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Cet ouvrage, aux mises à jour substantielles, est la deuxième édition du livre intitulé Mémoires touristiques algériennes 1962 – 2018 , publié en mars 2019. L’auteur, Saïd Boukhelifa, nous a aimablement offert un accès à la critique de ce livre qui sera publié prochainement. On y découvre une lecture hybride du contexte dans lequel se développe le tourisme en Algérie. Une lecture qui se distingue par son caractère insolite des approches communément orientées vers le recensement du riche gisement touristique de l’Algérie en s’intéressant davantage à la contribution des nombreuses personnes, celles qui incarnent l’État. Homme de terrain, c’est avec un ton fort nuancé par une nostalgie du passé proche que l’auteur vient nous parler du concret.
Composé de quatre parties, cet ouvrage est destiné aux professionnels, mais aussi aux universitaires. La première partie de l’ouvrage est à la fois informative et narrative, avec pour support différentes sources d’information (chiffres statistiques, récits de vie, recueil de témoignages et rapport d’enquête) ; l’auteur retrace la trajectoire de la politique touristique de l’Algérie, en la situant dans trois grandes périodes : l’âge d’or, la décadence et le temps présent. Cette première partie recouvre une grande section de l’ouvrage. L’auteur revient d’abord sur la prodigieuse décennie du tourisme en Algérie (1970-1980), quand l’aéroport d’Alger voyait défiler des vols nolisés remplis de touristes internationaux venus découvrir le pays que l’on surnommait la « Californie africaine ». Du nord au sud, les hôtels affichaient complet, l’Algérie des années soixante et soixante-dix battait aux rythmes de l’art et de la culture, aux belles mélodies des Beatles, du Moody Blues et de Ray Charles (p. 116). C’était une époque merveilleuse où l’Algérie avait appris à être une destination touristique. Avec mélancolie, le récit de Boukhelifa nous ramène à une époque où régnait une atmosphère de tolérance, de vivre ensemble et de respect d’autrui ; il nous fait revivre les beaux jours sur les terrasses ensoleillées qui faisaient autrefois la réputation d’Alger et qui vibraient aux sonorités des locaux et des touristes, l’ambiance sur les belles plages de sable fin et doré de Tipaza, et nous emmène a Cherchell sur le chemin des ruines romaines, nous plongeant ainsi dans la nostalgie d’une époque méconnue par de nombreux Algériens.
Le lecteur se laisser ensuite happer par une vérité beaucoup moins radieuse : Boukhelifa aborde le changement de paradigme et d’esprit étriqué qui a mis fin à ces belles années et a laissé place à une décadence (1980-2003). Riche de son pétrole, l’Algérie tourne le dos aux touristes et se recroqueville sur elle-même. En dégringolant, le tourisme algérien scande depuis lors ces performances absurdes et honteuses, éloignant les touristes (p. 131). Cette période de crise est émaillée d’une brève embellie (1986-1990), qui coïncide avec la forte crise économique déclenchée par la chute du prix des hydrocarbures. Hélas ! cette remontée n’a pas duré longtemps puisque la décennie noire a suivi. La crise socio-politique s’est prolongée jusqu’en 2003, et le tourisme est resté en friche, marqué par l’absence de touristes étrangers et les Algériens qui préfèrent voyager vers d’autres cieux plus « californiens », moins chers, plus accueillants et plus tolérants. L’inculture touristique sur le plan institutionnel s’installe dans la durée, si bien qu’au « cours de ces joutes oratoires, l’incompétence se conjugue avec l’improvisation » (p. 205).
Quelles sont les raisons à l’origine de ces comportements ? À l’appui de témoignages éloquents de diverses personnalités emblématiques du tourisme algérien, la deuxième partie de l’ouvrage met en lumière différentes raisons. Naguère, la mise en tourisme de la destination Algérie a été portée par des individus convaincus et compétents, qui ont investi dans la formation, la pierre et la promotion. Un triptyque qui, selon Boukhelifa, est impératif pour tout développement touristique (p. 328). Pour lui, si la période faste de l’histoire du tourisme algérien a été portée par une volonté politique réelle et fiable qui a su franchir le cap du textuel pour se concrétiser, c’est l’absence de cette même volonté qui a fait tomber le pays dans une léthargie de plus de trente ans. Le problème du tourisme en Algérie est donc attribuable à la volonté quasi absente des autorités. L’auteur parle d’une « mentalité réfractaire » qui fait obstacle au développement du tourisme (p. 375).
En réponse à cette léthargie, la troisième partie du livre apporte ce qui ressemble à une lueur d’espoir, Boukhelifa mentionnant des perspectives de renouveau et exposant quelques éléments de relance. Il croit que pour reconstruire la destination touristique Algérie, il faudrait miser sur ses atouts naturels et culturels qui font rêver. Et pour cela, quatre produits sont à prendre en compte : le tourisme saharien produit authentique de la destination Algérie, le balnéaire dont l’image de marque est à restaurer, le montagnard et le culturel, dont le pays est doté avec ses vingt et un sites romains et son histoire, ce qui lui confère un fort contenu attractif.
L’Algérie plurielle a de quoi séduire, et Boukhelifa le met bien en évidence. Selon lui, la reprise sera reconstruite dans la durée et la réouverture imminente est impensable, car, ayant perdu de sa maturité touristique, le pays devra réapprendre à accueillir et à communiquer (p. 512).
À la fin de cette troisième partie de son ouvrage, l’auteur nous parle d’une nouvelle politique touristique bien ficelée et élaborée en 2008 lors des assises nationales et internationales à la faveur de la relance touristique. L’éclaircie semble être arrivée, c’est du moins ce que pensaient de nombreux professionnels (p. 564). Malheureusement, la flambée des prix du pétrole en 2008-2012 a fait tomber la nouvelle politique touristique aux oubliettes. Encore des efforts… le projet reste dans les tiroirs (p. 581). Une déception sur laquelle l’auteur revient, pour rebondir à la toute fin.
En effet, dans la quatrième et dernière partie du livre, avec un optimisme contagieux, Boukhelifa nous donne envie de croire à nouveau à des perspectives heureuses pour 2030. Par ailleurs, la condition sine qua non pour se remettre sur les rails est de changer de paradigme. Substituer les 4 I (indifférence, incompétence, irresponsabilité et impunité) par les 4 C (conviction, compétence convergence et concrétisation) (p. 615).
Pour le plus grand bonheur des férus de tourisme, avec Mémoires touristiques algériennes 1850 – 2020 , ce sont plus de 600 pages que Saïd Boukhelifa offre pour se rassasier de plaisir dans un contexte où les connaissances sur le tourisme en Algérie sont très maigres. Bien que volumineux, ce livre se lit d’un trait ; une fois que l’on commence, il est difficile de s’arrêter. Avec un peu trop de chiffres et d’itérations, cet ouvrage a les qualités de ses défauts. Le répertoire de chiffres présentés tout au long de celui-ci est la référence pour démêler le faux d’une arithmétique déguisée. Bien plus qu’un recueil et un témoignage, ce livre suscite une véritable réflexion au sujet du tourisme en Algérie, il est la cristallisation d’une pensée qui appelle à une meilleure compréhension du passé pour construire l’avenir : « Il arrive un moment dans la vie où vous devez vous arrêter, voir où vous êtes, regarder vers où vous voulez aller, et laisser derrière vous ce qui vous retarde » (p. 612). À cet effet, les enthousiastes du tourisme y trouveront sans doute un intérêt.