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Lors de leur voyage, les touristes achètent généralement une diversité de souvenirs parmi lesquels se trouvent les produits artisanaux. Plusieurs études statistiques sur les souvenirs artisanaux ont été réalisées depuis une vingtaine d’années (Littrell et al., 1994 ; Hu et Yu, 2007 ; Wilkins, 2011 ; Kong et Chang, 2012) ; elles montrent que cette catégorie d’articles se retrouve toujours aux trois premières places dans le palmarès des marchandises achetées. Ce constat n’a rien d’étonnant puisque les valeurs culturelles associées aux produits artisanaux contribuent, par leur caractère unique, par l’exécution soignée des artisans, par la qualité esthétique et par leur référence historique, à exprimer l’authenticité des objets fabriqués (Littrell et al ., 1993). Dans les stratégies de mise en marché et dans le but de satisfaire le besoin des touristes à la recherche d’objets authentiques, il importerait donc de produire localement des souvenirs artisanaux qui véhiculent la culture propre à une région ( ibid .).

Il semble évident que les identités culturelles traduites par les souvenirs méritent une attention plus poussée. La représentation est en effet un processus important qui, avec l’identité, la production, la consommation et la régulation, forme le circuit de la culture. Toute analyse d’un texte ou d’un artefact culturel doit s’attarder à ces étapes afin de mieux les décrypter (Du Gay et al. , 1997 : 3) ; pourtant, les identités symbolisées par les souvenirs n’attirent que peu ou pas assez l’attention des chercheurs. Certains ont choisi d’étudier les représentations d’une destination en utilisant des supports variés – pensons aux brochures touristiques (Buzinde et al ., 2006 ; Buzinde et al ., 2012), aux blogues et aux livres autobiographiques (Wang et Morais, 2014) –, mais très peu s’intéressent à ces objets particuliers. Marie-Blanche Fourcade est du très petit nombre de chercheurs qui étudient les représentations culturelles des souvenirs. Elle a pu constater que pour les touristes arméniens qui visitent l’Arménie, les souvenirs se rattachent à la recherche d’une origine et contribuent à construire et à maintenir une identité culturelle en situation diasporique (2005 : 247).

La présente étude vise à analyser les valeurs culturelles traduites par les souvenirs artisanaux. Elle s’appuie sur l’importance de la triple relation tourisme–culture–artisanat et souhaite combler le vide repéré par le nombre assez limité des recherches sur les représentations véhiculées par les souvenirs. Deux cas ont été choisis : Hué et Hoi An, au centre du Vietnam, villes qui constituent deux arrêts presque incontournables pour une grande partie des voyageurs qui font le tour du pays. Concrètement, dans un premier temps, les principaux souvenirs artisanaux sont recensés ; les valeurs culturelles véhiculées à travers eux sont aussi abordées ; les modalités de classement des souvenirs sont également proposées. Dans un deuxième temps, l’image de ces deux destinations projetées par ces souvenirs et celle perçue par les touristes est comparée. Les critères de choix dans l’achat des souvenirs des touristes sont ultérieurement analysés et, en dernier lieu, les problèmes liés aux représentations culturelles des souvenirs et les propositions de régulations sont traités.

Méthodologie

Cette recherche a recours à la théorie de l’étude de cas développée par Robert K. Yin depuis 1984. Et puisqu’il est question d’explorer la relation entre les souvenirs et l’image de la destination visitée, c’est plus spécifiquement le modèle visant à comprendre et à mesurer les images d’une destination touristique formulé par Olivia H. Jenkins (1999) qui a été adapté. Il s’agit donc d’un processus de recherche articulé en deux phases : la phase qualitative et la phase quantitative. La phase qualitative permet d’identifier les concepts employés par le bassin de touristes étudiés dans leur connaissance de l’image de la destination touristique ; ces concepts serviront ensuite de critères pour mesurer l’image de la destination lors de la phase quantitative. Un modèle d’analyse adapté est également formulé ( illustration 1 ). La phase qualitative est assurée par quatre stratégies, à savoir la documentation, les entretiens approfondis, l’observation directe et l’observation des artefacts en jeu dans l’étude.

Fig. 1

Illustration 1 : Modèle de recherche sur les valeurs culturelles des souvenirs artisanaux

Illustration 1 : Modèle de recherche sur les valeurs culturelles des souvenirs artisanaux
Source : Apd até de Jenkins (1999 : 7) et Yin (2009 : 101)

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La documentation m’a permis d’identifier les principales parties prenantes touristiques impliquées dans la production, la promotion et la consommation des souvenirs artisanaux de l’étude : les acteurs principaux sont les touristes ; les distributeurs principaux sont les artisans et les artistes, les vendeurs, les agences de voyages et les guides touristiques ; l’acteur promotionnel, règlementaire et de soutien principal est le Service de la culture, des sports et du tourisme provincial.

J’ai par ailleurs interviewé neuf personnes à l’été 2014, soit quatre artisans ou artistes, deux guides touristiques, deux directeurs d’agence de voyages et un expert touristique du Service de la culture, des sports et du tourisme provincial. Les observations et les entretiens sont complémentaires parce que, comme l’écrivent Séphane Beaud et Florence Weber (2010 : 123-124), « une observation sans entretien risque de rester aveugle aux points de vue indigènes ; un entretien sans observation risque de rester prisonnier d’un discours décontextualisé ». J’ai donc observé les ateliers que fréquentent les touristes et qui figurent dans les programmes touristiques offerts aux visiteurs et dont l’artisan ou l’artiste, qui est également le patron, a, la plupart du temps, a accepté de m’accorder une entrevue approfondie. La recherche anthropologique utilise largement les artefacts (Yin, 2009 : 113) ; cette étude s’effectue néanmoins dans un contexte touristique qui cherche à expliquer les perceptions de divers acteurs sur les valeurs culturelles des souvenirs artisanaux, souvenirs qui nécessitent une analyse descriptive approfondie. Trois sources – la documentation, les entretiens et l’inventaire des souvenirs artisanaux achetés – ont permis de constituer le corpus des souvenirs artisanaux. Au total, les touristes étudiés ont acheté 177 souvenirs artisanaux.

Les concepts pertinents développés lors de la phase qualitative ont servi de base pour le questionnaire à adresser aux touristes. Les personnes interrogées parlaient français et provenaient plus particulièrement de la France, ces voyageurs constituant en effet le groupe le plus important parmi les visiteurs francophones au Vietnam. J’ai choisi d’étudier les touristes francophones parce que je les ai accompagnés pendant sept ans en tant que guide, ce qui m’a permis de les connaître mieux. De plus, la revue de la littérature montre que ces derniers attirent trop peu l’attention des chercheurs, la prédominance étant accordée aux touristes anglophones. Soixante-dix répondants de dix-huit ans et plus ayant visité Hué et Hoi An en août 2014 ont complété le questionnaire d’enquête ( tableau 1 ). Ce nombre peut être jugé limité, mais il dépasse de très loin les huit informateurs suggérés par Grant McCracken (1988, dans Anderson et Littrell, 1996 : 35) comme étant suffisants pour générer des thèmes ou des catégories culturels dans une recherche qualitative.

Fig. 2

Tableau 1 : Profil des répondants

Tableau 1 : Profil des répondants
Source : L’auteur

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Le souvenir artisanal représentatif : définition et processus de formation

Un souvenir se définit comme « un petit objet vendu aux touristes sur les lieux particulièrement visités » ( Le Grand Larousse illustré , 2015 : 1091). Les chercheurs en tourisme les définissent comme « les objets matériels qui servent de rappel significatif de personnes, lieux, événements ou expériences dans la biographie d’une personne [1]  » (Jafari, 2000 : 547). Plus concrètement, ils sont « des objets culturels ou porteurs de culture […], produits à l’intention des touristes d’origine locale et internationale » (Fourcade, 2005 : 253). Cette dernière définition souligne l’importance de l’aspect culturel, qui doit être représentatif. Les souvenirs de type artisanal, quant à eux, sont définis comme « les produits fabriqués par des artisans, soit entièrement à la main, soit à l’aide d’outils à main ou même de moyens mécaniques, pourvu que la contribution manuelle directe de l’artisan demeure la composante la plus importante du produit fini » (UNESCO, 1997 : 7). Ces produits « sont fabriqués sans restriction en termes de quantité et en utilisant des matières premières prélevées sur des ressources durables. La nature spéciale des produits artisanaux se fonde sur leurs caractères distinctifs, lesquels peuvent être utilitaires, esthétiques, artistiques, créatifs, culturels, décoratifs, fonctionnels, traditionnels, symboliques et importants d’un point de vue religieux ou social » ( ibid. ). Cette définition met l’accent sur la contribution manuelle directe de l’artisan ainsi que sur les valeurs distinctives des produits.

Il s’avère également nécessaire de comprendre le processus de formation des souvenirs artisanaux représentatifs ( illustration 2 ). Au point de départ de la trajectoire se trouve l’objet. Celui-ci assume la fonction d’un souvenir à condition qu’il soit consommé par le touriste (Hume, 2014 : 5). Certains articles achetés avant et pendant le voyage rappellent à leur propriétaire une expérience inoubliable. Le matériel de voyage et les guides touristiques appartiennent à cette catégorie, mais sont plutôt vus comme des souvenirs non touristiques. S’y ajoutent des objets que les touristes collectent dans la nature, sans lien avec la population visitée, tels que des coquillages et des fleurs. Cependant, une fois que les objets sont vendus aux touristes comme marchandise, leur statut se transforme : ils deviennent des souvenirs touristiques. Une collection de fleurs séchées vendue sur un site touristique est un exemple. Ce sont, pour reprendre la nomenclature proposée par David L. Hume (2014) à partir d’une réflexion de Susan Stewart (1984), des « souvenirs échantillonnés », c’est-à-dire qu’ils sont un « échantillon » de l’expérience du visiteur.

Fig. 3

Illustration 2 : Processus de formation des souvenirs artisanaux

Illustration 2 : Processus de formation des souvenirs artisanaux
Source : Compilation par l’auteur

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D’autres articles touristiques sont fabriqués par les artisans ou les artistes. Ces derniers peuvent produire des souvenirs à la chaîne à l’aide d’une machine ou à la main. Les souvenirs artisanaux peuvent être, à leur tour, subdivisés en deux catégories : souvenirs artisanaux ordinaires et souvenirs artisanaux représentatifs. Les premiers sont ceux que les voyageurs peuvent trouver sur place, mais aussi ailleurs. Pensons aux objets en poterie, en bois, sans aucune trace culturelle particulière, bien qu’un artisan les ait réalisés. Les deuxièmes, les souvenirs artisanaux représentatifs, sont appelés ainsi car ils témoignent d’un savoir-faire et sont signés par un artisan, mais ils portent également les marqueurs de l’identité culturelle et de l’histoire locale (Hume, 2014 : 139). Un tel souvenir peut être défini comme un objet acheté par un touriste et principalement fabriqué à la main par un artisan, qui représente la culture du lieu visité. Le souvenir artisanal articule ainsi étroitement les liens entre le tourisme, l’artisanat et la culture. Afin de saisir la richesse que revêtent les souvenirs artisanaux, au-delà des termes d’une définition globale, il faut plonger dans les différentes catégories qui sont privilégiées par les touristes.

Les souvenirs artisanaux : premier type acheté par les touristes

Le questionnaire administré aux touristes francophones révèle que 91 % des répondants ont acheté des souvenirs. Les données obtenues ont permis d’enregistrer 177 souvenirs achetés, répartis en onze groupes et classés par ordre d’importance des achats (voir tableau 2 ). Cet inventaire, malgré l’ampleur restreinte du corpus, tant dans l’espace que dans le temps, constitue un premier échantillon des souvenirs achetés au Vietnam. Il est intéressant de noter que presque tous les souvenirs potentiellement acquis au Centre du Vietnam figurent dans ce tableau ; cela démontre bien la saturation du corpus malgré le nombre assez limité d’enquêtés (70 touristes). Parmi les souvenirs en tête du palmarès des achats se trouvent les vêtements (avec 23,7 %). Cette donnée n’étonne pas lorsque l’on sait que cette même statistique est enregistrée depuis vingt ans dans plusieurs destinations (Haigh, 1994, cité dans Timothy, 2005 : 97 ; Heung et Qu, 1998 : 385 ; Travel Industry Association of America, 2001, cité dans Timothy, 2005 : 97 ; Lehto et al. , 2004 : 326 ; Lehto et al. , 2014 : 9 ; et VisitBritain, 2014 : 3). En outre, vu le grand pourcentage de chapeaux achetés (14,7 %), et à la différence des résultats obtenus par les chercheurs cités précédemment, les chapeaux méritent d’être séparés des vêtements et accessoires (groupe 1) pour constituer un groupe à part entière (groupe 3). Il en est de même pour les objets décoratifs, dont le pourcentage assez élevé (16,9 %) leur permet d’occuper la deuxième place de la liste. Quant à la bijouterie (11,9 %), elle se trouve au quatrième rang, inférieur à celui inventorié à Hong Kong en 1995 (deuxième rang) (Heung et Qu, 1998  : 385), mais supérieur à d’autres destinations citées ci-dessus. Les produits locaux (9 %) regroupant les aliments, les boissons et les objets artisanaux (Gordon, 1986 : 142-143) se situent en cinquième position. Les œuvres d’art partagent le même pourcentage. Par ailleurs, une autre catégorie émerge avec 5,6 % des souvenirs achetés et regroupe des accessoires de table (articles jusqu’à présent non enregistrés par les études abordées précédemment). Quant aux cartes postales, un souvenir universel (Gordon, 1986 : 140), elles ne se trouvent qu’au huitième rang (3,4 %). Ces chiffres correspondent aux études menées auprès des touristes étasuniens au Midwest des États-Unis en 2003 (Hu et Yu, 2007 : 1088) ou encore à Macao en 2010 (Kong et Chang, 2012 : 367).

Fig. 4

Tableau 2 : Souvenirs achetés par les touristes francophones au Centre du Vietnam à l’été 2014

Tableau 2 : Souvenirs achetés par les touristes francophones au Centre du Vietnam à l’été 2014
Source : L’auteur

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Suivant une autre perspective, ces 177 souvenirs réellement achetés par les touristes peuvent être catégorisés en huit types, comme le propose Hugh Wilkins (2011), à savoir : 1)  photos, cartes postales et peintures d’une destination ; 2) produits alimentaires régionaux, vins, vêtements typiquement locaux ; 3) parfums, appareils électriques, appareils photo ou autres produits similaires accessibles à un prix réduit ; 4) produits artistiques et artisanaux régionaux ; 5) publications sur une destination, telles que les livres et les magazines ; 6) autres articles représentatifs d’une destination (porte-clés, bagues/chaînes magnétiques, tasses) ; 7) chapeaux, casquettes ou autres vêtements griffés d’une destination, d’un hôtel ou d’une attraction ; et 8) produits artistiques et artisanaux d’autres destinations . Étant donné que la troisième catégorie de souvenirs (parfums, appareils électriques et appareils photo) suggérée par Wilkins (2011) ne figure pas parmi les 177 souvenirs, elle n’est pas considérée dans cette recherche. Ce classement montre effectivement le grand intérêt que les touristes ont pour les produits artisanaux (41 %). Cette préférence des touristes pour les souvenirs de type artisanal correspond au jugement de Dallen J. Timothy (2005 : 106) : « one of the most common types of souvenirs is handicraft and art ». Se trouvent au deuxième rang les chapeaux et les vêtements (39 %). Il est remarquable de noter dans l’échantillon de l’étude que les touristes se sont procuré quinze chapeaux coniques, qui sont aussi des produits artisanaux, représentant 8,5 % des souvenirs achetés. Le pourcentage des produits artisanaux s’est chiffré à 49,5 %. En plus, les touristes ont acheté neuf chapeaux sans préciser s’il s’agissait ou non de chapeaux coniques. Si oui, la proportion des produits artisanaux augmenterait encore. Il en va de même pour des vêtements, notamment ceux sur mesure, qui peuvent aussi être artisanaux. En bref, les souvenirs de type artisanal de Hué et de Hoi An intéressent beaucoup les touristes francophones enquêtés. Ces derniers montrent une assez grande préférence pour ce type de souvenir et en achètent d’ailleurs plusieurs ( illustration 3 ).

Fig. 5

Illustration 3 : Intérêt des touristes pour les divers types de souvenirs

Illustration 3 : Intérêt des touristes pour les divers types de souvenirs
Source : L’auteur

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La culture : critère de choix privilégié dans l’achat de souvenirs artisanaux

Les raisons invoquées pour l’achat de souvenirs artisanaux renseignent sur le comportement des personnes sondées. Certains critères reviennent de manière récurrente chez la plupart des enquêtés, même si l’ordre d’importance peut varier. Parmi ceux-ci se trouvent les valeurs culturelles, la facilité de transport, la beauté et le prix, ainsi que le savoir-faire de l’artisan. Les valeurs culturelles figurent toujours au nombre des critères les plus importants. En effet, selon Nguyễn Thị Ngọc Thuý, directrice d’une agence de voyages, l’identité culturelle représentée par le souvenir joue un rôle primordial dans les achats des touristes :

[S]i les touristes vont eux-mêmes aux boutiques sans les explications du guide, l’esthétique constitue le premier critère de choix de souvenirs artisanaux. Leur représentation culturelle occupe la deuxième ou la troisième place. Mais si les symboles culturels sont expliqués aux touristes, ce critère deviendra leur premier critère de choix. (A5, juillet 2014 : communication personnelle[2])

Pour Lê Minh Hữu, directeur d’une agence de voyages, l’identité culturelle régionale constitue le premier critère (A6, juin 2014 : communication personnelle). Il donne pour exemple le bateau-dragon sur la rivière des Parfums, le pont Clémenceau ou la tour de la Source du bonheur de la pagode de la Dame céleste, qui sont tous des symboles de Hué. Trần Đinh Minh Đức, chef adjoint du Bureau de l’expertise touristique du Service de la culture, des sports et du tourisme, identifie aussi trois critères pour choisir des souvenirs artisanaux (E1, juin 2014 : communication personnelle). Toutefois, pour lui, un prix raisonnable est incontournable. Les valeurs culturelles locales et régionales, et la facilité de transport suivent immédiatement. Un guide touristique partage ce constat (G2, juin 2014 : communication personnelle), dans un ordre différent cependant : la tradition locale pour lui vient en premier lieu, la facilité de transport en deuxième et l’accès à un prix abordable en troisième lieu.

Pour Lê Minh Hữu, également guide touristique francophone, le critère lié aux valeurs culturelles devrait être en première ou deuxième place :

En effet, les touristes cherchent à se souvenir du lieu visité. Ils racontent leur visite en montrant le produit portant les symboles de la ville ou du site visité. Ainsi, les marques des produits doivent être conçues de façon assez représentative et attrayante pour ne pas être confondues avec d’autres produits. (G1, juin 2014 : communication personnelle)

Le savoir-faire artisanal occupe la première place (35 %) pour les touristes. Vient juste après la culture locale ou nationale représentée (31 %). Le design, la couleur et l’originalité constituent le troisième critère (29 %). L’aspect pratique de l’objet lié à la facilité de transport arrive en quatrième place avec seulement 5 %. Cependant, l’analyse des raisons invoquées par les touristes pour l’achat de souvenirs ( illustration 4 ) dévoile un changement d’ordre des critères priorisés. La culture se positionne en premier lieu avec 46 % des choix. Les touristes ont répondu, par exemple : « représentant des scènes de vie quotidienne vietnamienne » (répondant 15), « objet typique du Vietnam » (répondant 49). La facilité de transport grimpe aussi dans les priorités, de 5 % à 34 %. La beauté reste en troisième place, mais le pourcentage est moindre : de 29 % à 17 %. Le savoir-faire de l’artisan connaît la plus grande baisse, de 35 % à 3 %, avec un seul commentaire ; le répondant 12 affirme avoir acheté des fleurs de lotus en papier « pour perpétuer le savoir-faire traditionnel ».

Fig. 6

Illustration 4 : Critères de choix pour l’achat de souvenirs

Illustration 4 : Critères de choix pour l’achat de souvenirs
Source : L’auteur

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En somme, les valeurs culturelles des souvenirs artisanaux demeurent un critère fondamental dans le choix des acquéreurs. Ce constat renforce les résultats des études menées par d’autres chercheurs (Fourcade, 2005 ; Hu et Yu, 2007). Il est à noter que l es valeurs, avec les normes, les institutions et les artefacts, constituent les quatre piliers de la culture (Chassany, 2010 : 195). Le système des valeurs correspond aux idéologies importantes des groupes sociaux concernés. Les normes correspondent aux attentes sur la façon adéquate dont les personnes doivent se comporter dans diverses situations. Ces valeurs et ces normes sont ensuite transmises par les structures de la société qui sont nommées « institutions » à travers les artefacts, les choses ou les aspects matériels d’une culture ( ibid. ). Aussi, il importe d’étudier la différence entre les valeurs culturelles des deux villes et celles représentées dans les souvenirs artisanaux. Cela permettra d’analyser l’écart entre l’image projetée de ces deux destinations dans les souvenirs et celle perçue par les touristes qui ont acheté ces objets.

Les valeurs culturelles de Hué et de Hoi An

Hué et Hoi An, deux villes inscrites sur la Liste du patrimoine mondial de l’UNESCO (Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture) (Hué en 1993 pour son « Ensemble de monuments » et Hoi An en 1999 pour sa « vieille ville »), sont deux destinations touristiques incontournables au Centre du Vietnam. Plus précisément, Hué est considérée comme la capitale culturelle du Vietnam alors que Hoi An est vue comme une ville d’intégration culturelle.

D’une manière concrète, Hué fut la capitale politique du Vietnam pendant 143 ans (1802-1945) sous la dynastie des Nguyen. Y ont été convoqués à cette époque toute l’élite du pays, les mandarins, les intellectuels ainsi que les artisans chevronnés. De cette période royale, la ville a hérité des valeurs qui ont donné naissance à la culture de Hué. Celle-ci ne se limite bien évidemment pas à l’aire géographique et administrative de la ville, mais englobe plus largement toute la province de Thua Thien Hué. La culture de Hué a été formée en intégrant les flux de la culture urbaine – culture de village et culture savante (impériale) – et la culture folklorique, sans aucune contradiction ni élimination (Ng ô , 2005 : 52). La dynastie des Nguyen a ensuite marqué le commencement de la division des deux branches de culture savante (impériale) et de culture folklorique. Depuis, ces deux flux culturels coexistent et interagissent ( ibid. ). Cette coexistence et cette interaction se voient clairement à travers les monuments architecturaux construits sous la dynastie des Nguyen, comme la citadelle ou les tombeaux royaux. Ces monuments se situent parfaitement dans le plan architectural général de la ville et sont protégés par la nature en respectant l’harmonie entre le yin et le yang du feng shui. La culture huéenne est également façonnée par le mélange de trois religions de cette époque, à savoir le bouddhisme (culture folklorique et savante), le confucianisme (culture savante) et le taoïsme (culture folklorique et savante). Des centaines de pagodes, de temples et divers festivals résultent du lien étroit entre le bouddhisme et le confucianisme ( Nguyen et Cheung, 2014 : 41). De même, la Cité impériale et le réseau des tombeaux royaux incarnent à la fois des symboles et des valeurs de ces deux philosophies. Le bouddhisme a également joué – et continue de jouer – un rôle important dans la culture folklorique de Hué. Cette ville est, en fait, considérée comme capitale bouddhique du Vietnam depuis la dynastie des Nguyen (McLeod et Nguyen, 2001 : 51). Hué dispose de toutes les sortes de pagodes qui existent au Vietnam : ancestrales, nationales et villageoises. Autrement dit, le réseau de pagodes huéennes représente les cultures à la fois impériale et folklorique ( Jansen-Verbeke et Go, 1995 : 317 ; Annales géographiques de Thua Thien Hué ). Les valeurs confucéennes, quant à elles, se traduisent par exemple par la hiérarchie familiale et sociale. Les quatre vertus de la femme et les cinq vertus de l’homme sont aussi héritées du confucianisme. Quant au culte des ancêtres, il constitue une valeur fondamentale du taoïsme. De plus, tout comme l’ensemble du pays, la période féodale de Hué, a été marquée à partir de 1885 par la domination française. Cette période coloniale française a laissé ses traces, entre autres dans l’architecture de la ville ; pensons par exemple à l’hôtel La Résidence (Peyvel, 2011 : 231), au système de « maisons coloniales » et au pont Clémenceau [3] , construit par l’entreprise Eiffel en 1899 . Ce premier pont reliant les deux parties de la ville de Hué constitue un de ses symboles contemporains.

Quant à Hoi An, il est important de comprendre, avant toute chose, le sens du toponyme. «  Hội   » signifie étymologiquement « réunir, rassembler » et «  An  » veut dire « la paix ». Ainsi, «  Hội An  » témoigne d’un rassemblement paisible associé au développement économique de la ville. Étant un grand port marchand du Vietnam et de l’Asie du Sud-Est du XV e au XIX e  siècle, Hoi An accueillait les commerçants de tous les coins du monde. Les Chinois et les Japonais, les plus nombreux à venir, y fondèrent même des communautés, construisant des maisons et des lieux de culte. Les échanges du début se sont ensuite transformés en un véritable métissage culturel. Le patrimoine architectural a légué des maisons traditionnelles, des temples et des sièges de congrégations chinoises et un pont japonais (Nguyen et Krowolski, 2005). Il illustre bien cette fusion des cultures vietnamienne, chinoise et japonaise. L’exemple le plus significatif de l’intégration culturelle réside dans le pont japonais, symbole de Hoi An. Une structure de bois, le pont, construit grâce à la cotisation des commerçants japonais au début du XVII e  siècle (Centre de gestion et de conservation du patrimoine culturel de Hoi An, 2013), servait à relier les deux communautés, chinoise et japonaise. Une légende lui est associée : un monstre souterrain – dont la tête se trouve en Inde, le corps à Hoi An et la queue au Japon – provoquerait un tremblement de terre lorsqu’il bouge. Ce pont se compare à une épée plantée dans le dos du monstre pour le calmer. De plus, comme la vieille ville est souvent inondée, les communautés chinoise et vietnamienne ont bâti ensemble un temple dédié au Génie du Nord dans l’espoir d’apaiser les inondations. Au seuil de la porte d’entrée du temple de ce pont se trouve également une paire d’yeux ( illustration 5 ) . D’origine chinoise, en plus d’être un motif d’ornementation, ce symbole joue le rôle d’ange gardien pour toute la maisonnée. Les yeux hoianiens ont plus de vingt formes différentes et englobent d’autres éléments culturels comme le yin et le yang, le caractère de la longévité, du bonheur, ou les huit trigrammes du taoïsme.

Fig. 7

Illustration 5 : Pont japonais et la paire d’yeux au seuil de sa porte

Illustration 5 : Pont japonais et la paire d’yeux au seuil de sa porte
Source : L’auteur

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En somme, la culture de Hué est formée de valeurs culturelles folkloriques et savantes qui associent les idéologies bouddhique, confucéenne et taoïste. La culture de Hoi An, quant à elle, intègre les valeurs culturelles vietnamiennes, chinoises et japonaises. Ces valeurs s’incarnent de différentes manières. Les souvenirs artisanaux en sont une.

Valeurs culturelles comme critère de catégorisation des souvenirs

Rappelons que la compilation des questionnaires administrés aux touristes a permis de recenser 177 souvenirs artisanaux (tableau 2). Il est intéressant de noter que parmi ceux-ci se retrouvent tous les objets artisanaux représentatifs de Hué, de Hoi An et, plus généralement, du Vietnam : les áo dài , les fleurs en papier, les lanternes, les chapeaux coniques à poème et les tableaux brodés. D’autres souvenirs achetés ne sont pas examinés dans cette étude, car ils ne sont pas issus d’un processus de fabrication artisanale ; ce sont les porte-clés, les marque-page, les aliments, les boissons et les T-shirts aux marqueurs identitaires (Peters, 2011). La documentation et les entretiens approfondis révèlent également d’autres souvenirs représentatifs ; pensons à l’art de Truc Chi ou à l’émail de Hué. Le corpus compte aussi les objets en bronze de Hué, le tissage zèng (une ethnie minoritaire), les produits cosmétiques de Nhat Chi Mai, les souvenirs en poterie de Hoi. Toutefois, ces produits, selon les enquêtés, ne sont pas porteurs de valeurs culturelles représentatives. L’analyse ne les prend donc pas en considération.

Les sept principaux souvenirs artisanaux emblématiques – les áo dài , les fleurs en papier, les lanternes, les chapeaux coniques à poème, les tableaux brodés, l’art de Truc Chi, l’émail de Hué – peuvent être classés selon trois méthodes différentes : par matériau(x) utilisé(s) (unique ou multiples), par savoir-faire (ancien, restauré ou nouveau) et par thématique (Jenkins, 2003 ; Fourcade, 2005). C’est autour du troisième groupe qu’il convient de s’arrêter ; il constitue le médium le plus explicite des valeurs culturelles. Six grands thèmes traversent l’ensemble des souvenirs : les représentations paysagères ; la flore, la faune et les objets  ; la royauté ; la religion et la philosophie ; les caractères ; et les chiffres.

Les représentations paysagères se divisent en deux sous-ensembles. Le premier renvoie au monde naturel avec les images populaires du pays telles que la campagne vietnamienne avec un village entouré de haies de bambous ou une rizière immense avec des buffles gardés par des enfants. Les quatre saisons apparaissent également dans plusieurs souvenirs. Des paysages propres à Hué ou à Hoi An y figurent aussi : la rivière des Parfums, le Mont royal de Hué ; l’île Cham de Hoi An. Le second sous-ensemble renvoie davantage au monde bâti en réunissant les monuments symboliques et historiques de Hué et de Hoi An. On y trouve par exemple le pont Clémenceau, vestige de l’époque coloniale française à Hué, la pagode de la Dame céleste, la plus ancienne de la capitale du bouddhisme du Vietnam, et le pont japonais à Hoi An, vestige de la présence des communautés japonaise et chinoise.

La flore, la faune et les objets constituent la deuxième thématique. La fleur d’abricotier, l’orchidée, le chrysanthème et la fleur de bambou, symboles des quatre saisons, ainsi que la fleur de lotus, double emblème du Vietnam et du bouddhisme, sont maintes fois représentés. Quant aux animaux, on retrouve fréquemment ceux qui sont dotés de pouvoirs surnaturels comme le dragon (symbole de la puissance impériale orientale), la licorne (symbole de la fidélité mandarinale), la tortue (symbole de la longévité) ou le phénix (symbole de la beauté féminine). Le bateau-dragon utilisé autrefois par les empereurs à Hué et les yeux des devantures de maisons traditionnelles hoianiennes (signes sacrés visant à faire fuir les mauvais esprits) appartiennent aux thèmes les plus souvent illustrés sur les souvenirs. En bref, il ne s’agit pas de végétation ou d’animaux extraits de la réalité, mais plutôt de plantes et d’animaux symboliques.

La description précédente fait apparaître de surcroît un autre thème typique de Hué qui est lié à son époque féodale : la royauté. Celle-ci est représentée par les monuments royaux, par le bateau-dragon impérial et par la pagode de la Dame céleste, nommée pagode nationale, construite et restaurée à l’époque par des empereurs. On retrouve aussi les animaux impériaux.

La religion et la philosophie forment la quatrième catégorie. Elles s’incarnent dans les éléments dominants des trois philosophies au Vietnam, surtout connues à Hué, soit le bouddhisme, le confucianisme et le taoïsme. L’image de Bouddha, la fleur de lotus, la tour de la Source du bonheur de la pagode de la Dame céleste et des leçons bouddhiques symbolisent de manière récurrente le bouddhisme dont Hué est la capitale vietnamienne. Le confucianisme est connu par exemple par les cinq vertus de l’homme (humanité, fidélité, rites, connaissance et honnêteté) ou les quatre vertus de la femme (ménage, beauté, parole et conduite). Le taoïsme est abordé à travers les chansons folkloriques, la poésie liée aux amours familiaux ainsi que les leçons de morale données aux enfants. L’écriture vietnamienne ou chinoise est maintes fois utilisée et susceptible d’être représentée sur divers matériaux.

Les caractères ou l’écriture forment la cinquième thématique. Les marqueurs (Gordon, 1986) des destinations, « Hué » et « Hoi An », et les deux vers insérés dans le chapeau conique à poème font partie aussi de cette thématique. Les chiffres constituent une dernière thématique ; les quatre fleurs symbolisant les saisons, les quatre animaux impériaux, les quatre vertus de la femme, les cinq vertus de l’homme, le chiffre sept sacré du bouddhisme en sont de bons exemples. Les seize cerceaux en bambou du chapeau conique symbolisant l’âge de maturité des Vietnamiennes sont un autre cas intéressant.

Fig. 8

Illustration 6 : Chapeau conique à poème – souvenir représentatif de Hué

Illustration 6 : Chapeau conique à poème – souvenir représentatif de Hué
Source : L’auteur

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Les souvenirs peuvent également être classés selon leur capacité à « se marier » avec des thèmes différents. Lorsqu’ils sont polythématiques, les souvenirs peuvent être de type fermé ou ouvert. Le chapeau conique à poème, objet représentatif de Hué, est polythématique et fermé. En effet, il représente presque toujours les quatre mêmes images : la tour de la Source du bonheur, le pont Truong Tien ou Clémenceau, le poème invitant les gens à visiter Hué et le caractère vietnamien « Hué », ainsi que son année de fabrication (illustration 6). D’autres souvenirs polythématiques sont de type ouvert dès lors qu’ils sont capables d’incarner plusieurs thèmes. La tour de la Source du bonheur de la pagode de la Dame céleste à Hué exemplifie bien le caractère polythématique ; on y retrouve les représentations paysagères, le bouddhisme, la royauté et les chiffres. Un autre exemple est l’image du dragon, le premier des quatre animaux surnaturels (thématique des animaux), qui symbolise l’empereur (thématique royale). De plus, associé au phénix, il représente l’union conjugale (thématique religieuse et philosophique). Outre leur charge symbolique, les souvenirs artisanaux se reportent également sur une échelle culturo-géographique (adaptée de Hashimoto et Telfer, 2007). Elle permet de noter l’importance de la composante culturelle par rapport à un territoire et à une destination (Ritchie et Zins, 1978, cités dans Goeldner et Ritchie, 2009 : 269) (tableau 3).

Fig. 9

Tableau 3 : Souvenirs artisanaux huéens et hoianiens et les thèmes représentés

Tableau 3 : Souvenirs artisanaux huéens et hoianiens et les thèmes représentés
Source : L’auteur

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De l’image de la destination projetée à celle reçue par les touristes : plusieurs décalages

Les participants à cette étude ont été invités à passer un court test en associant les souvenirs artisanaux à une destination, soit Hué, Hoi An ou le Vietnam. Ils pouvaient choisir plusieurs réponses. Au total, sept souvenirs artisanaux, sélectionnés à partir de la phase qualitative, ont été montrés aux enquêtés. Il s’agit de l’ áo dài , de l’art de Truc Chi, du chapeau conique à poème, de l’émail de Hué, de la fleur de lotus en papier, de la lanterne et du tableau brodé. Ces souvenirs peuvent contenir des images de niveaux différents, national ou local. En effet, l’ áo dài et le tableau brodé représentent le Vietnam, alors que le chapeau conique à poème symbolise Hué. Les lanternes, quant à elles, incarnent les valeurs de Hoi An et ultérieurement celles de Hué. Notons également que les souvenirs peuvent être fabriqués ailleurs. Toutefois, ceux confectionnés à Hué et à Hoi An sont formés de matériaux locaux ou traduisent des identités locales. L’émail de Hué, la fleur de lotus en papier et l’art de Truc Chi se rattachent d’abord à la ville où ils sont nés, mais, compte tenu de leur valeur unique pour le pays, ces souvenirs peuvent également représenter le Vietnam.

De manière générale, les résultats montrent que les touristes connaissent assez bien les symboles culturels des diverses destinations ( illustration 7 ). Le taux de réponse a permis d’effectuer un classement. Au sommet se trouve l’ áo dài , costume connu depuis bien longtemps comme étant la « robe traditionnelle » du Vietnam ; il a d’ailleurs été utilisé comme le vêtement officiel des chefs d’État lors du Sommet de l’Apec tenu à Hanoï en 2006 (Thirumaran et al. , 2014). Cela explique, en partie, le choix de la majorité des enquêtés (43 sur 60, soit 71,7 %). Par contre, étant donné que les couturiers huéens et hoianiens ont la réputation de coudre de beaux áo dài , cela suggère que l’ áo dài est un produit représentatif de Hoi An et de Hué (respectivement 9 et 8 répondants).

Fig. 10

Illustration 7 : Perceptions sur les valeurs culturelles des destinations représentées par les souvenirs

Illustration 7 : Perceptions sur les valeurs culturelles des destinations représentées par les souvenirs
Source : L’auteur

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L’art de Truc Chi, en deuxième position, a vu le jour en 2012 et n’est pas encore très connu ni bien mis en tourisme. De nombreuses personnes le découvrent pour la première fois à l’occasion de leur voyage. Le Truc Chi consiste à utiliser la technique traditionnelle de fabrication des œuvres en papier de bambou et y ajouter des influences nouvelles. Récemment, cet art est même nommé la trucchigraphie.

Né à Hué, son créateur Phan Hải Bằng fait référence au principe du retour aux traditions et de l’addition de la modernité. Il espère que cet art unique au Vietnam pourra devenir représentatif du pays :

[Le] Truc Chi est à moi, à Hué, au Vietnam il consiste en un rêve et a comme principe directeur « l’Addition et le Retour ». Né à Hué et immergé dans l’esprit de Hué, [le] Truc Chi vise à créer une nouvelle valeur culturelle en se basant sur l’acculturation. (A3, juin 2014 : communication personnelle)

Douze touristes ont associé l’art de Truc Chi à l’image de Hué. Quarante autres personnes l’ont identifié au Vietnam. En somme, 91,2 % des répondants en ont fait un souvenir représentatif.

Vient ensuite le chapeau conique. Il est un véritable symbole du Vietnam. Le chapeau conique à poème est cependant typique de Hué. Dans une entrevue, Nguyễn Thị Ngọc Thuý, directrice d’une agence de voyages, déclare : « Le chapeau conique à poème est un des souvenirs artisanaux qui incarnent la culture huéenne. » (A5, juillet 2014 : communication personnelle) Un guide touristique francophone affirme, quant à lui : « Le chapeau conique à poème de Hué représente en même temps la culture locale et la culture nationale. » (G2, juin 2014 : communication personnelle) Les touristes corroborent cette opinion. Ils le voient comme « propre au Vietnam » (répondant 12), comme un « objet typique du Vietnam » (répondants 14 et 49) et un « objet typique de Hué » (répondants 57 et 62). Ainsi, 48 touristes choisissent le chapeau conique à poème comme symbole de Hué, 19 autres le lient au Vietnam, ce qui fait augmenter le nombre de répondants à 93,1 %. Ce nombre aussi élevé résulte notamment de la facilité à visiter des ateliers de chapeaux coniques à poème. En effet, ces ateliers, ou plus exactement ces boutiques de souvenirs, se situent à une minute en voiture du tombeau de l’empereur Tu Duc, un site touristique incontournable à Hué. De plus, la visite de ces ateliers figure fréquemment dans les programmes touristiques et les guides touristiques, désireux de présenter la fabrication d’un produit artisanal typique de la ville, proposent régulièrement à leurs clients d’y faire une visite. Mes expériences professionnelles et mes observations confirment que les touristes refusent rarement de le faire, d’autant plus que les boutiques sont attractives, notamment en raison de leurs teintes multicolores.

Les œuvres d’art en émail héritées de la dynastie des Nguyen, dont la capitale se trouvait à Hué, arrivent en quatrième place. L’émail est typique de la ville : « L’émail de Hué est unique, beau, original. » (E1, juin 2014 : communication personnelle) Néanmoins, « son atelier de production n’est pas fréquenté par les touristes, encore moins par les touristes francophones » (G2, juin 2014 : communication personnelle). En fait, « très peu d’agences de voyages présentent l’émail de Hué dans leur programme » (G1, juin 2014 : communication personnelle). De plus, les produits en émail sont beaucoup plus chers que les autres souvenirs. Ils coûtent en moyenne de 50 à 100 dollars canadiens par pièce et peu de voyageurs en achètent (E1, juin 2014 : communication personnelle) . Ce sont les raisons qui justifient la méconnaissance des touristes : seuls 29,3 % l’ont identifié.

La fleur de lotus se classe en cinquième place. Il s’agit plus exactement de la fleur de lotus rose. Lors d’un vote national, elle a été élue pour devenir l’emblème floral du pays. La fleur de lotus est d’autant plus significative au Vietnam qu’elle symbolise également le bouddhisme dans ce pays où 43,5 % des habitants pratiquent cette religion (Central Population and Housing Census Steering Committee, 2010 : 281) et beaucoup d’autres en sont influencés. Ainsi, les répondants l’ont choisi 33 fois comme symbole du Vietnam. En outre, la fabrication des fleurs de lotus en papier est typique et déjà attestée pour le village de Thanh Tien à Hué. Des ateliers d’artisanat du village ont été présentés par des agences de voyages aux touristes et 26 personnes ont affirmé que la fleur de lotus en papier était représentative de Hué. Au total, 59 des 61 réponses reçues (soit 96,7 %) étaient positives.

Les lanternes arrivent au sixième rang. On les retrouve partout à Hoi An, ce qui impressionne les visiteurs. Il n’est donc pas étonnant que la plupart des répondants (56 sur 69, soit 81,2 %) aient associé la lanterne comme produit représentatif de Hoi An. Deux autres touristes ont eu raison de l’associer à l’image de Hué. Les lanternes fabriquées à Hué par l’entreprise Co Do sont différentes de celles de Hoi An. Elles commencent à être reconnues comme une marque d’excellence au Vietnam. Néanmoins, onze personnes (15,9 %) les ont perçues comme symbole du pays.

Les tableaux brodés, qui exposent le talent des artisans vietnamiens, se trouvent à la dernière place. Les touristes ont plusieurs occasions de voir les artisans travailler dans des ateliers de broderie à Hué et à Hoi An. Le fait que tous les ateliers de broderie à Hoi An se trouvent au centre de la vieille ville donne l’impression que Hoi An est connue pour sa broderie. Cette impression erronée justifie la réponse de 33 enquêtés (47,8 %). Par contre, 31 sur 69 répondants, soit 44,9 %, ont bien choisi les tableaux comme image du Vietnam.

Ainsi, les résultats du questionnaire montrent une différence entre l’image culturelle que veut transmettre la population et celle perçue par les touristes. En d’autres termes, il existe un décalage entre l’identité d’un pays et celle des touristes qui le fréquentent (Peyvel, 2007 : 143). Cet écart découlerait notamment des sources de renseignements auxquelles ces touristes ont recours. Il est donc d’autant plus important d’évaluer les canaux communicationnels consultés.

Les sources de renseignements sur les souvenirs

L’analyse des entrevues dévoile que les guides touristiques constituent la première source de consultation des voyageurs (44 %) ( illustration 8 ). Ils jouent effectivement un rôle primordial dans la transmission d’informations ainsi que dans l’explication des valeurs culturelles des souvenirs. Leur rôle de messager est ainsi accentué :

Pour que le produit satisfasse le marché et les besoins du visiteur, l’agence commence par des recherches et puis la mise en place. Ensuite, elle transmet les informations aux guides. Ce sont ces derniers qui jouent un rôle décisif dans la réussite. (A6, juin 2014 : communication personnelle)

De plus, selon un guide touristique francophone, « Les renseignements donnés par le guide aux touristes influent sur la décision d’achat des touristes dans 60% à 70% des cas. Bien évidemment, les produits présentés atteignent certaines normes de qualité et d’esthétique. Les autres facteurs d’influence comptent pour 30-40 % dans la décision. » (G2, juin 2014 : communication personnelle)

Fig. 11

Illustration 8 : Source de renseignements des touristes sur les souvenirs

Illustration 8 : Source de renseignements des touristes sur les souvenirs
Source : L’auteur

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La deuxième source consultée par les touristes est l’artisan dans l’atelier (21 %), suivie des vendeurs (14 %). Le pourcentage de ces trois sources de renseignements est important (79 %), car ce sont des visites organisées durant lesquelles les guides touristiques ont la responsabilité d’expliquer, entre autres, les valeurs culturelles des produits. L’explication est renforcée par la présence des artisans et des vendeurs. Néanmoins, la faiblesse des artisans vietnamiens, d’après mes observations, réside dans leur connaissance des langues étrangères. Peu sont capables de parler anglais, encore moins français, notamment ceux d’un certain âge. Inversement, peu de touristes parlent vietnamien. Ils ont donc besoin des guides touristiques pour leur servir d’interprètes. Lê Minh Hữu abonde en ce sens :

Les artisans, par manque de connaissances linguistiques, ne font qu’exercer leur travail. Les explications sont confiées au guide. Ce dernier assume aussi le rôle d’interprète entre l’artisan et les touristes. (G1, juin 2014 : communication personnelle)

Le rôle des guides touristiques s’impose encore davantage. Malgré son importance, ce rôle n’est pas suffisamment étudié.

Il est étonnant que le pourcentage des touristes qui découvrent par eux-mêmes les symboles culturels des souvenirs artisanaux soit égal à celui de ceux qui consultent des documents explicatifs (brochure, dépliant, etc.) fournis par leur agence de voyages (8 %). Parmi les autres outils, les touristes font appel aux guides imprimés (guide du Routard , guide Michelin et Lonely Planet ) (5 %). Une personne a cherché sur Internet et une autre a demandé l’avis d’un ami ayant visité précédemment le pays. Ces sources de renseignements ont été aussi exploitées par d’autres touristes, comme les voyageurs des États-Unis (Littrell et al. , 1994 ; Hu et Yu, 2007) et ceux de Taïwan (Chang et al. , 2008), mais à un niveau différent. En effet, le bouche-à-oreille est le moyen le moins utilisé par les touristes francophones en question. Il en est de même, étonnamment, pour l’Internet, qui n’a été consulté que par un seul touriste francophone, bien que l’on soit à l’ère numérique. Pourtant, à la différence des touristes américains et taïwanais, les touristes francophones demandent quand même des informations à leur agence de voyages (8 %).

Les sources de renseignements aident à étudier les canaux communicationnels utilisés par les touristes ainsi qu’à vérifier si les informations sur les souvenirs, notamment les valeurs culturelles véhiculées, ont été bien transmises aux destinataires. Par ailleurs, l’examen des valeurs culturelles des souvenirs artisanaux et les sources d’informations consultées par les touristes francophones permettent de proposer des régulations nécessaires.

Les propositions de régulation liée aux sources d’informations

Le faible pourcentage de touristes à se renseigner auprès des agences de voyages (8 %) suscite des interrogations. Il faudrait revoir les stratégies développées par ces dernières afin de les rendre plus efficaces :

Ultérieurement, les souvenirs seront reconçus de la façon la plus artistique et esthétique possible, photographiés, le plus informés possible et mis en ligne pour que les touristes les connaissent avant d’arriver. Ainsi, les informations sont bien reliées, strictement réunies, et impressionnent les touristes dès le début. (A6, juin 2014 : communication personnelle)

De plus, puisque les guides constituent la première source de renseignements des touristes (44 %), « les agences devront collaborer avec les guides touristiques pour partager les informations avec les visiteurs. De cette manière, le produit est rapidement accepté par ces derniers. C’est aussi la façon la plus certaine. » (A6, juin 2014 : communication personnelle) Enfin, en raison de la barrière linguistique, les artisans et les vendeurs ont du mal à communiquer avec les touristes. Il devient dès lors difficile de présenter les valeurs culturelles. Il faudrait proposer des dépliants d’information dans les ateliers et dans les magasins afin de remédier à cet écueil.

Les propositions de régulation liée à la conception des souvenirs

« Les souvenirs artisanaux à Hué et à Hoi An sont quelque peu limités » (A5, juillet 2015 : communication personnelle), expliquait un informateur. Comme on l’a vu plus haut, les objets artisanaux jouent un rôle fondamental dans la stratégie d’achat de souvenirs. Les acteurs touristiques devraient mieux répondre à la recherche de l’authenticité culturelle des visiteurs (Littrell et al. , 1993 ; Fourcade, 2005). Pour ce faire, les artisans devraient explorer de nouvelles références culturelles. Plusieurs suggestions s’imposent en ce sens.

À Hué, ancienne capitale sous la dynastie des Nguyen et capitale bouddhique du pays, les signes impériaux et bouddhiques pourraient facilement être utilisés, notamment les emblèmes porte-bonheur. En ce sens, un objet rapidement identifiable est le khánh , un gong de tradition bouddhique censé réveiller les bonzes en méditation. La ville de Hué a déjà sélectionné le gong pour l’insérer dans la signalisation urbaine ( illustration 9 ). Plusieurs entreprises et associations huéennes l’ont également choisi pour logo. Le khánh est d’autant plus significatif qu’il désigne, dans la tradition sino-vietnamienne, la félicité ou la bienvenue. L’image de la chauve-souris est un autre exemple fascinant. Elle symbolise le bonheur, étant donné que sa prononciation est semblable au mot « bonheur » en sino-vietnamien. Surtout, l’image de cinq chauves-souris représente les cinq bonheurs (longévité, richesse, paix et santé, amour de la vertu et mort naturelle à un âge avancé) (Cadière [1919], 2013 : 289). L’image de ce mammifère qui garde dans sa bouche un gong, un ensemble symbolisant le bonheur et la félicité, intéresserait peut-être davantage les touristes. Elle permettrait de renverser les conceptions occidentales qui associent la chauve-souris à la nuit et au malheur, une signification qui diffère totalement de celle au Vietnam. Le sceau impérial pourrait également être mis à profit. Il représente le pouvoir ultime de l’empereur et de la cour. La légende de la carpe surmontant les vagues violentes pour se transformer en dragon pourrait pareillement plaire. Symbole de résilience, elle est associée à la réussite, après une longue période d’apprentissage des jeunes Vietnamiens à la suite des concours mandarinaux sous le régime féodal.

Fig. 12

Illustration 9 : Le vrai khánh et son symbole sur un panneau de rue

Illustration 9 : Le vrai khánh et son symbole sur un panneau de rue
Source : L’auteur

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Quant à Hoi An, plus exactement dans la province de Quang Nam dont Hoi An fait partie, le projet intitulé « Promotion touristique des villages artisanaux », soutenu par le gouvernement coréen avec la collaboration, entre autres, de l’UNESCO et de Craft Link, a réussi à développer un ensemble de « produits artisanaux signés » réunissant le savoir-faire traditionnel des artisans et les motifs typiques locaux inspirés de deux éléments de la province, classés au patrimoine mondial, dont la vieille ville de Hoi An. On a ainsi conçu des lanternes et des souvenirs en bois et en poterie de Hoi An labellisés « Signature du patrimoine » (UNESCO-Quang Nam, 2013 : 12). S’y ajouterait la paire d’yeux, servant de paravent, qui se trouve au seuil des maisons traditionnelles, des pagodes et des temples hoianiens (illustration 5).

Bref, beaucoup de nouveaux objets touristiques pourraient puiser dans le répertoire traditionnel vietnamien.

Conclusion

Les souvenirs figurent immanquablement dans la liste des produits les plus achetés par les consommateurs touristiques. Ces derniers montrent toujours un intérêt envers les représentations culturelles du lieu visité. Cette étude, malgré le nombre modeste des répondants francophones, contribue à dresser le premier inventaire de la consommation touristique enregistré au Vietnam. Les 177 objets achetés à Hué et à Hoi An utilisent non seulement des symboles culturels de ces deux villes, mais certains d’entre eux traduisent des images de tout le pays. Ils concourent à faire rayonner l’ensemble du territoire et de l’histoire. La recherche démontre que l’aspect culturel des souvenirs artisanaux constitue le critère le plus important susceptible d’influencer l’achat des touristes. De ce fait, cette étude propose des pistes communicationnelles et promotionnelles dans le but de mieux informer les touristes sur les symboles culturels huéens et hoianiens et ainsi les amener à faire l’achat de produits de qualité, représentatifs de ces deux villes. Il faudrait cependant étudier d’autres cas avant de généraliser les résultats. À l’intérieur du Vietnam, Hanoi sera un exemple intéressant en raison du nombre élevé de ses métiers d’artisanat ainsi que ses fameux trente-six quartiers de métiers. Des analyses comparatives pourraient également être faites avec des pays en développement en Asie, en Afrique, en Amérique latine, voire avec des pays développés comme le Canada, connu pour sa production artisanale et son réseau d’économusées. Les résultats obtenus permettraient de voir si les mécanismes liés à la mise en tourisme de l’artisanat sont transférables.