Comptes rendus

Sylvie Pébrier, Réinventer la musique dans ses institutions, ses politiques, ses récits, Paris, Éditions Aedam Musicae, 2021, 143 p., ISBN 978-2-9190-4693-5[Record]

  • Eugénie Tessier

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  • Eugénie Tessier
    Université d’Ottawa

Ces dernières années, la pandémie de Covid-19 a servi de noyau de réflexion dans plusieurs domaines d’études et pour divers cadres institutionnels. Tel est le cas de l’essai critique Réinventer la musique dans ses institutions, ses politiques, ses récits de Sylvie Pébrier, publié aux Éditions Aedam Musicae en 2021. En effet, l’avant-propos, tout comme la préface d’Emmanuelle Haïm, directrice artistique du Concert d’Astrée, pointe vers cet « effet de loupe » (p. 11) qu’aurait eu le confinement sur la fragilité de l’ensemble des liens qui affectent les structures musicales et sociales contemporaines. Pertinemment, cet essai, dont l’écriture a été entamée avant la pandémie, vise à ancrer ces enjeux au-delà de cet immédiat en nous conviant plus largement à une réflexion sur la valeur des récits de la musique dans la construction des vivre-ensemble. Comme son titre le suggère, cet ouvrage, qui se divise en six chapitres en plus d’une introduction et d’une brève conclusion, développe trois larges pans de la médiation de la musique. Pour ce faire, Pébrier, qui est enseignante au Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris et également collaboratrice de l’Étude partenariale sur la médiation de la musique menée par l’Observatoire interdisciplinaire de création et de recherche en musique (OICRM), propose de porter une attention toute particulière aux rôles que jouent les établissements de la culture et de la musique ainsi que leurs politiques dans l’actualisation des potentiels transformateurs des récits de la musique. En d’autres mots, l’autrice propose de penser l’égalité et la diversité — ou la « mêlée », terme emprunté au philosophe Jean-Luc Nancy (p. 7) — comme horizon commun dans les structures musicales, et plus largement avec elles. Le choix de se concentrer sur la pratique musicale classique ou savante occidentale pour nourrir cette réflexion apparaît d’abord judicieux. S’appuyant sur un récit de la musique avec lequel les musicologues sont sans doute trop familiers, soit celui de l’autonomie ou de la transcendance du musical, Pébrier souligne le caractère hautement hiérarchisé de son répertoire et de sa pratique, et ce, tant dans ses institutions (comme le second chapitre, intitulé « Les errements institutionnels », le démontre) que dans ses récits (dont on saisit l’intérêt dès le premier chapitre, « Le courage du réel »). Sur le plan professionnel et institutionnel, l’autrice tâche de souligner la persistance de diverses iniquités notamment fondées sur le mythe de l’autonomie musicale. On peut penser avec elle à la reproduction d’une assignation de rôles évalués à la verticale au sein de l’orchestre symphonique, où des enjeux de pouvoir et d’autorité, des disparités économiques et des inégalités de genres restent souvent maintenus entre chef·fes d’orchestres, solistes, chef·fes de pupitre et tuttistes (p. 33). Ailleurs, des iniquités sont également observées à travers l’imposition d’une hiérarchie symbolique entre les institutions pédagogiques et artistiques qui forment à la musique classique (p. 46) ou encore à travers celle qui participe à une distribution inégale des ressources entre la ville de Paris et les autres régions françaises au profit du centre parisien (p. 54). Dans un tel contexte, se ressaisir des récits demande du courage et penser leur refonte au sein des institutions qui diffusent la musique tout comme à travers les politiques qui l’administrent représente un exercice nécessaire pour en revaloriser les potentiels démocratiques. D’un autre côté, le mythe de l’autonomie musicale aurait également limité le pouvoir même des récits de la musique. Dans un passage relativement court, Pébrier invite les lecteur·rices à reconsidérer l’intérêt des grandes figures du canon musical occidental de façon à réinvestir les dimensions sociales et critiques de leur oeuvre. Pour s’inspirer du courage des artistes dans …