Abstracts
Mots-clés :
- Tourisme,
- destination,
- technologie,
- startup,
- événementiel
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Après l’obtention de son baccalauréat en gestion du tourisme et de l’hôtellerie à l’École des sciences de la gestion (ESG) de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), Kevin Sauvageau a occupé des postes au sein de départements commerciaux d’établissements hôteliers en plus de travailler en tant que consultant chez Horwath HTL, où il a effectué des études de marché et de faisabilité de projets. Aujourd’hui, Kevin travaille chez Stay22 en tant que chargé des partenariats et du développement des affaires.
L’entreprise Stay22 est une des premières pousses (startup) issues du MTLab, premier incubateur d’entreprises touristiques en Amérique du Nord. Stay22 utilise les dernières technologies du Web pour offrir des services de réservation d’hébergement lors de la tenue d’événements, tels des festivals, des congrès, etc. Cette nouvelle pousse offre aujourd’hui des options de réservation d’hébergement en ligne pour plus de 1000 festivals et événements, à travers trente destinations.
Question : Est-ce que l’événementiel prend une place différente d’une destination à une autre ?
K.S. : Clairement oui ; l’événementiel va prendre une place différente d’une destination à une autre en fonction de deux grandes verticales qui sont d’un côté les événements corporatifs, tels les congrès, et d’un autre côté les festivals, qui comprennent le festival culturel, les fêtes, et peuvent même se décliner en plusieurs sous-segments comme le festival holistique ou religieux autour de certaines croyances.
Si l’événement est de nature corporative, celui-ci aura un impact très différent sur la destination d’un point de vue socioéconomique, puisqu’il peut s’agir de conférences et de réunions d’affaires internationales. On va retrouver typiquement les destinations européennes comme l’Angleterre, la France, l’Espagne, le Portugal, l’Allemagne, les Pays-Bas et les pays du G8. En termes de destinations avec des grandes métropoles, on retrouve Madrid et Barcelone pour l’Espagne, Paris, Berlin et Londres. C’est un peu la même logique du côté de l’Amérique du Nord avec Las Vegas, Orlando, Chicago, Dallas, San Francisco et, au Canada, Montréal, Toronto et Vancouver.
Du côté des festivals, évidemment on a tout ce qui est issu de la culture, et qui n’est pas nécessairement un spectacle de musique basé sur le folklore. On a aussi des festivals vraiment plus tendance, reliés aux loisirs ou à des styles musicaux. On commence à en voir de plus en plus qui sont une combinaison, un peu comme le SXSW (lire South by Southwest), très populaire et très connu, qui est un mix de conférences et de festivals. Ce type d’événement comprend quelques jours de conférences d’affaires au début et se termine avec un festival de musique. Si l’on prend par exemple les événements reliés au cannabis – qui est très d’actualité –, on commence à faire un mix entre festival de musique et volet plus éducatif, plus sérieux, avec tables rondes de discussions, en plus d’un volet exposition où les nouvelles compagnies viennent présenter leurs produits.
Question : Quelles sont les destinations les plus populaires pour votre organisation ?
K.S. : Pour Stay22, notre marché est concentré sur l’Angleterre et les États-Unis, en plus d’entreprises en Australie. Nous avons fait des progrès récemment dans des régions moins connues, moins fréquentées sur le plan événementiel, comme le Moyen-Orient, l’Europe de l’Est et l’Afrique du Sud, mais nos activités liées au développement de notre plateforme en ligne de réservation se font principalement en Europe de l’Ouest et en Amérique du Nord.
Question : De quelle façon les destinations s’ouvrent-elles, ou pas, aux options de réservation d’hébergement que vous proposez ?
K.S. : Toutes les destinations sont ouvertes aux nouvelles options d’hébergement. Nos interlocuteurs sont davantage les organisateurs d’événements qui nous accueillent souvent à bras ouverts, parce que nous proposons tous les types d’hébergement. L’organisation de méga festivals qui nécessitent de très grands espaces se réalise souvent loin des centres urbains, en zone rurale, loin des hôtels, et requiert quand même plusieurs types d’hébergement. Quand l’événement se déroule dans une campagne ou même dans une plaine, les organisateurs sont très contents de pouvoir compter sur une solution comme la nôtre. Bien qu’il y ait souvent un hôtel à quelques minutes, le fait de pouvoir présenter une solution qui comprend toutes les autres options d’hébergement disponibles dans les environs, y compris Airbnb, est reçu très positivement.
Un seul petit bémol que je peux ajouter à ce sujet concerne le marché asiatique, où la barrière de la langue est un énorme défi. Comme pour plusieurs entreprises occidentales, le défi de la langue représente une barrière entre nous et les organisateurs d’événements. Stay22 est donc beaucoup moins présent au Japon et en Chine. Une petite étude de marché que nous avons effectuée récemment a révélé que 80 % des participants aux festivals en Asie sont dans la tranche des 20 à 35 ans. Puisque nous sommes une nouvelle solution technologique sur mobile, nous croyons que cette clientèle sera plus encline à utiliser notre outil de réservation que les personnes plus âgées qui vont utiliser les canaux classiques de réservation.
Notre approche par rapport aux choix de destinations est souvent influencée par le point de vue financier. Pour nous il y a une différence entre le succès des destinations dont le taux de change est plus haut, par exemple l’Angleterre qui génère plus de revenus, et la Thaïlande, à l’opposé, qui a un taux de change moins avantageux, ce qui va nécessiter plus de réservations pour générer le même revenu. Nous sommes alors assez influencés par le taux de change, le coût de la vie, et c’est un peu ce qui guide notre stratégie.
L’intérêt pour notre solution technologique est tout de même assez global : c’est un service de réservation en ligne avec une carte qui présente tous les hébergements à proximité de la conférence ou du festival auquel une personne s’apprête à participer.
Question : Quelle est la plus grande destination événementielle de la planète ?
K.S. : La grande ligne qui divise la place que prend l’événementiel dans une destination est le type de rencontre : loisirs ou affaires.
D’un point de vue affaires, je dirais que c’est Londres qui reçoit un volume très élevé de rencontres d’affaires et de congrès et qui possède aussi d’importantes infrastructures pour les accueillir. Du côté des Amériques, Las Vegas a des infrastructures d’accueil d’événements d’affaires d’envergure et la destination réussit incroyablement bien à attirer ce type d’événement à coup d’importantes initiatives publicitaires. Au niveau des destinations de loisirs, les festivals ont tendance à se rattacher à des destinations voyage plus populaires, celles qui sont plus en vogue. On voit apparaître ce qu’on appelle des festivals de destination. Je pense par exemple à Bali en Indonésie, où nous sommes en discussion pour faire une percée, qui est devenue de plus en plus populaire dans les dernières années. Il y a aussi les destinations qui visent un mix corporatif et festival, comme les Émirats arabes unis, dont Abou Dhabi et Dubaï avec qui nous avons beaucoup de discussions.
Le phénomène de « festival de destination » prend aussi beaucoup d’ampleur. Dans ces nouvelles destinations, il y a par ailleurs des histoires plus particulières, je dirais même d’horreur, comme le Fyre Festival qui s’est tenu à Exuma, aux Bahamas. L’organisateur a été finalement condamné à la prison l’année dernière [2018]. Celui-ci avait promis et vendu l’accès à un festival super luxueux sur une île privée, à Exuma, à un prix entre dix et quinze mille dollars par billet. Une grosse effervescence a entouré ce festival avec l’appui des influenceurs qui ont endossé l’événement sur Instagram et d’autres réseaux sociaux. L’événement était soutenu par un immense budget et par plusieurs moyens de promotion. Une fois arrivés sur place, les participants ont été hébergés dans des tentes de l’armée et la nourriture était de très bas de gamme. La tête d’affiche des spectacles à venir s’est désistée au dernier moment et le tout est tombé à l’eau, suscitant le plus grand mécontentent des participants qui ont entamé des poursuites judiciaires.
Ce genre d’événement en a refroidi plusieurs quant à ce nouveau concept de « festival destination » où les gens prennent l’avion pour une destination dans le but spécifique de participer au festival. Depuis deux ans, ce type de festivalier est beaucoup plus réticent à s’aventurer dans ce genre de festival ; sur les réseaux sociaux dédiés à l’événementiel, les voyageurs commencent à prendre leurs précautions avant de se lancer dans un festival d’exception de ce genre et font plus de recherches avant de s’aventurer vers un festival dans un coin méconnu, de la Thaïlande par exemple, uniquement sur la base d’un influenceur.
Question : Qu’en est-il de Montréal comme destination de festival ?
K.S. : Personnellement pour Stay22, si je prends en compte le contexte de la province de Québec, bien que j’adore notre province, c’est un très petit marché. Montréal est une bonne destination événementielle et bien que ce soit un petit marché, nous avons appris à travailler avec le Palais des congrès et Tourisme Montréal et nous faisons maintenant partie des fournisseurs qu’ils recommandent. Nous sommes maintenant considérés comme solution d’hébergement pour les événements d’envergure de grandes fédérations ou d’événements sportifs qui vont se dérouler à Montréal. Les organisateurs vont venir à nous pour simplifier l’expérience de réservation de leurs voyageurs internationaux. Montréal représente un beau potentiel intéressant, mais demeure limité. Malgré tout, je ne crois pas que nous sommes dans les « top » dix ou quinze métropoles du monde en termes d’événement corporatif ou de festival.
Question : Qui sont les acteurs de l’événementiel ?
K.S. : Lors d’événements internationaux, généralement, il y a un promoteur international qui travaille avec un promoteur local, normalement plus petit mais qui connaît bien le réseau local. Par exemple, un promoteur venant des États-Unis pourra organiser un événement à Bali sans avoir à se déplacer constamment. Pour certaines destinations, plus exotiques, il y a souvent des histoires incroyables où l’influence locale peut donner accès à des privilèges qu’un étranger n’aurait pas.
De plus, un autre acteur d’importance est le site où se déroule l’événement, qui s’occupera de plusieurs dimensions logistiques. Enfin, il y a tous les commanditaires de l’événement pour qui on veut assurer une certaine visibilité. Le promoteur principal devra donc gérer toutes les parties prenantes. Par ailleurs, la vente de billets est une autre dimension qui peut être assurée par une partie prenante locale, internationale ou même technologique. Étant donné sa taille et son envergure, souvent le promoteur international arrive avec sa plateforme de vente de billets. Ainsi, chez les parties prenantes événementielles, il existe un genre de trio composé d’un promoteur, d’une billetterie et d’un site. C’est trois entités travaillent ensemble avec les parties prenantes locales.
Question : Qui sont les gros joueurs ?
K.S. : Du côté de l’événementiel, on peut parler d’AEG Presents, un énorme groupe, et aussi de Live Nation ; ce sont les deux plus gros organisateurs et promoteurs d’événements sur le marché. Eux-mêmes vont souvent acheter ou faire l’acquisition de plus petits promoteurs et les intégrer dans leurs équipes. C’est fréquemment le cas lorsqu’un plus petit promoteur organise des événements de taille moyenne : le plus gros promoteur va simplement l’approcher pour intégrer ses événements sous sa bannière, pour ainsi aller chercher une certaine notoriété, avoir accès à un plus grand nombre d’utilisateurs, et tout ça avec un système de redevances pour le volet financier.
Question : Est-ce qu’il reste de la place pour les petits promoteurs indépendants ?
K.S. : Ce qui arrive en ce moment c’est que beaucoup de petits promoteurs d’événements se positionnent dans une niche très spécialisée. Le dilemme qui demeure dans l’événementiel est la rentabilité. Les petits organisateurs se lancent dans l’événementiel local en se disant qu’ils réaliseront l’événement à perte pour les deux ou trois premières années. Cela prend des nerfs d’acier et il faut avoir un horizon de long terme, sachant que les premières années seront déficitaires. Plusieurs se lancent dans la réalisation d’un festival pensant qu’il sera rapidement profitable, mais perdent beaucoup d’argent et déclarent forfait.
Beaucoup de petits festivals émergent, spécialement dans le monde de la musique autour de nouveaux styles, comme dernièrement le dubstep. Ces petits festivals se répliquent dans différentes destinations pour ensuite être regroupés sous une grosse compagnie de production, et si ce type de festival continue à progresser, une chaîne internationale de production va s’y intéresser et les promouvoir sous une bannière unique. C’est un milieu qui est très dynamique et où tout change rapidement. Le monde des billetteries est aussi très dynamique ; des petites billetteries locales s’ouvrent avec un créneau unique, réussissent à couper certains frais ou à ajouter certains services à leur offre, et lorsqu’un petit joueur grossit, une société comme Ticketmaster ou StubHub en fait l’acquisition.
Question : Dans les destinations explorées par Stay22, laquelle a un système d’acteurs le mieux organisé ?
K.S. : Ce serait les mêmes destinations que mentionnées plus tôt, soit Londres et les grandes villes de l’Europe de l’Ouest, en plus, je pense, de la côte ouest et la côte est américaines, dont Las Vegas, Orlando, San Francisco et Dallas. Les compagnies d’organisation d’événement sont bien établies dans ces marchés.
Cela fait longtemps qu’elles existent et ces destinations ont depuis fort longtemps été prisées pour l’événementiel, ce qui fait qu’il y a plusieurs compagnies qui sont bien établies, bien rodées avec une présence sur le marché international depuis des dizaines d’années. La côte ouest américaine se démarque par l’effet de Silicon Valley et la présence de startups qui amènent beaucoup plus d’idées, de solutions alternatives qui émergent, amenant à leur tour l’événementiel à être plus innovant. Pour la côte est américaine, je dirais peut-être qu’elle est plus « classique » dans sa façon de réaliser des événements, mais tout aussi bien rodée que la côte ouest.
Question : Qu’est-ce que l’événementiel apporte à ces destinations ?
K.S. : Je pense que l’événementiel de type corporatif apporte peu aux grandes destinations urbaines de congrès ; il y a bien sûr les emplois et les revenus. Si l’on regarde davantage d’un point de vue social, ce sont souvent les destinations plus exotiques ou tierces qui vont bénéficier d’un certain échange culturel. Donc je pense à la Thaïlande, à Bali, ou même à l’Afrique du Sud qui sont très populaires présentement. Bien sûr il y a le côté économique et ces destinations sont généralement plus abordables. Le gain qui à mon avis est le plus important pour ces destinations dites secondaires est culturel.
Il y a un échange plus fort entre les festivaliers et la communauté. Que ce soit pour les événements corporatifs ou les festivals, les participants peuvent vivre une expérience locale unique et les locaux semblent être moins indifférents et plus ouverts aux festivaliers ou aux congressistes. Il y a toutefois un gros bémol au niveau dans la façon dont cela se fait. Ce n’est pas donné à tout le monde d’organiser des événements avec un respect environnemental et, à la limite, même économique.
Question : Qu’en est-il de l’événementiel sportif ?
K.S. : Ce segment fait partie de nos plans d’expansion pour ce qui est du marché des tournois sportifs. Notre entreprise a commencé avec le segment festival où nous avons gagné une certaine notoriété, même après seulement deux années de fonctionnement. Les organisations sportives ont certaines habitudes par rapport aux événements qu’ils organisent et il faut les amener à considérer d’autres options. Le changement de mentalité quant aux options technologiques reliées aux événements n’est pas toujours facile. Les grandes conférences corporatives sont habituées depuis toujours à réserver des blocs de chambres. Souvent ce bloc de chambres se remplit en deux semaines et les participants retardataires sont laissés à eux-mêmes. Les nouvelles options technologiques, comme celle de Stay22, permettent à tous les participants de trouver de l’hébergement. Le monde des événements corporatifs a commencé à comprendre cela, mais ce n’est pas le cas pour les événements sportifs.
Nous avons approché des grands événements comme la coupe Grey et le Grand Prix de Formule 1 de Montréal. Tout le monde sait que la ville se remplit à ces occasions et que les participants vont avoir de la difficulté à trouver de l’hébergement. Il existe une grande résistance de la part de ces promoteurs à intégrer une nouvelle solution de réservations qui faciliterait la recherche d’hébergement des visiteurs. L’acceptation d’une solution d’hébergement alternative par les organisateurs n’est pas facile et cette réticence peut venir du manque de notoriété de Stay22, mais aussi de la nouveauté de ces options technologiques. Ces nouvelles façons de faire font peur aux organisations qui restent ancrées dans un sillon ; elles résistent au changement et ont peur de certains risques associés à l’hébergement lors de leur événement, qui, en réalité, n’existent pas.
Question : Quelles sont les grandes tendances qui se dessinent ?
K.S. : L’arrière-scène de l’événementiel est en ébullition. Les fusions et les acquisitions de solutions technologiques d’hébergement, style Airbnb, restent d’actualité. Nous demeurons la seule option qui combine un choix d’hôtel en même temps qu’Airbnb. Pour faire une longue histoire courte, au tout début Stay22 a collaboré avec Homeway du Groupe Expedia pendant un bon huit mois au cours de 2017. Airbnb, qui avait aussi une division Airbnb for events qui n’a pas vraiment levé, nous a approchés. Finalement Stay22 a continué à collaborer avec Airbnb qui est tout de même devenu un partenaire privilégié ; cela leur permet bénéficier de notre expertise en événementiel, alors que nous bénéficions en retour de leur notoriété ; cette collaboration dure depuis près de deux ans.
La croissance de l’événementiel va suivre les tendances des phénomènes sociaux. Les gens voyagent plus et les promoteurs d’événements veulent capitaliser sur ce phénomène, que ce soit avec les destinations populaires comme Abou Dabi ou celles qui pourraient émerger dans les prochaines années, comme en Amérique latine, et faire une remontée. Le produit d’appel événementiel est beaucoup plus flexible pour une destination et il peut facilement s’adapter à un nouveau style de vie ou de musique. Peu de destinations se positionnent comme Montréal, où le produit d’appel est une succession de festivals sans produit d’appel majeur. La variété des événements va continuer à surprendre et demeurer très spécialisée. Moi-même je continue à découvrir des événements religieux dont j’ignorais l’existence et même des festivals très « nichés », par exemple le Folk Alliance International, qui s’est tenu dernièrement à Montréal sur la musique folklorique et qui roule depuis des décennies et attire plusieurs milliers de personnes.
En conclusion, disons que le produit événementiel va continuer à comporter certains risques pour les voyageurs et pour les destinations, jusqu’à ce que l’événement atteigne une certaine notoriété. À titre d’illustration ici, le Brésil demeure une destination risquée aujourd’hui, mais dans cinq ans, cela pourrait être l’inverse et les promoteurs d’événements sauront saisir cette opportunité.