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La crise sanitaire sans précédent de COVID-19 est unique et demeurera problématique jusqu’à ce que des médicaments ou des vaccins aient démontré leur efficacité. Les particularités nationales rendent difficile l’évaluation du nombre exact de cas à l’échelle internationale (Gössling et al., 2020). Dès le début de cette maladie infectieuse et à défaut d’être en mesure de maîtriser la situation, les autorités publiques se sont tournées vers des actions non médicales telles que le confinement, la quarantaine, la distanciation sociale et physique, l’arrêt des activités de formation et de celles jugées non essentielles, dont plusieurs commerces de détail, les rassemblements, les événements, bref tout ce qui peut réunir des groupes de personnes dans un espace plus ou moins limité.

Les activités touristiques sont donc frappées de plein fouet avec un arrêt quasi total à la grandeur de la planète. Certains auteurs (dont Blake et al., 2003 ; Volo, 2008) soulignent que le développement des activités touristiques et de l’industrie touristique dépend des conditions économiques et sociales des individus (touristes et hôtes), ainsi que l’importance d’assurer leur sécurité dans des conditions sanitaires adéquates. La littérature scientifique sur les effets des désastres et des crises sanitaires est abondante, bien qu’elle soit surtout liée à des phénomènes environnementaux et moins aux crises sanitaires (Gössling et al., 2020).

D’ailleurs, C. Michael Hall (2010) a répertorié 712 études dont seulement une dizaine traitait plus particulièrement de crises sanitaires. Dans ces écrits sur les crises sanitaires et le tourisme, on traite à la fois des impacts sur le tourisme et des dimensions du retour (recovery) à la normale.

Elizabeth Baxter et David Bowen (2004) se sont intéressés aux deux crises de la fièvre aphteuse ayant frappé le Royaume-Uni (1967-1968 et 2001). La première a eu de faibles répercussions sur l’industrie touristique et le nombre de voyageurs nationaux et internationaux, tandis que la deuxième a frappé plus durement le pays avec des diminutions du chiffre d’affaires de plus de 80 % dans le secteur de l’hébergement. Le retour à la normale a été contrecarré par les événements du 11 septembre 2001. Dans le cas du syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS), Chi-Kuo Mao, Cherng G. Ding et Hsiu-Yu Lee (2010) rapportent que cette crise a touché rapidement une vingtaine de pays en 2003, créant ainsi une certaine panique qui a résulté en une diminution de 8,6 millions de voyageurs internationaux, soit une perte de 1,2 %, représentant un des plus importants déclins annuels du tourisme à l’échelle planétaire. En 2009, l’influenza (H1N1) a également perturbé l’activité touristique à grande échelle avec une diminution de 4 % du tourisme international. Toutefois, comme l’indiquent Choong-Ki Lee, Hak-Jun Song, Lawrence J. Bendle, Myung-Ja Kim et Heesup Han (2012), ce virus est en partie responsable de la décroissance de l’activité touristique puisque l’économie mondiale se relevait, avec peine, de l’importante crise de 2008. À celle-ci s’ajoutent les différents épisodes du virus Ebola à partir de 1976, et notamment au cours de l’année 2014 qui a provoqué une forte diminution de l’activité touristique (p. ex. le taux d’occupation des établissements hôteliers en baisse de 50 %) dans plusieurs pays africains (Maphanga et Henama, 2019). Le tourisme a aussi subi les conséquences de la présence du virus Zika avec un ralentissement de la croissance touristique d’environ 30 % en Jamaïque, et un coup dur quant au nombre de visiteurs lors des Jeux olympiques de 2016 à Rio de Janeiro (Hugo et Miller, 2017).

En ce qui a trait à la reprise des activités (recovery), la plupart des études répertoriées sur le sujet insistent sur l’importance de se préparer à ces désastres en établissant des stratégies de gestion de crise, des stratégies financières et des stratégies de communication (Hall et al., 2004 ; Glaesser, 2006 ; Mansfeld et Pizam, 2006 ; Laws et al., 2007 ; Ritchie, 2009). Sue Beeton (2001 ; 2002) fait valoir l’importance de démontrer que les voyages seront surtout sécuritaires après la crise. Jack C. Carlsen et Janne J. Liburd (2007) observent que les communications doivent faire l’objet de réflexion afin de bien saisir les éléments à communiquer. Pour leur part, Eric Laws et Bruce Prideaux (2006) soulignent que ce retour doit être prévu à tous les niveaux, à partir de la petite entreprise locale jusqu’aux multinationales en passant par les regroupements régionaux. Brent W. Ritchie (2004) constate que la gestion de crise est d’autant plus difficile que l’industrie touristique est fragmentée et tributaire de plusieurs facteurs externes qui peuvent avoir des incidences à long terme. Il ajoute que très peu d’entreprises ont ce genre de plan de recouvrement en cas de crise (Ritchie, 2008).

La pandémie de COVID-19 a rendu les notions de préparation à la crise et de recouvrement inévitables, puisque même si l’industrie touristique a été touchée par des désastres et des crises au fil des décennies, il ne s’agit pas d’une situation normale et il faut s’y préparer, d’autant plus qu’une telle pandémie touchera d’abord le tourisme international avant de nombreux autres domaines d’activités économiques et sociales.

Un regard (le plus complet possible) sur les travaux scientifiques en tourisme traitant des désastres et des crises sanitaires n’a pas permis d’identifier des études qui auraient été menées durant ces événements. Les travaux cités précédemment et ceux de Judith Mair, Brent W. Ritchie et Gabby Walter (2016) et Jamal Tazim et Christine Budke (2020) portent surtout sur l’analyse des effets a posteriori de ces phénomènes ou encore d’autres travaux qui s’intéressent au degré de préparation (preparedness).

La sévérité et le caractère uniques de la pandémie, forçant l’arrêt de la quasi-totalité des activités dites non essentielles, rendent difficile l’identification de solutions appropriées. Les intervenants de tous les secteurs d’activités devaient trouver des solutions immédiates et innovantes devant l’inconnu et c’est encore le cas après plus d’un an de pandémie. Dans ce contexte, il peut s’avérer utile de connaître l’état d’esprit des voyageurs et leurs perceptions par rapport à des solutions possibles dès le départ (en début de pandémie et de confinement). La présente étude se veut un regard des effets d’une pandémie sur le tourisme lorsque celle-ci commençait à frapper durement de nombreux pays, dont le Canada, plus précisément lors des trois premiers mois, de mars à mai 2020. Quelles ont été les conséquences du début de la pandémie sur les plans de voyages ? Les voyageurs voulaient-ils repartir bientôt ? Y a-t-il un intérêt particulier selon les régions à visiter ? Est-ce que des incitatifs financiers ou de sécurité sanitaire encouragent davantage les voyageurs ? Quelles sont les craintes et les inquiétudes quant à la reprise des voyages ? Quel est le niveau d’intérêt des voyages comparativement à d’autres activités sociales et récréatives ? Des réponses à ces questions peuvent permettre une réflexion sur des pistes à envisager pour la relance du tourisme.

Méthodologie

Une consultation a été menée du 20 au 27 avril 2020 à l’aide d’un sondage en ligne auprès de résidents des provinces canadiennes pouvant répondre à des questions en français. C’est à l’aide de listes d’envoi (compilées par l’auteur) de personnes ayant manifesté un intérêt pour répondre à des sondages en ligne ainsi qu’une campagne publicitaire ciblée sur le réseau social Facebook durant trois jours que les répondants ont été recrutés.

Un total de 1400 personnes ont participé à cette consultation. De ce nombre, 1084 ont répondu à la totalité du questionnaire, soit un taux de 77 %, ce qui est dans les normes des sondages en ligne. Le questionnaire comportait 14 questions concernant les habitudes de voyages, la planification de voyages en 2020 et 2021, les projets futurs de voyages, les craintes reliées aux voyages et la perception du tourisme en général, en plus de renseignements démographiques.

Les données ont été analysées à l’aide du test du chi carré et du T‑Test : le premier est un test statistique conçu pour déterminer si la différence entre deux distributions de fréquences est attribuable à l’erreur d’échantillonnage (le hasard) ou s’il est suffisamment grand pour être statistiquement significatif, alors que le second est généralement employé pour déterminer les différences significatives entre des moyennes.

Profil des répondants

Le tableau 1 présente le profil des répondants selon certaines caractéristiques démographiques et leurs habitudes de voyage. On constate que la majorité des répondants sont des femmes (63,6 %) et les groupes d’âge les plus représentés sont, dans l’ordre, les 56 à 65 ans (36,4 %), les plus de 65 ans (20,8 %) et les 46 à 55 ans (18 %). Le plus haut niveau d’études complété est le diplôme universitaire (42,7 %), suivi d’un certificat collégial ou universitaire (21,5 %). Les répondants proviennent de la province du Québec dans une proportion de 64 %, suivie du Nouveau-Brunswick avec 33,2 %.

L’une des premières questions servait à vérifier si le répondant avait effectué au moins un voyage d’une nuitée au cours des 12 derniers mois. La forte majorité (92,1 %) a effectué au moins un voyage. Par ailleurs, 16,8 % ont mentionné avoir fait 2 voyages, 12,2 % ont fait 3 voyages, et 11,5 % de 6 à 8 voyages. La moyenne pour l’ensemble des répondants est de 6,6 voyages au cours des 12 mois précédant l’enquête.

Tableau 1

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Ces répondants ont été regroupés en trois catégories (tableau 2) pour fins d’analyse portant sur le nombre de voyages effectués au cours des 12 derniers mois avec des groupes proportionnellement de même taille, de « 1 ou 2 voyages », « 3 ou 4 voyages » et « 5 voyages et plus ». Précisons que le sondage visait les voyageurs des 12 mois précédant la recherche, et cela a permis de les regrouper dans ces trois grandes catégories.

La deuxième catégorie est basée sur les générations qui sont normalement reconnues et utilisées fréquemment dans nos sociétés, à savoir les « milléniaux », nés entre 1980 et 1995 et âgés aujourd’hui entre 25 et 40 ans, la « génération X », c’est-à-dire les personnes nées entre 1965 et 1980 dont l’âge se situe entre 41 et 55 ans, ainsi que les « boomers », nés entre 1946 et 1964, qui ont donc aujourd’hui entre 56 et 74 ans. La « génération Z », née entre 1995 et 2010 et âgée de 19 à 25 ans, n’a pas été retenue en raison du faible nombre de répondants (n=12).

La troisième catégorie répartit les répondants selon leur province de résidence, soit le Québec et le Nouveau-Brunswick puisque les sondages complétés proviennent essentiellement de ces deux provinces voisines, et sur le fait que la COVID-19 les frappe à différents degrés. À la dernière journée du sondage, le Québec comptait un total de 24 982 cas et 1599 décès (Gouvernement du Québec, 2020) tandis que les cas au Nouveau-Brunswick se chiffraient à 118, et aucun décès (Gouvernement du Nouveau-Brunswick, 2020).

Tableau 2

*p<0,05 ; **p<0,01 ; ***p<0,001

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Résultats

Les résultats de cette consultation sont présentés en fonction de la planification de voyages, des perceptions de la situation, des intentions futures, des incitatifs financiers, des craintes et des inquiétudes, en plus des priorités entre différentes activités de loisir et projets de voyage.

Plan de voyage

Le tableau 3 témoigne de la situation des répondants en matière de planification de voyages pour l’année 2020. Selon les catégories et l’ensemble des répondants, près de 4 répondants sur 10 n’avaient fait aucune réservation pour 2020. Des différences statistiquement significatives sont observées entre les catégories du nombre de voyages passant de 47 % pour les « 1 ou 2 voyages » à 28,4 % pour les « 5 voyages et plus ». D’autres différences statistiques ressortent dans cette catégorie, notamment chez ceux qui ont repoussé leurs réservations (18 % pour les 5 voyages et plus et 8,4 % pour les 1 ou 2 voyages) ainsi que pour les réservations qui ont été annulées et remboursées (33,7 % chez les 5 voyages et plus et 15,3 % chez les 1 ou 2 voyages). Ceux qui voyagent le plus fréquemment sont les plus nombreux à ne pas avoir annulé leurs réservations (30,9 %).

Dans le cas des générations, la seule différence statistique concerne les réservations qui ont été repoussées, dans une proportion de 16,3 % chez les millénariaux comparativement à la génération X avec 7,6 %. La catégorie de la province de résidence met en relief des différences statistiques au volet des réservations qui ont été annulées et remboursées (29,9 % au Nouveau-Brunswick et 16,8 % au Québec) et de celles qui ne sont pas annulées (27,9 % au Québec et 19,8 % au Nouveau-Brunswick). Les répondants du Nouveau-Brunswick (15,9 %) sont plus nombreux à avoir repoussé des réservations (Québec 9,8 %).

Tableau 3

*p<0,05 ; **p<0,01 ; ***p<0,001

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Perceptions

Le tableau 4 présente la perception des répondants sur le fait de voyager durant ce temps de pandémie. Il y a une différence statistiquement significative chez les résidents du Nouveau-Brunswick, qui sont les plus nombreux (41,6 %) à indiquer être moins tentés de voyager en raison de la COVID-19. Cette proportion est également forte chez ceux qui voyagent le moins fréquemment (1 ou 2 voyages, 40,5 % ; et boomers, 41,1 %).

Pour les autres choix de réponses, les proportions sont semblables d’une catégorie à l’autre, divisant les répondants en trois groupes d’environ un tiers chacun entre ceux qui seront moins tentés de voyager, ceux qui seront plus tentés et ceux qui ne changeront pas leurs habitudes lorsque la COVID-19 sera chose du passé.

Tableau 4

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Les schémas A, B et C comparent la perception des répondants sur la situation du tourisme en général pour 2020 et 2021. Les résultats sont semblables puisque les répondants sont plus pessimistes pour le tourisme en 2020 et plutôt optimistes pour l’année 2021.

Les pessimistes sont surtout « très pessimistes » dans les trois catégories (schémas A, B et C) et l’optimisme revient pour 2021 à un niveau qui atteint son sommet autour de 3 sur une échelle de 5. La courbe est quasi identique pour les trois catégories avec deux différences statistiques significatives entre le Québec et le Nouveau-Brunswick pour 2020 (p<0,05) et 2021 (p<0,05).

Schéma A

Réalisation : Marc Leblanc

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Schéma B

Réalisation : Marc Leblanc

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Schéma C

Réalisation : Marc Leblanc

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Intentions

Le tableau 5 regroupe les choix des répondants sur leurs intentions d’effectuer un voyage d’une nuit et plus au cours des derniers mois de 2020 et durant l’année 2021. Tous les groupes comptent plus de répondants qui avaient l’intention de faire un voyage d’une nuit et plus avant la fin de l’année 2020 ; pour l’ensemble des répondants, il s’agit de 33,9 %. La seule exception se retrouve dans le groupe des « 1 ou 2 voyages » ; ils préfèrent en effet retarder leur voyage jusqu’à la fin de l’année 2021 (25,3 %). C’est ici que l’on trouve une différence statistiquement significative lorsqu’on constate que 47,6 % des « 5 voyages et plus » prévoient faire un voyage avant la fin de 2020, comparativement aux deux autres groupes (34,4 % chez les 3 ou 4 voyages et 24,3 % chez les 1 ou 2 voyages).

Tableau 5

*p<0,05 ; **p<0,01 ; ***p<0,001

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Le tableau 6 indique les destinations de choix lorsque les voyages seront permis. Un répondant sur deux (50,2 %) a identifié un voyage dans sa province comme étant le choix le plus populaire. C’est d’ailleurs le cas dans tous les groupes de répondants. Suivent les autres provinces du Canada et les destinations soleil telles que le Mexique, Cuba, la République dominicaine ou d’autres îles des Caraïbes. Dans tous les groupes, on remarque que les États-Unis sont au cinquième rang sur six des destinations de choix.

On observe des différences statistiquement significatives dans la catégorie des voyages, avec 67,3 % pour les voyageurs fréquents (5 voyages et plus) qui se déplaceront à l’intérieur de leur province, par comparaison avec 35,1 % pour les « 1 ou 2 voyages ». Les grands voyageurs montrent des différences notables du côté des voyages dans une autre province, aux États-Unis et ailleurs dans le monde. Il en est de même, avec des différences statistiques, chez les millénariaux pour les mêmes destinations. En ce qui a trait à la catégorie des provinces, les Néo-Brunswickois sont plus enclins à se rendre dans une autre province que les Québécois. En revanche, ces derniers choisiront davantage le Mexique et les Antilles lorsque les voyages reprendront.

Tableau 6

*p<0,05 ; **p<0,01 ; ***p<0,001

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Incitatifs financiers

Deux scénarios ont été soumis aux répondants quant aux tarifs ainsi qu’au moment où le virus sera complètement disparu dans leurs choix de destinations. Le tableau 7 montre que l’offre de rabais pour relancer le tourisme plaît à l’ensemble des répondants (41,2 %), particulièrement aux millénariaux (58,5 %) et au groupe « 5 voyages et plus » (50,1 %), avec des différences statistiquement significatives.

Près de deux répondants sur cinq (37,7 %) répondent « non » à la possibilité de payer plus cher pour une destination où la COVID-19 aura complètement disparu. Les plus affirmatifs à cette question sont, en ordre décroissant, les groupes des « 3 ou 4 voyages » (41,5 %), les « 1 ou 2 voyages » (40,5 %), les millénariaux (40,0 %) et les répondants du Québec (39,2 %).

Tableau 7

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Craintes et inquiétudes

Les craintes et les inquiétudes sont examinées sous l’angle des services et de l’expérience du voyageur en plus de l’opinion sur la présence des touristes dans certaines régions.

Le tableau 8 dresse une liste des craintes que pourraient ressentir les voyageurs à l’avenir. Pour l’ensemble des groupes, la principale crainte est l’augmentation des prix, et ce, chez environ quatre répondants sur cinq (82,5 %), particulièrement chez les Québécois (86,1 %). Dans cette catégorie par province, les autres différences statistiquement significatives sont la peur de transmission du virus, l’exigence d’un certificat médical, la crainte que les attractions, les restaurants ou les hôtels soient fermés, ainsi que l’annulation des vols.

Les deux autres différences statistiques apparaissent dans la catégorie des voyages, avec la crainte de tomber malade pendant ou après le voyage et l’interdiction de traverser une frontière (d’un autre pays ou d’une province canadienne).

Une question, de type baromètre, quant au niveau d’anxiété durant la période de confinement faisait partie du questionnaire. La moyenne sur 100 (1 étant peu anxieux et 100 très anxieux) se situe entre 42 pour le Nouveau-Brunswick et 47 dans le groupe des « 1 ou 2 voyages », sans aucune différence statistique.

Tableau 8

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Les données du tableau 9 sont tirées d’une échelle de type Likert de 1 (peu inquiet) à 5 (très inquiet) en fonction des affirmations soumises aux répondants qui sont moins inquiets du nombre de touristes dans leur ville ou communauté. Le nombre de touristes dans leur province et au Canada reçoit des réponses semblables, alors que le niveau d’inquiétude est plus élevé lorsqu’il s’agit du nombre de touristes internationaux dans les autres pays. Le groupe ayant exprimé le niveau d’inquiétude le plus élevé par rapport au nombre de touristes dans sa ville ou communauté est celui des « 1 ou 2 voyages », avec une différence statistique.

Tableau 9

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Priorités

Le tableau 10 dresse une liste, en ordre d’importance, de sept activités à prioriser lorsque le confinement sera terminé. Les répondants ont choisi la même activité, à savoir la rencontre de groupe avec les amis ou la famille (63,6 %), avec des différences statistiquement significatives dans les groupes des millénariaux (72,6 %) et des « 5 voyages et plus » (67,7 %).

L’intérêt de cette question, pour laquelle les répondants devaient décider de leurs priorités selon le classement de 1 à 7, était de connaître l’importance relative du voyage. Cette forme d’activité arrive au deuxième rang pour l’ensemble des groupes à quelques points de pourcentage devant « restaurant et bar ». Les autres activités sont celles qui peuvent être perçues comme obligeant à une proximité physique dans un lieu restreint comme le cinéma et les spectacles en salle ou en plein air. Des différences statistiques sont observées dans la catégorie des générations pour le magasinage, les restaurants, les bars, le sport et le cinéma. Il y a une différence statistique pour le magasinage dans la catégorie des voyages.

Tableau 9

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Discussion et conclusion

Les résultats de cette consultation en ligne auprès de 1084 répondants présentent un portrait de la réalité d’un confinement durant lequel une réflexion importante s’imposait sur les habitudes de voyages. Précisons que durant la semaine de cette consultation, les Canadiens étaient toujours en confinement avec quelques possibilités d’un déconfinement progressif qui se pointaient durant les semaines et les mois à venir. La plupart des gouvernements provinciaux du Canada ont alors déterminé que les activités allaient reprendre en fonction des secteurs pouvant assurer une distanciation physique et le respect de différentes règles sanitaires. Dans ces scénarios progressifs, le voyage de longue distance était l’une des dernières activités que l’on prévoyait autoriser.

C’est dans cet état d’esprit que les répondants ont participé à la consultation en ligne. Ces répondants sont des voyageurs plutôt fréquents, dont près de 70 % avaient effectué au moins trois voyages d’une nuit au cours des 12 mois précédents. La moyenne est de 6,6 voyages d’une nuit et plus au cours de cette période.

Hall (2010) souligne que le tourisme s’est toujours relevé des crises environnementales et sanitaires survenues durant le XXe siècle. Selon Freya Higgins-Desbiolles (2020), l’ampleur de la présente pandémie pourrait changer la donne et résulter en des formes renouvelées de tourisme pour les prochaines années. Cette auteure suggère que c’est un moment à la fois critique et historique de découvrir de nouvelles voies pour « redémarrer » (reset) le tourisme avec des approches de développement durable dans le respect des communautés d’accueil. Plusieurs articles de presse et de revues de vulgarisation proposent également des textes qui souhaitent que la présente pandémie trace la voie à des changements dans la façon de percevoir et d’aborder le tourisme.

La nouvelle réalité dans laquelle doit évoluer l’industrie touristique, comme les autres industries et secteurs d’activités économiques, fait en sorte que la réflexion et les propositions sont basées sur des impressions en l’absence de fondements scientifiques. Cela étant dit, la consultation menée auprès des répondants a permis de recueillir des données pouvant être partagées et interprétées dans cet esprit de réflexion sur la relance du tourisme (recovery).

Les résultats obtenus font ressortir que deux groupes semblent les plus empressés à reprendre leurs activités touristiques sous certaines conditions, à savoir les voyageurs fréquents (5 voyages et plus) et dans une moindre mesure les millénariaux. C’est en effet dans ces deux groupes que l’on trouve la plus forte proportion de répondants qui seront plus intéressés à voyager ou qui ne changeront par leurs habitudes de voyages lorsque la pandémie sera terminée. Ils semblent représenter les voyageurs les moins frileux ou peut-être les plus aventuriers qui ont souffert des restrictions limitant (ou interdisant) les déplacements touristiques. Ce sont également ces répondants qui envisageaient davantage faire un voyage d’une nuit et plus avant la fin de 2020 ou encore en 2021.

Ces deux groupes veulent d’abord visiter leur province et les autres provinces du Canada lorsque les voyages seront permis (ou plus faciles). Ils démontrent un plus grand intérêt à visiter les États-Unis et d’autres régions du monde. Les premiers choix des répondants sous-entendent peut-être une certaine crainte à s’éloigner de leur domicile. Cela peut évidemment dépendre du type de voyage, comme le remarque Rodney Cartwright (2000). Celui-ci mentionne en effet que les risques peuvent varier selon qu’un touriste loge dans un cinq étoiles ou qu’il soit plus rudimentaire dans ses choix, par exemple un randonneur. Il ajoute que la santé de la population hôte est importante pour rassurer les touristes. La province où l’on réside est une destination mieux connue et apprivoisée puisqu’il s’agit, dans bien des cas, d’un lieu que l’on visite fréquemment. Un voyageur loyal est plus enclin à retourner à une même destination après un désastre ou une crise qu’un voyageur occasionnel (Walters et Clulow, 2010 ; Walters et Mair, 2012).

Tel que déjà mentionné, les touristes veulent voyager en toute sécurité à la fois sanitaire et communautaire. Les résultats quant aux craintes liées à des voyages post-pandémie indiquent que ces grands voyageurs et les millénariaux, tout comme les autres groupes, ont peur de tomber malades et d’être limités avec une interdiction de traverser les frontières provinciales ou nationales. Cela encourage le tourisme intérieur (dans la province ou au Canada), comme les premières données d’achalandage semblent en témoigner dans différentes régions du pays. La poursuite des campagnes publicitaires encourageant un tourisme de proximité est sûrement une idée intéressante. Cependant, il faut demeurer aux aguets et être prêts à attirer les grands voyageurs et les millénariaux qui seront probablement les plus faciles à convaincre de traverser à nouveau les frontières.

Le coût des voyages est un facteur déterminant dans la reprise du tourisme à la lumière des résultats obtenus. D’abord, la crainte de payer plus cher arrive en tête dans tous les groupes de répondants. De plus, la proposition d’acheter des voyages avec des rabais pour relancer le tourisme post COVID-19 est bien accueillie, particulièrement chez les grands voyageurs et les millénariaux, même si ces deux groupes sont aussi plus nombreux à être disposés à payer davantage pour une destination où le virus aura complètement disparu. L’industrie touristique pourrait jouer sur au moins deux fronts : d’une part, limiter les augmentations de tarifs et, d’autre part, proposer des rabais, sans compter que le fait d’offrir un milieu sans virus aux plus friands du voyage peut générer des revenus supplémentaires.

L’autre résultat qui est semblable chez les grands voyageurs et les millénariaux est celui portant sur les activités de loisir priorisées lorsque le confinement sera chose du passé. Parmi les sept choix proposés, la priorité est la rencontre avec des amis et la famille. Le voyage arrive au deuxième rang, devançant de peu les restaurants et les bars. Ce résultat va dans le même sens que les travaux de Jiri Zuzanek, John P. Robinson et Yoshi Iwasaki (1998), de Susan L. Hutchinson, David P. Loy, Douglas A. Kleiber et John Dattilo (2003), ainsi que de Lawal M. Marafa et Fung Tung (2004), démontrant qu’immédiatement après un désastre ou une crise, les gens prennent un certain temps avant de reprendre leurs activités normales à l’extérieur de chez eux et préfèrent des activités à la maison (lieu propice pour des rencontres), ou encore ils s’intéressent davantage à l’autre (Custeau, 2020).

L’une des barrières aux voyages dans la gestion de la crise par les autorités sanitaires des provinces canadiennes et du gouvernement fédéral est le confinement obligatoire pour les voyages non essentiels. Ces restrictions imposées sur les déplacements par les différents paliers gouvernementaux exposent négativement le secteur du tourisme en général (Yang et al., 2020). Il est intéressant de noter qu’au début de cette pandémie, les répondants n’avaient pas de grandes inquiétudes quant à la présence de touristes dans leur communauté, dans leur province ou au Canada. Ce sont, encore là, les groupes des grands voyageurs et des millénariaux qui étaient les moins inquiets.

Cependant, pour que le tourisme occupe à nouveau une place de choix parmi les loisirs, il est primordial que les destinations reprennent le contrôle de la situation à l’interne avant même de penser à accueillir des touristes (Mao et al., 2010). Il semble important que cette réalité se reflète à l’échelle du pays et non seulement à celle d’une destination à l’intérieur de celui-ci (Ritchie, 2004). Selon Xinran Lethto, Alecia C. Douglas et Junkun Park (2008), il s’agit d’ailleurs du message le plus important à communiquer, c’est-à-dire que la destination est sécuritaire.

Dans une compilation de différentes études, Marafa et Tung (2004) ont démontré que la pratique d’activités de loisir, y compris le voyage, est l’un des meilleurs moyens d’améliorer la santé physique et mentale des individus et ainsi reprendre plus rapidement après un désastre ou une crise sanitaire un style de vie qui convienne à la population.

La présente démarche étant basée sur une consultation menée à l’aide d’un sondage en ligne à échantillonnage non probabiliste (par convenance) n’est cependant pas propice à une généralisation des résultats. Marie-Ève Gingras et Hélène Belleau (2015) précisent ainsi que ce type de sondage permet d’enquêter sur des phénomènes émergents et d’aborder des questions sociales sous de nouveaux angles auprès de vastes échantillons. La validité de l’échantillon par rapport à la population globale est limitée en raison de problèmes de couverture ; en effet, cet outil de recherche demeure « pertinent si ses limites méthodologiques sont considérées et s’il est utilisé avec rigueur et discernement » (ibid., 2015 : 9).

Baxter, Elizabeth et David Bowen, 2004, « Anatomy of Tourism Crisis: Explaining the Effects on Tourism of the UK Foot and Mouth Disease Epidemics of 1967-68 and 2001 with Special Reference to Media Portrayal », International Journal of Tourism Research, vol. 6, n° 4, p. 263-273.

Beeton, Sue, 2001, « Horseback Tourism in Victoria, Australia: Cooperative, Proactive Crisis Management », Current Issues in Tourism, vol. 4, n° 5, p. 422-439.

Beeton, Sue, 2002, « The Cost of Complacency: Horseback Tourism and Crisis Management Revisited », Current Issues in Tourism, vol. 5, n° 5, p. 467-470.

Blake, Adam, Thea Sinclair et Guntur Sugiyarto, 2003, « Quantifying the Impact of Foot and Mouth Disease on Tourism and the UK Economy », Tourism Economics, vol. 9, n° 4, p. 449-465.

Carlsen, Jack C. et Janne J. Liburd, 2007, « Developing a Research Agenda for Tourism Crisis Management, Market Recovery and Communications », Journal of Travel & Tourism Marketing, vol. 23, nos 2-4, p. 265-276.

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