, par ce fait, la mort se veut la conséquence de la vie. Dès lors, dans la cosmogonie négro-africaine dont les traces sont visibles dans le judaïsme et le christianisme, l’idéologie de la vie prime sur celle de la thanatologie, car la vie ne finit pas avec la mort. A contrario, elle la dépasse, la transcende et continue dans l’Au-delà. Ainsi, la mort n’est pas le dernier mot de la vie pour l’Africain. Celle-ci est, reste et demeurera une phrase en pointillés qui s’achèvera au village des ancêtres lors du retour final.
EN:
In Africa, motherland of humanity and background of our civilization, life and death have been closely related for over 200 000 years. Inseparable, even. Together, they constitute the two sides of human existence and by this fact, death is seen as the consequence of life. As such, in negro-African cosmogony of which traces can be found in Judaism and Christianity, the ideology of life primes over thanatology, since life doesn’t end with death. To the contrary, life goes beyond death, transcends it and continues into the Afterlife. Therefore, for the Africans, death is not life’s last word. It is and stays an open-ended sentence that culminates in our ancestors’ village at the moment of the final return.
-
La conception de la vie en Afrique à la lumière de Jésus-Christ
Lambert Museka Ntumba
pp. 107–132
AbstractFR:
Cet article est une contribution africaine-luba à l’échange interculturel et chrétien sur des données aussi fondamentales que la conception de la vie et la foi en Jésus-Christ. Il présente donc, au départ, solidement appuyée sur des proverbes, dictons, prières, mythes et légendes traditionnels, cette conception africaine-luba de la vie, marquée du sceau de la sacralité, de la naissance du petit d’homme jusque dans l’au-delà des ancêtres et de Dieu, en passant par tous les combats contre les forces de mort qui pullulent ici-bas. C’est sur une telle conception que vient passer la lumière de Jésus-Christ, dans une rencontre féconde, faite d’accueil bienveillant et de nécessaire dépassement.
EN:
This paper is an African-Luba contribution to the intercultural and Christian exchange on ideas as fundamental as the conception of life and the faith in Jesus-Christ. Grounded on traditional proverbs, sayings, prayers, myths and legends, it explains this African-Luba vision of life, characterised by a mark of sacrality, from birth, through all kinds of struggles against many forces of death down on earth, until the ancestors’ and God’s afterlife. It is upon such a conception that the light of God is shining, in an enriching exchange mixing open-hearted welcome and necessary growth.
-
Annihilation anthropologique et anthropologie de la vie : une discussion critique des thèses du P. Mveng
René Heyer
pp. 133–146
AbstractFR:
L’annihilation et la paupérisation anthropologiques désignent les crimes de la traite esclavagiste et les méfaits du colonialisme en Afrique. La discussion de la pertinence de ces expressions, aujourd’hui fort répandues dans la théologie africaine, sert de cadre à l’exploration de ce que signifie l’anthropologie africaine de la vie telle que l’expose le père Engelbert Mveng, comme responsabilité de faire triompher la vie dans le monde humain et cosmique.
EN:
Anthropological annihilation and impoverishment indicate the crimes of the slave trade and the misdeeds of colonialism in Africa. The discussion of the relevance of these expressions, now extremely widespread in African theology, is used as a framework for the exploration of the meaning of the African anthropology of life, such as father Engelbert Mveng expressed it, as a responsibility to have life triumph in the human and cosmic worlds.
-
Liturgies africaines et vie
François Kabasele Lumbala
pp. 147–162
AbstractFR:
En Afrique noire, la vie est le sacré par excellence ; aussi, demeure-t-elle la préoccupation principale de toutes les cérémonies religieuses, déjà dans les traditions, et jusqu’aujourd’hui dans les religions africaines nouvelles : les rituels regorgent d’évocations et de supplications pour la vie ; les lieux de culte sont décorés aux couleurs de la vie (la trilogie « blanc-noir-rouge ») ; les symboles déployés dans le culte au sein de ces civilisations de l’oralité sont ceux de la fécondité, du triomphe sur la mort, de communion et cohésion sociale : les bananiers, la chaux, les arbres de vie ou arbres aux ancêtres, le feu, etc. Enfin, la manière même de célébrer est des plus vivantes : les assemblées grouillent de monde, la prédication est jalonnée de cris d’acclamation et élaborée avec l’apport de toute l’assemblée, le tambour rythme la prière en réveillant efficacement tous les dormeurs et en mettant debout toute l’assemblée pour la danse qui remet le corps à l’unisson avec l’Esprit et tout le groupe ! Oui, la vie « explose » dans les célébrations africaines.
EN:
In sub-Saharan Africa, life is the Sacred par excellence ; hence it remains the main preoccupation of all religious celebrations, both in traditions of old and in today’s current new African religions : rituals are crammed with evocations and supplications for life ; places of worship are decorated with the colours of life (trilogy « white-black-red ») ; the symbols displayed during worship in these oral civilizations are those of fecundity, triumph over death, communion and social cohesion : banana trees, white kaolin, trees of life or ancestral trees, fire, etc. Finally, the way of celebrating is one of the liveliest : congregations swarming with people, preaching punctuated with shouts of acclamation and elaborated with participation from the entire congregation, drum rhythms accompanying prayer to awake those who sleep and to throw the entire congregation into dancing, which reunites the whole group as well as the body to the Spirit ! Indeed, life « explodes » in African celebrations.
-
Vivre sa mort dans les traditions initiatiques d’Afrique noire : une voie d’approche au mystère de la croix
Didier Mupaya Kapiten
pp. 163–180
AbstractFR:
Vivre sa mort est une réalité complexe, voire paradoxale qui échappe à l’expérience immédiate. L’article l’aborde à la lumière de l’expérience religieuse fondamentale de l’Afrique noire. En partant des rites funéraires et des rites initiatiques en tant que morts symboliques, on établit un parallélisme systématique, une homologie suggestive, entre la dynamique africaine de la mort initiatique qui fait avancer sur l’axe dialectique d’accroissement de la vie et l’économie du salut par la croix qui ouvre à l’homme l’accès à Dieu. Cette caractéristique partagée permet de voir dans la croix du Christ une réalisation concrète devant laquelle la tradition initiatique peut se redécouvrir comme dans un miroir, tout en y découvrant quelque chose de facilement crédible. La réalité du vivre sa mort est donc saisie, au point où logique chrétienne et logique africaine se rencontrent. Elle apparaît comme une disposition religieuse et une marche de la personne humaine dans l’élévation spirituelle vers Dieu.
EN:
Living one’s own death is a complex and paradoxical reality which escapes the immediate experience. This article sheds light on this complexity from the fundamental religious experience of Black Africa. From the funeral and the initiation rites considered as symbolic deaths, one can establish a systematic parallelism, a suggestive homology, between the African dynamic of the initiatic death that leads to the dialectic line of the growing of life and the salvation economy through the mystery of the Cross that ends in human’s divinization. This shared characteristic enables the African Christian to see through the Cross of Christ a concrete realization in which the initiatic tradition can lead to the process of its own discovery as in a mirror by finding therein something easily credible. In sum, the lived experience of one’s death is grasped where both the Christian and the African logics find a common ground, as a starting point of a dynamic of spiritual uplifting towards God.
-
Jésus Christ à la rescousse de la dimension communautaire de la vie en Afrique
Adrien Ntabona
pp. 181–192
AbstractFR:
Cet article tente d’élaborer une théologie africaine, en partant des développements johanniques sur la vie, pour relire la solidarité clanique africaine, ainsi que le penchant communautaire de la vie en Afrique noire. Dans la perspective de l’inculturation, il tâche de dynamiser ces valeurs africaines, de les dilater aux dimensions de la charité chrétienne ; ce faisant, le Christ occupe désormais le centre de la solidarité africaine et la fait tendre vers la communauté de vie qui existe entre le Père, le Fils et le Saint-Esprit.
EN:
This paper aims at elaborating an African theology, using St John’s perspectives about the life in the Gospel, and examining the African family’s solidarity and the African communitarian sense of life. Interested in enculturation, this paper tries to emphasize these African social values to make them reach the level of Christian charity. In this way, Christ can now be at the center of the African solidarity, which gets closer to the communion of life that is between the Father, the Son and the Holy Spirit.
Hors-thème
-
D’un Dieu tout-puissant à un Dieu partenaire qui s’offre au monde : une lecture processuelle de Gn 2
Lydwine Olivier
pp. 193–216
AbstractFR:
L’article s’intéresse à la façon dont la théologie processuelle permet de réfléchir à la représentation de Dieu. En effet, le récit de Gn 2 pose la question du présupposé que tout un chacun porte sur Dieu. Loin d’être une réponse toute faite, une et certaine, la théologie processuelle propose de partir à la rencontre d’un Dieu qui s’offre et qui offre un monde en devenir à l’humain. Pour mieux cerner la pertinence d’une analyse processuelle de ce récit, l’article s’intéresse à certaines questions clefs de la théologie qui la sous-tend. Celles-ci portent sur le libre arbitre de l’humain, l’omniscience et la toute-puissance de Dieu, la question du pôle primordial de Dieu comme pôle transcendant, et celle de son pôle conséquent comme signe de son immanence. L’article montre que le récit est une proposition offerte au lecteur de construire sa propre représentation de Dieu, non dans un postulat figé, mais dans un mouvement à-venir, toujours en train de se créer.
EN:
The article focuses on how process theology allows us to conceive the representation of God. The narrative of Gn 2 questions the assumption everyone has about God. Far from providing a one and definite ready-made answer, process theology offers to go and meet a God who offers himself as well as offers a world-to-come to humans. To better understand the relevance of a process analysis of this text, the article focuses on some key issues of the theology that underlies it, such as human free will, omniscience and omnipotence of God, the question of the primordial nature of God as his transcendent pole, and his consequent nature as a sign of his immanence. The article shows that the narrative gives the readers the opportunity to build their own representation of God, not in a static assumption, but in a movement to come, always to be created.