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Dans le contexte des transformations de la régulation du social par l’État touchant les politiques sociales des dernières années, les auteurs ouvrent une fenêtre sur une analyse des conséquences de ces mutations pour les interventions sociales. Sous la direction d’Evelyne Baillargeau et de Céline Bellot, les collaborateurs à cet ouvrage développent une lecture critique mais « aussi une exploration des opportunités d’innovation en matière de soutien spécialisé envers les populations vulnérables » (p. 2). Les mutations au plan des politiques sociales et au plan des pratiques sociales constituent les deux principes structurant de cet ouvrage. Ce livre rend compte des débats qui ont eu lieu autour de ces thèmes lors d’un colloque organisé par le Groupe d’analyse des politiques et des pratiques sociales (GAPPS) de l’Université de Montréal. De manière à saisir ces phénomènes dans leurs dimensions les plus larges, Evelyne Baillargeau et Céline Bellot, en introduction, adoptent aussi une « posture d’observation » assez large, celle « du champ d’intervention sociale qui va au-delà de la profession et de la discipline dans son sens le plus traditionnel » (p. 4).
Dans la première partie qui comprend trois chapitres, Pierre-Joseph Ulysse s’intéresse d’abord aux structures médiatrices non-étatiques en proposant « d’analyser la manière dont se nouent les alliances et s’expriment les rapports de solidarité entre les individus et les organismes, pris entre les contraintes institutionnelles d’une part, et les processus d’individualisation des problèmes sociaux d’autre part » (p. 4). Elles sont caractérisées par l’émergence de nouvelles formes de relations entre les institutions publiques et les autres composantes de la société. Des structures qui sont définies comme une interface à l’intérieur de laquelle des « espaces de transactions » se forment entre des acteurs afin de contrer les impacts négatifs des réformes des politiques sociales. Dans ce processus, l’État fait du territoire l’instrument essentiel d’analyse de ces mutations et de leurs conséquences pour les individus. Le partenariat, la concertation et la proximité sont des vecteurs importants de création de nouvelles pratiques de citoyenneté; ce qui conduit l’auteur à insister sur l’importance d’une « double action », de proximité et sociétale, caractérisée tantôt par une mobilisation des individus tantôt par une transformation des rapports sociaux et des dynamiques structurelles des inégalités afin de favoriser « l’être et l’être-ensemble ». Dans la foulée du processus de décentralisation en France, Michel Messu s’intéresse au passage d’une politique d’intégration à une politique d’insertion; un processus qui va entrainer « un effet de retour sur la définition, ou plutôt, sur le contenu de savoirs et de savoir-faire qui caractérisait les professions du social » (p. 42). Des mutations qui marquent l’émergence de nouveaux acteurs, intervenants provenant du milieu en quête de reconnaissance professionnelle, et le déclin de ce qu’il désigne comme « l’intervention républicaine », définie comme une manière d’envisager l’action publique sociale et qui produisait un certain type de citoyen républicain (…) soutenu, protégé par la collectivité sociale et nationale avec laquelle il fait corps (p. 47). Ces intervenants sociaux républicains qui ont participé à « l’invention du social », par l’entremise entre autres de la socialisation de la réponse et de la mutualisation des risques, se retrouvent aujourd’hui en déficit d’identité professionnelle. Et enfin, Claude Larivière retrace les quatre grandes étapes de développement et de réformes des CLSC au Québec en décrivant les enjeux qui ont caractérisé chacune des périodes; une démarche essentielle afin de mieux cerner l’évolution actuelle qui se caractérise, selon lui, par un déclin significatif du « modèle CLSC » et où l’instrumentalisation du travail social est de plus en plus présent et confirmé avec la dernière réforme Couillard.
Dans la deuxième partie composée de trois chapitres, les auteurs abordent la question des nouveaux référentiels pour l’intervention sociale de terrain où les thèmes de proximité et de participation structurent cette deuxième partie. Robert Bastien et ses collaborateurs nous amènent à redécouvrir en quelque sorte le sens de l’intervention sociale en appelant au final à plus de « senti » que de données probantes pour soutenir l’action. Leur démarche repose sur l’analyse des résultats d’une étude portant « sur la manière dont la prévention sociale et sanitaire s’exerce dans la proximité de populations exclues » (p. 73). Basée sur une approche ethnométhodologique, ils s’intéressent au sens et au contexte d’appartenance des acteurs afin « de constituer une matière diversifiée pour penser le social, le médical et le politique » (p. 75). C’est par la prévention de proximité, réalisée par le travail de rue, que les auteurs abordent tour à tour les problématiques de l’innovation, de la proximité et des logiques d’action qui animent ce champ. Son essor s’explique par trois éléments : 1) la sanitarisation du social; 2) la crise des finances publiques; 3) et enfin la socialisation du champ médical. Il s’agit d’une proximité qui s’oppose à la distance entre l’agent (l’intervenant) et l’acteur (le citoyen) à la différence des dispositifs normatifs basés sur des savoirs experts et disciplinaires. Ce travail de proximité producteur de sens conduit les auteurs à formuler l’hypothèse qu’il provoque la porosité des systèmes de pensée basés sur des vérités. Maryse Bresson discute quant à elle du constat « d’échec » de l’intervention sociale dans les quartiers en France en défendant l’idée « qu’en dépit de se limites et de ses paradoxes, la participation des habitants et le lien social se sont de fait imposés, de manière sans doute durable comme de nouveaux moteurs de l’intervention, au sens où ils ont transformé les pratiques des acteurs associatifs (…) et contribué à la recomposition du champ professionnel du travail social » (p. 98). Les enjeux de la participation se définissent au creuset de la diversité des significations que l’on lui attribue; marquée par l’injonction politique. Elle est animée par le risque d’une instrumentalisation qui s’inscrit, depuis 1980, dans une logique de prévention avec en toile de fond l’éclatement du champ du travail social français. René Lachapelle discute des défis contemporains de l’organisation communautaire en s’appuyant sur l’expérience des CLSC où l’élément structurant réside dans l’apparition de nouveaux métiers qui font naître l’interrogation légitime entourant le risque d’un nivellement par le bas de l’identité professionnelle en organisation communautaire ou par l’occasion d’un relèvement par le haut; l’élément clé résidant dans la capacité de ces nouveaux acteurs d’établir un rapport de force permettant ainsi d’élever ces conditions.
La troisième partie constituée de trois chapitres porte sur l’analyse de l’émergence de ces nouveaux acteurs dans le champ de l’intervention sociale contemporain. Parmi ces nouveaux métiers, celui de travailleur de rue soulève l’intérêt d’Annie Fontaine sous l’angle de la construction d’une culture professionnelle. Pour l’auteure, les enjeux et les défis résident dans la capacité de cette pratique de se renouveler; elle analyse son développement au sein d’une approche constructiviste où elle distingue quatre idéal-types de travailleur de rue. Elle constate que cette culture du travail de rue se construit au carrefour de plusieurs formes d’intervention de proximité et d’influence idéologiques. Ce champ est donc traversé par de fortes tensions qui font en sorte qu’il est difficile d’y accoler une définition et encore moins de l’identifier à un groupe. Evelyne Baillargeau s’intéresse à son tour à l’intervention de quartier en Europe surtout aux Pays-Bas et en France où la mise au point de nouveaux outils politiques dans la réforme et la rationalisation des politiques sociales héritées de l’après Seconde guerre mondiale balisent l’horizon de l’intervention. La mise en place de ces nouveaux outils (comme une politique ville) a des impacts importants dans le champ de l’intervention sociale où la restauration du lien social dans certains quartiers en crise est l’objectif des actions des intervenants; et l’auteure fait de cette restauration une condition préalable de la participation des habitants de ces quartiers. Dans une perspective de proximité, Céline Bellot et Jacinthe Rivard cherchent à « voir comment l’intervention par les pairs peut-être considérée comme une forme innovante d’intervention sociale qui permet de construire un pont entre le rôle de bénéficiaire et celui d’intervenant » (p. 174). Une approche qui se veut un travail relationnel empreint de réciprocité et qui implique une reconnaissance du savoir expérientiel que possède le pair en l’occurrence le jeune. L’approche par les pairs qu’analysent les auteures ici s’inscrit dans le cadre d’un projet d’intervention auprès des jeunes de la rue. Elles donnent ainsi forme à un modèle d’intervention singulier qu’elles décrivent comme formant le « paradigme du relais » où le pair est reconnu davantage pour ses qualités d’être que d’intervenant désignant par-là une appartenance commune et participant d’une dynamique de dialogue entre deux mondes. En conclusion de l’ouvrage, Evelyne Baillargeau et Céline Bellot attirent l’attention du lectorat sur le repositionnement des enjeux de la solidarité et de la justice sociale autour d’un modèle d’intervention managérial où la réponse aux besoins, anciens comme nouveaux, doit être efficace. Elles insistent aussi sur le risque que comportent ces nouvelles formes de lien social produites par ces nouveaux acteurs, de rester captives de la marge, si cette nouvelle solidarité, définie dorénavant comme une logique d’action, n’obtient pas une reconnaissance hors de son milieu.
Cet ouvrage constitue une contribution importante à la compréhension des mutations contemporaines des politiques sociales et surtout de l’émergence des nouvelles pratiques sociales et de nouveaux acteurs qui viennent tour à tour solliciter les frontières de l’intervention sociale plus traditionnelle. Une contribution collective qui est soutenue par une démarche d’analyse théorique très riche, largement tributaire de la posture privilégiée par les coéditrices, et qui propose un regard à la fois critique et complexe de ces nouveaux phénomènes sans y voir une remise en cause de l’intervention mais plutôt une étape de plus dans son développement. Cet ouvrage sera très intéressant pour les étudiants de 2e et 3e cycles, pour les intervenants du milieu communautaire en leur offrant une lecture globale de certains phénomènes, pour les chercheurs et les professeurs, à la fois pour enrichir l’enseignement, et surtout afin de poursuivre les réflexions lancées dans cet ouvrage.