Faire de la recherche en tourisme

Faire de la recherche en tourisme : effets de contexte, effets disciplinaires[Record]

  • Johan Vincent

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  • Johan Vincent
    Enseignant-chercheur, ESTHUA (Faculté de tourisme, culture et hospitalité de l’Université d’Angers), Laboratoires TEMOS et ESO, johan.vincent@univ-angers.fr

Depuis la fin du XXe siècle, l’envergure acquise par le tourisme suscite de plus en plus d’intérêt de la part des acteurs institutionnels dans le monde : les grandes organisations internationales le considèrent comme un outil privilégié de la lutte contre la pauvreté et comme un élément important du développement local durable ; les institutions de formation supérieure européennes et américaines l’utilisent pour leur intervention dans les pays dits économiquement moins avancés, propice à justifier un champ disciplinaire distinct autour du phénomène touristique (Kadri, 2004). Allant dans le sens des déclarations de l’Organisation mondiale du tourisme sur la réduction de la pauvreté (2004), des études spécifiques réalisées dans le cadre de réseaux de recherches de l’International Centre for Responsible Tourism (ICRT), de l’International Institute for Environment and Development (IIED) et de l’Overseas Development Institute (ODI) mettent l’accent sur les dimensions techniques du développement. À partir des années 2000, les chercheurs et chercheuses reconsidèrent le concept de développement en y intégrant la dimension de l’équité, au risque de paraître « moralisateur » dans une mondialisation libérale (Dehoorne, 2013). En parallèle, depuis la fin du XXe siècle, faisant directement écho à la « cité par projets » (Boltanski et Chiapello, 1999), la recherche portée progressivement par la culture du projet est une tendance mondiale (Mullin, 2001 ; Whitley et Gläser, 2014). Il s’agit de stimuler l’innovation en favorisant l’émergence de projets collaboratifs pluridisciplinaires. À partir d’un corpus d’une soixantaine d’ouvrages parus dans les années 1990, Luc Boltanski et Ève Chiapello (1999 : 157) estiment qu’avec l’émergence d’un nouvel esprit du capitalisme à la fin du XXe siècle, est actée l’abolition de la hiérarchie des Trente Glorieuses – période historique postérieure à la Seconde Guerre mondiale qui a correspondu, en Europe occidentale, à une croissance économique et démographique forte – pour lui substituer un contrôle de type marchand, avec l’importance de la concurrence et du changement permanent, le travail en équipe, le réseau et les « projets [qui] dessinent une multitude de mini-espaces de calcul à l’intérieur desquels des ordres peuvent être engendrés et justifiés ». Le néolibéralisme, dont l’essor date des années 1970, parvient à institutionnaliser ce nouveau régime basé sur la primauté du marché, ce qui amène les acteurs, les institutions et les communautés à adapter leurs comportements et leurs discours selon les contextes géographiques (Mosedale, 2016). D’autres structures, privées ou publiques, soutiennent aussi des projets avec une portée touristique ou des projets sur le tourisme. Vouloir porter l’innovation et renouveler les questionnements de la recherche, avec des moyens financiers, s’inscrit dans des enjeux potentiellement paradoxaux, en particulier vis-à-vis des publics cibles : milieu universitaire, établissements publics ou privés à caractère scientifique et technologique, entreprises… La recherche est entrée dans un processus de contractualisation propice à favoriser une recherche appliquée et rentable. Le management des effectifs, dans un contexte d’une augmentation de la précarité du personnel, s’accompagne d’une restructuration de l’institution dont l’objectif principal tend à faire entrer les universités et les écoles dans une compétition sur le marché mondial de la connaissance (Le Roulley et Uhel, 2020). L’épistémologie n’est pas un exercice qui s’est imposé de la même manière dans toutes les disciplines. Il s’agit de réfléchir sur l’ensemble des repères fondamentaux pour élaborer, réaliser, diffuser des connaissances par un processus de recherche scientifique. Originellement, elle est liée au questionnement des scientifiques face à des hypothèses qui semblaient jusqu’alors « naturelles » et qui ont été vues, à partir du tournant du XXe siècle, comme des hypothèses particulières à expliquer, et ainsi comprendre la théorie comme un phénomène spécifique, autonome. Dans les sciences dites « dures …

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