Abstracts
Résumé
Cet article est basé sur une recherche qualitative réalisée auprès de 13 jeunes adultes dont les parents se sont séparés. Alors qu’ils étaient enfants, certains d’entre eux ont été entendus par un intervenant juridique (un juge, un avocat ou un expert psychosocial) dans le cadre du litige entre leurs parents concernant leur garde. D’autres ne l’ont pas été. L’analyse comparative de ces deux formes d’expérience montre que leur opinion est semblable en ce qui concerne le désir d’implication et de participation dans le processus de règlement du litige devant la cour. L’enfant est plus satisfait de la décision du juge lorsqu’il a été entendu et lorsque cette décision va dans le même sens que son opinion. Certains modes de participation semblent plus enclins à rendre l’expérience plus positive. Le lien de confiance entre l’enfant et l’intervenant juridique, la neutralité de celui-ci et son savoir-être sont essentiels pour une expérience satisfaisante.
Mots clés:
- séparation parentale conflictuelle,
- parole de l’enfant,
- participation,
- litige en matière de garde
Abstract
This article is based on a qualitative research conducted with 13 young adults whose parents are separated. When they were children, some of these individuals have been heard by an actor of the legal system, such as a judge, a psychosocial expert or a lawyer in the context of the dispute between their parents over their custody. Some of them, however, have not been heard. The comparative analysis of these two forms of experience shows that the opinion of the participants is similar when it comes to their desire for involvement and participation in the dispute. Results show that children are more satisfied with the decision of the judge when they have been heard and when this decision is in line with their opinion. Some modes of participation tend to make the experience more positive. The bond of trust between the child and the legal practitioner, the neutrality of the latter and his interpersonal skills are essential for a satisfactory experience.
Keywords:
- conflicting parental separation,
- children’s voice,
- participation,
- custody dispute
Article body
Il n’est plus nécessaire de démontrer toute l’importance que joue la famille sur le développement de l’enfant, que ce soit sur le plan physique, psychologique ou social. Or, de nombreux enfants vont connaître une perturbation importante de ce milieu, puisque leurs parents vont prendre la décision de se séparer. On constate par ailleurs que la séparation parentale arrive plus tôt qu’avant dans la vie des couples ; les enfants impliqués sont donc de plus en plus jeunes (Aabbassi, Asri et Nicolis, 2016 ; Castagner Giroux, Le Bourdais et Pacaut, 2016). La séparation parentale peut être exempte de conflits parentaux et les questions concernant l’argent, la garde et les contacts parent-enfant peuvent se régler harmonieusement. Malheureusement, certaines séparations sont marquées par des conflits qui amèneront les tribunaux à devoir trancher en lieu et place des parents (Godbout, Turbide, Poitras, Larouche, Baude, Cyr et Roy, sous presse).
Les décisions au sujet de la participation ou non des enfants au processus judiciaire sont prises par les adultes et les règles régissant ces décisions demeurent variables et imprécises (Paré, 2014 ; Tétrault, 2014). Peu d’études portent sur leur perception à l’égard de cette participation. Les quelques études recensées sur l’opinion de l’enfant révèlent la volonté de ceux-ci d’avoir un droit de parole. Par contre, l’examen des pratiques démontre la tendance contraire : la participation de l’enfant demeure faible (Birnbaum, Bala et Cyr, 2011 ; Cashmore, 2011 ; Drolet et Cloutier, 1992 ; Godbout, 2014 ; Quéniart et Joyal, 2000). Le manque d’études portant sur l’expérience des enfants dont la garde a été tranchée par les tribunaux en raison d’une impossibilité des parents d’en arriver à une entente est une limite importante aux connaissances. Pourtant, il est primordial d’entendre le point de vue de ceux qui l’ont vécue, soit peu de temps après qu’ils en aient fait l’expérience ou de manière rétrospective, puisque ces personnes sont des acteurs clés de cette situation.
Cet article[1] documente les impacts de cette participation ou non-participation sur leur vie, selon la perspective de jeunes adultes qui l’ont vécue alors qu’ils étaient enfants ou adolescents. Il s’agit d’un aspect de la question sous-documenté. En effet, si peu d’études recensées ont donné la parole aux enfants (Birnbaum et coll., 2011 ; Cashmore, 2011 ; Cashmore et Parkinson, 2008 ; Timms, Bailey et Thoburn, 2008), aucune, à notre connaissance, n’a interrogé des adultes ayant vécu ce type de situation alors qu’ils étaient plus jeunes.
Rappelons aussi que les enfants, comme tous les humains, sont titulaires de droits. Parmi ceux-ci se trouve celui d’être entendu sur des sujets qui les concernent (article 34 du Code civil du Québec ; article 12(2) de la Convention des Nations unies relative aux droits de l’enfant). Une variation des pratiques existe dans ce genre de situation. Il apparaît donc nécessaire de questionner ceux qui sont directement concernés afin de comprendre s’ils ont le sentiment que leurs droits ont été respectés dans cette situation ou, au contraire, s’ils se sont sentis lésés.
Une brève recension des écrits concernant la parole de l’enfant et sa participation devant les tribunaux
La majorité des enfants, dans les études recensées, souhaitent avoir l’occasion d’exprimer leur opinion (Birnbaum et coll., 2011 ; Cashmore, 2011 ; Cashmore et Parkinson, 2008). Les enfants ne veulent pas être forcés de participer, mais ils souhaitent avoir la possibilité de le faire (Birnbaum et coll., 2011). De plus, la majorité des enfants mentionnent qu’ils désirent avoir une place pour exprimer leur opinion, mais ne souhaitent pas être responsables de la décision finale (Birnbaum et coll., 2011 ; Birnbaum et Saini, 2012 ; Cashmore, 2011 ; Cashmore et Parkinson ; 2008 ; Fournier, 2011 ; Zermatten et Stoecklin, 2009). Les enfants veulent être impliqués afin de favoriser une prise de décision plus éclairée et de meilleures décisions (Cashmore, 2011). De leur côté, les parents sont généralement d’accord pour que les enfants détiennent un certain droit de parole (Cashmore et Parkinson, 2008).
Si les écrits scientifiques font ressortir que l’enfant aimerait avoir un droit de parole dans les questions sur sa garde en contexte de séparation parentale, l’examen des pratiques en ce domaine montre une tendance inverse. En effet, la participation de l’enfant demeure faible (Birnbaum et coll., 2011 ; Cashmore, 2011 ; Drolet et Cloutier, 1992 ; Godbout, 2014 ; Godbout et coll., sous presse ; Quéniart et Joyal, 2000). La majorité des cas où un litige en matière de garde est entendu devant les tribunaux ne comportent aucune participation de l’enfant, et ce, peu importe le mode de participation[2] examiné (Quéniart et Joyal, 2000). Ce constat est réitéré par Godbout et ses collaborateurs (sous presse) qui ont examiné la situation de parents qui ont déposé des procédures judiciaires pour régler les conséquences de leur séparation. Ce sont généralement les adultes qui décident si les enfants seront consultés et quel sera le mode de participation de ceux-ci (Birnbaum et coll., 2011). Lors de l’entente d’un litige en cour, rares sont les enfants qui ont déclaré avoir été consultés par leurs parents quant aux modalités de leur garde (Birnbaum et coll., 2011).
La participation de l’enfant est toutefois plus fréquente dans les cas où l’objet du litige concerne la garde que dans le cas de litiges sur d’autres sujets (Quéniart et Joyal, 2011). Un premier débat sur cette question porte sur la place que l’on doit accorder à la parole de l’enfant dans les décisions (Cashmore, 2011 ; Cashmore et Parkinson, 2008 ; Godbout, 2014). Selon McGough (1994), il existe quatre principaux risques à s’appuyer sur des témoignages d’enfants devant le juge. Ces risques sont l’ambiguïté des témoignages et des situations, l’omission d’information dans certaines situations, la présence possible de trous de mémoire et une perception erronée des situations rapportées. L’étude de Weatherall et Duffy (2008) démontre que pour permettre une représentation concrète de la parole de l’enfant, il est nécessaire que ceux-ci soient entendus avec précision et sans interprétation (Weatherall et Duffy, 2008).
Un second débat concerne la procédure. Les intervenants juridiques semblent en faveur de la participation de l’enfant et considèrent généralement que c’est une bonne chose d’entendre, d’écouter et de consulter les enfants. Cependant, il semble que le degré selon lequel le témoignage de l’enfant devrait influencer la prise de décision du juge ainsi que la procédure à suivre pour recueillir son témoignage fassent beaucoup moins l’unanimité (Timms et coll., 2008).
Le cadre théorique
Cet article s’inscrit dans le modèle bioécologique de Bronfenbrenner qui étudie l’interaction entre les humains et leur environnement dans une perspective écologique, systémique et relationnelle (Bronfenbrenner, 1979, 1986 ; Drapeau, 2008 ; Rosa et Tudge, 2013). L’environnement d’un enfant est constitué des milieux qu’il fréquente, comme sa famille ou l’école, mais aussi d’autres milieux qui l’influencent par ricochet, parce qu’ils affectent l’environnement de ses parents. Les services auxquels la famille a accès, les politiques en vigueur ou plus largement, les normes et les valeurs de la société composent aussi l’environnement dans lequel grandit l’enfant (Bronfenbrenner, 1979, 1986 ; Drapeau, 2008). Ce modèle est décrit comme « la modélisation des emboîtements de milieux qui interagissent entre eux » (Absil, Vandoorne et Demarteau, 2012, p. 2). Bronfenbrenner insiste sur l’idée qu’il existe une interaction entre les systèmes (aussi qualifiés de niches écologiques) et que ceux-ci sont interdépendants (Bronfenbrenner, 1979, 1986). On retrouve ainsi l’ontosystème, le microsystème, le mésosystème, l’exosystème et le macrosystème qui s’imbriquent les uns dans les autres et s’interinfluencent, ainsi que le chronosystème qui traverse toutes ces niches.
Afin de comprendre l’expérience des enfants aujourd’hui devenus adultes (ontosystème) et l’influence de leur environnement (micro-, méso-, exo- et macrosystème) sur cette expérience, des thèmes pertinents repérés dans la recension des écrits et relevant des différentes niches écologiques sont abordés avec les participants (figure 1).
La méthodologie
La population à l’étude est constituée de jeunes adultes ayant vécu une séparation parentale alors qu’ils étaient enfants ou adolescents. De plus, leur garde a été contestée devant les tribunaux, plus précisément à la Cour supérieure. Un échantillon par contraste a été utilisé afin de permettre la comparaison de deux groupes, soit de jeunes adultes dont certains ont été entendus lors des procédures de règlement du litige devant la cour et d’autres non lorsqu’ils étaient enfants (Pires, 1997). Le recrutement a été réalisé par l’entremise d’un courriel acheminé à la communauté de l’Université Laval et par l’entremise d’une affiche de recrutement partagée sur les réseaux sociaux Facebook et Instagram. Les participants devaient être âgés de 18 à 25 ans ; avoir vécu la séparation parentale lorsqu’ils avaient entre 6 et 17 ans ; la séparation parentale devait avoir créé une mésentente concernant la garde de l’enfant ; le litige entourant en tout ou en partie la garde de l’enfant devait avoir été réglé par la Cour supérieure du Québec et le jeune devait se souvenir de cet épisode de sa vie et être en mesure d’en parler. Les entretiens ont été réalisés par la première auteure. La grille d’entretien était la même pour tous les participants, qu’ils aient été entendus lors du règlement devant la cour ou non.
Parmi les 13 participants recrutés, 7 ont été entendus lors du règlement du litige concernant leur garde et 6 ne l’ont pas été (tableau 1). Onze des participants sont des femmes et deux sont des hommes. Lors des procédures entourant le règlement du litige en cour concernant leur garde, les participants étaient âgés de 6 à 15 ans (M = 9,7). Les participants proviennent de plusieurs régions du Québec (urbaines et rurales). La principale occupation des participants varie : cinq sont aux études avec emploi, quatre sont aux études sans emploi, trois travaillent à temps plein et un dernier participant travaille à temps partiel. Pour ce qui est du plus haut niveau de scolarité complété : un participant n’a pas terminé ses études secondaires, un détient un diplôme de niveau secondaire, un autre un diplôme d’études professionnelles, six d’entre eux détiennent un diplôme de niveau collégial et quatre participants un diplôme universitaire de premier cycle. Le revenu total des participants avant impôts varie également : les deux groupes les plus représentés sont ceux dont le revenu se situe entre 10 000 $ et 19 999 $ (n = 4) et ceux gagnant moins de 10 000 $ (n = 4). La diversité sur le plan des variables générales (âge, sexe, occupation, etc.) et de la variable spécifique (avoir été entendu ou non) permet donc de contraster les expériences des participants (Michelat, 1975, cité dans Pires, 1997).
Dans cette étude qualitative, les entrevues semi-dirigées ont permis de faire ressortir l’expérience des jeunes au sujet de plusieurs thèmes. Les thèmes traités dans le cadre du présent article sont l’opinion du jeune à l’égard des modalités de garde, le sentiment d’avoir été entendu, la perception de l’importance accordée à son opinion, le sentiment d’avoir eu ou non le choix d’être entendu, ainsi que la satisfaction ressentie quant au mode de participation. Enfin, la perception de la prise en compte de son opinion dans la décision rendue concernant leur garde ainsi que leur satisfaction face à cette décision sont aussi documentées. Les entrevues ont été transcrites de manière intégrale (Mayer et Deslauriers, 2000). Les informations non verbales lorsqu’elles étaient marquantes et observées chez certains participants (par exemple les larmes, le ton de voix, etc.) ont été ajoutées lors de la transcription des entrevues puisqu’il s’agit d’informations importantes à prendre en considération et à codifier (Padgett, 2017). Ensuite, une analyse de contenu thématique a été réalisée selon les étapes suivantes : la préanalyse (lecture flottante), l’exploitation du matériel (codification avec le logiciel N’Vivo) et l’analyse (Frisch, 1999 ; Mayer et Deslauriers, 2000). Le développement des catégories et le sens à donner aux propos des jeunes adultes ont été discutés entre les coauteures. Cette recherche a été approuvée par le Comité d’éthique de la recherche de l’Université Laval.
Les résultats qui suivent font ressortir l’expérience des jeunes adultes dont la garde a été contestée lorsqu’ils étaient enfants, telle qu’ils la perçoivent aujourd’hui.
Les résultats
Afin de contextualiser les résultats, mentionnons d’entrée de jeu que tous les participants se sont sentis impliqués, d’une façon ou d’une autre, dans le conflit parental. Certains ont eu à protéger leur fratrie, d’autres ont joué le rôle de messager ou de médiateur entre leurs parents. Aucun des participants n’a vu sa propre relation avec ses parents demeurer similaire à la suite de la séparation. La majorité des participants (n = 8) ont vécu une rupture du lien de façon temporaire ou permanente avec l’un de leurs parents en raison des moments difficiles vécus. Alors que dans le cas des 5 autres participants, ces moments difficiles ont mené à une certaine distanciation avec leur parent sans rupture du lien (Lavoie, 2020).
L’expression de leur opinion
La quasi-totalité des participants avaient une opinion concernant le choix de la modalité de garde. Cependant, ils ne l’ont pas tous exprimée lors de la mésentente. Qu’ils aient été entendus à l’intérieur des procédures de règlement du litige ou non, quelques participants ont eu une certaine retenue quant à l’expression de cette opinion face à leurs parents et à leur famille proche.
La peur des conséquences forçait certains d’entre eux à ne pas exprimer leur opinion ou à la nuancer. La principale conséquence appréhendée était celle de faire de la peine à un parent ou encore de le décevoir : « Il faut tout le temps que tu donnes une autre opinion que la tienne. Je savais pas trop s’il fallait que je m’exprime clairement. Si je m’exprimais clairement, l’un était déçu… » (Karol-Ann) Quelques participants ont tenté d’exprimer leur opinion à l’un ou l’autre de leurs parents. Cependant, aucun de ceux-ci n’a eu le sentiment d’être écouté, et ce, peu importe son âge à l’époque. Cependant, en vieillissant, puisque le règlement du litige s’est déroulé pendant quelques années pour certains, quelques participants ont relaté avoir pris confiance en leur opinion. Ils avaient l’impression que leur opinion était plus valable. D’autres avaient plutôt l’impression de s’exprimer inutilement. Les participants ayant exprimé leur opinion à leurs parents ne sont pas nécessairement les mêmes que ceux ayant donné leur opinion par le biais des dispositifs de participation de l’enfant dans les procédures entourant le règlement du litige. Certains participants ont à la fois exprimé leur opinion lors de la mésentente et lors des procédures entourant le règlement du litige. D’autres ont seulement donné leur opinion à leurs parents et n’ont pas été entendus lors des procédures de règlement du litige. Les participants ayant exprimé leur opinion et n’ayant pas eu l’impression d’avoir été entendus par ceux à qui ils l’ont exprimée ont manifesté lors des entrevues une certaine frustration, comme le révélaient leur ton, leur langage non verbal ou les propos tenus.
Au-delà de leur expérience personnelle, certains sont d’avis que l’âge de l’enfant devrait influencer la manière dont son opinion est prise en compte, ou encore le degré auquel elle l’est. De plus, une minorité des participants ont mentionné qu’un enfant ne devrait pas avoir à choisir entre l’un ou l’autre de ses parents ; les autres ne se sont pas prononcés sur ce sujet.
La perception des participants par rapport à la prise en compte de leur opinion
La plupart des participants n’ayant pas été entendus dans le cadre du processus judiciaire auraient aimé que leur opinion soit écoutée par un acteur neutre. On remarque que les participants qui n’ont pas été entendus se sont sentis davantage incompris. De plus, il est important de mentionner que pour la quasi-totalité des participants qui n’ont pas été entendus, ce ne fut pas par choix : ils ne se sont pas fait offrir de s’exprimer dans le cadre des procédures entourant le litige concernant leur garde. La plupart des participants non entendus auraient voulu être impliqués. Pour certains, la neutralité des tribunaux aurait pu permettre une certaine liberté d’expression. Par contre, l’une des participantes était satisfaite de ne pas avoir été impliquée puisqu’elle estimait qu’elle n’aurait pas donné sa réelle opinion, étant influencée par son père qui la menaçait. Elle avait été soulagée de ne pas avoir à témoigner dans le cadre des procédures entourant le litige concernant sa garde. Dans la prise en compte de la parole de l’enfant, il importe aussi d’examiner dans quelle mesure il exprime son opinion sans avoir été influencé indûment ou sans avoir subi de pression de la part de ses parents afin qu’il adhère à leur opinion.
La grande majorité des participants, entendus ou non, considèrent qu’il est important que les enfants détiennent le droit d’être entendus. Ils considèrent que ces derniers devraient être questionnés sur leur opinion ainsi que sur leur désir d’être entendus ou non. Ils ont la conviction que les enfants vivant ce type de situation devraient être consultés afin de savoir s’ils souhaitent être impliqués dans les procédures entourant ce litige.
C’est pas à l’enfant de signifier le désaccord, pis c’est pas à l’enfant d’aller chercher un moyen de se faire entendre. Je pense que ça devrait être systématique. La Cour devrait offrir l’option pour l’enfant de se faire entendre. Pis l’enfant, l’étape un, c’est de refuser ou accepter cette étape-là.
Emmanuelle
Pour une participante, le droit d’être entendu devrait être un « droit acquis à la naissance ». Ce droit devrait être appliqué de manière plus systématique. L’enfant devrait être consulté, et ce, peu importe l’histoire de la séparation et du conflit.
Les participants ayant été entendus se sont sentis plus écoutés. Ils ont davantage apprécié leur expérience lorsque le jugement coïncidait avec leur opinion. On remarque également que l’âge des participants au moment des procédures de règlement du litige semble influer sur leur réaction face au processus. Anne-Sophie, qui avait 15 ans au moment des procédures, a mentionné l’importance que revêtait pour elle le fait de diriger un peu son parcours en donnant son opinion et en s’exprimant sur ce sujet d’intérêt qui la concernait directement. D’autres participants plus âgés auraient voulu s’exprimer pour sentir qu’ils étaient en contrôle (Vincent et Maude). L’expérience des participants plus jeunes (Kristopher, Kristina, Bénédicte et Karol-Ann) face aux procédures de règlement du litige était plus perturbante, même s’ils étaient satisfaits d’avoir été entendus. Enfin, soulignons à nouveau que le fait d’avoir été entendu à l’intérieur des procédures de règlements du litige ne veut pas nécessairement dire que tous les participants ont eu l’impression que leur opinion a été prise en compte.
L’expérience des jeunes ayant été entendus lors des procédures de règlements du litige
Dans cette partie, on analyse l’expérience des jeunes ayant été entendus lors des procédures de règlement du litige par rapport au processus judiciaire. Plus particulièrement, on cherche à comprendre s’ils ont senti qu’ils avaient le choix d’être impliqués dans les procédures ou non, et, plus généralement, à cerner leur expérience à travers les différents modes de participation.
Cinq des sept participants entendus ont senti que c’était leur choix de participer aux procédures de règlement du litige. Ils étaient satisfaits de donner leur opinion et ont senti qu’ils étaient libres de le faire ou non. L’impression d’avoir eu le choix leur procurait un sentiment de satisfaction relativement à leur participation au processus judiciaire. Les deux autres participantes se sont senties obligées de donner leur opinion. Malgré cette obligation, l’une des participantes a expliqué qu’elle était ressortie de ce processus avec un sentiment de satisfaction. On remarque également que ces deux participantes ont subi une certaine pression pour livrer un discours appris (discours influencé par l’un des parents). Elles ont souligné que c’étaient les adultes qui avaient pris la décision qu’elles seraient entendues. Par contre, elles n’étaient pas certaines de savoir s’il s’agissait d’une obligation de la Cour ou d’une décision de leurs parents.
Concernant les modes de participation, très peu de participants ont eu le choix de la modalité selon laquelle ils allaient être entendus. Seuls certains participants qui étaient représentés par un avocat ont eu le choix de rencontrer un juge ou non. Ils n’étaient pas non plus au courant qu’il existait différents modes de participation. Ce sont soit les parents, soit le juge qui ont décidé de la manière dont ils seraient entendus. Trois des participants ont été rencontrés par des juges. Ce mode de participation semble plus intimidant pour les participants. Les enfants voient le juge comme un acteur très officiel et impressionnant, ce qui les rend plus anxieux.
Je trouvais que d’aller dans le bureau des avocats, c’était préférable, pour moi, que devant le juge. Parce que devant le juge, je devais faire un pitch de vente sur où est-ce que je voulais aller et pourquoi. Pourquoi mon père était pas un bon père […] Tandis que dans les bureaux des avocats, je me sentais davantage comme dans le cadre d’une discussion, un échange.
Maude
L’expérience des participants qui ont rencontré le juge est diversifiée. Certaines expériences demeurent plus positives que d’autres. Le savoir-être du juge manifesté lors de la rencontre avec l’enfant influe sur la satisfaction de ce dernier. La rencontre avec le juge est plus satisfaisante pour le jeune et plus efficace lorsque celui-ci fait l’effort de mettre l’enfant à l’aise. Enfin, une problématique soulevée par l’une des participantes est qu’elle avait été mal à l’aise que le juge ait présenté son opinion directement à ses parents lors du jugement.
Les participants ayant été entendus par un avocat ont été représentés directement par ce dernier ou ont rencontré les avocats de leurs parents afin de donner leur point de vue. La participante qui a rencontré les avocats de ses parents explique qu’elle aurait préféré avoir son propre avocat pour représenter ses intérêts. Elle considère que chaque enfant devrait automatiquement avoir le droit d’être représenté par son propre avocat, car celui-ci est plus neutre et est mandaté pour faire valoir l’opinion de l’enfant.
Par ailleurs, les participants soulignent qu’il est important que l’avocat, l’expert psychosocial ainsi que le juge soient attentifs au non-verbal et à l’attitude du jeune en présence de ses parents. Notons que quelques participants se sentaient obligés d’exprimer un discours appris en présence de l’un ou l’autre de leurs parents. À la lumière de leur expérience, ils considèrent que pour bien représenter la parole d’un enfant il est important de créer un climat de confiance, de lui donner de l’information, de le consulter et de l’accompagner dans les étapes éprouvantes qu’il vit : « J’ai rencontré une avocate qui représente les enfants à la Cour. Elle était vraiment, vraiment gentille. C’était pas stressant du tout. Moi, je voulais pas comparaître. Je voulais pas passer là-bas, ça me stressait. Elle m’a représentée, pis je pense que c’est la situation parfaite » (Anne-Sophie).
Trois participants ont quant à eux été entendus par des experts psychosociaux. Leur témoignage souligne l’importance du lien de confiance entre l’expert et le jeune afin que l’expérience soit positive pour le participant. L’une d’entre eux raconte qu’elle se sentait à l’aise et qu’elle avait développé une relation de confiance avec l’intervenante qui la rencontrait : « Oui, ça me faisait du bien. Parce que j’étais petite, pis mon père… j’étais pas capable de parler avec mon père. La madame qu’on rencontrait, elle nous posait comme les bonnes questions » (Émilie). Selon le vécu des participants, il est essentiel que l’expert prenne le temps de bien écouter l’enfant et s’abstienne de faire des commentaires sur ce qu’il dit. L’une des participantes explique qu’elle se sentait jugée lorsque l’expert psychosocial commentait son opinion : « La madame était comme : Ben voyons donc que tu veux pas voir ton père. T’es obligée de voir ton père, c’est important » (Bénédicte).
Le tableau 2 résume les similitudes et les différences généralement observées dans l’expérience des participants qui ont été entendus et de ceux qui ne l’ont pas été.
Enfin, le nombre d’interventions peut avoir un effet sur l’expérience des jeunes concernant leur participation aux procédures de règlement du litige. L’expérience des participants quant aux rencontres avec un expert psychosocial varie selon la durée de l’évaluation du professionnel. Les jeunes se sentent plus à l’aise lorsque l’évaluation se déroule sur quelques rencontres. Ils apprennent davantage à faire confiance au professionnel, ils se sentent moins bousculés et ils ont davantage tendance à s’ouvrir et à exprimer leur opinion concernant leur garde. Maude explique qu’elle ne disait pas sa réelle opinion concernant sa garde, mais qu’elle livrait un discours appris et influencé par son parent. Étant donné qu’elle rencontrait les professionnels une seule fois pendant une demi-journée, elle n’avait pas le temps de développer une relation de confiance et de s’ouvrir à eux.
La discussion
Sur le plan ontosystémique, cette étude montre que la plupart des jeunes adultes rencontrés avaient une opinion concernant leur garde lorsqu’ils étaient enfants. Toutefois, ils n’étaient pas tous à l’aise de l’exprimer à leurs parents. En effet, le climat conflictuel qui animait les relations entre leurs parents séparés (mésosystème) a entraîné une certaine retenue de leur part. Sur le plan microsystémique, on constate que les participants auraient aimé se sentir plus à l’aise d’exprimer leur opinion à leurs parents lorsqu’ils étaient enfants. Malgré cette retenue, la majorité d’entre eux souhaitaient être entendus, et ce, par un acteur neutre (exosystème). C’est d’ailleurs ce qui ressort de plusieurs études qui montrent que l’enfant souhaite avoir une place pour exprimer son opinion (Birnbaum et coll., 2011 ; Cashmore, 2011 ; Cashmore et Parkinson, 2008). Il est également important de mentionner que les enfants prenant la parole ne disent pas nécessairement ce qu’ils pensent vraiment. Dunbar (2015) souligne que la présence possible d’une forme d’influence parentale représente un défi dans l’obtention d’une expression authentique de l’enfant, ce que corroborent les propos de certains des participants de l’étude. L’influence que peut exercer un parent sur l’opinion de son enfant est donc un facteur à considérer lorsqu’il est question d’entendre ou non la parole de l’enfant.
Une autre caractéristique de l’ontosystème concerne l’âge de l’enfant au moment des procédures entourant le règlement du litige. En effet, l’expérience des plus jeunes apparaît plus difficile, même s’ils étaient satisfaits d’avoir été entendus. L’enfant plus jeune est confronté à une insécurité et une incompréhension plus importantes en lien avec ce qu’il vit. Les enfants qui étaient plus âgés au moment des procédures de règlement du litige ressentaient un certain sentiment de contrôle sur leur vie du fait d’avoir pu exprimer leur point de vue.
Sur le plan exosystémique, on constate que les enfants souhaitent avoir une place pour exprimer leur opinion concernant leur garde devant les tribunaux (Birnbaum et coll., 2011 ; Cashmore, 2011 ; Cashmore et Parkinson, 2008 ; Lavoie, 2020). Ils souhaitent être impliqués afin que la prise de décision soit plus éclairée et qu’elle entraîne de meilleurs résultats (Cashmore, 2011). Cependant, dans la présente étude, les jeunes adultes ont rapporté qu’ils souhaitaient, lorsqu’ils étaient enfants, que leur participation demeure confidentielle et qu’elle ne nuise pas à leur relation avec leurs parents. À ce sujet, d’autres études constatent que les enfants ne veulent pas être responsables de la décision finale (Birnbaum et coll., 2011 ; Cashmore, 2011 ; Cashmore et Parkinson ; 2008 ; Fournier, 2011 ; Zermatten et Stoecklin, 2009). Birnbaum et ses collaborateurs (2011) montrent que les enfants ne veulent pas être forcés de participer, mais qu’ils veulent avoir la possibilité de le faire. Les participants étaient davantage satisfaits de leur expérience et se sentaient davantage écoutés lorsque le jugement du litige concordait avec leur opinion (Birnbaum et coll., 2011).
Un aspect qui relève du macrosystème concerne les droits des enfants. Les participants, lorsqu’ils étaient enfants, n’étaient pas conscients de détenir de tels droits devant les tribunaux. Si les enfants ne sont pas informés de ceux-ci et qu’ils sont écartés du processus, ils ne sont pas en mesure de demander qu’on les respecte. De plus, on constate que lorsqu’il n’y a aucun adulte (un parent ou un acteur externe comme le juge, l’avocat, etc.) qui souhaite que l’enfant s’exprime, l’enfant ne se voit pas donner le choix d’être impliqué ou non. La majorité des enfants impliqués avaient eu le choix de l’être ou non, mais aucun choix n’a été offert aux enfants non entendus.
Il est à noter qu’un écart important existe entre l’esprit des lois applicables et la réalité de la pratique. En effet, tant les recherches antérieures que les résultats de la présente étude révèlent que le droit d’être entendu par les enfants lorsque leur garde est contestée devant la Cour supérieure repose sur des critères indéfinis et subjectifs (Paré, 2014 ; Bala et Houston, 2015). Ces enjeux sont aussi notés en ce qui concerne la participation des enfants dont la situation est judiciarisée dans le cadre de l’application de la Loi sur la protection de la jeunesse.
Quant à la décision rendue, qui relève de l’exosystème, les enfants entendus sont plus nombreux à être satisfaits que les enfants non entendus. Cependant, pour qu’ils soient satisfaits, la décision doit concorder avec l’opinion émise lorsqu’ils ont été entendus. D’autres études révèlent que malgré le désir des enfants de garder contact avec leurs deux parents (Cloutier et coll., 2018), on observe qu’une diminution des contacts avec un des parents, souvent le père, prédomine dans les modifications concernant leur garde (Desrosiers et Simard, 2010 ; Desrosiers et Tétreault, 2018 ; Drolet et Cloutier, 1992 ; Gouvernement du Canada, 2016).
Les différents systèmes composant l’environnement de l’enfant s’interinfluencent. Les résultats de la présente étude montrent que l’enfant/le participant/le jeune adulte en tant qu’ontosystème a des besoins et une opinion face au conflit parental (mésosystème) vécu par ses parents (microsystème). Ce conflit influence son opinion et son désir d’expression. Pour que l’expérience vécue demeure positive, les acteurs juridiques impliqués (exosystème) doivent être centrés sur l’intérêt de l’enfant, mais également sur son expérience globale dans une situation litigieuse. L’exosystème (la décision du juge, le système juridique et les intervenants juridiques) est régi par le macrosystème (les droits, les règles, la culture et les croyances). Au final, porter un regard bioécologique permet de faire le constat suivant : pour qu’un enfant puisse s’exprimer dans les procédures de règlement du litige entourant sa garde dans les meilleures conditions possible, des facteurs favorables relevant des différents systèmes imbriqués doivent s’activer.
Retombées pour l’action
Les praticiens semblent en faveur de l’implication de l’enfant dans les pratiques entourant la séparation et le litige concernant sa garde. Ils considèrent que c’est une bonne chose d’entendre, d’écouter et de consulter les enfants (Godbout, Parent et Saint-Jacques, 2014 ; Poitras, Godbout, Saint-Jacques et Cyr, sous presse ; Timms et coll., 2008). Par contre, les modalités de cette implication et l’influence du témoignage de l’enfant sur la prise de décision sont débattues. Les résultats de cet article fournissent un éclairage au sujet de ces pratiques et procédures.
La mise en place d’une relation de confiance avec le professionnel impliqué est essentielle et doit être prise en compte pour améliorer les pratiques auprès de l’enfant. Aabbassi et ses collaborateurs (2016) constatent eux aussi que la mise en place d’une relation de confiance est nécessaire et que l’enfant doit se sentir à l’aise et en sécurité pour s’exprimer sur la situation vécue. La neutralité de l’aide offerte est un aspect essentiel à la mise en place de ce lien. De plus, plusieurs participants mentionnent l’importance du fait qu’ils ont eu l’occasion de rencontrer le professionnel plusieurs fois afin de créer ce lien. Ce lien de confiance permet de discuter avec l’enfant, de réussir à aller chercher sa réelle opinion, de prévenir et d’observer les situations d’influence parentale sur la parole de l’enfant. Les résultats indiquent que l’enfant qui se sent en confiance est davantage prêt à s’ouvrir et à donner des informations pertinentes à la prise de décision. Il pourrait être intéressant de réfléchir à la manière de mieux accompagner ces jeunes. Par ailleurs, les jeunes aimeraient que leur opinion ne soit pas directement présentée à leurs parents lors du jugement. Selon leur perspective, leur opinion devrait demeurer confidentielle afin de leur éviter l’impression de trahir l’un ou l’autre de leurs parents. Cela va dans le sens des études de Cashmore (2011) et Birnbaum et ses collaborateurs (2011), qui constatent que les enfants croient qu’il est plus facile de parler directement au juge sans que les parents soient présents et soient mis au courant de ce qu’ils ont exprimé. Il serait donc pertinent de réfléchir à la manière dont le juge peut rendre son jugement et justifier sa décision, notamment en relatant l’opinion de l’enfant, tout en évitant que ce dernier se retrouve dans une situation inconfortable vis-à-vis de ses parents. Par ailleurs, quelques participants de la présente étude soulignent que la rencontre avec le juge comporte aussi des inconvénients : elle est plus intimidante, officielle, impressionnante et elle les rend plus anxieux que les autres formes de participation (représentation par l’avocat ou rencontre avec l’expert psychosocial). Pour que cette méthode soit plus positive pour les participants, le savoir-être du juge et sa manière de mettre l’enfant à l’aise semblent des éléments essentiels.
Afin d’éviter des problèmes au sein de la relation parent-enfant, il est également important que les parents préservent autant que possible leurs enfants de leurs conflits parentaux. Des interventions visant la conscientisation et outillant les parents qui vivent des séparations conjugales difficiles apparaissent essentielles. La mise en place d’un climat de séparation sain pourrait améliorer les échanges entre les acteurs impliqués. Notons d’ailleurs que depuis 2016, les parents séparés qui ne s’entendent pas sur les modalités de leur rupture et veulent en saisir le tribunal ont l’obligation légale d’assister à une séance sur la parentalité avant d’être entendus par un juge (Justice Québec, 2017). Cette pratique a pour objectif d’expliquer aux parents les conséquences de la rupture et de les informer sur le choc psychologique que la séparation peut causer chez les enfants, sur les besoins et les réactions possibles des enfants ainsi que sur les modes de communication à adopter avec l’autre parent. Les parents peuvent y avoir accès à tout moment lors d’une séparation, mais elle est obligatoire lorsqu’ils souhaitent engager une procédure devant les tribunaux. Cette pratique gagnerait à être promue et utilisée plus tôt sous plusieurs formes afin que les parents reçoivent des informations sur les conséquences de la séparation, puisqu’on remarque à travers le vécu des participants que leur implication dans le conflit remonte à bien avant le règlement du litige en cour. De plus, l’enfant bénéficierait d’être outillé en ce sens en recevant de l’aide formelle ou informelle au moment d’une séparation parentale litigieuse.
Certains modes de participation sont moins redoutés par les enfants et les stressent moins que d’autres. Il serait donc important qu’au départ, l’enfant puisse avoir le choix de participer aux procédures ou non, et ce, de façon systématique. L’enfant pourrait donc sentir que son opinion compte et qu’il a son mot à dire. Ensuite, il serait intéressant de présenter les différents modes de participation à l’enfant afin de voir avec lequel il se sentirait le plus à l’aise. Il se dégage du vécu des participants que le fait de se sentir à l’aise lors des rencontres avec les professionnels concernant le règlement du litige entraîne davantage d’ouverture chez les enfants, ce qui pourrait favoriser l’expression de leur réelle opinion. Cela permet également d’être à l’écoute des signes, parfois subtils, qui révèlent que le jeune est influencé par l’un ou l’autre de ses parents. De plus, bien que le litige soit réglé par la Cour et que celle-ci soit régie par des règles spécifiques, lorsque les professionnels (juges, avocats ou experts) rencontrent un enfant, le savoir-être est essentiel. Il est nécessaire que les enfants soient entendus avec précision et sans interprétation (Weatherall et Duffy, 2008).
L’enfant peut voir sa participation aux procédures de règlement du litige de plusieurs manières. Pour certains, l’expérience est positive : elle leur permet d’exprimer leur opinion et elle leur donne une certaine forme de pouvoir sur la situation. Pour d’autres, l’expérience est plus négative : ils ont l’impression de trahir un parent, le climat de la Cour est imposant, intimidant, voire anxiogène. Certains ont parfois été déjà influencés par un parent qui leur a inculqué un discours clair et établi.
Tous les participants expliquent que le règlement du litige en cour entraîne une forte dose d’émotions et de sentiments négatifs (tristesse, colère, peur de l’abandon, sentiment de manque ou de perte, etc.) (Lavoie, 2020). Il est donc essentiel, afin que l’expérience des enfants ayant été entendus soit positive, que les professionnels impliqués soient à l’écoute, qu’ils soient en mesure de les mettre à l’aise et qu’ils ajustent leurs pratiques pour se mettre au niveau de l’enfant. Les jeunes rencontrés ont souligné qu’il serait important de prendre le temps de leur donner de l’information. Ces informations portant sur les procédures et le processus devraient être transmises dans des termes adaptés et accessibles afin de faciliter leur compréhension. Les enfants comprendraient davantage l’importance de leur implication et les règles qui entourent le règlement du litige. Finalement, au moment où la décision est rendue, l’accompagnement de l’enfant serait essentiel afin qu’il comprenne les raisons menant à cette décision. Cela aiderait peut-être également l’enfant à être satisfait de la décision, ou à tout le moins à en comprendre le sens, même si celle-ci ne coïncide pas avec son opinion. Cela pourrait aussi contribuer à diminuer la frustration de l’enfant face au processus si la décision va à l’encontre de son opinion.
Conclusion
L’étude présente l’expérience de 13 jeunes adultes vécue lorsqu’ils étaient enfants, relativement au règlement du litige entre leurs parents au sujet du droit de garde devant la cour. Parmi eux, sept ont été entendus à l’intérieur des procédures de règlement du litige et six ne l’ont pas été. Les participants ont tous pu raconter leur expérience face à la séparation, à la mésentente entre leurs parents et au règlement du litige en cour.
Il s’agit d’une étude qualitative réalisée auprès d’un nombre restreint de participants. Il est donc important de souligner la petite taille de l’échantillon. Malgré cette petite taille, l’analyse des propos des participants permet de croire que la saturation est atteinte. Toutefois, les regroupements créés et la comparaison des deux groupes étant effectués avec peu de personnes en raison de la taille de l’échantillon, cela rend parfois difficile l’analyse des scénarios les moins courants. Les méthodes de recrutement adoptées (annonce via la liste de courriels de l’Université Laval et via Facebook) ont permis d’atteindre une certaine diversité au sein de l’échantillon, mais les personnes n’ayant pas accès à ces réseaux n’ont pu être contactées. La perspective rétrospective de l’étude, quant à elle, représente à la fois une force et une limite. D’un côté, elle permet de capter le regard que posent de jeunes adultes aujourd’hui sur la façon dont ils ont perçu cette expérience enfants et comment cette vision a pu se transformer avec le temps. D’un autre côté, elle livre les propos de jeunes adultes et non les récits d’enfants. On ne peut donc avoir accès qu’à la reconstruction du phénomène inhérente au passage du temps. Enfin, cette étude apporte une contribution au domaine du service social juridique (forensic social work), un champ spécifique qui est peu développé au Québec.
Cette étude avait pour objectif de documenter les impacts pour l’enfant de cette participation, ou de son absence, aux procédures de règlement du litige entourant sa garde. Pour y arriver, l’approche utilisée a été celle de donner la parole aux jeunes afin de comprendre leur propre point de vue, une avenue peu empruntée dans ce domaine d’étude. Essentiellement, cette façon de faire a fait ressortir l’importance que revêt, pour plusieurs des jeunes rencontrés, le besoin d’être entendus dans cette situation qui les concerne au premier chef. De plus, ils souhaitent que le tout se déroule dans un contexte qui ne les vulnérabilise pas davantage que le conflit qui sévit entre leurs parents.
Appendices
Notes biographiques
Marie-Andrée Lavoie, T.S., diplômée de la maîtrise en service social, École de travail social et de criminologie, Université Laval.
Marie-Christine Saint-Jacques, professeure titulaire et directrice scientifique du Partenariat de recherche sur la séparation parentale et la recomposition familiale, École de travail social et de criminologie, Université Laval.
Notes
-
[1]
Cet article est basé sur le mémoire de maîtrise de la 1re auteure (Lavoie, 2020). La seconde en a assuré la direction.
-
[2]
Dans le cadre de cette étude, le concept de mode de participation recouvre la représentation par avocat, le témoignage ou l’entrevue devant un juge ainsi que la rencontre d’un professionnel dans le cadre d’une expertise psychosociale.
-
[3]
Les noms des participants sont fictifs afin de préserver la confidentialité.
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