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Introduction

Le trouble du spectre de l’alcoolisation foetale (TSAF) est une problématique peu connue au Québec, et ce, malgré une prévalence de près de 4 % au sein de la population générale au Canada (Popova et al., 2018). Les enfants atteints de ce trouble sont souvent surreprésentés dans les services sociaux, dont la protection de l’enfance (Fuchs, Burnside, Marchenski et Mudry, 2010). Plusieurs de ces enfants ont un trauma complexe en comorbidité et requièrent un suivi en psychothérapie (Jirikowic, Gelo et Astley, 2010 ; Petrenko, 2015). Comme le TSAF et le trauma complexe affectent les capacités cognitives et émotionnelles des enfants, les intervenants doivent adapter leurs interventions sociales et psychothérapeutiques (Brown, Harr, Morgan, Varga et Fenrich, 2017). Cet article présente une recension des écrits sur le TSAF et en particulier sur son lien avec le trauma complexe, ainsi qu’un modèle de psychothérapie adaptable pour cette population, soit la psychothérapie dyadique développementale (PDD). Une étude de cas permettra ensuite d’illustrer l’application de ces principes théoriques.

États des connaissances sur le TSAF

Le diagnostic de TSAF

L’alcool est une neurotoxine tératogène affectant le foetus en développement pour lequel il n’y a pas de moment, de quantité ou de concentration sécuritaires durant la grossesse. C’est pourquoi Santé Canada (2018) recommande une abstinence totale de consommation de breuvages alcoolisés durant la grossesse. Le TSAF est un diagnostic médical qui couvre un éventail de troubles neurologiques et de malformations liés à l’exposition prénatale à l’alcool (EPA) (Cook et al., 2015).

Dans une recension des écrits, 428 comorbidités liées à l’EPA ont été répertoriées, les plus fréquentes étant les troubles des fonctions du système nerveux périphérique, les troubles de la conduite, les troubles du langage et les otites séreuses chroniques (Popova et al., 2016). L’alcool est un tératogène maintenant reconnu comme pouvant affecter tous les systèmes du corps et provoquer des troubles de santé tels que la puberté ou la ménopause précoces, des otites à répétition, des troubles digestifs et de l’inflammation chronique (Himmelreich, Lutke et Travis, 2017).

L’alcool affecte le cerveau en développement aux niveaux structurel et neurochimique, provoquant ainsi des troubles neurodéveloppementaux dans 10 domaines : les habiletés motrices, la neuroanatomie/neurophysiologie, la cognition, le langage, la performance scolaire, la mémoire, l’attention, les fonctions exécutives (incluant l’hyperactivité et l’autocontrôle), la régulation émotionnelle et les comportements adaptatifs (Cook et al., 2015).

Le diagnostic de TSAF peut être posé lorsque la personne présente une atteinte sévère dans au moins trois des domaines neurodéveloppementaux mentionnés ci-dessus et qu’une consommation d’alcool chez la mère durant la grossesse est confirmée par celle-ci ou par un témoin fiable, s’il y a présence des trois traits faciaux caractéristiques, la confirmation d’EPA n’est pas nécessaire (Cook et al., 2016). Ces traits sont une petite fente palpébrale (distance du coin le plus interne de l’oeil au coin le plus externe), un philtrum plat (fossette située au milieu de la lèvre supérieure) et une lèvre supérieure mince (Cook et al., 2015). Bien que ces trois traits confirment l’EPA, ils seraient présents chez seulement 10 % des personnes atteintes d’un TSAF (Spohr, Willms et Steinhausen, 1993). L’absence de traits physiques chez la majorité des individus vivant avec un TSAF complique ainsi son identification. Pourtant, un diagnostic de TSAF est reconnu comme étant un facteur de protection contre les troubles secondaires (Brown et al., 2017) et permet une meilleure adéquation des services et des interventions (Petrenko, 2015). Les troubles secondaires présents chez la majorité des individus ayant été exposés à l’alcool in utero sont des problèmes avec la loi, des difficultés dans leur cheminement scolaire, des comportements sexuels inappropriés, des troubles de dépendance et une difficulté à vivre de façon autonome (Streissguth et al., 2004). Ces troubles peuvent être évités par la mise en place de services et d’un soutien adéquat.

Le TSAF et la santé mentale

Selon une étude sur les comorbidités (Popova et al., 2016), 90 % des individus ayant un TSAF avaient des troubles de la conduite, du comportement et d’impulsivité. De plus, 54 % avaient des troubles de dépendance à l’alcool ou aux drogues (Popova et al., 2016). Les troubles de santé mentale étaient autrefois identifiés comme des troubles secondaires. Toutefois, des recherches canadiennes ont montré que les troubles de santé mentale peuvent être d’origine neurobiologique chez les sujets étant exposés à l’alcool in utero (Haley, Handmaker et Lowe, 2006 ; Hellemans, Sliwowska, Verma et Weinberg, 2010). Ainsi, les personnes ayant un TSAF sont biologiquement prédisposées à surréagir au stress et sont plus susceptibles d’avoir des troubles de l’humeur (Hellemans et al., 2010). Les troubles psychiatriques les plus communs sont le TDAH, le trouble de la conduite, le trouble oppositionnel, le risque accru de suicide et d’abus de substance (Popova et al., 2016). Ces comorbidités communes amènent généralement les individus ou les familles de ces enfants à consulter un professionnel de la santé mentale, en particulier si le trauma complexe fait aussi partie de l’historique (Petrenko, 2015).

Le TSAF et son lien avec le trauma complexe

Une majorité d’individus ayant un TSAF ont vécu de multiples traumatismes durant leur enfance (Zarnegar, Hambrick, Perry, Azen et Peterson, 2016). Plusieurs chercheurs ont souligné l’importance d’intervenir à la fois sur les complications liées à l’EPA, mais aussi sur les traumatismes (Green et Salmon, n. d. ; Petrenko, 2015 ; Zarnegar et al., 2016). Lorsque les traumatismes sont vécus de façon répétée durant l’enfance, on parle de trauma complexe tel que défini par Courtois et Ford (2013 ; cités par Milot, Collin-Vézina et Daoust, 2018). Il s’agit d’expériences :

Qui 1) sont interpersonnelles et impliquent souvent la trahison ; 2) sont répétées ou prolongées ; 3) impliquent un tort direct par différentes formes d’abus […], de négligence, ou d’abandon [de la part] de personnes responsables des soins, de la protection ou [de] l’encadrement des victimes, généralement des jeunes[,] ou de leurs propres enfants (telles que les parents ou [des] membres de la famille, [des] enseignants, [des] entraîneurs, [des] conseillers religieux), ou les pertes traumatiques de ces relations et 4) qui surviennent à des périodes vulnérables du développement de la vie, comme la petite enfance, ou qui ébranle[nt] significativement les acquis développementaux à n’importe quel moment de la vie .

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Le trauma complexe compromet le développement cognitif, émotionnel, identitaire et physique des enfants qui en sont affectés. Le TSAF et le trauma complexe peuvent générer des profils très similaires chez l’enfant. En dehors des aspects physiques, qui sont propres au TSAF (neuroanatomie), les autres domaines, à savoir les domaines neurodéveloppementaux, sont affectés de façon comparable chez les enfants ayant un TSAF et ceux ayant un trauma complexe, comme le décrivent Milot et al. (2018). Toutefois, selon la recension de Green et Salmon (n. d.), les atteintes sont généralement plus sévères, notamment sur les plans de l’intelligence, du langage, de la mémoire, de l’attention, des habiletés motrices, de même qu’en ce qui concerne l’hyperactivité, l’inattention, les comportements oppositionnels et l’impulsivité, si ces mêmes enfants ont aussi été exposés à l’alcool in utero.

La gravité et la lourdeur des problématiques des enfants ayant un TSAF et un trauma complexe entrainent fréquemment de l’instabilité au niveau des donneurs de soin, ce qui justifie l’importance d’intervenir au niveau de la famille pour offrir un milieu stable à ces enfants (Pelech, Badry et Daoust, 2013). Une famille aimante et stable est d’ailleurs le facteur de protection principal contre les troubles secondaires associés au TSAF (Streissguth et al., 2004).

Les déficits liés au TSAF affectant la psychothérapie et les adaptations requises

Bien que les écrits sur le TSAF soient nombreux, ceux portant plus spécifiquement sur les interventions y étant reliées commencent à peine à être explorés (Petrenko, 2015). La psychothérapie est une des méthodes utilisées pour venir en aide aux personnes ayant un TSAF ou un trauma complexe. Toutefois, plusieurs des déficits cognitifs chez cette population peuvent entraver le succès de la psychothérapie (Brown et al., 2017). En ce sens, des adaptations sont requises.

Les interactions sociales, la communication et les soins personnels nécessaires pour fonctionner adéquatement en société font partie des fonctions adaptatives. Chez les personnes ayant un TSAF, ces fonctions sont altérées, et ce, malgré un quotient intellectuel dans la moyenne, ce qui peut nuire au succès de la psychothérapie. Ainsi, les objectifs de la psychothérapie devraient être planifiés en fonction des évaluations psychologiques et adaptatives de la personne. Bien que certaines de ces habiletés puissent être améliorées, la majorité de ces enfants auront besoin d’aide pour vivre de façon autonome durant toute leur vie (Jirikowic, Kartin et Olson, 2008).

Des troubles du langage sont aussi souvent présents chez les personnes ayant un TSAF. Les habiletés de compréhension sont d’ailleurs plus souvent affectées que les habiletés d’expression (Popova et al., 2016). Comme la personne semble habile à s’exprimer, l’intervenant tient pour acquis qu’elle comprend bien ce qui est exprimé. Une technique classique dans ce cas est de demander à l’enfant ce qui a été compris. Les difficultés sur le plan du langage doivent être palliées par l’utilisation d’un langage concret, évitant les expressions de second degré ou les sarcasmes qui sont difficiles à comprendre pour les personnes ayant un TSAF. En thérapie, on peut aussi recourir à des outils visuels comme l’art, les pictogrammes et les jeux de rôle. Les intervenants doivent aussi être vigilants quant au risque de troubles auditifs qui est prédominant chez cette population (56,8 %) (Popova et al., 2016).

Les difficultés d’apprentissage et de généralisation des concepts peuvent représenter un défi supplémentaire. Malgré la capacité des personnes ayant un TSAF à comprendre certains concepts, les transposer à des contextes différents peut leur être difficile. La répétition et la pratique des concepts dans divers environnements peuvent grandement aider aux processus d’apprentissage de ces habiletés. Comme les personnes atteintes d’un TSAF ont aussi des troubles de la mémoire, il se peut que les discussions et les stratégies apprises soient oubliées. Les troubles de mémoire vont parfois même jusqu’à la fabulation ; la personne remplacera de l’information manquante par des données inventées, ce qui pourrait donner l’impression qu’elle ment. Il est donc important de pouvoir recourir à un tiers pour valider ou infirmer le témoignage d’une personne ayant ces difficultés cognitives.

Les troubles sensoriels peuvent affecter le processus thérapeutique (Franklin, Deitz, Jirikowic et Astley, 2008). Un profil sensoriel peut être dressé afin d’évaluer les besoins de la personne. Par exemple, les personnes ayant une hypersensibilité aux lumières fortes ou aux bruits de fond peuvent être accommodées par le tamisage des lumières et un environnement calme.

Les fonctions exécutives peuvent aussi être grandement affectées chez les personnes ayant un TSAF, ce qui contribue chez certains à la prise de mauvaises décisions ou à un mauvais jugement social (Brown et al., 2017). Par ailleurs, des difficultés avec les concepts abstraits nuisent à la capacité d’introspection et d’empathie de ces personnes. Le manque d’empathie peut aussi affecter le processus thérapeutique et les interactions sociales. Afin de pallier ces difficultés en rendant la situation ou le concept plus concrets, les histoires sociales et les jeux de rôle peuvent être très aidants.

Psychothérapie dyadique développementale

Généralement, les formes de psychothérapie cognitives conventionnelles ne sont pas adaptées aux personnes ayant un TSAF (Brown et al., 2017). Toutefois, certains auteurs avancent que les techniques de réduction du stress ainsi que les thérapies basées sur l’attachement et le trauma pourraient être bénéfiques pour cette population (Brown et al., 2017 ; Zarnegar et al., 2016). De là l’idée que l’utilisation de la PDD, bien qu’ayant été développée pour les enfants ayant un trauma complexe, puisse aussi être bénéfique pour les enfants ayant un TSAF, en y apportant quelques adaptations.

Développement et modèle de pratique

La psychothérapie dyadique développementale (PDD) a été développée par Dan Hugues dans les années 1980 et 1990 afin de venir en aide aux enfants adoptés et en famille d’accueil qui présentent des difficultés d’attachement. Cette forme de thérapie s’appuie sur le fait que les enfants ayant vécu des traumatismes auront de la difficulté à s’adapter à leur nouvelle vie de famille et à établir des relations saines. Cette forme de psychothérapie vise à promouvoir un attachement sécurisant entre l’enfant et ses parents, à aider l’enfant à guérir de son trauma complexe et à développer une meilleure connexion émotionnelle entre eux (Hugues, 2007). Elle vise à favoriser un meilleur développement émotionnel chez l’enfant en l’aidant à mieux réguler ses émotions et à être capable de les partager. Plusieurs autres buts peuvent être envisagés tels que la réparation de la relation par l’acceptation du réconfort, la découverte de soi, le partage de ses traumas et la compréhension de l’impact de ceux-ci sur sa vie. Avoir une meilleure relation avec ses parents, leur faire confiance, vouloir partager leurs valeurs, voilà autant d’objectifs qui sont visés par la PDD. La PDD commence par des séances psychoéducatives où le thérapeute est seul avec les parents pour leur permettre de bien comprendre le processus et les types d’interventions qui seront mis en place. Il s’agit aussi de faire comprendre aux parents ce qu’est le trauma complexe et le TSAF et de les aider à savoir comment adapter leur parentalité aux besoins spécifiques de l’enfant. La thérapie permet à l’enfant d’expérimenter le réconfort et la joie dans la relation avec le parent par les divers éléments de cette méthode qui seront présentés dans la section suivante.

Modèle théorique de la psychothérapie dyadique développementale

La théorie de l’attachement est centrale à la PDD, théorie qui a été développée par John Bowlby et influencée par les travaux de Mary Ainsworth (Bretherton, 1992). Selon cette théorie, les expériences entre le jeune enfant et son parent influenceront son développement et sa capacité à avoir des relations saines à long terme. La théorie de l’attachement propose quatre types d’attachement. L’attachement sécurisant se crée lorsque le parent (ou la figure d’attachement) est disponible physiquement et émotionnellement pour répondre adéquatement aux besoins de l’enfant. Celui-ci apprendra à faire confiance et que le monde est un endroit sécuritaire. Un attachement sécurisant est un facteur de protection contre les problèmes de santé mentale (Hughes, Golding et Hudson, 2015). Lorsque le processus d’attachement est entravé, l’enfant peut avoir un type d’attachement non sécurisant, de type « ambivalent », « évitant » ou « désorganisé » (Bretherton, 1992 ; Hugues, 2007).

Lorsque l’enfant développe un attachement insécurisant, il fait montre souvent de comportements désinhibés ou au contraire complètement inhibés, d’un manque de confiance envers les autres et d’une difficulté à expérimenter la joie dans ses relations (Golding, 2008). Les troubles sévères de l’attachement se répercutent couramment dans des comportements perturbateurs tels que le désir de contrôle intense, d’opposition, de mensonge et de vol (Golding, 2008). Ces troubles sont souvent présents chez les enfants ayant un TSAF et un trauma complexe.

L’intersubjectivité, définie comme un partage réciproque d’expériences où chaque personne s’ouvre à la possibilité d’une influence mutuelle, afin de s’épanouir au sein de cette relation intime sans toutefois perdre son authenticité (Hughes, 2007), est au coeur des relations et de l’attachement : c’est l’influence réciproque entre deux personnes. C’est aussi la façon dont l’enfant explore le monde et apprend sur lui-même par le biais d’expériences avec d’autres personnes. L’intersubjectivité se manifeste lorsque le parent et l’enfant portent attention l’un à l’autre.

L’intersubjectivité est un facteur de la théorie sur la neurobiologie interpersonnelle, telle que présentée par Daniel Seigel (2012), expliquant que nous fonctionnons mieux neurologiquement lorsque nous sommes en interaction avec les autres. La relation réciproque nous aide à nous sentir en sécurité et permet de mieux intégrer nos sentiments, nos mémoires, nos rêves et nos sensations physiques (Hughes et al., 2015). L’intersubjectivité est fondamentale pour un attachement sécuritaire, mais elle l’est aussi pour développer des relations saines, ce qui est d’importance cruciale pour les enfants ayant un trauma complexe et un TSAF.

Interventions en psychothérapie dyadique développementale

La PDD prévoit plusieurs interventions dont les principes de base sont représentés par l’acronyme PACE, qui signifie Plaisir/enjouement, Acceptation, Curiosité et Empathie (Hugues, 2007). Ces éléments servent de guide en matière de comportements à adopter en présence de l’enfant, et ce, tant pour le parent que pour le thérapeute.

Le plaisir et l’enjouement sont les premiers aspects du PACE, mettant l’accent sur le jeu entre le parent et l’enfant. Souvent sous-estimé, le jeu est crucial au développement de l’enfant ; il permet la joie, la cohésion sociale et le rire. Chez le bébé, l’attachement passe aussi par le jeu : pensons au parent qui s’amuse avec le bambin à faire « coucou », par exemple. La réciprocité de l’activité apporte à l’enfant un sentiment de confort, de sécurité et de plaisir. « Play builds the attunement essential for the parent-child relationship, a relationship which will eventually serve as a secure base for an ever-widening exploration of the world » (Golding et Hugues, 2015, p. 52). Le plaisir et l’enjouement sont aussi une façon pour le parent de bâtir une relation agréable avec l’enfant, une façon bienveillante d’apprendre de nouvelles habiletés, mais aussi d’explorer diverses émotions à travers le jeu. L’enjouement peut aussi être une façon positive d’intervenir auprès de l’enfant. Pour l’enfant ayant un TSAF et un trauma complexe, les émotions positives vécues à travers le jeu peuvent parfois être difficiles à expérimenter et devront être explorées petit à petit.

L’acceptation est un élément essentiel de la posture à adopter auprès des enfants ayant un trauma complexe et un TSAF. Le parent apprend à accepter les idées, les désirs, les perceptions de l’enfant et à faire preuve de curiosité sur l’origine de ses comportements. Les enfants ayant un TSAF et un trauma complexe ressentent souvent de la honte, mais il s’agit de développer chez eux une saine culpabilité, c’est-à-dire de leur faire comprendre qu’ils sont acceptés comme personnes, malgré leurs comportements qui peuvent être inacceptables. Ainsi, c’est le comportement de l’enfant qui est critiqué, et non l’enfant lui-même. Le parent indique à l’enfant qu’il est triste plutôt que fâché du comportement et lui témoigne inquiétude et compassion. Cela permet de réduire la honte et la perspective négative souvent présentes chez les enfants ayant un TSAF et un trauma complexe (Hughes, 2007).

La curiosité est une posture où le parent et le thérapeute font preuve de curiosité authentique quant à l’expérience de l’enfant. L’objectif n’est pas de tenter d’obtenir de l’information, mais plutôt de comprendre comment l’enfant a organisé les évènements dans sa tête et comment il les interprète. Le but est de cocréer une nouvelle narration de ces évènements, moins empreinte de honte et de peur. Cette curiosité se fait dans le non-jugement de l’expérience de l’enfant. C’est aussi une façon d’aborder les comportements pertubateurs, en tentant de comprendre la signification qui se cache derrière. Cette technique vise entre autres à ce que l’enfant commence à se questionner lui-même sur sa vie intérieure. Plusieurs comportements de l’enfant ayant un TSAF et un trauma complexe sont perturbateurs et la curiosité aide l’enfant à faire des liens et à faire sens de son passé, de ses sentiments et de ses comportements actuels.

L’empathie est cruciale pour l’enfant ayant un trauma complexe et un TSAF. Cette posture permet au thérapeute et au parent de montrer à l’enfant qu’ils s’intéressent à lui et veulent lui venir en aide. L’adulte communique de façon verbale et non verbale à l’enfant qu’il l’accompagne dans ses difficultés. Lors de la thérapie, l’empathie se manifeste par la simple présence calme et émotionnellement stable du thérapeute. Bien que plusieurs thérapeutes tendent à offrir souvent des solutions, il s’agit tout simplement d’accompagner l’enfant dans sa détresse. Le fait d’être empathique et de se montrer compréhensif par rapport à ce que l’enfant vit aide généralement ce dernier à mieux réguler ses affects (Hughes, 2007).

Le dialogue affectif réflectif (A-R) est l’entretien qui a lieu avec l’enfant lors de la thérapie. Il s’agit d’un procédé servant à explorer le sens que l’enfant donne aux circonstances qu’il vit. Ces conversations sont souvent difficiles pour l’enfant ; il est donc préférable que le thérapeute commence par des sujets plus légers, pour ensuite aborder des thèmes liés au vécu de l’enfant. Lorsque l’enfant a de la difficulté à bien communiquer ou à trouver les bons mots, le thérapeute peut parler pour l’enfant, en s’adressant au parent. Par exemple, il peut dire : « Je pense que cela doit être difficile pour Chloé de faire confiance à cet enseignant avec les difficultés qu’elle a eues avec d’autres adultes dans sa vie. » Le fait d’entendre les verbalisations de l’adulte par rapport à l’expérience qu’il a vécue peut aider l’enfant à mieux comprendre pourquoi il réagit d’une certaine façon. L’enfant peut toutefois nuancer les propos du thérapeute si la verbalisation est incorrecte, ce que le thérapeute devra accueillir avec acceptation.

La corégulation des affects ainsi que la cocréation de sens sont deux buts lors de la PDD qui guident les interventions. En fait, le thérapeute crée un endroit sécuritaire pour que l’enfant puisse explorer ses sentiments. La sécurité émotionnelle est toujours prioritaire et lorsqu’elle est compromise, l’exploration doit être interrompue afin de rétablir la relation (Hughes, 2007). L’histoire de vie de l’enfant est alors revisitée et de nouvelles significations émergent, moins empreintes de honte et de peur, comme nous le verrons dans l’étude de cas suivante.

Étude de cas

Cette étude de cas[1] permet de mieux comprendre l’application de la PDD avec un enfant ayant un TSAF et un trauma complexe.

Historique

Matteo est un garçon de 13 ans, bénéficiant de la PDD depuis trois ans. Très athlétique, c’est un garçon qui se soucie des autres et qui est souvent prêt à aider. Il a aussi un très bon sens de l’humour. Le cheminement de Matteo a toutefois été particulièrement traumatique. Adopté par sa famille à l’âge de 4 ans avec sa soeur ainée et son frère cadet, Matteo a toujours eu de la difficulté à s’adapter à la vie familiale. Il est né prématurément, à 31 semaines de gestation, à la suite de complications de grossesse. De plus, la présence d’une drogue illicite a été détectée dans son sang à la naissance. Après son séjour hospitalier, Matteo a été placé chez son père biologique ainsi que sa conjointe jusqu’à l’âge de 2 ans et demi. Malheureusement, il a vécu de la négligence sévère et des abus physiques durant cette période. Avant son adoption, Matteo a connu deux autres placements en famille d’accueil, de 3 et 15 mois respectivement. Au moment de son adoption, Matteo avait plusieurs peurs extrêmes reflétant les types de sévices dont il avait été victime, par exemple une peur extrême de l’eau et des animaux de compagnie, en particulier des chiens. La vue de culottes d’entrainement à la propreté ou de la toilette provoquait souvent une crise d’hystérie. Matteo tombait endormi rapidement, mais se réveillait quarante-cinq minutes plus tard avec des terreurs nocturnes qui se manifestaient par des crises pouvant durer une heure et demie. Au cours des dernières années, ces épisodes reviennent parfois, mais se sont graduellement apaisés. De plus, Matteo a plusieurs difficultés sociales. Les relations profondes sont pour lui une source de stress intense. En raison de ses comportements difficiles et de ses difficultés sur le plan social, il est souvent victime d’intimidation, mais en est aussi fréquemment l’investigateur. Il a peu de réelles amitiés.

Profil et diagnostic

Comme la majorité des individus ayant un TSAF, Matteo a un quotient intellectuel dans la moyenne basse, a des difficultés importantes sur le plan du fonctionnement adaptatif et de sa capacité d’attention et cumule plusieurs troubles d’apprentissage. Matteo a plusieurs diagnostics, tels qu’un trauma complexe, un TSAF et un trouble réactionnel de l’attachement.

Sa thérapeute mentionne que Matteo a un cerveau conditionné à la peur et à la honte. Il est constamment en état d’anxiété. La vie quotidienne est pour lui un grand défi. De plus, son TSAF complique la compréhension qu’il a de son vécu, de ses traumatismes et de ses comportements.

Processus thérapeutiques

Plusieurs séances sont planifiées avec les parents pour la partie psychoéducative du processus. L’approche PACE a été enseignée aux parents, de même que les principes de base relatifs à l’intersubjectivité et à l’attachement. Les parents ont pu explorer leurs propres deuils face au défi d’avoir un enfant à besoins particuliers et leurs propres blessures d’attachement. Lorsque les parents se sont sentis prêts émotionnellement, Matteo s’est joint aux séances avec un de ses parents. La thérapeute continue toutefois d’avoir des séances sporadiques avec les parents, sans Matteo, afin de répondre à leurs questionnements, de leur apporter un soutien émotionnel et pour réviser les buts à travailler.

Méthodes d’intervention et adaptations

L’externalisation du problème est une forme d’intervention qui permet à l’enfant de réduire son sentiment de honte et de comprendre que c’est son comportement qui est inacceptable et non lui comme personne. Les enfants présentant un trauma complexe et un TSAF ont pour la plupart une perception négative d’eux-mêmes et se perçoivent comme n’étant pas dignes d’amour. La honte fait partie de leur quotidien. Une méthode pour externaliser le problème de façon concrète est d’amener l’enfant et ses parents à comprendre que le cerveau contrôle les comportements. Grâce à sa thérapeute, Matteo a appris à comprendre certaines de ses fonctions cognitives à l’aide d’outils visuels. Par exemple, il sait que l’amygdale de son cerveau, que sa thérapeute appelle « Amy », est son système d’alarme ; elle l’alerte s’il y a un danger. Toutefois, sa thérapeute lui explique que son Amy est parfois trop réactive parce qu’elle a été trop souvent activée par des dangers réels lorsqu’il était enfant. Certaines situations actuelles ne sont pas dangereuses mais provoquent tout de même chez lui de la peur et des réactions d’effroi. Matteo commence à comprendre le concept et peut parfois identifier lui-même des moments où son « Amy » a réagi même si elle n’avait pas besoin de le faire. Afin de bien comprendre et de discuter de ce genre de concepts, certaines adaptations sont toutefois nécessaires, telles que l’utilisation d’outils visuels (p. ex. images, cerveau en plastique). Ce concept peut généralement être expliqué verbalement, mais les troubles cognitifs demandent l’utilisation de matériel concret. Pour contrer les difficultés de Matteo sur le plan du langage, sa thérapeute privilégie l’utilisation de phrases courtes et complètes. Elle évite aussi l’utilisation de l’humour de second degré ou d’expressions idiomatiques. Elle mentionne aussi l’importance de procéder à beaucoup de répétitions pour assurer la rétention de l’information, vu les difficultés d’apprentissage de Matteo.

Besoins sensoriels

Afin de pallier les dysfonctions sensorielles de Matteo liées à l’EPA et au trauma complexe, plusieurs adaptations sont nécessaires. Au centre où Matteo est suivi, un local est adapté aux besoins sensoriels des enfants afin d’aider à la régulation des affects. Il est équipé de balles, d’un mini-trampoline, de couvertures lourdes et de divers autres objets permettant d’expérimenter différents ressentis sensoriels. Bien que la PDD soit axée sur la communication verbale, ce type d’environnement crée un sentiment de sécurité chez l’enfant ayant un TSAF et un trauma complexe et lui permet de mieux partager ce qu’il vit. Comme la majorité des enfants ayant un TSAF, Matteo a besoin de bouger constamment durant la thérapie, ce que cet espace lui permet de faire. Matteo a aussi plusieurs besoins sensoriels, il se sent en sécurité avec les lumières fortes, bouge beaucoup dans la pièce et peut utiliser les divers ballons pour jouer avec sa thérapeute. Ces adaptations et ces objets lui ont aussi permis de commencer à reconnaitre ses propres besoins sensoriels et à les partager avec les autres.

La relation avec la thérapeute

La relation avec le ou la thérapeute est cruciale en PDD (Hugues, 2007). Comme le trauma complexe est à la base une blessure relationnelle, le lien positif avec le ou la thérapeute favorise la guérison (Hugues, 2007). Pour Matteo, avoir un autre adulte que ses parents dans sa vie, lui offrant acceptation et compréhension, est primordial. Une relation positive avec le ou la thérapeute permet à l’enfant d’améliorer sa confiance en l’adulte. Pour les parents, cette relation leur donne un allié dans ce cheminement. Étant empreinte d’empathie et d’acceptation, elle permet aux parents de maintenir leur motivation à adopter un style parental basé sur l’empathie.

La conscience de soi est aussi altérée chez Matteo et se répercute dans une difficulté à reconnaitre et nommer ses émotions. La thérapie vise à lui offrir un vocabulaire émotionnel plus large et à lui permettre d’identifier les manifestations physiques liées à ses émotions. La cocréation de sens est importante en PDD (Hugues, 2007). Dans le cas de Matteo, il s’agit de l’aider à faire des liens entre les expériences traumatiques de son passé et sa difficulté actuelle à faire confiance à l’adulte. D’autres fonctions cognitives sont affectées chez lui, telles que la vitesse de traitement de l’information. Ainsi, sa thérapeute doit lui donner plus de temps pour réfléchir. Certains jours, il répond seulement par « non » ou « je ne sais pas ». Elle lui rappelle que son cerveau a peut-être seulement besoin de plus de temps, ce qui lui donne la possibilité de réfléchir plus longtemps afin de formuler une réponse plus adéquate.

Utilisation de PACE

La posture PACE est utilisée durant les séances de thérapie comme à la maison. L’acceptation est primordiale avec les enfants ayant un TSAF et un trauma complexe puisque leur âge développemental ne correspond pas nécessairement à leur âge chronologique. Les parents de Matteo ont ainsi dû adapter leurs attentes selon son stade développemental, mais aussi accepter les perceptions divergentes de Matteo. De là l’importance de l’utilisation de la curiosité afin de bien comprendre le point de vue de l’enfant. La thérapeute et ses parents questionnent Matteo sur sa réalité et ses perceptions. Lorsqu’il n’arrive pas à bien s’exprimer en raison de ses difficultés, les adultes peuvent parler « pour lui » et lui faire valider si c’est réellement ce qu’il pense ou non. L’empathie est aussi importante et elle s’incarne par les dialogues dans lesquels les adultes s’engagent avec l’enfant. Par exemple, lorsque Matteo se fâche et exprime sa colère par un langage irrespectueux, les adultes se montrent empathiques par des phrases du genre : « Tu dois être vraiment très fâché après moi pour me dire quelque chose du genre… ça doit être difficile en ce moment… » La thérapeute démontre aussi son empathie par une expression faciale qui imite l’affect exprimé par l’enfant. Cette intervention aide ce dernier à mieux comprendre ses émotions, en palliant ses difficultés d’introspection. Une autre méthode en PDD relative à la difficulté d’introspection est l’utilisation d’histoires. Par exemple, on raconte l’histoire de l’enfant, ce qui s’est passé à un certain moment, en insistant sur le vécu émotionnel lié à l’évènement. Dans le cas des enfants ayant un TSAF, ces histoires doivent être courtes et simples en raison des difficultés d’attention.

Les attitudes de la thérapeute et des parents de Matteo, telles que prescrites par le PACE, ont permis à ce dernier de développer un sentiment de confiance envers les adultes. Il est plus enclin à partager sa vie intérieure et il veut maintenant que sa mère soit à ses côtés lorsqu’il partage des choses plus intimes. De leur côté, les parents acceptent mieux les défis de Matteo, ce qui a réduit une certaine tension, mais aussi apporté un vent d’espoir.

Conclusion

Le modèle de la PDD est conçu pour le traitement du trauma complexe, mais peut aisément être adapté pour les enfants ayant un TSAF. Bien que cette problématique soit encore méconnue au Québec, les enfants ayant un TSAF méritent notre attention et une réponse adéquate à leurs besoins. Une meilleure connaissance de leurs besoins chez les intervenants ainsi que des réponses adaptées peuvent contribuer à prévenir plusieurs troubles secondaires chez cette population vulnérable. Il importe aussi de poursuivre les recherches sur la comorbidité du TSAF et du trauma complexe, afin d’approfondir nos connaissances sur les interventions à privilégier auprès de cette population.