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Docteur en sciences de la communication, le professeur Mário Carlos Beni est habilité à diriger des thèses en tourisme à l’École de communication et arts de l’Université de São Paulo (USP). Il détient un DEA (diplôme d’études approfondies) en sociologie et en science politique de l’École de sociologie et politique de São Paulo. Il est maintenant professeur titulaire à la retraite de l’USP.
Au cours de sa carrière, il a été professeur invité dans plusieurs programmes gradués au Brésil et à l’étranger. Il a été rédacteur associé de la revue Annals of Tourism Research, membre du Conseil supérieur de l’International Association of Scientific Experts in Tourism et de l’International Academy of Tourism. Il a aussi été membre du comité d’éthique de l’Organisation mondiale du tourisme (section Amériques). En 2004, il recevait le Tourism Award de l’Association mondiale de formation professionnelle en hôtellerie et tourisme et, en 2010, celui de chercheur émérite de l’Association nationale de recherche et d’études de troisième cycle en tourisme du Brésil. Il est toujours un membre actif du Conseil national du tourisme au sein du ministère brésilien du Tourisme.
Quelle a été votre trajectoire professionnelle et universitaire dans le champ du tourisme ?
L’année 1971 a marqué mon entrée à l’École de communications et des arts (ECA) de l’Université de São Paulo (USP). À l’époque, un concours de sélection avait été organisé afin de pourvoir un poste de professeur en tourisme et développement, poste associé au programme de « relations publiques et de journalisme ». J’ai postulé et j’ai été engagé. Dans cette école, j’ai été invité à participer à différents concours pour l’obtention de bourses d’études à l’étranger. J’ai ainsi eu la chance d’aller étudier à l’Université de Tokyo (Japon), grâce à un programme financé par la Japan International Cooperation Agency. À cette même époque, avec la création des cours supérieurs de tourisme au Brésil, le ministère de l’Éducation et de la Culture m’a accrédité comme le premier professeur des disciplines « théorie et technique du tourisme » et « planification et organisation du tourisme ».
Quelle expérience a influencé le plus fortement votre activité professionnelle et universitaire dans le domaine touristique ?
J’ai été désigné, en 1972, pour contribuer à l’élaboration du programme de cycle supérieur en tourisme à l’ECA/USP. Pour réaliser ce projet, j’ai consulté des centres d’études à l’étranger, notamment le Centre des hautes études en tourisme de l’Université d’Aix-en-Provence (France). J’ai ensuite choisi quelques professeurs d’autres unités de l’USP et d’écoles privées pour faire partie du corps professoral. Une fois le groupe de professeurs constitué, nous avons discuté et développé le cursus du programme et les matières à enseigner. Nous avons ainsi intégré le champ du tourisme aux cours de communication sociale de l’ECA/USP. C’est donc par la communication sociale que j’ai entrepris ma trajectoire dans le champ du tourisme.
Aujourd’hui, quels sont les projets et les recherches que vous développez ?
Les projets auxquels j’ai participé, et auxquels je continue de participer, concernent autant l’élaboration de plans stratégiques pour le ministère du Tourisme – Mintur (par exemple, la Route des émotions), de plans de développement régional (notamment à Jericoacoara, à Delta do Parnaíba et à Lençóis Maranhenses), la mise sur pied de réseaux de coopération à partir du programme de régionalisation du tourisme du Mintur. Je poursuis également la révision des programmes de qualification professionnelle du gouvernement de l’État de São Paulo. Je participe à la reconfiguration du système de tourisme (SISTUR) en prônant la transdisciplinarité ainsi qu’une vision holistique et écosystémique basée sur la théorie de la complexité.
Les collaborateurs à ce numéro spécial de Téoros ont écrit abondamment sur les dimensions écologiques, culturelles, sociales et économiques du tourisme dans les pays d’Amérique latine. Quels sont, à votre avis, les principaux défis du développement touristique au Brésil et en Amérique latine ?
Le scénario est globalement positif pour le Brésil, mais les objectifs ne sont pas faciles à atteindre pour tous les acteurs. En effet, la structure institutionnelle du Mintur est aujourd’hui apte à planifier l’espace touristique national avec des directives claires et structurantes pour le processus de régionalisation du tourisme. Toutefois, les États et les municipalités font encore face à d’énormes difficultés et à de nombreux obstacles pour comprendre, appliquer, opérationnaliser et donner suite à ces directives dans leurs limites politico-territoriales. Il existe donc un écart important entre le niveau national et les régions ou les municipalités.
Ces difficultés se présentent sous deux principaux aspects au Brésil. Le premier concerne l’absence de ressources humaines qualifiées pour comprendre, interpréter et intégrer les concepts et les méthodologies imposés par le Mintur. L’harmonisation des procédés et des instruments opérationnels locaux avec les normes de l’État n’est pas toujours aisée. Le deuxième élément relève de la fragilité et de l’incapacité institutionnelle de la gestion du tourisme dans plusieurs régions du pays, et ce, malgré les tentatives successives de planification de leur développement.
Les défis institutionnels pour le tourisme en Amérique latine sont vastes et nombreux. Ils concernent autant les stratégies de développement durable, de gestion des affaires, de réduction de coûts, que l’atteinte de niveaux élevés de compétitivité dans la construction d’alliances et de partenariats entre les pays sud-américains.
Les programmes des gouvernements nationaux sud-américains devraient également contenir des objectifs tels que la réduction de la pauvreté ainsi que le développement et l’utilisation d’indicateurs pour mesurer les variations de l’économie locale. Le développement de l’économie touristique doit aussi être considéré dans l’ensemble du développement rural, et donc dans une vision plus large que les stricts indicateurs touristiques.
Les programmes du secteur privé devraient, quant à eux, inclure des objectifs tels que le recours aux ressources et aux produits locaux, la promotion d’un marché local de l’emploi, l’appui aux initiatives d’autonomisation des communautés, le partage des richesses. Toutes les activités favorisant le développement local, comme celles qui encouragent les touristes à visiter les marchés d’artisanat, à utiliser les services des guides locaux et, de façon générale, à promouvoir la croissance des ventes des petits commerçants, devraient également être mises de l’avant par le secteur privé.
Quel est votre avis sur les points saillants du tourisme au Brésil et dans les pays d’Amérique du Sud ?
Les pays d’Amérique du Sud commencent à percevoir que le tourisme est un excellent outil de diversification économique. Notamment grâce au tourisme, chaque jour plus de capitaux sont investis dans les infrastructures. Il y a en effet plusieurs initiatives pour attirer les capitaux étrangers dans le financement de l’hôtellerie et d’autres entreprises touristiques.
Le premier produit touristique développé pour le marché international en Amérique du Sud a été le tourisme de soleil et de plage. Pensons à cet égard au Brésil, à la Colombie et au Venezuela avec sa côte plongeant dans la mer des Caraïbes. En Colombie, on peut citer deux complexes touristiques très connus : Santa Marta et Cartagena. On peut également inclure les îles San Andrés. Le Venezuela bénéficie d’un flux considérable de touristes vers l’île Margherita, dans les Caraïbes, mais possède également des produits liés à l’écotourisme et aux parcs nationaux. Cette diversité témoigne de l’évolution du tourisme dans cette région du monde. Ainsi, depuis les années 1970, on a assisté à une préoccupation croissante en ce qui concerne la dégradation de l’environnement, ce qui a mené à la création de ce que l’on connaît maintenant comme l’écotourisme. Le Parc national des Galápagos, en Équateur, était déjà une destination importante de l’écotourisme, avant même la popularisation de ce mot.
Depuis le début du XXIe siècle, on assiste à la croissance de la popularité de deux régions du sous-continent américain : l’Amazonie et la Patagonie. La région amazonienne est immense. Elle comprend le fleuve Amazone, avec plus de 1100 affluents, et couvre une superficie de 7 à 8 millions de kilomètres carrés. Sa population est estimée à plus de 20 millions d’habitants, dont un million d’Indiens regroupés dans plus de 420 tribus. Les efforts du Brésil pour se positionner sur le marché intrarégional et international de l’écotourisme sont importants et bien observés. L’extraction des minéraux et l’exploitation des forêts sont encore des activités économiques bien importantes, mais le gouvernement et le secteur privé développent également l’écotourisme dans cette région.
Le tourisme en Argentine a toujours été associé aux parcs nationaux et à l’ensemble des ressources naturelles de ses provinces. Un bon exemple du succès de ce modèle d’occupation touristique se trouve dans les réserves fauniques qui structurent la Patagonie tout au long de la côte atlantique sud. Ces formes de territoires protégés favorisent la croissance économique de la région en attirant un important segment de marché intéressé par la nature. Aujourd’hui, les acteurs associés au tourisme travaillent non seulement dans les réserves fauniques, mais aussi sur les territoires marins, œuvrant entre autres à la préservation des baleines, des pingouins, des lions marins et d’une grande variété d’oiseaux.
Si les parcs nationaux sont les principaux attraits touristiques de la Patagonie argentine, l’agrotourisme est aussi en plein développement. Il est largement favorisé par la culture de fruits et de moutons. Ces activités touristiques sont importantes, car elles procurent des revenus additionnels aux producteurs des petits villages.
Dans la Patagonie chilienne, le tourisme rural et l’agrotourisme bénéficient des entreprises démarrées dans les années 1980 aux environs de Puerto Montt dans le sud du pays. Cette région avait été colonisée par les Allemands qui y ont transplanté un style architectural typique avec des constructions en bois ainsi que d’autres manifestations culturelles.
La Bolivie, connue pour la région de l’Altiplano où se trouve le lac Titicaca, son site archéologique le plus connu, comporte également d’importants vestiges représentatifs du riche passé précolonial. La forêt aussi y est considérable. Le gouvernement bolivien cherche depuis 1994 une manière d’implanter une stratégie de développement durable qu’il nomme « Tourisme ethnoécologique de l’Amazonie jusqu’aux Andes ».
Le Pérou pour sa part œuvre à développer le tourisme écoculturel et le tourisme d’aventure dans les Andes. Il vise à mettre en marché des produits propices au contact avec la nature, à la pratique de sports extrêmes, mais aussi à la connaissance des sites des civilisations précolombiennes. Parmi les régions les plus recherchées se trouvent le parc national de Huascarán et le site inca du Machu Picchu. Avec le développement de la grande randonnée, quatre itinéraires partant de Cuzco en direction du célèbre site archéologique du Machu Picchu ont été développés.
Quel est le rôle fondamental des institutions dans le développement touristique des pays d’Amérique latine ? Et quelles sont les principales erreurs des politiques publiques dans ces pays ?
Au niveau de la politique touristique gouvernementale, les pays en développement d’Amérique latine et des Caraïbes ont fait historiquement plusieurs erreurs qui empêchent aujourd’hui le développement d’un tourisme plus profitable, sur le plan social aussi bien qu’économique. L’existence d’une politique sectorielle qui isole le tourisme des autres secteurs productifs et sociaux est un exemple de ce type d’erreur. L’établissement de politiques qui ne comptent pas suffisamment sur la participation des acteurs du secteur et des autres secteurs économiques qui lui sont liés et qui ne s’appuient pas sur des instruments efficaces sont parmi ces erreurs. Il en va de même pour les politiques sans vision à long terme, soumises aux priorités des élus politiques en place et ne reconnaissant pas les réalités régionales dans des pays de grandes superficies territoriales comme le sont une bonne partie des pays sud-américains.
L’adoption de certains modèles, comme celui de la compétitivité basée sur les prix et des revenus à court terme, a également été une grande erreur. Ils ont fait oublier qu’il existe non seulement des produits et des services touristiques, mais aussi des individus, qu’ils soient visiteurs, résidents ou travailleurs du secteur. Les politiques touristiques à caractère corporatif, orientées fondamentalement sur la croissance et la performance des grandes entreprises, ont également généré beaucoup de précarité et de pauvreté.
Pour conclure cette entrevue, à partir de votre expérience et de votre vision, existe-t-il un modèle qui devrait être adopté pour le développement touristique en Amérique latine ?
Quelques mesures sont nécessaires dans chaque bloc sous-régional. Les mécanismes d’intégration et de coopération multilatérale devraient tenter de développer des produits communs à plusieurs pays. Ensemble, ils seraient plus concurrentiels sur le marché international. Le développement des produits et la promotion touristique pourraient ainsi être communs à plusieurs pays. On note que cette stratégie a été une réussite dans le cas du « Monde maya » auquel ont participé le Mexique, le Guatemala, le Honduras, le Salvador et le Bélize. On peut aussi nommer d’autres bons exemples de réussite : le circuit pirate dans les Caraïbes et dans six pays d’Amazonie, le monde Gaúcho de la Patagonie, les missions jésuites dans le Mercosul, le chemin inca entre le Pérou, la Bolivie et l’Équateur, le complexe touristique de l’Iguaçu au Brésil.
Au-delà de donner davantage de souffle à la promotion des produits touristiques, les projets d’investissements réalisés en commun permettraient de gagner en efficacité par la réduction des coûts et des infrastructures nécessaires. Dans ce contexte, les alliances entre des parcs naturels et des régions protégées dans les zones frontalières sont aussi de bons exemples. Les systèmes de financement disponibles dans les Amériques, comme la Banque interaméricaine de développement, la Corporation andine de développement et d’autres institutions semblables, devraient par exemple accorder la priorité aux demandes de crédit qui visent à viabiliser de tels projets.
Finalement, les législations internes des pays sud-américains devraient tendre à une relative uniformité du traitement fiscal des revenus générés par le tourisme. On pourrait donner les mêmes encouragements au tourisme que ceux donnés à l’exportation de biens (par exemple la suppression des taxes sur les services hôteliers ; la remise de taxes pour les achats faits par les touristes ; l’extension des tarifs pour les équipements et les matières premières importés pour les projets de priorité spéciale).