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Plus encore que d’autres genres médiatiques comme le cinéma ou la télévision, la littérature s’est saisie de la fiction diffusée à la radio. En témoignent les expressions utilisées pour s’y référer : si, au Québec, on parle le plus souvent de « littérature radiophonique[1] », les expressions « écriture radiogénique[2] » ou encore « radiolittérature », néologisme qui s’est récemment imposé en France[3], sont également utilisées pour renvoyer au corpus d’oeuvres de fiction diffusées en ondes. Le langage dont se servaient les artisans de la radio de la première heure pour décrire leur pratique empruntant également au champ littéraire – on pensera aux termes « radiothéâtre », « poésie[4] », mais surtout à la déclinaison « radioroman », « roman-feuilleton », « roman-fleuve », « roman-savon », voire « roman » tout court –, il est aisé de comprendre le rapprochement qui s’est opéré naturellement entre la littérature et la radio.

Cette manière de conceptualiser la fiction radiophonique par le truchement du littéraire n’est toutefois pas sans conséquence. Ce qui pourrait sembler, en apparence, n’être qu’un débat sémantique découlant de l’absence d’une terminologie adaptée, est en fait révélateur de la vision même de la fiction radiophonique et de la place de celle-ci dans l’écologie des genres littéraires et médiatiques. Plutôt que de proposer une traversée de l’histoire de la diffusion de la fiction à la radio, études qui ont été menées tant pour la France que pour le Québec[5], il apparaît ainsi plus important d’effectuer un retour réflexif sur la manière dont la fiction radiophonique est devenue un objet littéraire et sur les enjeux découlant de cet appariement entre littérature et radio.

Une telle réflexion, qui ne se veut pas une critique de l’approche littéraire de la fiction radiophonique, mais bien une mise en lumière de certains de ses partis pris analytiques, est de même nécessaire alors que la numérisation des corpus radiophoniques rend ceux-ci de plus en plus accessibles aux chercheurs et chercheuses. Bien qu’il faille déplorer la perte d’un grand nombre d’archives sonores et radiophoniques en raison de l’absence de lignes directrices pour leur conservation à l’époque de leur diffusion[6], de vastes chantiers de numérisation et d’indexation de documents audiovisuels sont en cours au Québec[7]. Alors que les chercheurs et les chercheuses qui s’intéressaient à la fiction radiophonique devaient auparavant se contenter d’en étudier les tapuscrits conservés dans les archives privées des auteurs et des autrices de la radio québécoise[8], ce qui aura d’ailleurs des conséquences importantes sur la manière dont la fiction radiophonique a été comprise, ils et elles ont désormais un accès facilité aux enregistrements sonores, ce qui a le potentiel de renouveler profondément les connaissances sur les oeuvres radiophoniques.

La radio : support ou forme

Implantée au début de la décennie 1920 tant en Europe qu’en Amérique, la radio se développe de manière similaire dans les pays occidentaux. D’abord média d’information, elle intègre rapidement à sa programmation musiques et chansons, ainsi que différentes oeuvres de fiction – sketchs, poèmes lus en ondes, adaptations de pièces de théâtre et d’oeuvres romanesques au cours des années 1930, puis radioromans, radiothéâtres et autres créations sonores conçues spécifiquement pour ce média au cours de ce que l’on appellera l’« âge d’or » de la radio, soit les décennies 1940 et 1950. On peut donc distinguer deux types d’oeuvres de fiction diffusées à la radio. L’oeuvre radiophonique (aussi parfois appelée radiogénique[9]), spécifiquement imaginée pour la radio, peut être différenciée de l’oeuvre radiodiffusée, qui se sert plutôt de la radio comme d’un relais permettant sa diffusion. Les contes, les poèmes et les extraits de romans lus en ondes, voire certaines productions théâtrales retransmises à la radio, pourraient ainsi être classés du côté des oeuvres radiodiffusées, tandis que les sketchs, les radiothéâtres, les radioromans et les dramatiques par épisodes[10] se définissent davantage comme des oeuvres proprement radiophoniques.

Cette classification ne nie d’aucune façon le caractère hybride des productions radiophoniques et radiodiffusées, non plus qu’elle ignore le phénomène de remédiation constant de ces oeuvres. Elle met toutefois en relief un des problèmes inhérents à l’étude des médias, « objets communicationnels complexes qui recouvrent en fait plusieurs niveaux de sens » et qui « renvoient simultanément à une institution, à un milieu, à un support matériel et à un mode de diffusion[11] ».

En Europe, c’est d’abord comme un support et comme une manière de diffuser la littérature que la radio a été envisagée. Bien que les artisans de la radio française reviennent sur leur pratique dès les années 1970, les universitaires, majoritairement issus des départements d’études littéraires, commencent à s’intéresser à la radio plus tardivement. À la fin des années 1990 paraissent les ouvrages Hermès sans fil et Écritures radiophoniques résultant des travaux du Centre de recherches en littératures modernes et contemporaines (CRLMC) de l’Université Blaise-Pascal Clermont-Ferrand 2[12]. Le siège principal des études sur la radio s’établit ensuite à Montpellier au tournant des années 2000, où Pierre-Marie Héron a produit et dirigé nombre d’études de fond sur la présence des écrivains à la radio. Plus récemment, Céline Pardo (Sorbonne Université) et les chercheurs allemands Hans-Ulrich Wagner (Universités de Bamberg et de Münster) et Hans Hartje (Université de Pau et des Pays de l’Adour) ont également apporté d’importantes contributions à l’étude de la radio d’un point de vue littéraire.

La perspective européenne adoptée pour l’étude de la radio fait de celle-ci le creuset du littéraire davantage qu’elle ne mène à l’étude des oeuvres radiophoniques ou radiodiffusées elles-mêmes. S’il est vrai, plus encore que dans le cas du cinéma, que la radio a servi de banc d’essai pour des écrivains de renom issus du circuit littéraire, ce média est surtout envisagé comme un espace transitoire de création pour les auteurs, qui écrivent pour les stations de radio dans le but de toucher un revenu supplémentaire ou qui y font leurs gammes en vue de la publication dans le circuit lettré traditionnel. La radio est alors davantage perçue comme l’un des nombreux supports de la littérature qui en permet le relais sur une plateforme différente, et non comme une forme particulière, avec ses enjeux et ses codes. Dans un article expliquant comment la radio peut être intégrée aux études littéraires, Céline Pardo affirme que la littérature radiophonique est à comprendre « comme un nouveau domaine d’expressions pour les écrivains, caractérisé par l’utilisation du dispositif médiatique propre à la radio[13] ». Les chercheurs européens s’intéressent conséquemment davantage à la présence de l’écrivain à la radio[14], perçu d’abord comme un acteur dans le champ culturel faisant usage du média[15], à sa pratique de l’écriture médiatique, mais aussi à sa voix[16], voire plus spécifiquement encore à sa diction[17].

De ce côté-ci de l’Atlantique, Pierre Pagé et Renée Legris, tous deux professeurs à l’Université du Québec à Montréal (UQAM), respectivement au Département de communication et au Département d’études littéraires, font figure de pionniers dans le domaine. Ils mettent en branle, dès les années 1970, de grands chantiers de collecte de données, dont le fonds Archives de la littérature radiophonique du Québec constitué par Legris et conservé au Centre de recherche interuniversitaire sur la littérature et la culture québécoises (CRILCQ) de l’Université du Québec à Montréal. Leurs recherches mèneront, dans un premier temps, à la publication d’ouvrages de référence sur les oeuvres et les artisans de la radio québécoise : le Répertoire des oeuvres de la littérature radiophonique québécoise 1930-1970[18] et le Dictionnaire des auteurs du radio-feuilleton québécois[19]. En 1978, la fondation par Pagé et Legris de l’Association des études sur la radio-télévision canadienne (AERTC), puis celle du Concordia Centre for Broadcasting Studies par Howard Fink en 1981, ainsi que la publication de la revue Fréquence/Frequency dirigée par Pagé, ouvrent la voie à l’étude de la radio québécoise. À eux seuls, Pagé et Legris sont responsables de plus d’une vingtaine de publications savantes sur la radio québécoise, écrites parfois en collaboration, en plus d’avoir publié deux synthèses historiques, Histoire de la radio au Québec[20] portant sur le média lui-même, et Histoire des genres dramatiques à la radio[21] se penchant plus spécialement sur les formes littéraires radiodiffusées et radiophoniques.

S’il existe des analyses du rapport des écrivains à la radio québécoise, celles-ci se sont cristallisées presque exclusivement autour des figures de Robert Choquette et d’Hubert Aquin[22]. Les études sur les fictions radiophoniques sont quant à elles habituellement menées en mettant en relation une oeuvre littéraire écrite et son pendant radiodiffusé dans un mouvement allant du texte original à son adaptation radiophonique. Les adaptations pour la radio des romans du terroir, en particulier celles d’Un homme et son péché de Claude-Henri Grignon et du Survenant de Germaine Guèvremont[23], ont ainsi suscité beaucoup d’intérêt, au contraire des productions radiophoniques originales, sur lesquelles les études sont encore aujourd’hui pratiquement inexistantes[24]. « [V]ersion positive de l’hybridation[25] », l’adaptation radiophonique est valorisée notamment parce que les chercheurs s’y attachant en viennent habituellement aux oeuvres radiophoniques dans l’optique de porter un regard sur la production littéraire complète d’un auteur ou d’une autrice, y compris, donc, sur ses oeuvres pour la radio.

La radio devenue texte

Observer les oeuvres radiophoniques par la lorgnette du littéraire a également une incidence profonde sur la manière même de conceptualiser ces objets. Le plus important de ses effets est peut-être le vif intérêt pour le texte radiophonique, quelquefois aux dépens de la dimension sonore de l’oeuvre. Faire du texte l’élément central de l’étude d’une oeuvre de fiction radiophonique résultait initialement de l’impossibilité d’avoir accès aux documents sonores eux-mêmes, qui prévalait jusqu’à tout récemment. Danielle Aubry déplorait en 2006 la perte des archives sonores de la radio québécoise et le nécessaire repli sur les tapuscrits par les chercheurs et les chercheuses s’intéressant à ces objets : « [C]es textes conçus spécifiquement pour être entendus ne peuvent désormais qu’être lus, formant une littérature fragmentaire, inclassable, démédiatisée, vestige, partition fantomatique[26]. » Ce problème d’ordre matériel force les chercheurs et les chercheuses à faire preuve d’inventivité et à explorer d’autres corpus textuels pour y trouver la trace de la fiction radiophonique. Micheline Cambron et Marilou St-Pierre se sont par exemple penchées sur l’interaction entre deux médias à priori en concurrence l’un avec l’autre : la radio et la presse journalistique, nous invitant « à imaginer, aussi paradoxal que cela puisse paraître, la création d’archives radiophoniques sans la présence du son[27] ».

Si la difficulté, voire l’impossibilité d’écouter les oeuvres radiophoniques est l’une des raisons de la place centrale qu’occupe le texte dans l’analyse de la fiction radiophonique, cette explication n’est tout de même que partielle. L’accent mis sur la dimension textuelle de la fiction radiophonique transforme celle-ci en un genre littéraire, bien que sa diffusion se fasse par l’entremise d’un autre type de support que le papier : la radio. Traiter la fiction radiophonique comme un genre littéraire implique toutefois de ramener l’oeuvre à son texte, non plus uniquement parce qu’il a longtemps été la seule partie de l’oeuvre qui soit accessible, mais parce qu’il s’agit du seul élément pouvant être garant de sa littérarité, entendue ici dans son sens le plus large, c’est-à-dire comme renvoyant à ce qui marque l’appartenance d’un objet culturel à la littérature.

Pardo définit ainsi la radiolittérature comme « des oeuvres (de fiction ou de diction) élaborées principalement à partir de textes[28] ». Pierre Pagé estime quant à lui que l’étude de la fiction radiophonique consiste à « analyser les modifications sensibles de la signification fondamentale d’un texte écrit – d’une oeuvre écrite – dont les significations complémentaires et les modalités nouvelles sont apportées par des agents sonores qui rendent l’oeuvre accessible simultanément à plusieurs individus dans une écoute commune[29] ». La préséance du texte dans l’étude de la fiction radiophonique sous-entend que la véritable oeuvre est celle qui s’écrit en amont de sa diffusion radiophonique. Cette position est curieuse et unique dans l’étude des oeuvres médiatiques ; il paraîtrait incongru de définir le cinéma comme un texte mis en images et de faire reposer sa valeur uniquement sur le tapuscrit de son scénario. C’est également là où le bât blesse, puisque la fiction radiophonique n’est pas toujours reconnue pour le travail de ses textes, en particulier lorsqu’il est question de l’étude des radioromans, souvent produits rapidement et à la chaîne par des écrivains devant se plier aux impératifs de la diffusion quotidienne et aux exigences des commanditaires.

Cette centralité du texte mène aussi à la scission entre littérature radiophonique et création radiophonique, qui sont dès lors renvoyées dos à dos : « D’un côté des textes mis en voix et en espace (mental), avec un faible travail sonore (quelques bruitages et éléments musicaux venant ponctuer le texte, pour l’illustrer ou le rythmer) ; de l’autre des oeuvres relevant pleinement d’une écriture des sons, où les mots ne sont pas plus signifiants que les bruits, musiques et silences que [sic] les composent[30]. » Paradoxalement, les oeuvres radiophoniques qu’on considère de plus grande qualité ne sont pas forcément celles appartenant à la littérature radiophonique, mais plutôt les fictions qui utilisent au maximum les possibilités de la radio et qui font donc un usage plus assumé du son, du silence, des effets sonores.

Hans Hartje estime toutefois que prendre ainsi ses distances avec la littérature – c’est-à-dire avec le texte – n’est pas sans risque : « [C]haque pas dans cette direction expose l’écrivain de radio au risque de sortir du domaine de la littérature. L’Autre du texte s’appelle alors partition, et le résultat… musique[31]. » Pourtant, c’est justement en considérant l’oeuvre radiophonique comme une oeuvre musicale que Pierre Pagé s’était plié à l’exercice de tenter de décrire le métalangage de ce qu’il nommait la « dramatique radio ». En calquant sa démarche sur celle de la musicologie, Pagé percevait l’oeuvre radiophonique comme une partition, d’abord écrite, avant d’être actualisée par les artisans de la radio : les comédiens au premier chef, mais aussi les bruiteurs et les techniciens. Il dégageait trois éléments principaux des oeuvres radiophoniques : la ligne mélodique principale, c’est-à-dire la voix des interprètes, et deux lignes d’accompagnement, le bruitage et la musique[32]. Pour intéressante que soit cette manière de voir la fiction radiophonique, celle-ci n’évacue toutefois pas la préséance du texte qui marque la conception littéraire des études sur la radio dans l’imaginaire générique. Dans cette optique, l’auteur se fait en quelque sorte le compositeur et le réalisateur, le chef d’orchestre, mais, surtout, c’est l’acteur qui « dispense l’auditeur de lire le texte[33] ».

En faire un drame

Cette façon de conceptualiser la fiction radiophonique, même lorsqu’elle implique d’emprunter à la musicologie, a donc le défaut de laisser de côté toute sa dimension sonore et son côté performatif. Pour régler cette lacune, la fiction radiophonique est parfois associée à un genre littéraire en particulier qui a la particularité de n’être justement pas uniquement textuel : le théâtre. Ce rapprochement a des fondements historiques : l’ancêtre de la radio, le théâtrophone, inventé en 1881 par le Français Clément Ader, avait précisément pour fonction de capter la représentation de pièces et d’opéras et d’en diffuser le son par le biais du réseau téléphonique de la Société Générale des téléphones[34]. Le rapport entre théâtre et radio s’est d’ailleurs institutionnalisé au cours de la première moitié du xxe siècle. En 1942, les cours sur l’écriture radiophonique donnés par l’écrivain québécois Robert Choquette, alors en résidence d’écriture au Smith College, au Massachusetts, sont par exemple placés sous le chapeau de « Theatre » dans le catalogue de l’institution[35]. L’intitulé du cours « Radio Writing and Production » semble d’ailleurs calqué sur celui de « Play Production » qu’il côtoie. D’ailleurs, on parle habituellement en anglais de « radio drama » pour désigner l’ensemble de la production fictionnelle radiophonique et radiodiffusée, qu’il s’agisse de radioromans ou de radiothéâtre, soulignant l’appariement du théâtre et de la radio dans l’imaginaire générique anglophone.

Cette conception de la fiction radiophonique est également partagée par les chercheurs québécois et chercheuses québécoises depuis la parution d’un numéro complet de L’Annuaire théâtral sur le sujet en 1991[36] jusqu’à l’intégration de sections dédiées au radiothéâtre du Québec et du Canada anglais dans l’Oxford Companion to Canadian Theatre[37], en passant par l’importante publication de l’Histoire des genres dramatiques à la radio québécoise (2011) de Renée Legris, cette dernière appuyant largement sur la dimension dramaturgique, découlant du jeu des acteurs, de la fiction radiophonique. Legris parle en effet des fictions radiophoniques comme de « cette littérature où “tout est son”[38] », mais plus encore, la perspective choisie par la chercheuse indique que, pour elle, « tout est jeu ». Legris regrette par exemple le choix des termes « radioroman » et « radiofeuilleton » qui masque « la théâtralité de ces créations, essentiellement des dramatisations et des dialogues encadrés par un découpage en scènes courtes[39] ». Elle préfère ainsi parler de « genres dramatiques à la radio », réifiant ainsi continuellement l’association théâtre-radio, au détriment parfois de certaines formes radiophoniques qui s’en éloignent, comme le radioroman[40].

L’association entre le théâtre et la radio a cependant ses limites, comme le notent Pascal Lécroart et Julia Peslier : « Le couple formé par théâtre et radio est aussi bien une évidence qu’une absurdité : évidence factuelle puisque, dès ses débuts, la radio n’a cessé de tisser les liens les plus divers avec le théâtre ; absurdité théorique puisque, par définition, le théâtre s’adresse d’abord à la vue[41]. » Paradoxalement, et alors qu’il s’agit pourtant de deux formes s’appuyant en effet sur la représentation et le spectacle (même si l’une s’adresse en exclusivité à l’oreille), c’est aussi dans leur relation au texte que l’oeuvre théâtrale et l’oeuvre radiophonique sont à différencier. Comme pour la fiction radiophonique, la pièce de théâtre a souvent été ramenée à son texte pour lui permettre d’intégrer le champ littéraire et ce, pour des motifs similaires : l’impossibilité d’avoir accès à l’oeuvre représentée et le fait que le texte a longtemps constitué la seule archive de la performance.

Or, le destin d’une pièce de théâtre est foncièrement différent de celui d’une oeuvre de fiction radiophonique originale à cause de sa réitération. La performance théâtrale est continuellement actualisée, que ce soit au cours des différentes représentations d’une même pièce ou lorsque celle-ci est montée de nouveau, à diverses époques, selon des mises en scène différentes. Les acteurs et leur jeu, les décors, la musique et les indications scéniques peuvent changer radicalement d’une représentation à l’autre, modifiant parfois substantiellement à la fois la réception de l’oeuvre et sa compréhension. Hormis dans le cas des adaptations et des traductions, le seul invariant est le texte théâtral lui-même, ce qui facilite l’intégration du théâtre aux études littéraires, qui se fondent, on l’a vu, sur la recherche de la littérarité. La fiction radiophonique n’a pas ce luxe : sa première représentation est non seulement sa dernière, mais elle correspond aussi au processus par lequel l’oeuvre radiophonique se constitue. Jamais rejouée, l’oeuvre radiophonique est sédimentée et inextricablement liée à son support, qui devient l’un de ses constituants même. Les différents éléments qui la composent (voix, bruits, musiques, sons, mais aussi publicités et annonces) ne peuvent ni réellement être isolés ni être changés de quelque manière que ce soit. À ce titre, traiter la fiction radiophonique comme un sous-genre théâtral ne convient donc pas plus que de faire de son texte son point focal.

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Devant un tel constat, il faut en somme admettre que l’oeuvre radiophonique a un statut ambigu. Tantôt considérée dans sa dimension textuelle, tantôt envisagée comme un sous-genre théâtral, la fiction radiophonique appartient à la littérature comme nul autre média, mais elle se situe tout à la fois à sa frontière. Interroger la manière dont l’oeuvre radiophonique est devenue un objet d’étude littéraire permet de questionner la façon même dont on aborde ces oeuvres, mais aussi dont on les écoute. Certaines oeuvres radiophoniques ne pourront jamais être entendues en entier, c’est le cas de la majorité des radioromans québécois, dont la longévité aura, paradoxalement, signé la disparition partielle, sinon complète, puisque les fonds d’archives n’ont pu stocker les milliers d’épisodes qui les constituaient. Mais le champ d’études est en train de se transformer profondément grâce à la numérisation des corpus de même qu’avec la création de nouvelles formes de fictions sonores inédites qui se présentent sous forme de baladodiffusion[42]. Il importe de renouveler dès maintenant les outils théoriques et les méthodes critiques qui serviront à les analyser, en prenant acte à la fois de l’apport important des approches littéraires pour leur étude, mais aussi de leurs limites.