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Les sports de rue comme le « skateboard », le « roller », ou le « BMX » ont fait l’objet de très nombreux articles scientifiques. Sans vouloir être exhaustif, Ian Borden (2001) a par exemple travaillé sur la relation qui unit le skateboard à l’architecture des villes. Helen Woolley, Teresa Hazelwood et Ian Simkins (2011) ont pour leur part réfléchi à l’exclusion des pratiquants des centres-villes et Belinda Wheaton et Becky Beal (2003) se sont consacrées à la question de l’authenticité dans une sous-culture comme le skateboard. En France, il est possible de citer par exemple les travaux de Julien Laurent (2008) sur les ambivalences de ces pratiques urbaines ou de Charly Machemehl, Valentin Papet et Quentin Laval (2019) qui ont développé une approche historique. Cependant, une fois ce constat d’abondance effectué, on constate que peu d’enquêtes se sont intéressées aux caractéristiques du tourisme que ces sports de rue engendrent. Pourtant, comme dans le monde du surf (Falaix, 2019), le voyage fait pleinement partie de l’activité. « Ces quelques activités de glisse, ont toutes la particularité de s’approprier les paysages, d’en explorer de nouveaux, de marquer ces nouveaux territoires en glissant à travers eux » (Lefebvre et Roult, 2009 : 57). Les « riders » sont donc majoritairement attachés au mythe de l’ailleurs, même s’ils sont capables de mettre en place une forme d’exotisation du proche (Matthey, 2007). Rares sont ceux qui déclarent ne pas apprécier voyager ponctuellement ou régulièrement pour explorer d’autres lieux et se confronter à d’autres « spots ». Même si je partage la position de Christophe Gibout et Julien Laurent (2007) qui différencient la « culture de la glisse » de la « culture de la roule », il me semble que l’appétence pour le voyage reste un dénominateur commun. Même la sportification en cours des sports de rue ne modifie pas cette quête de nouveauté et de dépaysement. Des road trips sont mis en place à la fois par les boys scouts et par les bad boys (en reprenant les mots d’Indigo Willing, Ben Green et Adele Pavlidis, 2020). Dans ce contexte, certaines villes ont un pouvoir d’attraction très important. Ces dernières reçoivent d’ailleurs chaque année la visite d’un grand nombre de pratiquants dont les comportements et les attentes méritent d’être étudiés. Ce travail se situe à la croisée des réflexions qui animent le tourisme sportif et le tourisme urbain. Mais il aborde aussi la question du bien-être parce que mes résultats montrent que les riders s’affirment, se socialisent et construisent une relation positive avec l’environnement urbain grâce à leurs pratiques et leurs voyages.

Le tourisme sportif est un concept qui recouvre une réalité plurielle même si plusieurs chercheurs ont tenté de proposer des définitions. Pour Charles Pigeassou (2004 : 45), par exemple, ce terme renvoie à « un déplacement organisateur d’un espace-temps touristique initié par un environnement spécifié par la destination et par la participation à des phénomènes caractéristiques de la culture sportive ludique comprise comme expression d’une activité motrice et/ou de manifestations culturelles ». Cette définition a l’intérêt d’insister sur le fait que le tourisme sportif commence là où l’expérience sportive structure l’expérience touristique. « L’intégration de l’objet sportif est la base du projet touristique et non un simple élément ou adjuvant », dit Claude Sobry (2004 : 47). Pour aller plus loin, un certain nombre d’auteurs ont par ailleurs tenté de construire une typologie des tourismes sportifs. Encore une fois, il ne s’agit pas d’être exhaustif, mais il est possible de citer des travaux qui font avancer ma propre réflexion. Gérald Redmond (1990) différencie par exemple les spectateurs d’événements sportifs des acteurs de pratiques sportives et des visiteurs d’éléments de la culture sportive. En prolongeant cette observation de la diversité des usages dans le tourisme sportif, Helen Jamieson Gibson (1998) sépare ceux qui font du tourisme sportif pour participer, pour regarder ou pour vénérer.

L’un des objectifs du présent article est de vérifier si ces typologies sont opérantes dans le cadre des sports de rue. Cependant, il est intéressant de remarquer au préalable que les travaux sur le tourisme sportif sont depuis toujours très marqués par les sports de nature. A contrario, cet article cherche à questionner une forme de tourisme sportif qui se déploie dans un environnement urbain. Je partage aussi l’opinion de certains chercheurs selon qui la ville est un espace touristique par excellence. Il est même possible de partir du principe que sa définition en dépend (Lussault et Stock, 2007 ; Bernie-Boissard, 2008 ; Coëffé, 2010). Pourtant, le tourisme urbain est un concept ambigu, notamment en raison de la diversité des contextes et des motivations qu’il englobe (Guibert et al., 2019). Seulement ce constat ne doit pas empêcher les chercheurs de se questionner sur son évolution. L’attractivité touristiquo-sportive des villes est souvent pensée et analysée à partir des grands événements sportifs. Pourtant certains pratiquants, notamment ceux que l’on présente régulièrement comme étant auto-organisés, voyagent souvent en dehors de ces événements. Une équipe de chercheurs a même montré très récemment dans cette même revue que ces derniers commençaient à influencer les politiques urbanistiques et touristiques (Bourbillères et al., 2020). Or, il existe toujours peu de travaux qui se focalisent sur l’expérience des personnes qui voyagent de ville en ville pour pratiquer une activité sportive. C’est je le rappelle un des objectifs de cet article qui porte sur l’analyse des usages et des perceptions des riders lorsqu’ils ne se trouvent pas dans leur ville de résidence. Selon moi, ce travail peut participer à prolonger les réflexions sur le tourisme urbain contemporain. Dans cette perspective, je souhaite montrer que l’analyse du comportement des riders lorsqu’ils voyagent témoigne du renouvellement des fins et des formes du tourisme urbain. Il s’agit plus spécifiquement de répondre à la question suivante : Quels sont les tenants et les aboutissants du tourisme urbain lorsqu’il est mis en place par des adeptes des sports de rue ? Autrement dit, je m’interroge sur la manière dont les riders visitent les villes et notamment sur leurs capacités à réinventer des hauts lieux touristiques. Je me focalise donc sur leurs pratiques touristiques, mais aussi sur leurs cadres collectifs de pensée et de mémoire qui influencent leurs façons de s’approprier l’espace urbain et de construire de nouveaux repères qui renvoient à l’histoire des pratiques en question.

De manière assez classique, la première partie de l’article présente la méthodologie mise en place lors de cette recherche. La deuxième est consacrée à la présentation des résultats, que je discute et analyse dans la troisième partie.

Méthodologie

Tous les résultats qui sont présentés et analysés dans cet article sont issus d’une enquête qualitative qui s’est déroulée sur plusieurs années depuis 2013, mêlant des entretiens semi-directifs et plusieurs phases d’observations participantes. En effet, en 2018 et 2019, j’ai mené six entretiens semi-directifs approfondis (allant de 60 à 90 minutes) avec des riders de niveau confirmé. Certains d’entre eux sont même des professionnels. Je me suis focalisé sur des pratiquants expérimentés parce qu’ils ont eu plus l’occasion de voyager que les débutants. Ils connaissent la plupart des grandes villes d’Europe et certains d’entre eux ont même eu l’occasion de rouler dans des villes américaines, canadiennes ou australiennes. La qualité de leur témoignage est donc renforcée par leur grande expérience. Certains pratiquent le roller et d’autres le skateboard. Même si ces deux activités ont une histoire et des spécificités différentes, je pars du principe qu’elles font partie du « noyau dur » des sports de rue (Augustin et al., 2013). Elles ont d’ailleurs un éthos commun (Gilchrist et Wheaton, 2011). Elles ne sont pas seulement des activités dans la rue, mais sont aussi de la rue (Hannertz, 1983), parce qu’elles y trouvent une légitimité culturelle et s’inscrivent dans le registre de la socialité urbaine.

En plus de ces entretiens, il faut ajouter que je suis moi-même un rider et que j’ai beaucoup voyagé pour pratiquer le roller freestyle. Cela m’a donné l’occasion de mener plusieurs phases d’observation participante dans les villes suivantes : Paris, Bordeaux, Marseille, Barcelone, Montréal, Eindhoven et Londres. Ce double statut de chercheur/pratiquant peut inévitablement être remis en question. Il peut même faire douter de mon objectivité. Cependant, je fais partie de ceux qui pensent qu’il est possible d’être à la fois acteur et chercheur, d’être proche de son objet tout en restant à bonne distance. Il me semble même que, dans certains contextes, écouter sa propre subjectivité permet de comprendre celle des autres et que l’analyse du monde extérieur est renforcée par une introspection systématique. Comme l’explique Mitchell Duneier (2006 : 157) au sujet de la méthodologie dans les sciences humaines, « il n’y a pas de formule toute faite, de procédure standardisée ». Sur ce terrain, il me semblait que la meilleure consistait à confronter ma propre expérience à celle des enquêtés. Confrontation qui n’aurait pas été possible sans l’utilisation de deux outils, à savoir les entretiens semi-directifs et l’observation participante. Rétrospectivement, ce choix méthodologique m’a fourni des informations utiles pour mieux cerner, décrire et analyser le phénomène étudié en limitant le risque de tomber dans les deux travers de l’ethnologie urbaine, c’est-à-dire le risque du sentimentalisme et la tentation de l’exotisme (Duneier, 2006). En fait, les entretiens semi-structurés d’experts ont constitué la partie principale du processus de collecte. J’ai analysé le sens des discours des acteurs par l’utilisation de méthodes interprétatives (Weed, 2008), mais j’ai confronté les données recueillies à mes propres observations. Ce travail a donc une part irréductible et incontestable de subjectivité, mais elle est assumée. Je partage l’idée selon laquelle la « subjectivité et l’intersubjectivité sont considérées comme des ‘moyens’ incontournables de construction des savoirs et non comme des obstacles à la production des connaissances » (Anadón et Guillemette, 2006 : 28). Le « je » est d’ailleurs assumé dans l’article parce que ce n’est plus une « forme d’expression délinquante » (Denzin et Lincoln, 2000). Il faut se rappeler à ce sujet que la rhétorique de l’impersonnalité n’est pas toujours un gage de scientificité (Wacquant, 1990).

Cette méthodologie mixte implique une présentation de données hétérogènes. Des verbatim issus des entretiens sont insérés dans le corps de l’article pour appuyer ma réflexion, mais il y a aussi des petits témoignages descriptifs issus des notes figurant dans mes carnets d’observation. Cela témoigne du va-et-vient que j’ai cherché à mettre en place afin de permettre une théorisation très « ancrée » (Paillé, 1994). Mon raisonnement est donc majoritairement inductif. Il est issu de la mise en relation progressive de données empiriques qualitatives qui a abouti à la construction souple et progressive de mon objet d’étude.

Résultats : le voyage comme rite de passage hybride

Pour commencer, il faut bien comprendre que dans les sports de rue, « la quête fait partie du plaisir » (Calogirou et Touché, 1997 : 75). Le voyage est motivé par la volonté de découvrir de nouveaux spots et de s’y confronter physiquement. La très grande majorité des adeptes déclarent se déplacer pour pratiquer dans un nouvel environnement. Les riders correspondent aux touristes actifs, à ceux que Gibson (1998) décrit dans sa typologie du tourisme sportif comme des participants. En revanche, les résultats de mon enquête montrent aussi que ces riders endossent parfois au cours du même voyage le rôle de spectateur. L’analyse de leurs usages et comportements révèle que les compétitions servent souvent de prétexte au déplacement. Certains participent à ces compétitions alors que d’autres se contentent de regarder, mais la plupart du temps ils se retrouvent tous ensemble pour visiter la ville où ils se trouvent, avant ou après l’événement. « Moi je ne fais pas les compétitions, mais j’y vais quand même. J’accompagne les potes. Moi je boirais quelques bières en regardant les pros et puis le lendemain on fera session street tous ensemble. Pour moi, ça fait une pierre deux coups. » (Charly, rider roller, 2018)

Mes résultats révèlent aussi que les riders font partie de ces citadins qui n’ont pas besoin de quitter la ville pour « prendre un bol d’air », selon l’expression consacrée. En fait ils ne vivent pas la ville comme un territoire hostile. Dans ce monde, les espaces naturels ne sont pas obligatoirement les plus attractifs. Les riders sont, comme de nombreux résidents des grandes villes, de plus en plus coupés des espaces naturels (Féménias et al., 2011), mais ils ne le vivent pas forcément mal. La ville n’est pas un territoire qu’il faut quitter à la moindre occasion à la recherche d’un peu de quiétude. Les micro-coupures, le temps d’un weekend, font aussi partie de leur emploi du temps, mais, contrairement à ce qui a pu être identifié par Marie Cheree Bellenger et Olivier Sirost (2017), les destinations privilégiées ne sont pas des espaces de nature à proximité des centres urbains. C’est souvent même un autre centre urbain. Les observations que j’ai pu faire à Montpellier font ressortir que les riders se déplacent régulièrement à Perpignan, à Marseille et à Lyon, alors que certains d’entre eux ne sont jamais allés au sommet du pic Saint-Loup (qui est pourtant la randonnée familiale la plus connue aux abords de Montpellier). Dans les faits, contrairement à d’autres citadins, les riders s’épanouissent dans les trépidations de la vie urbaine occidentale. La ville est pour eux un territoire à découvrir et qui peut être réenchanté grâce aux sports de rue. Les riders sont urbaphiles parce qu’ils arrivent à construire un état d’osmose avec la ville. Ils vivent l’urbain dans un aller-retour, une interpénétration, un état de diffusion et d’influence réciproque. Le tourisme pratiqué par ces riders n’est peut-être pas un tourisme de santé au sens propre, mais il procure quand même une forme de bien-être et d’épanouissement. « Quand je roule dans une ville que je ne connais pas, ça me fait du bien. Je me balade. Je prends mon temps. Je regarde ce qu’il y a autour de moi… C’est vrai que c’est souvent sale et parfois ça pue, mais ça ne me dérange pas vraiment… Les session street ça fait quand même une coupure dans le quotidien. » (Bastien, skateboarder, 2019)

Les résultats de mes analyses montrent par ailleurs que le voyage peut être considéré par les riders comme un rite de passage (Van Gennep, 1960). Comme je l’aborderai plus bas, il est stéréotypé, mais il participe aussi à un changement de statut social au sein de la communauté. Le voyage permet de multiplier les liens sociaux et de créer des relations parfois durables entre des personnes géographiquement éloignées, mais il permet aussi d’être reconnu et de se sentir intégré socialement. C’est également par ce biais qu’il procure aux riders un état de bien-être et de satisfaction. Les entretiens que j’ai menés confirment que c’est un incontournable pour tous ceux qui cherchent à être considérés comme de véritables riders. Pierre Bourdieu (1982) l’explique très bien, le rite de passage est un rite d’institution au sens actif parce qu’il consacre et qu’il légitime. Dans mon cas, faire un road trip est un acte symbolique qui transforme les représentations et les comportements des autres agents à l’égard de celui qui voyage. On voit d’ailleurs, comme dans d’autres rites de passage dans d’autres communautés, qu’il est ici aussi porteur d’une forme de religiosité. « C’est facile de devenir fort dans sa ville, sur ses spots… mais les vrais skateurs sont ceux qui sont capables de s’adapter, d’être bons partout où ils vont. » (Charly, rider roller, 2018) « Voyager c’est un peu la base. Si tu n’as jamais bougé de chez toi, c’est que tu n’as pas compris quelque chose. » (Bastien, skateboarder, 2019)

Une grande partie des riders sont donc toujours à la recherche d’un nouveau spot sur lequel ils vont pouvoir s’exprimer. D’après ce que m’ont dit certains répondants, cette recherche ne s’arrête d’ailleurs jamais vraiment. « Je suis en permanence attentif. Même quand je ne roule pas… Je suis toujours à la recherche d’un nouveau spot… ça m’arrive même parfois de faire des détours pour visiter un peu avant de me rendre où je dois aller… »

Pour cela, ils mettent en place une dérive ludique et sensible. Ils recherchent au hasard le lieu idéal pour s’exprimer, mais aussi en fonction de leurs expériences passées. Ils se perdent volontairement pour maximiser leur chance de découvrir quelque chose de stimulant. « Glisser dans le paysage montagneux, le paysage nautique ou le paysage urbain, c’est d’abord découvrir et s’approprier des sites inattendus » (Lefebvre et Roult, 2009 : 59). Être rider amène à envisager la rue et les espaces publics comme un territoire toujours inconnu. Et cela est valable dans sa ville de résidence comme dans celle qui est visitée et pratiquée pendant les vacances ou les fins de semaine. Dans ces villes, qui sont plus particulièrement l’objet de cet article, ils ne suivent pas les parcours cartographiés par les guides touristiques classiques. Ils se déplacent en se laissant guider par leurs impressions, leurs émotions, mais aussi par leurs expériences antérieures. C’est l’effet subjectif que l’espace a sur eux qui les guident. Pour illustrer, je peux raconter une expérience vécue à Londres. Nous étions cinq riders lors de ce voyage et nous étions ce jour-là à la recherche d’un spot insolite pour « faire des images » (photos et vidéos). Au gré de nos déplacements, nous nous sommes retrouvés sur le bord d’une voie rapide. Nous étions attirés par l’architecture d’un pont. Après une vingtaine de mètres parcourus en direction de ce pont, une voiture de police s’est arrêtée à nos côtés. Les agents sont sortis pour faire un contrôle. Après vérification de nos papiers, les agents nous ont expliqué qu’ils s’étaient arrêtés parce qu’il n’y avait jamais personne qui marchait à cet endroit et qu’ils avaient trouvé cela suspect. Cette réaction met en lumière selon moi le trajet parfois incongru qui est arpenté par les riders pour visiter une ville. « Quand je ne connais pas la ville, je me laisse aller et en même temps avec l’expérience je sais où j’ai plus de chance de trouver un bon spot… Je fais mes choix de direction en fonction du style de l’architecture, du dénivelé, des matières… Par exemple, en France, c’est rare qu’il y ait quelque chose de bien dans les lotissements… » (Aurélien, rider roller, 2018)

Par ailleurs, dépeindre le tourisme dans les sports de rue comme une activité hasardeuse et hors-piste est une erreur. Mon enquête montre qu’il existe effectivement une forme d’infidélité aux espaces de pratique, mais que certains d’entre eux font quand même l’unanimité. Ces spots peuvent devenir des hauts lieux de pratiques, mais aussi des hauts lieux touristiques pour la communauté des riders. Les dérives hors-pistes que les riders apprécient tant sont donc parfois ralenties, voire provisoirement stoppées. « C’est vrai qu’en fait on a nous aussi nos lieux touristiques… Aucun skater ne passe par Paris sans aller au Dôme… Il y a un spot comme ça dans la plupart des grandes villes mondiales et quand tu y es, tu es presque obligé d’y passer. » (Vincent, skateboarder, 2018)

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Photographie du spot « Big O » à Montréal

Photographie du spot « Big O » à Montréal
Photo : T. Riffaud.

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Big O à Montréal (image 1), Southbanks à Londres, Brooklyn Banks à New York, MACBA à Barcelone, Le Dôme à Paris ou encore HDV à Lyon font partie de la liste non exhaustive des hauts lieux des sports de rue. Ce sont des spots qui font référence dans le monde entier, qui sont donc très attractifs. Avec les années ils sont devenus les check points incontournables de tous les road trips (Riffaud, 2018a). Ce sont des lieux touristiques, car ils sont identifiants et identifiés dans la culture des sports de rue. J’y reviendrai dans l’analyse, mais tous ces hauts lieux partagent la caractéristique d’avoir été le décor de très nombreuses prouesses qui ont été immortalisées dans les magazines, sur des VHS et des DVD et, de nos jours, sur Internet et les réseaux sociaux. En fait, quand un pratiquant s’y retrouve physiquement, il vit une impression sensorielle de haute intensité liée à l’architecture, à l’ambiance et au contact physique avec les matières. Cet effet est surtout décuplé par l’impression que le pratiquant a d’être lui-même dans la vidéo ou la photographie qu’il a tant regardée. Les émotions palpables sur le papier ou à l’écran sont vécues dans l’arpentage et les mouvements du corps. Pour illustrer cette idée, je peux rajouter que je n’oublierai jamais la première fois où je suis allé à Bercy à Paris pour faire du roller. C’était il y a longtemps, ce spot n’existe d’ailleurs plus (Riffaud, 2018b) ; mais c’était un spot de référence dans les années 2000. Plusieurs posters de ma chambre d’adolescent étaient des photographies de riders réalisant des figures là-bas. J’ai eu la chance de m’y rendre plusieurs fois et l’expérience que j’y ai vécue est comparable à celle d’un fan du club de football de Barcelone qui aurait eu l’occasion de frapper dans un ballon sur la pelouse du Camp Nou.

Il faut être un rider pour comprendre quel effet ça fait d’être dans un lieu comme ça… Les gens ne comprennent pas pourquoi, quand je suis allé à New York, le truc le plus important pour moi c’était le dessous d’un pont sans intérêt… Sauf que les gens ils ne savent pas ce que c’est que Brooklyn Banks, ils ne savent pas ce qui s’y est passé… C’était inimaginable pour moi de ne pas y aller pour voir ça de mes propres yeux. (Jon, rider roller, 2018)

MACBA c’est comme la Mecque, tu n’es pas un vrai skater si tu n’y es jamais allé… (Jean Phillipe, skateboarder, 2018)

Pour résumer, le tourisme urbain que les riders mettent en place est hybride. Ils sont attirés par l’idée de se perdre volontairement dans les villes qu’ils visitent, mais, au-delà de cet arpentage hasardeux, leurs visites sont ponctuées par certains lieux qui restent incontournables et très attractifs pour cette communauté. La partie suivante est consacrée à l’analyse de ces deux points.

Discussion : Se perdre et se retrouver

Se perdre dans la ville

Tout d’abord le tourisme urbain mis en place par les riders remet en question l’ici et l’ailleurs. En fait, leur comportement met en lumière ce que Robert Maitland (2013) présente comme une transgression réciproque, c’est-à-dire l’abolition partielle des différences entre les touristes et les résidents ainsi qu’entre les espaces touristiques et les espaces non touristiques. Comme mes résultats en témoignent, les riders adoptent à peu de choses près le même comportement, qu’ils soient dans leur ville de résidence ou dans une ville inconnue. Le fait d’être dans une ville étrangère décuple simplement les possibilités d’exploration et donc le nombre de découvertes. Il faut bien comprendre que mes enquêtés arpentent les rues et les espaces publics de manière non structurée (Riffaud et al., 2015). Ils ont une vision jubilatoire de la rue, parce qu’ils sont à l’écoute de ses stimuli pour restructurer continuellement leurs parcours. Selon Jean-Didier Urbain (1991), les touristes se divisent en deux tribus. Même si cette typologie est caricaturale, les riders correspondent plutôt à l’archétype de la tribu de Thésée. Ils vivent la cité comme un labyrinthe dont chaque ramification est à visiter pour explorer la ville derrière la ville. Pour eux, « l’exotisme est au coin de la rue » (ibid. : 336). Dans leur discours, les riders se sentent plus proches du voyageur que du touriste (Paquot, 2014). L’opposition de ces termes est critiquée à juste titre dans le champ scientifique, mais elle fait toujours sens chez les riders. Ils cherchent ainsi à exprimer qu’ils vivent la ville étrangère ou quotidienne comme des explorateurs, des aventuriers, voire des archéologues, en expérimentant très physiquement la ville qu’ils visitent.

À ce moment de l’analyse, je me dois de remarquer que bon nombre de parallèles peuvent être faits entre les sportifs qui parcourent les territoires naturels pour pratiquer leurs activités sportives et ceux qui préfèrent visiter les villes. D’abord, dans les deux cas, le touriste est acteur de ses choix et entrepreneur de ses projets. Il organise et construit le rêve de ses vacances autour de la question sportive (Sobry, 2004). Mais les similitudes vont plus loin. Le tourisme dans les sports de rue correspond à ce qu’Olivier Bessy (2010) décrit dans le monde des activités physiques de pleine nature (APPN) comme un tourisme à la carte. Les riders expriment un fort désir d’indépendance. Ils « privilégient l’auto-organisation, la liberté d’action, la versatilité et un souci pas toujours déclaré ou conscient de s’inscrire en conformité avec des normes qui passent généralement par la soumission à des contraintes et des formes de dépendance (lieu, horaire, rythme, fréquence…) » (ibid. : 111). Pour finir, dans les deux cas, la question de l’appropriation des territoires est centrale. Les riders construisent, comme les pratiquants d’APPN, un rapport variable et redéfini à l’espace. Que l’on pratique le skateboard ou le vélo tout-terrain, l’objectif est bien de s’approprier de manière plus ou moins éphémère son environnement pour pouvoir pratiquer son activité. Mais l’idée centrale est aussi de multiplier les lieux de pratiques, de les collectionner pour tester ses capacités d’adaptation et pour exacerber le plaisir en se confrontant à l’inconnu. C’est cette quête de nouveauté qui motive le tourisme dans les sports de rue, mais celle-ci nécessite aussi de sortir des chemins battus, de pratiquer et de visiter hors-piste (Pedrazzini, 2001).

Téoros a déjà consacré un numéro à la thématique du hors-piste (Gravari-Barbas et Delaplace, 2015) et les résultats qui y sont présentés sont d’une grande richesse pour analyser le comportement des riders. Je partage l’idée selon laquelle le tourisme hors des sentiers battus ne peut pas être traité comme une catégorie analytique. Seulement ce qu’il recouvre permet incontestablement de dessiner de nouveaux territoires touristiques urbains. Il est le résultat d’une demande de diversification et d’individualisation, mais aussi de l’hybridation des goûts. Le tourisme mis en place par les riders s’inscrit très clairement dans cette tendance. Les riders sortent du cadre sociotemporel établi par les prestataires touristiques pour s’aventurer dans des espaces et des lieux peu ou pas encore utilisés pour le tourisme. Ils s’approprient de manière plus ou moins éphémère des espaces qui ne sont pensés ni pour accueillir des sports de rue ni pour accueillir des visiteurs de manière générale. Ils investissent les marges, les coulisses, les interstices, les espaces périphériques et ils questionnent ainsi toute la géographie touristique d’une ville et de ses franges. Le quotidien le plus banal des uns peut devenir le tourisme le plus exotique des autres (Maitland, 2008). Dans de précédents travaux, j’ai montré que les sports de rue font disparaître les non-lieux des villes (Riffaud et al., 2015). Cela ne va d’ailleurs pas sans créer un certain nombre de problèmes, qui s’expriment souvent à travers des conflits d’usages entre pratiquants et non-pratiquants, entre touristes et résidents.

Se retrouver autour de nouveaux totems

Le terme de haut lieu est très utilisé dans le champ du tourisme, tout comme dans celui du sport. Dans les deux cas, ce terme est associé à des lieux qui se situent dans la partie supérieure d’une échelle de valeurs. Ces hauts lieux ont donc un fort pouvoir d’attraction résultant d’une interaction entre des marqueurs, le site en question et les personnes qui le fréquentent (Piriou, 2011). Il faut bien comprendre que les hauts lieux sportivo-touristiques que j’ai identifiés bénéficient d’une forte attractivité, et pas seulement parce qu’il est possible d’y réaliser de très nombreux « tricks ». Ces spots sont très souvent associés au religieux dans la bouche des pratiquants ou dans celle des divers médias qui s’intéressent aux sports de rue. Le paradis du skateboard, le temple du roller, la Mecque du BMX sont des expressions qui ne sont pas anodines. Cela témoigne du fait que ces spots sont sacralisés. Ils sont totémiques (Riffaud, 2018b). C’est ce qualificatif qui permet selon moi le mieux de comprendre pourquoi ils deviennent des lieux touristiques au sein de cette communauté.

Tous les spots totémiques sont des hauts lieux de pratiques, mais tous les hauts lieux ne sont pas totémiques. Un spot totémique n’est pas seulement un espace qui a du succès auprès des pratiquants. Ce n’est pas seulement un espace dont les caractéristiques physiques et architecturales stimulent la pratique des sports de rue. Ce sont des spots qui font référence dans le monde entier et qui font donc l’objet de véritables pèlerinages profanes. Mircéa Eliade (1965 : 18) décrit avec précision le processus de sacralisation qui touche lesdits spots : « En manifestant le sacré, un objet quelconque devient autre chose, sans cesser d’être lui-même. » L’homme a besoin de diviniser des objets ou des lieux à partir de la construction de représentations collectives. Les riders ne font pas exception. Ils ont des temples et des sanctuaires où se développe une religiosité communautaire caractéristique de l’esprit du temps. La notion de « totem » n’est donc pas ici utilisée à la manière de Sigmund Freud (1975), mais plutôt dans la lignée de la pensée d’Émile Durkheim (1960). Southbanks, Big O et Brooklyn Banks sont des spots totémiques parce qu’ils sont des lieux de reliance qui font communauté (Pellegrino, 2000). Ils unifient les corps individuels et physiques à un corps social. En tant que totem, ces spots renforcent la communauté qui les fréquente. Ils sont à la fois son symbole, mais aussi le support objectif de son existence. Il n’est d’ailleurs pas surprenant que les riders, qui entretiennent un rapport très particulier à l’espace urbain, sacralisent des spots. C’est un objet qui pour eux fait sens.

Un certain nombre de critères doivent être réunis pour qu’un spot devienne totémique et touristique. Ils doivent tout d’abord avoir accueilli des événements au cours desquels une forme d’effervescence collective a pu voir le jour. C’est cette énergie de la communion ou « mana » (Durkheim, 1960) qui se fixe sur le lieu et objective son caractère sacré. « Avant d’être croyance, dogme, elle [la religion] est passion et ardeur qui réunit les fidèles. » (Moscovici, 1988 : 72) Les émotions vécues à cet endroit marquent la mémoire collective et incitent tous les absents à se rendre sur place. Dans ce contexte, le rôle des images est évidemment fondamental. L’attractivité des spots totémiques est liée aux nombreuses photos et vidéos qui ont été prises dans ces lieux. Plusieurs chercheurs ont mis en lumière que l’histoire des sports de rue est archivée à travers les vidéos des experts (Borden, 2001 ; Cretin, 2007) et de la presse spécialisée (Laurent, 2008). Mais ces images sont aussi bien évidemment performatives. Elles influencent incontestablement les comportements en façonnant les représentations. Comme dans d’autres mondes, elles encouragent la mobilité (Piriou, 2011). Elles sont une forme de langage, un acte de parole (Arquembourg, 2010) qui orientent consciemment ou non les choix des tricks, des tenues, mais aussi des lieux à visiter. Les images forment des références communes qui aboutissent à la construction d’un imaginaire géographique (Riffaud, 2018a). Pour finir, il faut rajouter que ces lieux ne deviennent pas des espaces totémiques et touristiques du jour au lendemain. Toutes mes observations confirment que le temps doit faire son office. Sur tous les spots totémiques où j’ai pu me rendre, plusieurs générations se côtoient. Les plus vieux expliquent souvent aux plus jeunes, ou simplement à ceux qui sont de passage, l’histoire du lieu. Ils racontent leurs souvenirs et les anecdotes qui sont souvent associés à des figures qui ont été réalisées dans le passé et qui ont marqué les esprits de toute une communauté. Par exemple quand je suis arrivé pour la première fois à Big O à Montréal, un skateboarder d’une quarantaine d’années s’est approché de moi. Après une présentation de courtoisie, nous avons rapidement échangé sur le spot et son histoire. Notre discussion a duré une bonne trentaine de minutes et c’est au cours de celle-ci que j’ai compris toute l’importance de ces riders qui jouent le rôle de passeurs. Ce sont notamment eux qui donnent à ces lieux la capacité de durer, de conserver les traces du passé et les souvenirs qui y sont associés. Le statut de ces lieux en dépend (Halbwachs, 1997). La durabilité de la symbolique explique à elle seule la position majeure du haut lieu sur la carte du monde des destinations (Piriou, 2011). Ils doivent donc être pratiqués, visités et considérés comme des espaces de référence par plusieurs générations.

Ce sont ces critères qui donnent à certains spots un statut particulier et une forte attractivité. Les spots totémiques invitent au voyage (Laurent et Gibout, 2008) parce qu’ils sont une agrégation d’objets, matériels et immatériels, qui entrent en interaction (Coëffé et al., 2007). Leur existence joue, comme n’importe quel haut lieu touristique, sur l’excellence d’une destination (Piriou, 2011). Il faut cependant bien comprendre que ces espaces subjectivés sont rarement pensés et organisés comme des lieux touristiques. Les riders transforment un espace souvent quelconque en un espace totémique qui fait mémoire et communauté et qui devient, par voie de conséquence, un lieu incontournable. Les spots totémiques sont touristiques parce que leur visite provoque la sensation d’être là où l’histoire et la culture de sa communauté sont écrites au quotidien. Dans ces lieux, elle est palpable plus qu’ailleurs. Rappelons que le tourisme est un rite de découverte, mais c’est aussi un rite de sauvegarde d’un imaginaire avec ses mythes et ses légendes. Comme dans les APPN, les pratiquants des sports de rue cherchent, par le biais du tourisme, un supplément identitaire (Bessy, 2010). Le tourisme se présente comme une « question d’identité avant d’être d’activités. Le désir d’être devance et détermine le désir de faire, de ne pas faire ou de ne rien faire » (Urbain, 1991). Dans le monde des sports de rue, le voyage, comme les lieux que le rider fréquente, valide son appartenance à une communauté, mais il est aussi vecteur de bien-être parce qu’il renvoie au rider une image positive de lui-même.

Conclusion

Comme je le remarquais en introduction, les chercheurs qui ont travaillé sur le tourisme sportif ont majoritairement focalisé leurs réflexions sur les sports de nature et sur les territoires susceptibles de les accueillir. Force est de constater qu’aujourd’hui ces travaux reçoivent une certaine écoute, notamment parce que les enjeux économiques sont dorénavant très bien identifiés. En revanche, il n’en est pas de même pour les villes. L’attractivité touristiquo-sportive de ces dernières est souvent analysée uniquement à partir des grands événements sportifs. Rares sont les travaux qui se focalisent sur les personnes qui voyagent de ville en ville pour pratiquer une activité sportive. Il est pourtant bien connu que le développement touristique passe effectivement par un travail sur les événements, mais que celui-ci doit être accompagné par une réflexion sur l’expérience des visiteurs et sur les équipements qu’ils fréquentent (Kadri et Pilette, 2019). Ce sont ces deux dernières pistes que j’ai essayé de prolonger en prenant l’exemple des sports de rue. Cet article résume les prémices d’une recherche qui n’en est qu’à ses débuts et qui mériterait d’être complétée par exemple par des résultats quantitatifs et des analyses sur un territoire plus précis. Il serait de même intéressant de faire une recherche similaire sur une seule ville, pour pouvoir affiner mes analyses et résultats.

En résumé donc, je rappelle que même si les riders aiment déambuler dans les rues des villes, j’ai montré qu’ils apprécient parfois se retrouver dans des lieux bien identifiés. Le tourisme urbain qu’ils mettent en place est donc hybride. Ils sont attirés par l’idée de se perdre volontairement dans les villes qu’ils visitent. Mais au-delà de cet arpentage hasardeux, les riders disposent, comme n’importe quel touriste, d’un répertoire des lieux à visiter et expérimenter (Violier, 2000). Ils ne fréquentent pas les hauts lieux touristiques classiques, mais leur exploration hors-piste est ponctuée par ce que j’ai appelé des « spots totémiques ». Ce sont des lieux qui ont accédé à une forme de monumentalité au sein d’une communauté. Ils sont très attractifs et finissent par former des parcours ritualisés même s’ils ne sont pas toujours suivis à la lettre. « Cette forme de zapping touristique ne doit pas être considérée comme un signe d’instabilité, mais plutôt comme une manifestation de l’éclectisme croissant des individus. » (Bessy, 2010) Les riders ne se fixent pas sur une seule configuration de tourisme, mais sur un panel de solutions possibles qui fluctuent au gré des circonstances. Le rider est à l’image du touriste contemporain. Il est pluriel et ne peut donc pas être cantonné à un mode d’organisation univoque ni à des lieux prédéfinis.

Le tourisme urbain dans les sports de rue est conforme aux mutations qui touchent actuellement le tourisme en général. Mes observations témoignent du renouvellement des fins et des formes du tourisme urbain qui dépassent le monde des sports de rue. Par certains égards, les riders peuvent être comparés à ce que certains ont appelé des « post-touristes » (Viard, 2006 ; Cohen, 2008). Ils construisent leur expérience de façon subjective sans tenir compte des prévisions et des indications de l’industrie du voyage. Ils sont attirés par des lieux qui ne sauraient plus être reconnus comme typiquement touristiques. Les riders créent en fait malgré eux une touristification des lieux ordinaires. Ils déconstruisent le caractère non touristique d’un lieu en se basant sur des critères qui sont liés à leur communauté d’appartenance et à leur pratique physique. Ils rappellent ainsi que la réalité touristique est une construction sociale (Kadri et al., 2019) et qu’elle a un caractère processuel (Cazes, 1992). Le quotidien urbain peut être réenchanté et l’attractivité d’un lieu n’est pas donnée par nature. Elle est engendrée. « De nos jours, tout, sans réserve, peut devenir une attraction touristique » (Kadri et al., 2019). L’étude du comportement des riders met en lumière un exemple de plus de subversion spatiale qui rappelle que la mise en tourisme d’un lieu ne dépend pas uniquement des stratégies marketing et territoriales (ibid.). Les riders sont les acteurs de cette touristification puisque le caractère non institutionnalisé, spontané et non planifié de leur démarche est particulièrement repérable (Dewailly et Amirou, 2005).

Cependant, je dois dire pour terminer que j’ai repéré au cours de l’enquête que certaines villes commencent à prendre en compte ces riders touristes. Bordeaux, Melbourne, Londres communiquent d’ailleurs sur ce phénomène. Leur transformation respective en « skatefriendly cities » (Lombard, 2015) a notamment été motivée par les dynamiques touristiques. Ces villes ont identifié les lieux totémiques et touristiques dont elles disposent sur leur territoire. Elles les ont d’ailleurs souvent réaménagés en prenant en compte leur statut patrimonial (Riffaud, 2018b). Les propos du maire de Londres Boris Johnson, en 2014, repris par The Guardian, sont clairs à propos du spot Southbank. « The skate park is the epicentre of UK skateboarding and is part of the cultural fabric of London. This much-loved community space has been used by thousands of young people over the years. It attracts tourists from across the world and undoubtedly adds the vibrancy of the area—It helps to make London the great city it is. » La carte touristique du site du stade olympique (image 2) met en lumière le même phénomène à Montréal. Big O est dorénavant considéré comme un point d’intérêt (n° 5 sur la carte) pour les visiteurs du site. Sa présence sur la carte montre selon moi que sa valeur touristique n’est pas négligée.

Image 2

Carte touristique du site du stade olympique à Montréal

Carte touristique du site du stade olympique à Montréal
Source : <https://parcolympique.qc.ca/>, consulté en janvier 2021.

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Il semble que cette stratégie puisse être porteuse. Il est reconnu que les hauts lieux traduisent très fortement l’identité d’un territoire et jouent sur l’excellence d’une destination. Cependant, cet article montre aussi que le tourisme lié aux sports de rue nécessite de ne pas négliger l’importance du caractère polytopique des destinations choisies. Mon étude fait ressortir qu’aucun spot totémique ne peut répondre à toutes les attentes des riders, puisque ces derniers cherchent à se retrouver sur certains lieux très bien identifiés, mais aussi à se perdre dans le dédale des rues des villes qu’ils visitent. C’est ce double comportement qui permet au tourisme dans les sports de rue d’avoir une plus-value en termes de bien-être, puisque c’est ce double comportement qui apporte aux riders une forme d’épanouissement, un sentiment d’appartenance et une image positive d’eux-mêmes.