Abstracts
Résumé
Le Sahara marocain connaît un renouveau de ses pratiques sportives et touristiques avec une orientation vers des pratiques de bien-être. Prenant appui sur une revue de littérature ainsi que sur une enquête sociologique menée dans le Sud marocain, cet article montre d’abord comment ces pratiques de ressourcement et de dépaysement (randonnées et bains de sable) sollicitent une appréhension multisensorielle. Ensuite, il renseigne la façon dont, entre immersion et émersion, elles engagent un mieux-être de l’esprit et du corps des touristes concernés par la recouvrance d’un rythme plus en harmonie et en écoute avec la Nature et avec Autrui. Enfin, il questionne la possibilité, les conditions et les limites du bien-être comme ressource territoriale dans le développement touristique du désert.
Mots-clés :
- expérience,
- désert,
- bien-être,
- sensations,
- ressource territoriale
Abstract
The Moroccan Sahara is experiencing a revival of its sports and tourism practices with an orientation toward well-being practices. Based on a literature review as well as a sociological survey conducted in the south of Morocco, this article firstly shows how these practices of healing and change of scenery (hikes and sand baths) require a multi-sensory apprehension. Secondly, it provides information on how, between immersion and emersion, they contribute to the well-being of the minds and bodies of the tourists concerned with regaining a rhythm more in harmony with and attentive to Nature and Others. Finally, it questions the possibility, conditions, and limits of well-being as a territorial resource in the development of tourism in the desert.
Keywords:
- experience,
- desert,
- sensations,
- well-being,
- territorial resource
Article body
Sans doute l’un des reproches qu’on pourrait faire à notre temps est-il de rendre facile l’accès à ces contrées autrefois interdites aux étrangers. Pourtant le désert reste le pays le plus difficile, le plus mystérieux, malgré les véhicules tout terrain et les balises électroniques. C’est que son mystère ne réside pas dans sa nature visible, mais plutôt dans sa magie, dans cet absolu irréductible qui échappe à l’entendement humain. Lorsqu’on vient du désert […], on entre ici dans une aire de recueillement, d’énergie. (Le Clézio et Le Clézio, 1999 : 59-60)
Le Sahara est un territoire désertique nord-africain parcouru – du Nil à l’est à l’océan Atlantique à l’ouest – et habité depuis des millénaires par différentes populations[1], souvent nomades, dont les plus connues sont les Touaregs, les Toubous, les Saharaouis et les Maures et, au-delà de données objectives, il est l’objet de nombreux mythes (Bisson, 2003). Perçus historiquement et culturellement comme hostiles, ergs, regs, montagnes et hamadas sont, depuis le XIXe siècle, devenus des destinations d’aventures pour les occidentaux. De nombreux romanciers (par exemple hier Chateaubriand ou Lamartine, aujourd’hui Andrée Chedid ou François Weyergans) ont fait intervenir le paysage désertique dans leurs récits et l’ont peint comme un espace de renouveau possible loin de l’Occident. Le désert attise en eux des émotions, les unes enchanteresses, voire apologétiques (Ipandi, 2014), les autres plus douloureuses, et apparaît comme opportunité cathartique ou initiatique. Des expériences mêlant ethnographie, découverte scientifique, cheminement spirituel et/ou expérience littéraire se sont renouvelées depuis, en témoignent, entre autres exemples, les écrits d’Isabelle Eberhardt, René Caillé, Camille Douls, Théodore Monod ou Jean-Marie Gustave Le Clézio. Avec l’invention et le développement du tourisme de masse (Viard, 2015 : 189-346 ; Fagnoni, 2017 ; Jacobi, 2017), le Sahara s’est peu à peu transformé en destination touristique d’aventure (souvent) ou de contemplation (de façon plus récente). Mais cette irruption massive de touristes, essentiellement aux franges sahariennes (Cauvin-Verner, 2007 ; Picon-Lefebvre et Chaouni, 2011 ; Gélard, 2016), n’a pas complétement entravé la propagation du mystère saharien.
Le matériau mobilisé au fil de cet article sera double. D’une part, il prendra appui sur une revue de littérature, prioritairement ethnologique, portant à la fois sur l’expérience sportive et/ou touristique de désert comme objet heuristique et sur l’expérience de nature comme facteur de bien-être en postulant une « imbrication du biologique, de l’individuel et du social » pour comprendre le système de symboles qui nourrit cette expérience (Elias, 2015 : 207). D’autre part, le matériau appelé mobilisera les propres expériences désertiques de l’auteur, à la fois comme voyageur-touriste, sociologue et aménageur dans le Sud marocain, à savoir une forme d’« ethnologie de soi-même » (Gouyon, 2013) qui pose évidemment la question de la validité scientifique d’une forme d’autobiographie comme matériau pour la recherche scientifique. Est-ce que l’écriture à la première personne et le récit personnel donnent une autorité scientifique au texte ethnologique ? Clifford Geertz (1996 : 23) écrit à ce propos : « Les ethnographes doivent nous convaincre non seulement qu’eux-mêmes ont été là-bas mais aussi qu’à leur place, nous aurions vu ce qu’ils voyaient, éprouvé ce qu’ils éprouvaient, conclu ce qu’ils concluaient. » Là est aussi un des défis du présent article. Ici, le chercheur devra « se départir de son impassibilité dans une expérience où il ne maîtrise plus un champ (au sens de Bourdieu), où il se laisse happer par ce qui vient de l’extérieur. C’est plus que de l’imprégnation, il s’agit d’une expérience qui le transforme » (Laplantine et Moreau, 2015 : 20). Outre les propres ressentis de l’auteur, le matériau mobilisé a consisté en des données récoltées lors de quatre séjours dans le Sud marocain, entre janvier 2010 et février 2015. Il y a d’abord des notes de terrain témoignant d’observations participantes lors d’expériences de randonnées et de séjours, parfois en bivouac sous la tente, dans la région de Tagounite et M’Hamid (sud de Zagora en direction de la frontière algérienne ; voir carte). Au cours de ces séjours, des entretiens informels ont également été menés avec deux guides accompagnateurs francophones ainsi qu’avec des touristes francophones ayant également effectué un court passage à Merzouga (sud d’Erfoud proche de la même frontière ; voir carte). À ces données de terrain se sont ajoutés quatre entretiens compréhensifs avec des touristes rencontrés in situ ou des connaissances personnelles de l’auteur, entretiens qui se sont déroulés en France successivement quelques semaines puis quelques mois après leur retour d’expérience touristique de désert, et qui ont porté précisément sur leur ressenti quant à ce qu’ils avaient vécu sur place.
Concernant l’objet, il ne s’agira pas de dresser l’impossible portrait de l’ensemble des pratiques physiques ou sportives qui se déroulent dans l’espace saharien, mais de centrer le propos sur celles qui s’inscrivent dans le droit fil de « demandes de bien-être qui conjuguent des désirs de ressourcement (de soi) et des désirs de dépaysement » (Lepillé et al., 2017 : 21). Dit autrement, le bien-être est ici compris comme un état d’osmose, c’est-à-dire « un état de diffusion de l’un vers l’autre, […] un aller-retour, une interpénétration, une influence réciproque entre l’être humain et l’environnement naturel » (Chanvallon et Héas, 2011 : 258). Seront investiguées les pratiques touristiques qui aspirent à rendre possible cette osmose, celles qui, à l’instar du tourisme contemplatif d’aventure et au-delà des apparences, cherchent à instaurer « une sensorialité intimiste avec la nature et la culture » (Bourdeau, 1994 : 10). La randonnée saharienne ou le bain de sable, tout comme le renouveau, souvent largement édulcoré, des méharées témoignent de ces nouvelles tendances de pratiques récréatives, corporelles, physiques ou sportives dans le Sahara. Si ces néo-sportifs vont certes dans le désert « parce qu’ils aspirent à vivre en toute connaissance de cause, à s’affronter aux seuls faits essentiels de la vie » (Thoreau, 1985 : 394), ils y vont aussi maintenant pour « s’exposer à la gamme complète des sensations et des découvertes que propose le ‘milieu’. Ils l’appréhendent par une mise en jeu des sens. » (Evrard et al., 2010 : 82) Parce que « le rapport à la nature comme expérience individuelle, corporelle, sensorielle, voire spirituelle, centrée sur le soi ou l’entre-soi, n’est pas socialement indéterminé », l’usage récréatif du milieu désertique devient alors « le vecteur de sensations multiples, le médium de la relation à la nature » (Krieger et al., 2017 : 30-31). Autant d’éléments qui dessinent la possibilité du désert comme nouvelle frontière d’un tourisme de bien-être.
Le désert comme expérience touristique multisensorielle
« Souvent considérés comme une soif de liberté, une recherche de calme ou d’aventure, les sports de pleine nature peuvent être également perçus comme une façon spécifique et toute contemporaine de faire l’expérience de la nature. » (Niel et Sirost, 2008 : 181) Le vécu de cette expérience touristique de pleine nature saharienne est donc d’abord une expérience multisensorielle. Il s’agit d’« éprouver la Nature, non seulement par le regard, mais par tous les sens, de faire corps avec elle » (Kalaora, 2001 : 595). Le corps des touristes étant le médiateur de ce qui advient dans l’expérience touristique et de la façon dont elle est comprise, cette expérience de « connaissance incorporée [embodied] de l’espace » (Crouch, 2002 : 217) consiste d’abord en une appréhension de l’environnement par la vue, l’ouïe, le toucher et l’odorat. Ces quatre sens sont ceux qui reviennent presque systématiquement dans les récits des voyageurs sahariens et dans les propos des touristes rencontrés.
La vue est mobilisée au prisme de l’étendue désertique et de son infinitude ressentie, parfois de sa grande diversité paysagère (pour les plus expérimentés souvent) et parfois d’une forme de monotonie ou de langueur. Dans une analogie plusieurs fois entendue chez nos interlocuteurs, et à l’instar de la mer chez Paul Valéry (1920), le désert paraît toujours recommencé. Ainsi que le démontre d’ailleurs la philosophe Anne Cauquelin dans son essai sur L’invention du paysage (2000), celui-ci est pratiquement un point de vue moral qui le happe et l’enveloppe avec un appareil culturel historiquement et géographiquement situé. De la sorte, si la nature désertique existe en elle-même, sans lien entre les éléments qui la composent, le paysage désertique est de l’ordre de la représentation culturelle, une construction humaine issue de notre perception. In fine, les autres touristes et nous-mêmes, nous pensions voir la Nature alors que, en réalité, nous sommes confrontés à un paysage qui répond à des formes symboliques, ancrées dans nos esprits et qui sont des « a priori de notre sensibilité » (ibid. : 19). Sarah-Jane Krieger, Valérie Deldrève et Nathalie Lewis soulignent également cette stimulation contemplative chez les usagers récréatifs qui sont très souvent attentifs à la beauté du site lors de leurs activités : « L’esthétique est le registre le plus mobilisé pour commenter l’environnement qu’ils fréquentent. » (2017 : 30) L’ouïe arrive très vite en référence avec la mention récurrente du vent et du silence. « Le désert lavait tout dans son vent, effaçait tout. » (Le Clézio, 1980 : 13) « Parler du désert, ne serait-ce pas, d’abord, se taire, comme lui, et lui rendre hommage non de nos vains bavardages mais de notre silence ? », nous dit Théodore Monod à propos de ces expériences de « méharées » (1937) durant lesquelles les bruits sont étouffés, balayés par le vent de sorte que le silence y règne en maître. Et, comme en écho à cette double sensation, le verbe d’Antoine de Saint-Exupéry (1945 : 80) : « J’ai toujours aimé le désert. On s’assoit sur une dune de sable. On ne voit rien. On n’entend rien. Et cependant quelque chose rayonne en silence… ». Selon notre propre expérience et divers témoignages, le toucher vient assez vite par le biais des sensations de la chaleur, et parfois de la fraîcheur, qui entrent au contact des mains et des bustes allongés dans le sable. Quel touriste ou, plus encore méhariste, n’a pas connu l’étrange et voluptueuse sensation d’un corps traversé par l’humidité surgissant des sables au lever du soleil ? Cela se fait aussi parfois plus violent et plus âpre avec la meurtrissure des corps qui peut apparaître au contact de l’aridité, de la chaleur et de l’abrasivité des sols et des vents sahariens. L’odorat semble le dernier des sens concernés par nos enquêtés. Il apparaît généralement en contraste des autres moments de séjours désertiques. Ainsi, par sa capacité asséchante, le vent semble y transporter les odeurs au loin alors qu’au retour au campement ou au bus, les odeurs ressurgissent. « Le désert ne sentait rien… Ou plutôt, il sentait… le désert… Un air sec qui donne un goût sur la langue et chatouille les narines… Je ne comprends pas pourquoi les hommes bleus se couvrent ainsi le visage… Parce que, quand on rentre dans le bus avec les autres touristes, cela sent le fauve et c’est bien moins agréable », nous dit un touriste français quarantenaire. En écho au Sahara où le vent balaie et efface les odeurs, Jean-Marie Gustave Le Clézio (1980 : 33), évoquant le bivouac des caravanes, parle d’« une odeur étrange […] puissante, âcre et douce à la fois, celle de la peau humaine, de la respiration, de la sueur ». Cela n’est pas sans évoquer le travail de Marie-Luce Gélard (2010) sur « la perception sensorielle d’autrui dans le Sud marocain (Tafilalt, Aït Atta) » où elle montre combien, chez les Aït Khebbach dans la région de Merzouga, les odeurs sont, avant le toucher, des médiums essentiels de la communication avec l’Autre, Homme comme personnage saint incarné dans des éléments de Nature (présentement un bosquet de tamaris au pied d’une grande dune est présenté dans cette passionnante enquête).
Ces expériences sensorielles trouvent une expression magnifiée dans le cadre de deux pratiques touristiques sportives de bien-être : la psammatothérapie et les randonnées. Le cas des bains de sable est assez éloquent. Si le tourisme de désert est une pratique qui se répand et fait l’objet de plusieurs études scientifiques (Cauvin-Verner, 2007 ; Picon-Lefebvre et Chaouni, 2011), les bains de sable sont assez peu enquêtés ainsi qu’en témoignent le travail fondateur dans la région du Tafilalt (sud-est marocain), les enquêtes comme « pratiques et représentations de l’immersion des corps en contexte saharien » (Gélard, 2013) et les « nouvelles formes de médiation du patrimoine environnemental en contexte saharien » (Gélard, 2016).
Ainsi que l’explique en détail Gélard (2013 : 105-108) et comme il nous a été donné de l’entendre décrit par des touristes et des baigneurs étant passés par Merzouga et M’Hamid au début des années 2010, le principe en est assez simple. Lorsque le soleil est à son zénith, l’organisme est immergé dans le sable chaud afin que ce dernier aspire le surplus d’humidité contenu en son sein. Secondé d’un accompagnateur de même sexe rémunéré qui choisit la dune pour y aménager le lieu de pratique, le touriste se dévêt pour optimiser le contact de la peau avec le sable et s’y allonge, puis il est recouvert de sable jusqu’à hauteur de poitrine ou d’épaule, de la graisse ayant été généralement appliquée sur ses chevilles et ses genoux. L’accompagnateur demeure à côté du baigneur durant la totalité de l’expérience corporelle dont la durée varie selon la morphologie de la personne et son état de santé cardiaque[2]. Il protège le baigneur des risques d’exposition à une trop grande chaleur et d’insolation en le couvrant et en le désaltérant. Sorti du sable rendu collant par la sueur, le touriste est enveloppé dans une couverture afin de diminuer le choc thermique et il se rend illico dans une demeure autochtone où, à l’abri du soleil, il se réhydrate en buvant du thé chaud. « Tu sens le sable qui aspire le froid en toi et tu entends ton cœur qui bat » raconte un jeune accompagnateur. La circulation de l’air entre les grains de sable agit comme un isolant thermique et « tu ne brûles pas. C’est une détox du corps grâce à une meilleure circulation sanguine et une importante suée. Tu peux maigrir un peu. C’est bon aussi pour ceux qui ont des maladies de peau. Mais surtout tu te sens neuve. » (Une baigneuse trentenaire parisienne)
Est particulièrement intéressant également le cas des randonnées sahariennes, entendues comme parcours pédestres ou accompagnés d’un camélidé durant quelques heures (souvent 2 à 3, rarement plus) aux marges du désert. Ces randonnées sont destinées à des touristes très peu aguerris qui, sans même tenir compte des actuelles quasi-impossibilités géopolitiques, ne pourraient pas, de toute façon, se lancer dans des méharées ou des « expéditions » de longue haleine nécessitant une préparation, un entraînement et une condition physiques de premier ordre. À l’image des parcs accrobranche pour la forêt (Gibout et Artus, 2005), elles agissent donc comme des succédanés d’expérience désertique. « La randonnée à côté de Zagora [Maroc], c’était exceptionnel. J’avais l’impression de faire une méharée. J’étais Théodore Monod mais sans les risques », dit un enseignant nordiste trentenaire. « Lorsque j’ai marché au sud de Tagounite puis de Tinfou [Maroc], j’en ai pris plein la vue, plein les sens […] Les sensations étaient introuvables ailleurs, J’étais comme sur la lune… », avoue une employée de bureau quinquagénaire. Le touriste de désert est ainsi caractérisé par un combat intérieur entre, d’une part, des sensations de douleur, de souffrance et de déplaisir, et, d’autre part, des impressions de plaisir quasiment charnel ou de convoitise. Le Sahara est un environnement qui suscite l’envie irrépressible du voyageur et qui, simultanément, le malmène. Organisée comme service touristique avec des fins de dépaysement pour le voyageur et de rentabilité pour son hôte, la randonnée désertique a pour finalité touristique de cheminer à travers l’immensité pour en ressentir les bienfaits, les émerveillements et les excitations sans (ou sans trop) en supporter les affres liées à l’excès de soleil, à la soif ou aux douleurs physiques. Dans le droit fil d’un tourisme sensoriel, la pratique y est domestiquée, encadrée et régulée par la main de l’Homme afin de limiter les risques et d’assurer la viabilité économique du produit touristique. Et même si les dispositifs touristiques sont conséquemment de l’ordre d’une fausseté, ils engagent une mobilisation des sens qui procure du bien-être au cerveau et au corps.
Quand la nature fait du bien à notre cerveau
L’apport des sciences de la vie à la compréhension de ce qui se joue dans l’expérience du tourisme désertique de bien-être permet d’objectiver différemment ce qui se joue dans l’expérience de randonnée ou de psammatothérapie. Si l’expérience de pleine nature est de plus en plus difficile à vivre dans un monde occidental urbanisé marqué par la vitesse, le stress, la densité et la connexion aux technologies de l’information et de la communication, de plus en plus d’occidentaux – ou de personnes vivant selon un mode de vie occidental – cherchent à s’en évader pour recouvrer un peu de quiétude et de sérénité. S’il existe souvent des possibilités de micro-coupures – fins de semaine, moments d’évasion dans des espaces de nature à proximité des centres urbains (Bellenger et Sirost, 2017 ; Lepillé et al., 2017 ; Marcotte, 2017 ; Verschave et al. 2017), le moment touristique des vacances est alors fréquemment mobilisé pour asseoir la possibilité de cette rupture avec le quotidien. En quelques jours, les touristes aspirent à décompresser, à s’évader et à communier avec la nature. La destination saharienne n’échappe pas à cette logique. « Avant j’allais à Ouarzazate, mais comme il y a maintenant trop de touristes, je préfère Zagora ou plus loin encore… C’est plus tranquille… Et le désert est beaucoup plus présent. C’est ça que je viens chercher. Être ailleurs, loin du monde et déjà en échanges avec le Sahara, même si on est seulement à ses portes », nous dit une secrétaire quinquagénaire tourangelle. Une Parisienne de ses amies renchérit : « Le désert, j’adore. Un vrai dépaysement… Le silence, les dunes, les montagnes… C’est magique, c’est beau et ça nous fait vraiment du bien. »
De fait, lors d’une immersion en nature, chaque sens offre des bénéfices particuliers qui se cumulent. L’expérience sportive de désert propose un contexte particulièrement immersif. Au milieu des dunes et même sans être jamais très loin des oasis et des communautés locales, les signes de l’activité humaine s’estompent, voire finissent par disparaître. La nature se donne alors toute entière à voir, à toucher, à entendre et à (res)sentir. Les informations multisensorielles ainsi récoltées sont analysées par notre cerveau et elles influent directement sur l’activité d’aires cérébrales dédiées au contrôle psychique et physique. Barbara Bonnefoy (2017 : 155) écrit à ce sujet :
les effets du contact avec la nature sur la santé sont maintenant bien documentés en psychologie […] moins de risque de dépression, d’anxiété, de stress et de maladies respiratoires […] Quatre facteurs majeurs expliquent la relation positive entre le contact avec la nature et la santé : (1) l’amélioration de la qualité de l’air […] ; (2) la stimulation de l’activité physique […] ; (3) la facilitation de la cohésion sociale […] ; enfin, (4) la restauration du stress ou de la fatigue mentale.
D’autres travaux en neurosciences (Ulrich, 1981 ; Gwang-Won et al., 2010) ont montré qu’à la différence des environnements urbains qui stressent les individus au quotidien, la nature sollicite nos systèmes neuronaux en douceur, sans les surcharger. Un état de bien-être en est consécutif. L’environnement de pleine nature fluidifie et apaise notre état émotionnel, un abaissement de l’activité du cortex préfrontal ventromédian (une zone associée aux ruminations négatives), une augmentation des « ondes alpha » caractéristiques d’un état de relaxation, enfin, comparativement à un environnement urbain, une activation moindre de l’amygdale, centre cérébral de l’anxiété et des émotions négatives. Mieux encore, l’activité physique de pleine nature ou de plein air agit également de façon positive sur le cerveau humain en améliorant l’estime de soi et/ou la bonne humeur chez les pratiquants (Brown et al., 2013 ; Wood et al. 2014 ; Kondo et al., 2018). De la sorte, par la simple confrontation à un environnement naturel qui s’oppose au rythme urbain, par l’activation d’un effort physique – fut-il modéré – au sein de cet environnement, l’individu procure un état de bien-être pour son cerveau. En recherchant ces connexions avec la nature par le biais d’expériences physico-sportives douces, il s’agit de prescrire une dose de nature qui agit positivement sur notre état cérébral et sur notre sentiment de mieux-être.
L’expérience sportive ou corporelle vécue et observée dans le Sud marocain s’inscrit alors moins dans une satisfaction immédiate de besoins hédonistes que dans une démarche plus personnelle et – souvent – plus spirituelle de construction d’un sens pour sa propre vie et de recherche d’un état de bien-être (ou de mieux-être comparativement à celui inhérent à la vie sociale et professionnelle hors du temps des vacances). Cette pratique sportive douce de pleine nature désertique est alors « recherchée comme une quête d’émotions, comme si une alliance évidente se réalisait entre l’Homme et la Nature et reconnectait à l’essentiel » (Chanvallon et Héas, 2011 : 357). Certains auteurs (dont Fredrickson et Anderson, 1999 ; et Humberstone, 2011) suggèrent même plus clairement une dimension spirituelle de l’expérience sportive en milieu naturel ; la relation d’échanges, voire de communion avec la nature, provoquant des sensations et des émotions qui amèneraient – ou aspireraient – à une transformation de soi. Cette quête de spiritualité – comme relation avec le cosmos, recherche de sens et principe vital de l’individu – se retrouve dans les expériences de tourisme sportif saharien. Ici la posture de quête intérieure s’accomplit dans l’expérience physique d’une relation avec l’extérieur et avec une matérialité qui sort de l’ordinaire et confine à l’imprégnation. Évoquant sa courte expérience de randonnée pédestre et chamelière en 2013, une cadre parisienne trentenaire explique : « Même si ce n’était que trois jours, le dépaysement est total. Il y a un truc qui nous envahit. C’est inexplicable […] Comme un grand vide, un lâcher-prise qui nous ouvre à la possibilité d’une rencontre, à la fois avec le désert et avec soi-même. » Son compagnon ajoute : « Cela fait un bien fou. La tête se vide du stress emmagasiné depuis des mois. En harmonie avec ce qui nous entoure, on devient disponibles pour accueillir l’autre et on se retrouve nous-mêmes. » Il en va de même pour les bains de sable. « Lorsque je prends mon bain de sable, mon corps est complétement enserré. Mon cerveau alors se libère. C’est un peu comme au sauna. L’air y est sec. La chaleur engourdit mon corps qui transpire. Je peux alors laisser vagabonder mon esprit pendant et après car je suis devenu propre à l’intérieur », confesse un enseignant quinquagénaire. Une autre, d’un même groupe d’ami·e·s, suggère le parallèle avec les cultures asiatiques qu’elle affectionne et pratique régulièrement : « Bains de sable ou séances yoga, c’est la même logique. Je me connecte à mon environnement et je lâche prise. Tout devient doux dans ma tête. Je suis alors pleinement sereine. » Ici de façon assez paradoxale pour un moment de voyage qui se voudrait en « vacance de grandes valeurs[3] », le bien-être devient un impératif moral. Il y a une forme d’injonction de prise de soin de soi, le retour à une sagesse inspirée de la dixième Satire de Juvénal – « mens sana in corpore sano » – selon laquelle la santé physique est en lien avec une transcendance ou une spiritualité. En opposition aux trépidations de la vie occidentale (Rosa, 2010), le séjour touristique désertique apparaît comme une occasion écologique de rapports plus harmonieux et plus à l’écoute entre un individu, une activité et un environnement, d’une opportunité de mieux-être, de recouvrance d’un rythme plus en « résonance » avec la Nature et avec Autrui (Rosa, 2016).
Quand la nature fait du bien à notre corps
Ainsi que le montre Bernard Andrieu (2014 : 20), la nature – ici le désert – n’est pas seulement le support d’un loisir, mais également « une école expérientielle des corps incorporés dans la nature ». Dit autrement, la nature nous confie des sentiments, le paysage épanche son caractère en nous, les éléments naturels et les Hommes nous touchent non seulement dans notre intellect mais aussi dans notre sensibilité. La « résonance » (Rosa, 2016), tirée d’une acception musicale pour souligner que la relation fonctionne à double sens comme le son, est une façon de s’adresser au monde et d’être adressé par lui.
Dans mon expérience subjective, le Monde et le Moi ne sont pas séparables. Je perçois le Monde. IL est donc en Moi, mais je suis également en lui. C’est au niveau de ce nœud originel du Moi et du Monde que se joue la possibilité d’une conversation, d’un jeu de questions et de réponses, de la résonance. Alors oui, quand je résonne, je parle au monde et il me répond. Le vent a quelque chose à m’apprendre sur moi. (Rosa, 2018 : 47)
Là est exactement ce que nous racontent les touristes rencontrés ou, même, ce que nous avons expérimenté personnellement. En marchant dans le désert, nous vivons une expérience émersiologique (Andrieu, 2014), laquelle s’appréhende d’abord par la qualité de l’expérience corporelle (Martínková et Parry, 2011). Il y a rapidement une sensation d’interaction avec l’environnement. Dans une logique d’écologie sensorielle se crée « un espace d’échange sensible entre homme et milieu s’offrant réciproquement l’un à l’autre dans une visée fusionnelle » (Andrieu et Sirost, 2014 : 7). Le paysage entre en nous d’abord par la vue et l’émerveillement qu’il provoque. Mais, très vite, le vecteur sensationnel s’amplifie. Le désert met à l’épreuve les différentes parties du corps : la tête et le visage, les jambes et les bras, le buste et le dos. La chaleur, la roideur, la rugosité, la sécheresse, tout est appréhendé par corps. Cet apprentissage, parfois violent et un peu douloureux à ses débuts, laisse vite la place à un sentiment de bien-être. Le désert entre en nous et il nous enveloppe d’une cape d’un étrange confort qui est in fine essentiellement retenu par les touristes enquêtés[4].
Les adeptes des bains de sable révèlent des sensations similaires. Un indice ne trompe pas : la plupart rejettent l’appellation de touristes et lui préfèrent celle de curistes, suggérant par là même le bénéfice sanitaire qui est attendu de cette pratique d’immersion dans le sable. Les bains de sable seraient recommandés pour les personnes souffrant de rhumatisme articulaire, de polyarthrite ou encore de lombalgie.
Les modalités d’application de cette thérapeutique se seraient inspirées, rapportent les Aït Khebbach, des techniques anciennes utilisées pour réparer les fractures osseuses. Après réduction si nécessaire de la fracture, les vieux conseillaient de maintenir la partie du corps blessée sous le sable chaud. Autrefois, les nomades chauffaient le sable avec des braises et s’y allongeaient afin de soulager leurs douleurs lombaires […] La technique et l’usage auraient donc une origine ancestrale… L’institutionnalisation de la pratique, devenue « bains de sable », s’enracinerait donc, pour la plupart des Aït Khebbach, dans les usages des Anciens. (Gélard, 2013 : 104)
La dessiccation y est perçue comme un remède aux maux des corps, en particulier les maux invisibles. Il s’agit de désintoxiquer le corps, parfois même d’une étrange promesse de faire fondre la graisse. La référence culturelle à la tradition nomade saharienne de dessiccation des aliments est aussi mobilisée. Comme la cuisson du pain dans le sable est réalisée pour des raisons prophylactiques (meilleure conservation) et/ou religieuses (intersession de vœux ou de protections diverses auprès de Lala Merzouga incarnée dans une dune) (Gélard, 2013), l’immersion du corps dans le sable se pare de vertus nouvelles, inhérentes à son entretien, sa remise en ordre fonctionnel, voire son expressivité spirituelle. L’activation du corps par la chaleur permet ainsi d’accéder à une prise de conscience supérieure de ce corps et d’engager la possibilité d’une expérience réflexive. « Plongée dans le sable, mon corps revivait. Étrangement, en dépit de la température extrême, il ne brûlait pas. Il se libérait des miasmes et je me sentais infiniment mieux. Disposée à repartir de l’avant. Même mon cerveau était plus alerte. » (Une thésarde suisse) « Tu te glisses dans la dune, comme un poisson de sable pour reprendre la jolie expression locale qui désigne les occidentaux[5], la chaleur t’envahit. Elle t’apaise. L’effet se sent. Et après, lorsque tu sors, tu es comme lavé. Ton corps reprend vie. Tu es empli d’une vigueur inédite. » (Un cadre parisien)
Ces pratiques physiques nouvelles de tourisme de désert font écho à l’émersiologie « qui consiste, en activant le corps vivant par la pratique corporelle, à repérer les degrés d’éveil de la conscience, en allant de l’inconscience du vivant à la conscience du vécu » (Da Nobrega et al., 2017 : 39-40). Au cours de ces expériences sahariennes comme touristes ou voyageurs, ces derniers retrouvent leur propre corps, ils se le réapproprient, ils recouvrent une conscience de leur corps vécu et la mobilisent dans une pratique réflexive rendue opérationnelle par l’émersion dans le sensible et le vivant de leur environnement. Cette immersion dans la nature comporte une direction double,
à la fois extérieure, par l’inclusion de notre corps dans le milieu ou dans l’élément, et intérieure, par l’émersion en nous de sensations inédites. Ce double mouvement n’est pas entre les mains de l’immerseur. Celui-ci se place dans des situations inédites qui produisent un renouvellement sensoriel plutôt qu’un étonnement qui s’oppose à la volonté de contrôle. Le vécu en première personne perçoit l’immersion à partir des sensations qui émergent dans le corps vivant au cours des expériences. (Andrieu, 2017 : 39-40)
Conséquemment, ces pratiques de randonnées et de psammatothérapie sahariennes expriment une quête d’expériences uniques par un touriste « à la fois plus ludique, individualiste et sensible aux dimensions symboliques, culturelles, ethniques et environnementales de consommation » (Lequin et Carrière, 2011 : 76). Ces nouvelles recherches d’altérité touristique au cœur de l’expérience touristique traduisent un renouvellement partiel de la demande des voyageurs occidentaux. Parce que « le tourisme [y] est une pratique de connaissance ontologique, une rencontre avec l’espace qui est à la fois sociale et incorpore un sentiment de faire incarné [embodied] » (Crouch, 2002 : 211), cela oblige les exploitants d’entreprise touristique locaux à intégrer cette logique expérientielle d’activités renouvelées où le corps s’implique dans l’expérience touristique aux fins de mieux-être du corps et de l’esprit.
Le bien-être comme ressource territoriale pour le développement touristique
Même si cela s’inscrit davantage dans la vulgate des poncifs sur le désert dans l’imaginaire occidental (Cauvin-Verner, 2007) que dans les réelles ressources de l’imaginaire et des langues autochtones (Taine-Cheikh, 2014), pour les touristes occidentaux rencontrés dans le Sud marocain, ici rien ne semble devoir rester, pas même la trace des Hommes bleus et autres arpenteurs sahariens. « C’était comme s’il n’y avait pas de noms, comme s’il n’y avait pas de paroles » (Le Clézio, 1980 : 13). De facto, le Sahara est un recommencement. Il semble immuable pour l’Homme de passage mais, pour qui le pratique réellement, il fait fi du concept de limite. Pour suggérer cette infinitude de l’espace qui s’inscrit bien dans cet imaginaire occidental du désert, Le Clézio (ibid. : 362) évoque cette errance « jusqu’à la fin de leur existence, dans cette marche sans fin ». Et, dans un échange qui témoigne bien que, plus ou moins consciemment, il incarne ce Touareg mythique vendu par les guides touristiques aux occidentaux et empreint de mystères et de savoirs autochtones ancestraux (Oiry-Varacca, 2012), un Homme bleu organisateur de courts séjours dans le désert marocain explique que le Sahara est infini et incertain, jamais le même et conséquemment dangereux pour qui s’y aventure sans possibilité de repère ou de conseil. Une ambivalence entre, d’une part, la fascination pour l’immensité et le mystère et, d’autre part, la peur de s’égarer et le danger qui justement devient une ressource territoriale paradoxale pour le développement touristique des pourtours sahariens. En effet, le désert est en perpétuel mouvement et en éternelle transformation sous l’effet des vents et des mouvements de terrain qui déplacent les dunes, assèchent les oasis, aplanissent les montagnes et transforment la granulométrie des sols. Comment, dès lors, nommer un espace qui change en permanence si nous considérons que cette nomination est un acte de fondation déterminant un lieu et une capacité d’action ? Comment définir un lieu qui, au fil des ans, évolue ou une place en son sein qui s’adapte aux contingences de ces évolutions ? Anne Cauquelin donne des éléments de réponse lorsqu’elle évoque « un jeu subtil […] entre ce qui, illimité en principe, est cependant limité par le cadre a priori de notre vision, suivant le modèle symbolique – la perspective et ce que nous nous efforçons de maintenir ouvert (la richesse sans fin de la nature) » (2000 : 124). De la sorte, et par la grâce du travail du guide qui accompagne les touristes dans ces franges sahariennes, à la fois les rassure et y cultive le mystère (Cauvin-Verner, 2008), en acceptant de tenir ensemble l’infini – et le dépaysement qui lui est inhérent – comme ressource imaginale et la finitude de l’expérience touristique désertique (un lieu circonscrit, un temps limité, un encadrement technique et humain important), le Sahara peut devenir une ressource territoriale, à savoir « une caractéristique construite d’un territoire spécifique et ce, dans une optique de développement » (Gumuchian et Pecqueur, 2007 : 5).
Pour le dire en peu de mots, il y a là, à travers ces récits d’expériences touristiques sahariennes, la mythologie d’une « quête du désert » dans laquelle la wilderness constitue un ultime rempart contre la civilisation, la pollution, la modernité urbaine et industrielle, la société du trop-plein (Arnould et Glon, 2006 ; Cronon, 2009). À des attributs de position, de localisation et d’histoire liés à l’identité désertique des lieux d’implantation des activités touristiques, s’ajoutent alors des attributs liés aux stratégies des acteurs locaux qui cherchent à se diversifier et à construire une synergie renouvelée entre des ressources locales et un projet de territoire (Gumuchian et Pecqueur, 2007 ; Cauvin-Verner, 2008 ; Picon-Lefebvre et Chaouni, 2011 ; Oiry-Varacca, 2012, Gélard, 2016). Ici, Il y a une forme d’épuisement des anciennes expériences sportives et touristiques extrêmes (raids aventures, treks, courses automobiles, etc.) qui s’inscrivent complètement dans la logique de la société de consommation. Pour ces derniers touristes épris de performance, d’accumulation de micro-expériences, il ne s’agit plus tant de vivre l’épreuve saharienne que de satisfaire leur égo, que de collectionner les preuves de leur capacité financière et de leur capacité de déplacement (Gibout, 2020). À l’instar de ce que présentait déjà Thorstein B. Veblen (1899), il s’agit d’abord de montrer en grandes lettres son statut social, hier via des soirées diapos, aujourd’hui via un fil Tweeter ou une page Facebook. Histoire de pouvoir ajouter « j’ai fait le Sahara » à la litanie des voyages, car, « par rapport au spectateur, le touriste est, fait […] et acquiert […] Il y a introduction simultanée d’un supplément d’être et d’une quantité d’avoir dans le voir touristique. L’auto-implication physique est en même temps une appropriation, certes semi-magique ressentie comme une exaltation, un enrichissement de soi. » (Morin, 1976 : 83)
Mais l’intensification de ces déboulés de touristes sportifs dans les différents sites fragilise les environnements, crée du désordre vis-à-vis des populations locales, bouleverse et fragilise les cultures locales et les patrimoines au profit de la satisfaction immédiate des occidentaux en quête de pseudo-exploits physiques ou de frissons touristiques (Urbain, 1993 ; Marcotte et Bourdeau, 2010 ; Paquot, 2014 ; Gélard 2016). Si le départ des touristes dans ces périphéries sahariennes s’appuie également, de leur part, sur un discours écologique ou de sensibilité environnementale, la réalité est beaucoup plus contrastée. Aussi les exploitants touristiques locaux s’engagent-ils aujourd’hui davantage dans un renouvellement de leur offre, qui, tout à la fois, vise à contrer (au moins partiellement) les méfaits précités, à protéger la ressource naturelle et culturelle locale en l’inscrivant dans une logique de développement touristique durable, enfin à offrir un service touristique alternatif. Ainsi, dans le cas saharien enquêté avec les randonnées et les bains de sable, « la ressource territoriale représente la découverte et l’actualisation d’une valeur latente du territoire [c.-à-d. le bien-être] par une partie d’une société humaine qui la reconnaît et l’interprète comme telle, à l’intérieur d’un projet de développement territorial » (Corrado, 2004 : 23). La (re)découverte de ces activités de pleine nature désertique fondées sur le ressenti de son corps vivant et sur le fait de se fondre dans la nature devient alors un marqueur identitaire territorial possible pour un développement touristique des espaces des lisières sahariennes qui cherchent à renouveler leur offre de services aux voyageurs (Gélard, 2013) et à davantage préserver les ressources naturelles et culturelles locales pour les générations futures d’autochtones et de touristes qui les font vivre (Picon-Lefebvre et Chaouni, 2011 ; Oiry-Varacca, 2012 ; Gélard, 2016).
Conclusion : le tourisme saharien comme illusio ?
Pour la majorité des touristes rencontrés, et à l’instar de ce que démontre Glen Buron (2018) concernant le territoire béarnais, le Sahara est un territoire du lointain, imaginé, « imaginateur » (source d’imaginations et de fantasmes) et craint. Les touristes aspirent largement à les transformer en des formes renouvelées d’espaces du proche, sécurisés et où, finalement, l’aventure n’existe plus vraiment sauf sous une figure de « faux sauvage », sous forme de lieux de bien-être et d’harmonie entre l’individu et son environnement. À la forme ancienne d’appréhension touristique de l’espace désertique par la vitesse, l’urgence et l’« accélération » (Rosa, 2010), se substitue – ou plutôt s’ajoute – une nouvelle forme d’appréhension par la « résonance » (Rosa, 2016), plus ralentie et plus conversationnelle avec le Monde, la Nature et l’Humanité (Gibout, 2020). Dans le cadre de ces nouvelles pratiques touristiques désertiques de bien-être, il s’agit alors pour les vacanciers d’aventure rencontrés de « se fondre dans la nature » (Andrieu, 2017), à savoir simultanément se dissoudre – ou se confondre – dans un Milieu pour faire éprouver au corps de nouvelles expériences sensorielles ainsi qu’une mémoire expérientielle (immersion) et se lancer dans une redécouverte d’une Nature intériorisée dans le corps et l’esprit (émersion). Le Sahara marocain y est, en apparence peut-être, mieux respecté et davantage préservé comme ressource touristique ; même cette logique apparaît comme une condition d’un renouvellement de son exploitation humaine. Ainsi le Sahara devient-il une ressource pour un développement touristique du territoire mais sous la forme d’une illusio (Bourdieu, 1979) – de in ludo (être dans le jeu, participer au jeu) –, c’est-à-dire d’une image qui permet de (se) duper et de (se) tenir en haleine, d’un rapport enchanté à un jeu, produit d’une complicité – nécessaire mais souvent non consciente – entre des structures objectives (ici l’espace physique saharien marocain et le système des relations sociales qui l’exploite touristiquement) et les structures mentales des touristes qui y apposent leurs cultures et leurs histoires individuelles et collectives, leurs rêves et leurs espérances.
Appendices
Notes
-
[1]
Contrairement à ce que laisse à penser une légende tenace, le Sahara est une zone peuplée puisqu’on estime aujourd’hui que la densité de population du Sahara est d’environ un habitant au kilomètre carré (8 millions d’habitants pour 8 millions de km²).
-
[2]
Sans que nous n’ayons nous-même pu l’observer, mais ainsi que Marie-Luce Gélard (2013 : 109) a pu le mettre en évidence dans des temps d’enquête beaucoup plus longs – depuis une vingtaine d’années –, l’engouement pour les bains de sable a entraîné un regain d’accidents vasculaires qui oblige aujourd’hui les personnes les plus âgées ou les plus « à risque » à consulter un médecin ou un infirmier avant de s’engager dans cette pratique. De la même façon, la durée moyenne d’immersion tendrait conséquemment à se réduire pour limiter les risques sanitaires.
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[3]
Morin écrit que de la vacance des grandes valeurs naît la valeur des grandes vacances (1976 : 85).
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[4]
Si quelques propos in situ ont assurément pointé des formes d’inconfort physique consécutives aux conditions climatiques et de vie, ces dernières semblaient oubliées au retour en France et, de façon unanime dans le petit échantillon enquêté, n’étaient alors plus mentionnés que les effets de bien-être et de dépaysement lors des entretiens menés quelques semaines puis quelques mois après la fin du court séjour dans le Sud marocain.
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[5]
Il est à noter que, à l’instar de l’auteur qui l’a également découvert par la lecture anthropologique, ce touriste semble ignorer le caractère volontiers péjoratif de ce surnom de « poisson de sable » (chghchman en Tamazight) mobilisé par les autochtones pour comparer les occidentaux – ou même les touristes uniquement arabophones – à ce lézard couvert d’écailles qui se faufile dans les sables (Gélard, 2013 : 116-117).
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