Dans ce sens, quel regard portez-vous sur les nouvelles manières d’intégrer les loisirs actifs/sportifs dans les expériences contemporaines de l’ailleurs ? Le sport est en connexion avec les milieux et la nature par la localité des territoires où les pratiques et les techniques corporelles s’intègrent sans détruire. L’éco-sport met en connexion dans un système relationnel les humains avec « des systèmes organiques, avec les animaux, les plantes et les écosystèmes » (Naess, 2008 : 130). L’éco-responsabilité des sports de pleine nature a trouvé avec la montagne et la mer, mais aussi la campagne, des milieux pour développer des pratiques du corps plus saines et plus justes. Avec Sigmund Loland et Mike McNamee (2007), la philosophie écologique du sport interroge la relation de risque avec la nature. Elle se fonde sur les expériences immersives des pionniers (Thoreau, 1846 ; David-Néel, 1907 ; Shackleton, 1909 ; Muir, 1911 ; Bombard, 1953…) dans la pratique éthique de la nature. Si les loisirs actifs se définissent comme la participation active du corps dans une expérience différente de la vie quotidienne de l’homme urbanisé, l’activité de loisir se déplace aujourd’hui : par le détour par l’urbex, des espaces abandonnés urbains ou industriels comme lieux inédits, l’ailleurs décrit une modalité inédite de la contemporanéité. L’exploration urbaine de lieux abandonnés confronte le sujet au spectacle du passé de la technologie comme s’il visitait un autre âge de son humanité. Ainsi le tourisme à Tchernobyl, décrit comme un « dark tourism », comme celui du départ de la flamme à Fukushima avec le projet des Jeux olympiques reporté à cause de la COVID-19, se joue du risque radioactif que subissent encore les populations. Il faudrait ici s’intégrer à n’importe quel prix par un défi écologique à un milieu dangereux avec une prise de risque sanitaire. En refusant d’être secondaire, le tourisme sportif voudrait dans une seconde modalité s’immerger dans ces lieux vierges, comme des forêts primaires, détruisant par là même les équilibres écologiques. Cette dénaturation du sport dans ce tourisme zoonosique n’a rien à voir avec ce que nous présentons ici en termes d’alternative durable par une immersion de longue durée avec une communauté partagée, avec le milieu et les peuples locaux. Les itinérances récréatives voudraient, après le tourisme, être dans une transmodernité avec Jean Corneloup (2021), là où les épistémologies du Sud critiquent le colonialisme vert, comme l’analyse de Guillaume Le Blanc (2020). Il faudrait sinon plus d’humilité dans et face à la nature, du moins un complet renversement de notre mode économique du tourisme sportif. La notion de tourisme sportif conçue comme visite cannibale et comme un consumérisme de service devra être remplacée par une pratique collaborative, locale et communautaire. L’aménagement durable des territoires propose face à l’exode urbain et face à la collapsologie une ruralité positive : plutôt que des loisirs de compensation, le retour à la terre définit des pratiques douces et des exercices en harmonie avec les paysages. L’aménagement du territoire dans un but de loisirs corporels ne sert pas la logique d’immersion sensorielle dans la nature. La sensation de l’espace se construit par le contact avec la terre et les éléments qui se produit sur un territoire donné. Le sentiment de cosmose (désir de se fondre dans la nature), qui pour Augustin Berque (2018) consiste à « recosmiser la terre », est produit par l’intensité du réénchantement et de l’engagement du corps dans l’écologisation : d’une part l’immersion dans les éléments naturels, à l’instar du wingsuit de Géraldine Fasnacht en 2016 dans son film 4634 – Perception – The Mountain Within, montre comment le vent soulève les corps en les stimulant …
Appendices
Bibliographie
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