Liminaire[Record]

  • Kanaté Dahouda

…more information

  • Kanaté Dahouda
    Collèges universitaires Hobart and William Smith (Geneva, New York)

Dans le champ de la francophonie littéraire, le passage d’une littérature nationale de langue française à une littérature d’expression francophone est l’aboutissement d’une quête d’autonomie que les écrivains ont toujours poursuivie dans leur fiévreuse recherche d’authenticité culturelle et linguistique. Cette aspiration identitaire fonde sa légitimité sur une situation d’oppression coloniale qui inspire à ces créateurs un double sentiment de discordance et de frustration, ainsi qu’en témoignent le poète haïtien Léon Laleau dans la « Trahison » de sa Musique nègre  et l’écrivain algérien Malek Haddad dans Les zéros tournent en rond . Paradoxalement, cette situation négative sera salutaire pour les textes francophones, puisqu’elle va susciter l’émergence d’une multitude d’oeuvres animées par le souci de transcender l’enfermement que nombre d’auteurs éprouvaient dans les réduits de la langue française. Le roman d’Ahmadou Kourouma, Les soleils des indépendances , est, à ce titre, significatif, puisqu’il permet à l’écrivain ivoirien de « reterritorialiser » le français en le soumettant aux injonctions rythmiques de la langue et de la culture malinké. Ce travail de rapatriement dans la langue est également manifeste chez Abdelkebir Khatibi  et chez Patrick Chamoiseau  qui exaltent respectivement leur identité marocaine et créole à travers un usage maternel de la langue française. Mais la question de l’exil n’est pas exclusivement liée à la problématique de la langue d’écriture, elle recouvre aussi une dimension culturelle qui prend tout son sens dans le cadre de la politique coloniale française d’assimilation. En effet, ce contexte est marqué par une relation de pouvoir dans laquelle le sujet colonisé, en tant que pôle dominé, est inscrit dans une logique de reproducteur forcé d’une identité française. Le profond malaise identitaire que crée cette situation de contrainte est manifeste dans L’aventure ambiguë de l’écrivain sénégalais Cheikh Hamidou Kane , qui dramatise l’impossibilité ontologique pour le sujet colonisé de réconcilier les deux faces de sa double culture africaine et européenne. Dans l’économie générale des fictions francophones, la fascination pour les valeurs de la civilisation occidentale engendre souvent un désir d’ailleurs qui renvoie très souvent à la capitale française en tant qu’espace paradisiaque que la plupart des protagonistes rêvent alors de visiter. À l’instar du héros césairien, obsédé par le constant désir d’« effacer la mer » afin d’échapper à sa condition d’exilé insulaire, nombreux sont les personnages des textes francophones d’Afrique, des Antilles, du Maghreb ou d’Asie qui ont éprouvé le besoin irrépressible d’emprunter les « chemins d’Europe » afin surtout de découvrir les « mirages de Paris ». Mais cet exil géographique sur les rives de la Seine les projettera plutôt dans une société française qu’ils vont habiter dans « le désenchantement du monde », en raison notamment du racisme primaire qui transformera leur vie ordinaire en une mélopée de désespoir et de souffrance. Cette désillusion témoigne de l’échec d’une intégration sociale que certains auteurs vont plutôt négocier à la faveur d’une quête de reconnaissance institutionnelle. L’écrivain haïtien Etzer Vilaire rêva en son temps de « l’avènement d’une élite haïtienne dans l’histoire littéraire de la France   ». Au cours de son long exil français, le poète québécois Octave Crémazie nourrit la même ambition pour les lettres canadiennes-françaises, même s’il estima, finalement, que celles-ci avaient plus de chance de se réaliser dans une littérature de langue iroquoise ou huronne . Malheureusement, très peu d’écrivains francophones auront la chance de reconnaître sincèrement la métropole littéraire comme « un espace des possibles   », sensible à leur rêve de grandeur. Innombrables en effet sont ceux qui vont investir ce champ de consécration en tant que lieu où s’incarne une inquiétante solitude dans laquelle ils circuleront en vain comme d’éternels étrangers. Pour …

Appendices