Number 111, 2016 Guerre et texte sous l’Ancien Régime : réécriture, procédés et enjeux Guest-edited by Marie-Ange Croft and Roxanne Roy
Table of contents (9 articles)
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Liminaire
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Le culte paradoxal du génie militaire chez Montaigne
Luc Vaillancourt
pp. 15–27
AbstractFR:
La présente étude se propose de vérifier, à travers l’analyse rhétorique des exempla, anecdotes et citations associées aux grands conquérants de l’histoire, tels qu’évoqués dans les Essais de Montaigne, si un changement s’opère dans la représentation du génie militaire du premier livre au dernier (sur lequel l’essayiste a travaillé jusqu’en 1592) afin de déterminer si l’on peut expliquer, en regard du registre délibératif par exemple et au terme d’une résolution pro et contra, l’occultation progressive de la figure de César au profit de celle d’Alexandre.
EN:
The present study proposes, through a rhetorical analysis of the exempla, anecdotes and citations associated with the great conquerors of history as evoked in Montaigne’s Essays, to verify if a change was taking place in the representation of military genius between the first book and the last (on which the essayist worked until 1592) in order to determine whether there is an explanation—as regards the discursive register, for example, and after considering the pros and cons—for the gradual overshadowing of the figure of Cesar by that of Alexander.
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Représentations de la guerre dans les éloges collectifs de femmes du xvie siècle
Renée-Claude Breitenstein
pp. 29–50
AbstractFR:
Cet article vise à faire dialoguer un thème, celui de la guerre, et un genre littéraire, les éloges collectifs de femmes de la Renaissance française, expression sous laquelle nous regroupons les recueils de femmes illustres et les défenses du sexe féminin. À travers une vingtaine de textes publiés au xvie siècle, il met au jour des représentations variées d’activités menées par des femmes en temps de guerre et en temps de paix, et les valeurs qui leur sont associées. Nous explorons en particulier trois pistes : le conflit métaphorique entre les sexes sur fond de « Querelle des femmes » et son lexique, les modulations de la vertu de courage appliquée aux femmes, et l’inscription des textes dans l’actualité et les conflits armés qui ont marqué le xvie siècle. Ce panorama n’est pas sans points de tensions, que nous explorons également : tensions liées à la disputabilité de l’éloge, particulièrement en ce qui a trait au courage, qualité masculine par excellence ; tensions générées par le caractère collectif de l’éloge, qui peut opposer les figures féminines entre elles.
EN:
This article aims to discuss a subject, that of war, and a literary genre, the collective encomia of women during the French Renaissance, a genre that groups together the collected writings of distinguished women and the defenses of the female sex. Some twenty texts published in the sixteenth century are used to highlight various representations of activities conducted by women in times of war and peace, along with the values associated with them. We explore three avenues in particular: the metaphorical conflict between the sexes viewed against the background of the “Quarrel of the Women” and its lexicon, the modulations of the virtue of courage when applied to women, and the texts’ incorporation into the context of the current events and armed conflicts of the sixteenth century. Points of tension will also be examined, including those linked to a questioning of the encomium, particularly with regard to courage—male quality par excellence—, and those generated by its collective character, which could lead to conflict between the women.
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L’animal héroïque : de la guerre comique aux enjeux moraux
Jean Leclerc
pp. 51–69
AbstractFR:
Il s’agit dans cet article d’étudier le croisement entre la guerre et les animaux dans trois textes (une traduction de la Batrachomyomachie en vers burlesques, la Galanterie à une dame de Jean-François Sarasin et les Fables de La Fontaine). Je propose d’y observer l’amalgame des lieux communs de l’épopée et des procédés du registre burlesque. Ces analyses permettent de réviser notre conception de la notion d’héroï-comique et du rapprochement de ces textes avec le genre de l’épopée. Les implications morales sont interrogées en fin de parcours, qui montrent à quel point la description des guerres peut être appliquée à des discours qui condamnent la folie de la violence.
EN:
The purpose of this article is to study the overlap of war and animals in three texts (a translation of the Batrachomyomachie in burlesque verse, the Galanterie à une dame by Jean-François Sarrasin and the Fables of La Fontaine). I propose to see in them a combination of epic commonplaces and burlesque techniques. These analyses allow us to revise our conception of the notion of the mock-heroic and observe how these texts approach the epic genre. Moral implications are examined at the end, showing the extent to which the description of wars can apply to discourses that condemn the folly of violence.
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1599-1629 : le roman français du premier xviie siècle et la mémoire des guerres de Religion
Mélanie Sag
pp. 71–90
AbstractFR:
Alors qu’on associe le souvenir des guerres de Religion dans la fiction française au genre des nouvelles historiques et galantes des années 1660, cet article montre comment le roman (sentimental, chevaleresque et d’aventures) du début du xviie siècle a été un premier lieu de mémoire de ces guerres civiles. Les diverses modalités de fictionnalisation de l’histoire ainsi que le traitement romanesque de la violence sont exposés, dans le souci de dégager la spécificité de l’approche romanesque de la guerre civile. Finalement, c’est le travail de mémoire singulier de chaque sous-genre romanesque que met en lumière cette recherche : souvenir partageable, mémoire militante des troubles ou lecture critique du passé pour mieux agir au présent. Les romans écrits entre 1599 et 1629 proposent ainsi une palette intéressante de romans « historiques », bien avant que ce genre de fiction n’apparaisse sous le règne de Louis xiv.
EN:
Whereas we associate the memory of the Wars of Religion in French fiction with the genre of the historical and galant short stories of the 1660s, this article shows how the early seventeenth-century novel (romance, chivalric and adventure) was a first place of memory for these civil wars. The diverse modalities of the fictionalization of history along with the fictional treatment of violence are examined to underscore the specificity of the fictional approach to civil war. Finally, this research highlights the singular memory work of each fictional sub-genre: a memory to be shared, a militant memoir of the troubles or a critical reading of the past with a view to behaving better in the present. The novels written between 1599 and 1629 thus offer an interesting palette of “historical” novels well before this fictional genre appeared during the reign of Louis xiv.
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Guerre et dentelles : la réécriture galante de la guerre de Hollande dans L’héroïne mousquetaire de Préchac
Roxanne Roy
pp. 91–111
AbstractFR:
Cet article propose de s’interroger sur le rôle et les fonctions reliés à l’emploi de la thématique guerrière dans L’héroïne mousquetaire de Préchac. Il s’attarde principalement aux particularités de la représentation de la guerre dans la nouvelle galante, à ses dispositifs, à ses usages et à ses fonctions afin de dégager une possible « scénographie galante des récits de guerre ». L’hypothèse qui sous-tend l’analyse est la suivante : Préchac s’ingénie à renouveler sans cesse le genre de la nouvelle. Pour ce faire, l’une de ses stratégies d’écriture consiste à puiser des éléments factuels tirés de l’histoire guerrière et à insérer des descriptions des campagnes militaires mais en prenant soin de les adapter à l’esthétique de la nouvelle galante. En optant pour une réécriture galante de la guerre de Hollande, le but recherché par le nouvelliste serait d’obtenir l’assentiment de ses lecteurs, de se conformer à leur goût tout en ménageant des effets de nouveauté, mais aussi d’entrer dans les bonnes grâces du roi.
EN:
This article aims to examine the theme of war and how it is used in Préchac’s L’héroïne mousquetaire. Its main focus is the particularities of war’s representation in galant short fiction, its devices, uses and functions, with a view to identifying a possible “galant scenography of war narratives.” The underlying hypothesis is that Préchac tries incessantly to renew the genre of the short story. To this end, one of his writing strategies consists of taking factual elements from war history, including descriptions of military campaigns, while carefully adapting them to the aesthetics of the short story. By opting for a galant rewriting of the Franco-Dutch War, the novelist sought to obtain the assent of his readers, to satisfy their taste while offering a certain novelty, but also, to enter into the king’s good graces.
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Les « favoris de Mars ». Gens d’épée et comédie fin de règne (1680-1715)
Marie-Ange Croft
pp. 113–129
AbstractFR:
Véritables phénomènes de société en raison des nombreuses guerres que mène Louis xiv tout au long de son règne, les gens de guerre ne pouvaient espérer demeurer à l’écart de la critique théâtrale. Dès la décennie 1670, ils s’invitent sur les planches, notamment chez les Italiens, et connaissent une grande fortune littéraire à partir de 1680. Rarement identifiés comme tel dans la liste des personnages — ce qui explique par ailleurs l’absence de travaux sur le sujet —, ils apparaissent sous diverses appellations : cadet, capitaine, chevalier, dragon, fantassin, homme de guerre, major, militaire, mousquetaire, officier, sergent, soldat, spadassin et, par extension parfois, Gascon. La mise en scène du soldat dans la comédie dite fin de règne, les préjugés et les valeurs qu’il incarne attestent des représentations ambivalentes que s’en fait la société fin de règne. En s’appuyant sur un corpus composé d’une quarantaine de comédies tirées du théâtre italien et français, qui mettent en scène un ou des hommes de guerre, cet article entend mieux cerner les caractéristiques et les fonctions dramaturgiques de cette figure complexe.
EN:
Veritable societal phenomena owing to the many wars waged by Louis xiv all during his reign, men of war could hardly expect to be overlooked by the theatre world. Beginning in 1670, they took to the stage, the Italians in particular, and had achieved major literary fortune by 1680. Rarely identified as such in the list of characters—explained, moreover, by the absence of works on the subject—they appear under various names: cadet, captain, knight, dragoon, infantryman, man of war, major, military man, musketeer, officer, sergeant, soldier, swordsman and, sometimes by extension, Gascon (braggart). The soldier’s appearance on stage in comedies during the late reign of Louix xiv and the prejudices and values he embodied attest to society’s ambivalence about military men during this period. By drawing inspiration from a corpus composed of some forty comedies from the French and Italian theatre featuring one or more men of war, this article proposes to identify more clearly the dramaturgical characteristics and functions of this complex figure.
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Guerre, lettres et devenir historique de la Nouvelle-France dans La défaite des Sauvages armouchiquois de Marc Lescarbot
Isabelle Lachance
pp. 131–142
AbstractFR:
Dans son poème épique La défaite des Sauvages armouchiquois par le sagamos Membertou et ses alliez sauvages de 1607, Marc Lescarbot érige Pierre Dugua de Mons, vice-roi d’Henri iv en Acadie, et Jean de Biencourt de Poutrincourt, vice-lieutenant de Dugua de Mons, en pacificateurs de tribus amérindiennes irrépressiblement guerrières. Dès lors, bien que les genres de l’histoire universelle et de l’épopée semblent agir en tant que dispositifs de reconnaissance pour signifier le partage d’une commune humanité entre Souriquois, alliés locaux, et Français, porteurs de l’entreprise coloniale, une lecture parallèle de La défaite et de certains chapitres de l’Histoire de la Nouvelle France de 1609, soit « Des Lettres » et « De la Guerre », montre plutôt une mise à l’écart symbolique de l’Amérindien. Non seulement parce que cette geste quasi médiévale relègue son expérience du territoire à un temps révolu, voire à la fable — laissant ainsi le champ libre à une expérience européenne appartenant d’emblée au temps présent —, mais aussi parce qu’elle déclare l’incapacité du Sauvage à faire face au temps présent. Ainsi se voit-il non seulement doublement dominé par la différence de l’écriture en tant qu’objet du récit et par la maîtrise de l’écriture qui donne à l’Européen un ascendant conférant à sa prise de pouvoir un caractère naturel, mais encore La défaite représente les Souriquois remportant la bataille spécifiquement parce qu’ils auraient déployé à l’encontre de leurs ennemis non seulement leurs propres ressources — stratégiques et matérielles —, mais bien le tonnerre des armes à feu françaises.
EN:
In his first epic poem La défaite des Sauvages armouchiquois par le sagamos Membertou et ses alliez sauvages in 1607, Marc Lescarbot depicts Pierre Dugua de Mons, viceroy of Henri iv in Acadia, and Jean de Biencourt de Poutrincourt, vice-lieutenant of Dugua de Mons, as pacifiers of Amerindian tribes who are relentlessly warlike. From then on, although the genres of world history and the epic appear to act as devices that acknowledge the shared humanity of the Souriquois, their local allies and the French, founders of the colonial enterprise, a parallel reading of La défaite and of certain chapters of the Histoire de la Nouvelle France in 1609, namely, “On Letters” and “On War” reveals instead a symbolic marginalization of the Amerindian. This is not only because this quasi-medieval act relegates his experience to a time that has passed, to fable even (thus leaving the field open to a European experience that belongs straight off to the present), but also because it affirms the Savage’s incapacity to deal with the present. He is doubly dominated by the command of the writing and by Lescarbot’s depiction of him, insofar as the European is constantly portrayed as superior and his power takeover inferred to be natural. But what’s more, La défaite shows the Souriquois winning the battle specifically because they confronted their enemies not only using their own resources—strategic and material—, but also thanks to the thunderous power of French weapons.
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Paroles aiguisées, textes émoussés : guerre, commerce et administration coloniale en Nouvelle-France (1682)
Catherine Broué
pp. 143–158
AbstractFR:
Les Paroles du Deputé des cinq Nations Iroquoises, a Monsr le Comte de Frontenac du vnze septembre 1682 et la Réponse de Frontenac à ces Paroles font partie d’un volumineux corpus de discours amérindiens consignés par l’administration coloniale en Nouvelle-France, corpus qui témoigne d’une pratique diplomatique, politique, administrative et scripturale en train de se constituer. Sur le plan énonciatif, ces procès-verbaux sont d’autant plus curieux qu’ils s’adressent à des destinataires très différents et déploient ce faisant un système de représentation retors où le porte-parole autochtone et la nation qu’il représente doivent pouvoir se reconnaître, mais qui n’empêchera pas Frontenac d’apparaître sous un jour favorable en tant qu’administrateur de la colonie. Ce dispositif énonciatif complexe institue une fracture entre la parole collective et la parole individuelle, opère un glissement entre un discours ouvert et un discours fermé et joue sur une coénonciation double permise notamment par la traduction littérale du discours iroquois et l’imitation de ce discours traduit par le gouverneur.
EN:
Paroles du Deputé des cinq Nations Iroquoises, a Monsr le Comte de Frontenac du vnze septembre 1682 and Frontenac’s Reponse are part of a voluminous body of Amerindian discourses recorded by the colonial administration in New France, a corpus that attests to a diplomatic, political, administrative and scriptural practice in the process of being formed. As statements, these reports are all the more curious in that they address very different people and, in so doing, deploy a devious system of representation in which the aboriginal spokesperson and the nation he represents must be able to recognize each other, but which, at the same time, portrays Frontenac in a favourable light as administrator of the colony. This complex enunciative device creates a gulf between collective and individual speech, operates a shift between open and closed discourse and employs a double play on words that is allowed, notably, by the literal translation of Iroquois discourse and the imitation of this discourse translated by the governor.