Article body

Depuis quelques années, les valeurs d’équité, de diversité et d’inclusion (EDI) sont au coeur des discours des organes étatiques (fédéraux, provinciaux et municipaux) qui soutiennent financièrement la culture et les arts. Des plans et des mesures EDI sont dorénavant requis, voire exigés pour obtenir des subventions. Dépendants de l’aide gouvernementale, les organismes de diffusion de la musique de création doivent revoir leurs façons de faire, et on observe une volonté affichée de faire progresser de manière décisive et concrète la place des femmes en musique. À titre d’exemple, la Société de musique contemporaine du Québec (SMCQ) a mis sur pied en 2007, avec la complicité de l’ensemble du milieu de la musique contemporaine[1], la série Hommage, qui axe tous les deux ans l’ensemble du répertoire présenté autour d’une figure exceptionnelle de la musique au Québec. Depuis le début de cette initiative, cinq compositeurs et deux compositrices — Ana Sokolović (2011-2012) et Katia Makdissi-Waren (2019-2020) — ont reçu un hommage. Une grande visibilité est accordée aux personnes célébrées : tout au long de la saison musicale, les ensembles musicaux sont invités à inclure leurs oeuvres à leur programme de concerts réguliers. Le public a donc maintes occasions d’entendre et de réentendre leurs oeuvres dans divers contextes. Ces efforts impressionnants pour accorder une place aux compositrices sont-ils un signe de transformation ou une distraction temporaire ?

Ce volontarisme du milieu musical contemporain est remarquable, mais l’effet des mesures EDI pour la progression des femmes dans le métier de composition et dans la programmation des institutions de la création artistique reste flou. En regardant de plus près la présence des oeuvres composées par des femmes dans les concerts de musique de création entre 1966 et 2006 (Couture 2019a), il est démontré qu’elles sont largement minoritaires (10 à 16 pour cent du répertoire selon les organismes). Cela peut s’expliquer par le fait que plus d’hommes que de femmes sont formés à la composition dans les conservatoires et les universités (Lefebvre 1991 ; Ravet 2011). Cependant, les considérations sociodémographiques ne sont pas les seules responsables de cette prépondérance masculine. Les femmes sont découragées à l’entrée de la profession (Buscatto et Marry 2009 ; Fidecaro et Lachat 2007 ; Green et Ravet 2005) et tout au long de leur progression en carrière. Ainsi, une étude réalisée en 2022 pour la Fondation Musicaction et menée auprès de 591 femmes oeuvrant professionnellement dans le secteur musical canadien (surtout en musiques populaires) a révélé que 60 pour cent d’entre elles avaient déjà songé à abandonner leur carrière dans cette industrie, notamment en raison des défis particuliers liés au manque de modèles, à la discrimination et à la maternité (Bissonnette 2022).

Les modalités de programmation des oeuvres de compositrices sont également à prendre en compte. D’une part, la sous-représentation des femmes dans les concerts et les festivals de musique fait régulièrement les manchettes. Selon une étude publiée par Radio-Canada en 2019, 23 pour cent des artistes qui figurent dans la programmation des festivals québécois sont des femmes alors que la moyenne des diplômées universitaires en musique se situe dans la zone paritaire (entre 40 et 60 pour cent) (Croteau 2019). D’autre part, on observe pour la période déjà étudiée (1966-2006) que les oeuvres des compositrices ne sont pas pleinement intégrées dans les concerts réguliers des organismes de diffusion de la musique contemporaine. Elles sont surtout présentées dans le cadre de concerts thématiques soulignant l’apport des femmes à la création musicale (par exemple à l’occasion des célébrations de la Journée internationale des droits des femmes). Au-delà des statistiques qui attestent la faible visibilité des femmes, les discours entourant leurs oeuvres, leurs performances ou leurs carrières minorisent les talents féminins (Rode-Breymann 2021 ; Trottier et Falardeau 2020 ; Verdier 2019).

Objectif

Dans ce contexte, la présente étude vise à dresser un inventaire systématique, structuré et analytique de la documentation disponible sur les compositrices du Québec et la diffusion de leurs oeuvres. Cette étude permettra d’identifier les éléments de professionnalisation, de discours et de représentations des compositrices dans les programmes de concerts de musique contemporaine entre 2007 et 2022.

Méthodologie

Afin de répondre à notre objectif, une étude de la portée a été réalisée selon la méthode connue et éprouvée par JBI Manual for Evidence Synthesis: Scoping Reviews 2020 (Peters et collab. 2020) et PRISMA 2018 (Tricco et collab. 2018). En raison de spécificités disciplinaires propres aux sciences humaines, des ajustements ont cependant été apportés à cette méthode tels que l’adaptation des éléments de Population, Concept et Contexte (PCC) dans la définition de la question de recherche, le retrait de l’étape de validation de la qualité des références (evidence ou citation) et la simplification de la grille d’extraction. D’abord, le critère de la population a été pris dans le sens très large « des femmes en musique ». Les études de la portée en santé, en psychologie ou en éducation reposent souvent sur des méthodes quantitatives définissant précisément les types de participants et participantes prenant part à la recherche en termes de sexe, genre, âge, appartenance ethnoculturelle, etc. Ici, il était essentiel d’inclure à l’étude de la portée des références de nature qualitative, des entrevues, et des critiques auxquelles ont contribué toutes sortes de personnes. Ensuite, l’évaluation de la qualité du design de recherche scientifique (Hong et collab. 2018) n’a pas semblé pertinente, de nouveau, en raison de la nature des références. Cependant, la fiabilité, la crédibilité, l’objectivité, l’exactitude et l’actualité des références retenues ont été évaluées (Service des bibliothèques et archives de l’Université de Sherbrooke 2022). Enfin, la grille d’extraction ne rapporte pas les caractéristiques démographiques des personnes dont il est question dans les références, pas plus que la méthodologie employée. En revanche, en plus d’extraire les informations recherchées, elle facilite la collecte de toutes les informations permettant de comprendre et de situer les références.

Les études de la portée emploient une méthodologie systématique pour identifier, sélectionner et synthétiser les données empiriques dans un vaste champ d’études, afin d’en préparer une synthèse (Hempel 2020). Ce ne sont pas des revues de la littérature au sens où celles-ci présentent et évaluent la documentation sur un sujet pour développer une question de recherche originale. Les études de la portée visent plutôt à clarifier des concepts dans un champ d’études émergent ou encore à synthétiser les conclusions d’un vaste éventail d’études. Les études de la portée permettent de faire la synthèse des connaissances disponibles sur un sujet donné, en plus d’identifier les lacunes dans la recherche relative à un domaine spécifique et de formuler des recommandations (Nyanchoka et collab. 2019). Cela dit, les études de la portée « exigent un haut niveau d’habiletés analytiques puisqu’il s’agit d’intégrer l’ensemble des connaissances disponibles dans une structure qui permet d’en apprécier les liens (qui dépassent la nature du devis employé) » (Arksey et O’Malley 2005, 30).

La présente étude de la portée a été réalisée selon les six étapes suivantes : 1) l’identification du besoin de l’étude ; 2) le développement de son protocole ; 3) l’identification et 4) la sélection des références ; 5) l’extraction et 6) la synthèse des données (Kitchenham 2004 ; Tranfield et collab. 2003). À la suite de cette démarche, les résultats s’appuieront sur la description des références retenues et la discussion portera sur les discours véhiculés dans la littérature sur la représentation des femmes en musique.

Étape 1 : Identification du besoin de l’étude

La question de recherche qui a guidé cette étude de la portée était la suivante : « Quelle place occupent les compositrices dans les programmes des organismes dédiés à la musique contemporaine au Québec ? »

Étape 2 : Développement du protocole[2]

D’abord, une recherche initiale limitée à l’interrogation de la banque de données Sofia[3] a été réalisée pour identifier des références pertinentes sur le sujet. Les mots contenus dans les titres et les résumés des textes ont permis d’élaborer un plan conceptuel. Ce travail initial a été étendu aux banques de données électroniques pertinentes au domaine de la musique, des études féministes et de genre, ainsi que de la sociologie de la musique. Les mots contenus dans les titres et les résumés des références pertinentes, de même que le vocabulaire contrôlé pour décrire les textes ont été utilisés pour développer une stratégie de recherche complète.

Étape 3 : Identification des références

La stratégie de recherche devait permettre de localiser des références originales publiées en français ou en anglais entre 2007 et 2022. Les limites de langue et de période se justifient par les contraintes de faisabilité de l’étude de la portée, qui a été réalisée par une équipe restreinte, et par l’existence d’une recherche antérieure couvrant la période de 1966 à 2006, laquelle a déjà été publiée (Couture 2019a).

La stratégie de recherche documentaire inclut la consultation : 1) de banques de données spécialisées en musique (RILM Music (EBSCO), Doctoral Dissertations in Musicology (DDM[4]), Music Index (EBSCO), Music Periodicals Database (ProQuest)) ; et 2) de banques de données multidisciplinaires (Sofia, Érudit, JStor, Google Scholar, Eureka, Repère). La stratégie de recherche par mots-clés a été préparée et validée avec le soutien d’un bibliothécaire-conseil spécialiste en musique.

Cette stratégie de recherche a été menée de mars à mai 2022 dans l’ensemble de ces banques de données.

Étape 4 : Sélection des références

Pour être incluses, les références devaient porter sur : 1) une organisation musicale située dans la province de Québec ; 2) la musique contemporaine ; 3) les compositrices ; 4) la diffusion musicale ; et 5) le discours sur la présence et la représentation des femmes en musique.

Le processus de sélection des références a été réalisé selon les étapes proposées par la méthode PRISMA (Preferred Reporting Items for Systematic Reviews and Meta-Analyses) (Page et collab. 2021 ; Tricco et collab. 2018). Dans un premier temps, toutes les références identifiées ont été colligées et exportées dans le logiciel de gestion bibliographique Zotero (version 6.0.8), ce qui a permis d’éliminer de manière automatique la grande majorité des doublons. Dans un deuxième temps, les titres et les résumés ont été examinés en phase de ciblage (screening) des références au regard des critères d’inclusion. Dans un troisième temps, les textes complets des références sélectionnées ont été ensuite examinés en détail par deux évaluatrices (la chercheuse principale et l’auxiliaire de recherche) lors d’un second ciblage (screening) des références au regard des critères d’inclusion. Dans un quatrième temps, une recherche complémentaire manuelle a été effectuée dans les bibliographies des textes complets retenus pour l’étude de la portée. Il s’agissait de trouver des références non identifiées par la stratégie de recherche initiale, mais répondant aux critères d’inclusion.

Les différentes étapes du processus de sélection des références ont été effectuées de manière indépendante par les deux évaluatrices. Les résultats ont été comparés et, lorsque nécessaire, une discussion a eu lieu entre les deux évaluatrices pour obtenir un consensus.

Étape 5 : Extraction des données

Les données ont été extraites à l’aide d’une grille (Data Extraction Template) conçue expressément pour ce projet et inspirée de JBI Template Source of Evidence Details, Characteristics and Results Extraction Instrument (Ramafikeng et Eboh 2022). Celle-ci regroupait les éléments suivants : le nom des auteur·trices, l’année de publication, le pays de la publication, le type de document, les concepts, le contexte et les résultats pertinents en regard de la question de recherche.

Le détail de cette démarche se trouve à la Figure 1, qui sera présentée dans la section des résultats.

Étape 6 : Synthèse des données

L’autrice a ensuite procédé à une analyse descriptive des caractéristiques des références, puis à une analyse qualitative thématique des résultats rapportés dans les références retenues (Arksey et O’Malley 2005), c’est-à-dire que les éléments extraits dans les références ont été découpés et classés sous différents thèmes afin de pouvoir les interpréter. La prochaine section présente les résultats de ces analyses.

Résultats

Après une description des références retenues à travers l’étude de la portée selon les critères exposés, l’écosystème de la musique contemporaine au Québec sera examiné sous l’angle des organisations et des disciplines musicales. Suivra la synthèse des citations concernant les compositrices, leurs oeuvres et les modes de diffusion de la musique. Un dernier point traitera des discours et des représentations ayant cours au sujet des femmes dans la littérature, à la fois scientifique et médiatique.

Caractéristiques des références

Comme l’indique le diagramme de flux à la Figure 1, la stratégie de recherche dans les banques de données a permis de recenser initialement 2 184 références. Des 1 711 références restantes après l’élimination automatique des doublons, 184 références ont été conservées pour l’étape suivante, considérant qu’elles semblaient pertinentes pour répondre à la question de recherche à partir de la lecture plus fine du contenu. Ainsi, 36 références constituent le résultat final de la consultation des banques de données. À la suite de ce processus, il a été décidé d’ajouter 8 références retrouvées dans les bibliographies des références déjà retenues. Finalement, 42 références ont fait l’objet de la présente synthèse.

Figure 1

Diagramme PRISMA illustrant le processus de sélection des références pour l’étude de la portée

Diagramme PRISMA illustrant le processus de sélection des références pour l’étude de la portée

-> See the list of figures

Le Tableau 1 donne un aperçu des caractéristiques des références retenues pour cette étude de la portée. Des 42 références identifiées, la majorité a été publiée au Canada (n = 32) ; les publications restantes ont été publiées en France (n = 5), au Royaume-Uni (n = 2), en Espagne (n = 1), en Serbie (n = 1) et en Suisse (n = 1). On dénombre 32 références publiées en français, 7 en anglais et 3 comportent des sections en français et en anglais.

Tableau 1

Description des 42 références retenues[5]

Description des 42 références retenues5

Tableau 1 (continuation)

Description des 42 références retenues5

Tableau 1 (continuation)

Description des 42 références retenues5

-> See the list of tables

Les références comprennent des articles de revue ou de journal, des chapitres de livres, des colloquiums ou des monographies (n = 18) — donc des types de publication adaptés au contexte d’analyse scientifique —, des entrevues (n = 7), des textes commémoratifs (n = 5) ou des témoignages (n = 4), des critiques de disques et de spectacles (n = 3), des éditoriaux (n = 3) et des portraits (n = 1). Certaines des références identifiées sont rassemblées à l’intérieur de numéros thématiques de revues ou d’ouvrages collectifs. D’ailleurs, la Figure 2 dénote un essor du nombre de publications en 2009, ce qui coïncide avec la parution du numéro thématique « Composer au féminin » de la revue Circuit, musiques contemporaines, qui réunit notamment les textes de Goldman (2009), Lefebvre (2009), Prévost (2009) et Stévance (2009a). Puis, en 2019, la revue Circuit a publié son volume 29, no 3, sur les écosystèmes sonores, où sont notamment abordées les contributions des organismes musicaux québécois à la représentation des femmes en musique, entre autres par leur programmation et leurs activités créatrices (Majeau-Bettez 2019 ; Majeau-Bettez et McKinley 2019). C’est un sujet qui est également au coeur des publications de Couture (2019b, 2019a), alors que Dharmoo (2019) questionne l’accessibilité et la diversité de la scène des musiques nouvelles, notamment en termes de sexe et de genre, dans une perspective de décolonisation. Enfin, deux références sont consacrées à la compositrice Ana Sokolović, qui venait, au moment de la publication, de remporter le prix Juno de la composition classique de l’année pour Golden Slumbers Kiss Your Eyes (Harris 2019 ; Trifunović 2019).

Résultats selon l’analyse des concepts

L’utilité d’une étude de la portée étant de cartographier la manière dont un sujet donné est traité dans la littérature existante (Peters et collab. 2020), les tableaux suivants présentent de manière synthétique les résultats concernant :

  • Les organismes musicaux du Québec ;

  • Les disciplines de la musique contemporaine ;

  • Les compositrices ;

  • Les oeuvres des compositrices ;

  • La diffusion musicale ;

  • Les discours et représentations des femmes en musique.

Organismes et musique contemporaine

Le concept des organismes musicaux est important, car ceux-ci sont des moteurs de la production et de la diffusion de la musique contemporaine au Québec (Couture 2019b), que ce soit dans une perspective généraliste ou à travers des regroupements de disciplines spécialisées comme l’électroacoustique, la musique mixte, la musique actuelle[6], etc.

Ce sont au total 109 organismes différents — consacrés à la diffusion, à la production, à l’édition, à la conservation ou à l’enseignement — qui sont identifiés dans les références à l’étude (Tableau 2). On pourrait voir dans ce nombre impressionnant d’organisations un témoignage de la vitalité et de la diversité du milieu de la musique contemporaine au Québec : le milieu de la création musicale évolue pour correspondre aux aspirations de sa communauté, qui propose constamment de nouveaux projets. Inversement, ce pourrait être le résultat de perspectives de carrière assez limitées pour la relève en musique, diplômée des institutions d’enseignement supérieur. Fonder son propre ensemble serait un moyen de pallier les conditions précaires des métiers de la musique (Couture 2019b). On verrait donc naître une multitude de nouveaux organismes dont la durée d’existence est très variable, de quelques mois à plusieurs années.

Figure 2

Années de parution des références incluses dans l’étude de la portée

Années de parution des références incluses dans l’étude de la portée

-> See the list of figures

Tableau 2

Synthèse des organismes et disciplines musicales dans les 42 références

Synthèse des organismes et disciplines musicales dans les 42 références

Tableau 2 (continuation)

Synthèse des organismes et disciplines musicales dans les 42 références

Tableau 2 (continuation)

Synthèse des organismes et disciplines musicales dans les 42 références

Tableau 2 (continuation)

Synthèse des organismes et disciplines musicales dans les 42 références

Tableau 2 (continuation)

Synthèse des organismes et disciplines musicales dans les 42 références

Tableau 2 (continuation)

Synthèse des organismes et disciplines musicales dans les 42 références

-> See the list of tables

En dépit de ce nombre important d’organismes voués à la musique contemporaine, comme l’indique la Figure 3, les organismes les plus fréquemment nommés sont : la Société de musique contemporaine du Québec (SMCQ) (n = 17 références), l’Ensemble contemporain de Montréal (ECM+) (n = 16), le Nouvel Ensemble Moderne (NEM) (n = 14), suivi de DAME — Ambiances Magnétiques (n = 9), des Wondeur Brass (n = 8), des Productions SuperMusique (n = 7), du Centre de musique canadienne (CMC) (n = 7), puis des Événements du Neuf (n = 6). Ces références démontrent l’importance de ces organismes pour la structuration de la musique contemporaine et l’impact qu’ils ont pu produire dans les médias.

Disciplines de la musique contemporaine

Comme en témoignent les données présentées dans le Tableau 2, plusieurs références adoptent une vision très généraliste de la musique contemporaine ou nouvelle (Couture 2019b ; Dharmoo 2019 ; Stévance 2010b ; Tremblay 2017). Dans ces cas, on rapporte à l’expression musique contemporaine toute la production musicale savante occidentale des xxe et xxie siècles, des musiques atonales et dodécaphoniques aux courants sériel, spectral, minimaliste, conceptualiste, postmoderniste et électroacoustique, pour ne donner que quelques exemples des esthétiques de cette période.

D’autres références s’articulent autour de secteurs de spécialité comme l’électroacoustique (Abtan 2016 ; Lefebvre 2009), la musique actuelle (Côté et collab. 2020 ; Stévance 2009c, 2011), la musique expérimentale (Lefebvre 2014 ; Nicholls 2010) ou le multimédia (Bachand 2009 ; Massera 2021 ; Prévost 2009 ; Valiquet 2017). Ces désignations servent généralement à se distinguer de la musique contemporaine associée aux institutions d’enseignement supérieur et à leurs filières. Les femmes adoptent un parcours musical plus marginal (Lefebvre 2014) pour promouvoir leurs musiques créées en dehors des conventions académiques (Stévance 2009a) et au profit d’une culture « Do It Yourself » (DIY, en français « faites-le par vous-mêmes » ou « fait maison ») centrée autour d’une communauté de pratique et de ses réseaux amicaux (Abtan 2016).

Figure 3

Organismes de musique contemporaine les plus nommés

Organismes de musique contemporaine les plus nommés

-> See the list of figures

Compositrices et oeuvres

Comme l’indique le Tableau 3, les références nomment 75 compositrices différentes pour un total de 286 mentions[7]. La majorité des références (83 pour cent) abordent plusieurs compositrices, soit parce que leurs musiques sont jouées ensemble dans un contexte précis (concert, festival, disque), soit parce que ces musiciennes sont mises en réseau sous la forme d’une filiation intergénérationnelle ou à travers une communauté de pratique guidée par des principes esthétiques communs. En se regroupant, ces femmes forment de nouvelles alliances autonomes qui questionnent le pouvoir dominant masculin et qui leur permettent d’accroître leur sentiment de reconnaissance, voire de changer le cours de leurs carrières (Stévance 2010b). Par exemple, Côté, Derome, Hétu, Palardy Roger et Thomson (2020) considèrent que l’approche féministe de la créativité est au coeur de la musique actuelle au Québec. Lefebvre (2009) rappelle que Marcelle Deschênes et Micheline Coulombe Saint-Marcoux ont dû être très persévérantes pour faire leur place dans le monde de la musique contemporaine au Québec. Leur héritage est précieux, même si le milieu québécois de la musique électroacoustique demeure peu diversifié, comme l’expriment Myriam Boucher (Massera 2021) et Freida Abtan (2016).

Quelques références se focalisent sur une compositrice en particulier. Bertrand (2017) présente un entretien avec Linda Bouchard, alors que l’article de Massera (2021) consiste en une entrevue avec Myriam Boucher. Ceux de Stévance (2009b, 2010a, 2013) découlent, quant à eux, de rencontres avec Isabelle Panneton. Enfin, les textes de Brasset (2018), Eatock (2010), Harris (2019) et Trifunović (2019) sont centrés sur Ana Sokolović, dont ils tracent le portrait.

Ainsi, parmi les compositrices les plus citées, on trouve Ana Sokolović (n = 15 références, soit 36 pour cent), Isabelle Panneton (n = 11), les fondatrices des Productions SuperMusique — Danielle Palardy Roger (n = 11), Joane Hétu (n = 10) et Diane Labrosse (n = 10) — ainsi que les pionnières de la musique électroacoustique Marcelle Deschênes (n = 8) et Micheline Coulombe Saint-Marcoux (n = 8).

L’objectif de la démarche était également de savoir si les références abordaient les oeuvres des compositrices, si elles contribuaient à les mettre en valeur. La plupart des références (76 pour cent) citent au moins un titre d’une compositrice, 10 références ne citent pas d’oeuvres et 4 le font dans des tableaux ou des annexes qui n’ont pas été extraits pour des raisons de faisabilité.

Un total de 170 oeuvres sont ainsi citées, parmi lesquelles les plus récurrentes sont Jeu des portraits (1996), Pesma (1996, rév. 2005), et Svadba (2011), toutes d’Ana Sokolović, qui remportent le plus de mentions dans les références à l’étude (n = 3 chacune). Les auteur·trices rappellent qu’il s’agit d’oeuvres qui ont bénéficié d’un grand rayonnement international, en étant jouées et rejouées plusieurs dizaines de fois à travers le monde. D’abord, Jeu des portraits (1996) pour ensemble de chambre a été composé pour souligner le 30e anniversaire de fondation de la Société de musique contemporaine du Québec (SMCQ). Chacun des mouvements se veut un hommage à un compositeur qui a marqué la musique contemporaine québécoise : Rodolphe Mathieu, Jean Papineau-Couture, Serge Garant et Claude Vivier. Pesma (1996, rév. 2005) est une pièce vocale pour mezzo-soprano et ensemble de chambre. Il s’agit d’une commande de Véronique Lacroix pour l’Ensemble contemporain de Montréal (ECM+). À l’origine, la pièce comprenait cinq mouvements sur un texte en serbe de la compositrice. Dix ans plus tard, quatre autres mouvements sont ajoutés, tous basés sur le même texte de départ qui a été traduit en arabe, en français, en kifuliiru et en indonésien. Ces nouveaux mouvements évoquent la sonorité et la musicalité inhérente à chacune de ces langues. Enfin, Svadba (2011) est un opéra pour six voix de femmes qui a été commandé par The Queen of Puddings Music Theatre (Toronto). Portant sur le thème du mariage, et plus spécifiquement sur la nuit précédant la cérémonie nuptiale, la pièce explore les anciens rites issus du folklore serbe qui rassemblent la future épouse et ses compagnes. Le mariage constitue donc un point de départ permettant d’aborder un rite de passage dans la vie humaine.

Tableau 3

Compositrices les plus citées et mentions d’oeuvres

Compositrices les plus citées et mentions d’oeuvres

Tableau 3 (continuation)

Compositrices les plus citées et mentions d’oeuvres

-> See the list of tables

Diffusion musicale

C’est par leurs activités de diffusion que les organismes musicaux participent à la vitalité et au développement de la musique contemporaine au Québec. Les contextes de diffusion les plus discutés dans les références (Tableau 5) sont le concert ou l’événement, que ce soit dans le cadre d’une saison régulière, d’un festival, d’une tournée ou d’une installation (n = 39) ; ceux-ci sont suivis par l’enregistrement (n = 17) ; par la diffusion via un médium comme la radio, la télévision ou une plateforme en ligne (n = 7) ; et par d’autres modalités de diffusion telles que les ateliers ou laboratoires de création (n = 3), les activités de découverte musicale pour les jeunes (n = 2), les résidences artistiques (n = 2) ou les forums (n = 1).

Ainsi, quelques références soulignent l’importance de certains acteurs pour le rayonnement des oeuvres des compositrices de musique contemporaine au Québec : Cléo Palacio-Quintin a pu bénéficier d’une résidence artistique à la Chapelle historique du Bon-Pasteur à Montréal de 2009 à 2011 (Messier 2014), alors que la discographie du Nouvel Ensemble Moderne a permis de lancer plusieurs carrières (Palacio-Quintin 2013a). Henry (2014) et Couture (2019a) rappellent la contribution du concours Génération de l’Ensemble contemporain de Montréal pour soutenir la relève féminine en musique, par l’entremise d’un large réseau de collaborateurs et de diffuseurs à travers le Canada. Laplante et Palacio-Quintin (2015) soulignent aussi l’apport inestimable d’Hélène Prévost, qui a tenu la barre de plusieurs émissions[8] sur les musiques expérimentales et exploratoires à Radio-Canada, de 1978 à 2008. Par ailleurs, dans sa conversation avec Massera (Massera 2021), Myriam Boucher rapporte que certains organismes, comme Codes d’Accès, qui oeuvre auprès de la relève, accordent une grande importance à l’atteinte d’un quota de genre paritaire parmi les artistes dont ils diffusent la musique.

Malgré ces bonnes pratiques, la difficulté pour les femmes à faire diffuser leur musique est réelle. Parlant des musiciennes actualistes, Stévance (2009c) rapporte que Danielle Palardy Roger, Diane Labrosse et Joane Hétu ont fondé, dès 1979, leur propre maison de production et de diffusion, en réponse aux difficultés rencontrées pour réaliser et financer leurs projets. En créant leur réseau, ces créatrices ont usé de « stratégies de résistance » (Stévance 2009, 25) pour travailler ensemble à la production, à la diffusion et à la promotion de leurs créations.

Tableau 4

Type de diffusion musicale

Type de diffusion musicale

-> See the list of tables

Discours sur les femmes et enjeux de représentation

Le dernier concept recensé par cette étude de la portée vise à identifier la nature des discours portant sur les femmes en musique, ainsi que l’importance de leur représentation en musique contemporaine. Bien que toutes les références abordent les femmes en musique, 37 traitent explicitement des implications de cette appartenance de genre, comme mentionné dans le Tableau 5. Dans les 5 autres références, le lectorat peut faire le constat du peu de représentation des femmes dans la musique contemporaine sans qu’un discours soit clairement articulé par les auteur·trices sur ce phénomène.

Tableau 5

Nature des discours au sujet des femmes en musique et représentation sur la scène musicale

Nature des discours au sujet des femmes en musique et représentation sur la scène musicale

Tableau 5 (continuation)

Nature des discours au sujet des femmes en musique et représentation sur la scène musicale

-> See the list of tables

Les écrits examinés portent majoritairement un discours féministe (n = 19) et proposent une lecture critique du milieu de la musique en déconstruisant les fondements de la musique contemporaine et de ses institutions, et ce, pour faire émerger la création musicale des femmes (Stévance 2011 ; Valiquet 2017). La question de l’invisibilisation des femmes compositrices ou de leur sous-représentation dans les programmes de concerts et les événements revient fréquemment dans les références (n = 13). Les auteur·trices identifient fréquemment le machisme (n = 8) et le pouvoir dominant masculin dans le milieu musical comme causes principales de ce problème. Plusieurs propos rapportés dans les références témoignent de conceptions misogynes : « une femme sur le podium […] c’était une erreur de la nature » (rapporté dans Goldman 2013) ou « j’étais perçue comme une bête curieuse de la part du public et de mes collègues masculins » (rapporté dans Stévance 2010a). Un autre témoignage explique l’absence des compositrices « des manuels scolaires, de la formation des futurs enseignants, des saisons d’orchestre ou des festivals » comme le résultat d’une « discrimination [qui] ne cessera qu’en misant sur la pédagogie et la prise de conscience du problème » (Baillargeon 2008). Selon les références à l’étude, les obstacles dont témoignent les créatrices découlent de constructions sociales systémiques qui sont entretenues par les organismes musicaux et qui font perdurer les inégalités (Baillargeon 2008 ; Stévance 2010b, 2013). Ce serait également cette domination symbolique qui pousse les créatrices à opter pour des pratiques musicales en marge de la musique contemporaine de tradition européenne, comme l’univers de la musique actuelle ou de l’électroacoustique, qui semblent offrir des espaces de liberté aux femmes en raison de leur caractère expérimental. Selon Prévost (2009), ce choix s’accompagne cependant du risque d’être ignorées, voire boudées par les médias, qui ne reconnaissent pas les artistes de l’avant-garde. Pour Nicholls (2010), une alternative est alors de devenir un agent de changement, féministe en l’occurrence.

D’ailleurs, pour que les femmes soient plus impliquées en musique, les auteur·trices évoquent plusieurs possibilités : partager entre hommes et femmes les possibilités d’acquérir des compétences et de développer des réseaux de contacts (Abtan 2016) ; mettre sur pied des quotas de diffusion (Bertrand 2017 ; Massera 2021) ; organiser des concerts par et pour les femmes (Brasset 2018 ; Stévance 2009d) ; ou encore, écrire une histoire de la musique qui met de l’avant le rôle des femmes (Lefebvre 2009 ; Valiquet 2017). Dans cette optique, plusieurs références (n = 7) s’attardent à décrire la musique produite par des compositrices notamment sous la forme de critiques de disques ou de concerts (Laplante et Palacio-Quintin 2015 ; Massoutre et collab. 2007 ; Palacio-Quintin 2013b). Ces références mettent en lumière les contributions originales et l’apport déterminant des femmes à la réussite d’un projet musical.

D’autres auteur·trices (n = 6) proposent également des portraits qui permettent de valoriser le parcours de compositrices dans le milieu de la musique contemporaine au Québec (Eatock 2010 ; Goldman 2012 ; Harris 2019 ; Stévance 2009d, 2013 ; Trifunović 2019). Enfin, Dharmoo (2019) et Massera (2021) appellent le milieu de la musique contemporaine à s’ouvrir à une plus grande diversité, voire à décoloniser ses pratiques. Leurs suggestions concernent, entre autres, la reconnaissance des différents systèmes d’oppression liés à l’identité (culture, ethnicité, spiritualité, genre, sexualité, classe, éducation), la défense des idéaux d’équité, de diversité et d’inclusion, la présence de femmes dans les instances institutionnelles, ou encore le développement de recherches approfondies ou de statistiques sur les compositrices ainsi que l’intégration de l’histoire des musiciennes dans les cursus scolaires.

Discussion

À la suite de l’examen des références, trois principaux constats ressortent de cette étude. D’une part, malgré les grandes avancées du mouvement féministe depuis les années 1970 au Québec, l’égalité de traitement entre les hommes et les femmes n’est pas atteinte en musique (Couture 2019a ; Abtan 2016 ; Stévance 2010b ; Lefebvre 2009). Il en découle, d’autre part, que de nombreuses compositrices adoptent des pratiques musicales alternatives (électroacoustique, improvisation, installation) souvent ignorées par les bailleurs de fonds et les grands médias, ce qui les soumet à une double marginalisation en tant que femmes et créatrices (Massera 2021 ; Bertrand 2017 ; Valiquet 2017 ; Abtan 2016 ; Lefebvre 2009 ; Prévost 2009 ; Stévance 2009c). Enfin, un certain malaise demeure quant au fait de discuter de féminisme, voire du genre féminin, en musique (Nicholls 2010 ; Stévance 2009a).

En ce qui concerne l’atteinte d’une égalité en termes de représentation genrée, on observe un nombre grandissant de compositrices de musique contemporaine depuis les années 1970 au Québec. Cependant, cette progression ne se reflète pas dans la programmation des divers organismes de concert, laquelle demeure peu diversifiée à l’exception d’événements spécifiques à caractère « féministe » — par exemple, des concerts soulignant la Journée internationale des droits des femmes[9]. De plus, les références rapportent des propos misogynes à l’encontre d’oeuvres composées par des femmes, considérées comme de second ordre. On peut notamment lire : « [Elle] tricote des notes » (rapporté dans Stévance 2009a) ; « L’étiquette “femmes improvisatrices” impliquait un segment moindre, voire de seconde zone, de la population globale des musiciens improvisateurs[10] » (Nicholls 2010) ; « Il est rare que nous subissions des attaques frontales : tout simplement, on nous ignore » (rapporté dans Tremblay 2017). Ce rejet du milieu de la musique contemporaine mènerait ainsi les femmes à opter pour un parcours musical plus marginal. Ainsi, par l’apprentissage autodidacte, l’expérimentation, l’autogestion, l’autonomie, les créatrices réclament leur indépendance. Elles revendiquent leur genre dans une sorte de pied-de-nez social qui permettrait de reconquérir leur puissance d’agir (agency) en déjouant les stéréotypes genrés du pouvoir dominant. Mais à évoluer dans des circuits séparés, on entretient la discrimination et la ségrégation basées sur le genre.

Ainsi, deux postures principales sur la musique des femmes émergent de cette étude de la portée. D’une part, les références défendent une différence entre les sexes, d’autre part, elles adoptent une attitude égalitaire et universaliste. Dans le premier cas, les créatrices définissent la singularité de leur écriture féminine d’après une conception essentialiste des différences de genre. Cette « création au féminin » expliquerait pourquoi les femmes entreprennent une démarche créatrice singulière, en dehors des cadres convenus par le milieu musical contemporain dominé par les hommes. En produisant, diffusant, gérant elles-mêmes leur musique, les créatrices construiraient des espaces solidaires où elles pourraient parler ouvertement de leurs idées, partager leurs préoccupations ou mettre en commun leurs ressources. Dans le second cas, on considère qu’il n’existe aucune distinction entre les femmes et les hommes en matière de création. La question du genre est évitée, voire niée, car la création est conçue comme l’activité de personnes exceptionnelles. On met alors de l’avant l’argument de la qualité, de la prédominance de la musique elle-même au-delà de toute considération identitaire, sous le couvert d’une vision progressiste de la société. Ces postures révèlent en fait les deux côtés d’une même médaille où les rapports sociaux entre les sexes sont inscrits dans l’inconscient collectif et entretenus par le système dominant. Stévance propose, quant à elle, une troisième posture, qui reconnaît l’existence de sensibilités musicales proprement féminines, sans pour autant promouvoir l’application de marquages sexués dans les discours sur la création : « La création est autant l’oeuvre de femmes que d’hommes et il y a dans chacun des deux genres une part de féminin et de masculin. » (Stévance 2013, 229)

En somme, toutes ces postures montrent que la perception des différences entre la création des femmes et celles des hommes résulte des mécanismes de transmissions sociales des discriminations et que l’égalité entre les individus est loin d’être acquise. Pour une plus grande visibilité des compositrices, il est nécessaire d’inscrire la création des femmes dans l’histoire de la musique, de faciliter la programmation de leurs oeuvres et de mettre en valeur la diversité du travail accompli par les femmes en musique contemporaine. Elles doivent être placées au centre de la scène.

Recommandations pour la recherche

Dans la foulée de l’analyse de la littérature existante sur les femmes en musique, et pour ouvrir de nouvelles voies de recherche, il est suggéré de considérer la programmation musicale à la lumière des valeurs et des traits caractéristiques de la production discursive et artistique des femmes. En effet, plusieurs auteur·trices constatent une sous-représentation des oeuvres des femmes dans les concerts et les événements, sans pour autant proposer des pistes de solutions (Bertrand 2017 ; Couture 2019b ; Massera 2021 ; Stévance 2010b). Or, la programmation des spectacles peut jouer un rôle important dans la professionnalisation, le discours et les représentations des compositrices de musique contemporaine au Québec par : 1) sa capacité de convertir le singulier (une artiste, une oeuvre) en intérêt général ; 2) son orientation vers le bien commun (grâce à des subventions et des équipements publics) ; 3) son intervention directe sur le marché de l’art (Dutheil-Pessin et Ribac 2018). En examinant le processus de programmation dans une perspective féministe, il serait donc possible d’expliquer les configurations institutionnelles et professionnelles du milieu de la musique contemporaine, mais aussi d’examiner la volonté de conférer un statut particulier à certaines oeuvres sélectionnées.

Forces et limites de cette étude de la portée

Cette étude de la portée est la première à avoir examiné la présence des compositrices dans les programmes des organismes dédiés à la musique contemporaine au Québec en considérant la nature des discours et des représentations. Dans ce contexte, une recherche documentaire exhaustive a permis de brosser un portrait large de l’état des connaissances dans ce domaine de recherche. En outre, l’ensemble du processus de tri des articles a été mené de manière rigoureuse et transparente pour faciliter une transposition à d’autres contextes culturels.

Quelques limites doivent néanmoins être soulignées. La qualité des références recensées n’a pas été considérée, c’est-à-dire qu’il n’y a pas eu de validation des devis méthodologiques et des résultats d’analyse. Cette limite est toutefois inhérente au choix de la méthode utilisée, soit l’étude de la portée, qui vise à faire une synthèse des connaissances disponibles sur un sujet en émergence, en considérant une grande diversité de documents, et non à apporter des preuves scientifiques visant à éprouver un concept ou à étayer un argumentaire théorique. Ainsi, plus de la moitié des 42 références retenues se composent d’opinions et de témoignages, bien que souvent appuyées sur des recensions d’écrits. Les auteur·trices décrivent des situations spécifiques sur la base de leurs observations. Plusieurs proposent des pistes de réflexion pour améliorer la représentation des femmes dans le répertoire de musique contemporaine au Québec. Toutefois, peu d’écrits scientifiques abordent l’efficacité ou les retombées des solutions proposées.

Questions de recherche futures

À la suite de cette étude de la portée, il serait souhaitable que des recherches scientifiques en musique soient réalisées au sujet des processus de programmation musicale, afin d’en explorer les concepts fondamentaux et d’en dégager les pratiques courantes. À cet égard, notre compréhension de l’écosystème québécois de la musique contemporaine pourrait être approfondie par des recherches-actions participatives visant à faire émerger des pratiques exemplaires, qui correspondent aux besoins identifiés par les compositrices. Les positions artistiques et les concepts scientifiques identifiés permettraient d’agir sur le développement de la programmation musicale pour qu’elle devienne représentative d’une société diversifiée (voir Dharmoo 2019).

Conclusion

L’objectif principal de cette étude était d’inventorier la documentation disponible sur les compositrices du Québec et sur la diffusion de leurs oeuvres, dans l’optique d’identifier les concepts liés à leur représentation dans le répertoire musical. L’analyse a permis de constater toute la richesse et la complexité de l’enjeu de la place des femmes dans la musique contemporaine au Québec. Il ressort que des obstacles majeurs freinent encore la présence des créatrices dans les programmes de concert. En contrepartie, des facteurs positifs permettent une intégration de plus en plus grande des créatrices, comme la reconnaissance des inégalités, le partage des ressources et des compétences, la formation de communautés artistiques, la proposition de modèles féminins, et la critique des institutions.

Cette étude encourage la poursuite de l’exploration, et en ce sens, nous croyons que de futures perspectives de recherche devraient mettre en lumière le travail des compositrices qui atteignent un haut niveau de création, tant sur le plan de la formation musicale que de la pratique professionnelle de la musique. Pour combler le « vide féminin » de l’histoire, il est nécessaire d’enseigner les biographies et les oeuvres d’artistes féminines, mais aussi d’offrir une lecture alternative de leurs oeuvres en proposant de multiples occasions de les jouer et de les rejouer. C’est pourquoi, dans une perspective féministe, les milieux de pratique devraient être mis à contribution pour mettre en place des actions de changement pour et avec les créatrices.