Dans le corps du texte[Record]

  • Andrea Oberhuber

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  • Andrea Oberhuber
    Université de Montréal

Écrire, décrire, inscrire : trois moments de réflexion qui me permettront, en guise d’introduction aux études de sept cas de figure, de circonscrire les contours du dossier « Polygraphies du corps dans le roman de femme contemporain ». À travers ces trois verbes à l’infinitif signalant le processus d’une pensée plutôt qu’un état de fait, il s’agira de répondre à un certain nombre de lieux communs en ce qui a trait à diverses formes d’imbrication du corps et de l’écriture des femmes, tout en insistant sur l’idée du corps — physique et textuel — comme espace perméable par lequel le sujet entre en résonance avec l’en-dehors. L’écriture a partie liée avec le corps. Pas de texte sans corps ; point de héros ni d’héroïnes sans la main qui trace les mots sur le papier, qui tape les lettres sur le clavier d’un ordinateur. Écrire est un geste physique, nécessitant une main qui exécute le mouvement. Pleinement investi dans l’acte d’écriture, le corps se fait médium entre l’idée et sa mise en forme verbale. Créer un réseau de mots et d’images textuelles est, certes, le résultat d’une activité intellectuelle, parfois sentimentale (dans le sens plein du terme), mais il faut que les êtres fictifs prennent forme, s’incarnent sur la page ou sur tout autre support médiatique. Le texte retrace sur la surface du papier le geste de l’écriture tout en constituant l’espace de cristallisation de l’imaginaire mis en oeuvre. Les corps de papier sont tissés de langage (tels la toile de Pénélope qui se fait et se défait en attendant de trouver réponse à un questionnement existentiel), et, par conséquent, ils en appellent à la description puis au déchiffrement. Écrire et agir vont de pair. Pour qui veut écrire, le corps est un allié et non un alter ego, objet de chair et de sang longtemps considéré dans la pensée occidentale comme un obstacle à l’idéal de la connaissance, de la vérité, de la mesure. Si, en effet, le corps et ses diverses implications pour ce qui est de la configuration d’une subjectivité féminine assumée comme telle sont au coeur de la démarche des écrivaines citées plus haut, ces préoccupations ne sont pas la particularité de cette génération. Et le corps ne constitue pas non plus une obsession en soi dans les textes d’auteures contemporaines comme Christine Angot, Marie Nimier, Ying Chen, Nelly Arcan, Marie-Sissi Labrèche, Linda Lê, Virginie Despentes ou Chloé Delaume, contrairement à un lieu commun qui établit une équation entre surexposition du corps dans la sphère publique et écriture des femmes aujourd’hui. On pourra remonter à certains textes de Christine de Pizan (par exemple au Livre de la cité des dames ou au Chemin de longue étude) au sein desquels la voix auctoriale problématise les effets néfastes de l’association entre « corps » et « nature féminine », laquelle s’érige en obstacle à l’intellectualité et, par conséquent, au devenir-sujet, au statut de sujet parlant et écrivant. Mais d’autres écrits anciens confirment eux aussi l’idée d’un corps de femme vécu telle une entrave. Un texte bref de Catherine Des Roches, L’Agnodice, met en lumière, à la Renaissance, les interdits qui empêchent les femmes de faire partie du corps médical incitant la protagoniste à se travestir en homme. Françoise de Graffigny au siècle des Lumières, Claire de Duras et Félicité de Genlis au xixe siècle imaginent dans leurs romans des héroïnes aux corps domestiqués — en raison de différences culturelles, raciales ou sexuées —, qui résistent mal aux lois sociales. À la fin du xixe siècle, Rachilde théâtralise des personnages féminins par le biais de …

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