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Durant les dernières années, le monde arabe a vécu une croissance accrue du tourisme. Selon la Banque mondiale, la région Moyen-Orient et Afrique du Nord (MENA) a accueilli presque 128 millions de touristes internationaux en 2019, soit 8,5 % du total des arrivées touristiques mondiales [1] , et, suivant l’Organisation mondiale du tourisme (OMT/UNWTO), cette même région a généré 77 milliards de dollars de recettes touristiques internationales en 2017, soit environ 6 % des recettes mondiales [2] . Ces données illustrent l’importance économique, politique et socioculturelle du tourisme dans cette région. Si le monde arabe jouit d’une variété d’atouts touristiques naturels, culturels, patrimoniaux et religieux, il se caractérise également par une diversité ethnique, religieuse, ainsi que de disparités sociales et une distribution inégale des fortunes. Le conservatisme religieux qui caractérise souvent les communautés rurales et autochtones vient ajouter une autre barrière à la mise en tourisme des territoires dans le monde arabe. Le taux élevé d’analphabétisation ainsi que le manque de conscience de l’importance du tourisme constitueraient d’autres obstacles, surtout dans les destinations rurales et périphériques. Les perturbations politiques (guerres, soulèvements et révoltes populaires), surtout après ce qu’on appelle le printemps arabe de 2011, ajoutent d’autres enjeux et défis à la mise en tourisme des territoires dans le monde arabe. De tout cela découle l’importance du sujet du livre. L’originalité de cet ouvrage est d’étudier les contextes géopolitiques, socioéconomiques, socioculturels et écologiques qui influencent la mise en tourisme des territoires dans le monde arabe, tout en identifiant les enjeux (opportunités/menaces) qui entourent ce processus, et ce, suivant une analyse approfondie et intégrée qu’on ne trouve que rarement dans les ouvrages qui étudient le tourisme dans la région MENA .

Cet ouvrage est le fruit de la deuxième édition du Colloque international sur le tourisme dans la région arabe, tenue en octobre 2014 à l’Université du Québec à Montréal (UQAM), au Canada. Il a été réalisé grâce à la contribution de 19 chercheurs sous la direction de Boualem Kadri, professeur au Département d’études urbaines et touristiques de l’École des sciences de la gestion (UQAM), et Djamal Benhacine, spécialisé en linguistique appliquée et ancien professeur à la Faculté de tourisme de l’Université des sciences appliquées de Munich. La mise en tourisme des territoires dans le monde arabe se compose de 15 chapitres divisés en trois parties principales.

La première partie répond à la question suivante : comment le tourisme est-il perçu dans le monde arabe, soit d’une manière locale interne (perception du visité) ou externe (visiteur) ? La perception interne du tourisme dans le monde arabe est influencée par les choix sociopolitiques (libéralisme/socialisme), ainsi que les perturbations géopolitiques (printemps arabe). Ces facteurs font changer l’image du tourisme d’une activité capitaliste, inégalitaire (selon les socialistes), à un outil potentiel du développement socioéconomique, ainsi qu’un facteur servant à l’amélioration de « l’image de marque » des pays arabes où « la démocratie peine à éclore » (chap. 1). La reconnaissance scientifique du tourisme dans le monde arabe contribue à une perception positive de cette activité socioéconomique. En revanche, comme c’est indiqué dans le chapitre 4, la production scientifique réalisée au Canada et aux États-Unis entre 1990 et 2013 qui s’attardait à la question du tourisme dans le monde arabe reste très restreinte (37 mémoires et thèses), ce qui signifie qu’il est nécessaire d’« élargir la recherche du tourisme comme objet scientifique à d’autres universités francophones et anglophones qui produisent de longue date des thèses sur le tourisme et les loisirs, mais aussi à celles des pays arabes qui développent des programmes et des projets de recherche sur ces mêmes sujets [3]  ». Dans le but de mieux comprendre la perception externe du tourisme dans le monde arabe, une analyse historique est appliquée au cas marocain afin d’étudier les éléments qui ont servi à la fabrication de cette destination touristique et qui comprennent la construction de l’espace, la sécurisation et l’aménagement du territoire, la structuration de l’offre touristique, ainsi que l’évolution des représentations du voyage et des relations visiteur-visité (chap. 2). Une bonne expérience du touriste dans une destination mènerait à une perception positive de cette dernière. À cet égard, les ateliers de cuisine, de poterie, de calligraphie comme produits du tourisme créatif influent positivement sur la qualité de l’image d’une destination touristique comme Marrakech, puisqu’ils offrent aux visiteurs une bonne immersion culturelle dans les traditions, les artisanats et les autres aspects du patrimoine immatériel et, par conséquent, produisent un engagement du touriste envers la destination visitée (chap. 3).

La deuxième partie du livre analyse quelques enjeux (opportunités/menaces) du développement touristique dans les destinations arabes. Par exemple, la mise en tourisme d’un objet patrimonial fragile, notamment Ksar El Khorbat au Maroc, crée des opportunités – comme le développement socioéconomique de la communauté locale et la restauration du site patrimonial – ; en revanche, elle peut aussi constituer une menace pour les écosystèmes naturels fragilisés par la pression des flux touristiques et entraîner une dégradation des ressources naturelles (palmiers) durant l’aménagement du site touristique (chap. 5). Les déstabilisations géopolitiques qui ont frappé l’Algérie, comme la guerre civile entre 1992 et 2000 (décennie noire), les migrations transsahariennes, l’implantation de groupes djihadistes dans les zones frontalières saharo-sahéliennes après le printemps arabe de 2011, ont engendré un effondrement du tourisme saharien en Algérie et en Mauritanie et ont privé les communautés locales, déjà pauvres, d’une source indispensable de revenus générés par le tourisme (chap. 6). Une réalité plus ou moins identique se retrouve au Liban où l’instabilité politique qui frappe ce pays depuis 2010 a réduit de près de moitié le nombre d’arrivées internationales et où le tourisme émetteur (résidents nationaux voyageant à l’étranger) a augmenté de 35 %, causant des déperditions économiques et sociales majeures dans un pays qui dépendait en grand partie du tourisme (chap. 9). La diversification de l’offre touristique est une question pertinente afin d’éviter la dépendance envers un produit touristique unique et saisonnier, comme c’est le cas du pèlerinage à l’Arabie saoudite. Or, cette diversification du tourisme culturel fait face à plusieurs défis, notamment la sensibilisation des pèlerins à de nouveaux sites touristiques, l’harmonisation entre les différents acteurs publics et privés, ainsi que le ciblage de nouvelles générations souvent plus ouvertes à adopter des pratiques touristiques inédites (chap. 7). Les coutumes et les considérations religieuses pourraient devenir un autre enjeu de la « touristification » d’un territoire. C’est par exemple le cas de la pratique du surf à la station nautique de Taghazout au Maroc, car elle requiert de porter un maillot qui dévoile le corps. Cela impose des contraintes socioculturelles aux femmes marocaines qui désirent pratiquer ce genre du sport et en fait donc une activité touristique exclusive aux touristes occidentaux et aux Marocains (chap. 8). Dans le chapitre 10, le défi interculturel est abordé selon une perceptive inversée où l’Arabe devient le touriste et l’Occidental est l’hôte. Ce chapitre étudie comment la destination de Garmisch-Partenkirchen en Allemagne a développé une offre touristique personnalisée qui cible les touristes arabes et satisfait leurs modes de consommation (aspect vestimentaire, habitudes culinaires, émissions télévisuelles, magasinage) totalement différents de ceux la population locale.

La troisième partie pose la question critique suivante : la mise en tourisme est-elle une opportunité ou bien une menace ? Par exemple, la mise en tourisme des médinas marocaines a requis la restauration des maisons traditionnelles jadis en dégradation et la revalorisation des artisanats en péril ; cette mise en tourisme a par ailleurs eu des répercussions socioéconomiques négatives chez les artisans pauvres qui, sous la pression de la hausse des prix immobiliers, étaient obligés de quitter leur magasin du centre de la médina et de se relocaliser vers les banlieues et les centres urbains, menant finalement à une « désarticulation de l’espace artisanal » (chap. 11). Dans le même contexte, la valorisation touristique de la rue Al-Qeimarieh, centre commercial historique du vieux Damas en Syrie, a exigé la restauration des maisons historiques et la promotion de l’artisanat traditionnel. En revanche, cette « patrimonialisation » a été accompagnée de l’ouverture de centaines d’hôtels, de restaurants et de cafés pour accueillir les touristes, induisant du coup un changement remarquable au paysage urbain, une atteinte au patrimoine architectural et à l’équilibre socioéconomique de la vieille ville. Cela a en outre provoqué « le départ de familles pour lesquelles le caractère semi-privé de ces espaces publics était important » (chap. 12). L’enjeu de maintenir un équilibre entre la croissance des activités touristiques et la conservation des écosystèmes et de l’identité urbaine et culturelle de l’endroit apparaît également dans le cas d’Azeffoun en Algérie. L’aménagement touristique de ce territoire littoral a généré des retombées socioéconomiques importantes pour la communauté locale (revenus, emplois…), revivifié des artisanats et des pratiques traditionnelles (agroalimentaire, pêche), et amené un développement urbain exceptionnel dans cette région. Par contre, « l’empiètement » sur les zones maritimes protégées, l’adoption des modes d’architecture moderne qui rompent le caractère culturel de la place, ainsi que l’afflux important des touristes dans les moyens de transport, les restaurants, les marchés avec les conséquences que cela entraîne (embouteillage, hausse des prix à la consommation), sont des facteurs qui créent des sentiments de refus du tourisme parmi la population locale (chap. 15). Le pèlerinage à la synagogue de la Ghriba en Tunisie représente quant à lui un double enjeu : d’un part, l’État tunisien encourage cette activité touristique pour embellir son image de marque en se présentant comme un pays de tolérance ; d’autre part, cette activité est la cible de plusieurs menaces de terrorisme et d’instabilité politique, notamment depuis la révolution tunisienne en 2011 (chap. 13). En outre, La gouvernance représente un enjeu important de la mise en tourisme d’un projet touristique. C’est plutôt le cas de la station Yasmine-Hammamet en Tunisie où l’État et les promoteurs privés ont quasiment ignoré la participation des acteurs locaux dans la planification et l’aménagement du territoire, ce qui induit un « un projet parachuté », « sururbanisé », qui rompt avec ses environnements urbains et naturels et a des conséquences négatives sur l’environnement littoral (chap. 14).

Malgré la pertinence de cet ouvrage en raison de l’analyse approfondie de différents contextes (géopolitique, socioéconomique et socioculturel) ainsi que des enjeux de la mise en tourisme des territoires dans le monde arabe, La mise en tourisme des territoires dans le monde arabe comporte quand même quelques lacunes. La question de gouvernance y est rarement abordée et n’apparaît que timidement dans les deux derniers chapitres (14 et 15). Des concepts importants comme les gouvernances urbaine, locale, environnementale et territoriale sont presque absents, bien que la gouvernance soit un processus fondamental dans la mise en tourisme d’un territoire. Elle permet d’étudier les relations de pouvoir entre différents acteurs publics, privés, de la société civile, ainsi que des acteurs locaux aux intérêts divers. De même, la question d’autochtonie est quasi absente, alors que plusieurs territoires étudiés, notamment en Algérie et au Maroc, sont occupés par des Berbères. Finalement, la plupart des cas étudiés (9 chapitres sur 15) se concentrent sur la région du Maghreb (Algérie, Tunisie et Maroc), alors que des destinations touristiques importantes comme Les Émirats arabes unis et l’Égypte sont passées sous silence.