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Dans le cadre du projet DIG[1] dirigé par Vanessa Blais-Tremblay, nous avons présenté lors d’une conférence le 30 avril 2021 un bref survol historique des travaux de recherche publiés depuis 1975, ainsi qu’un relevé de quelques événements reliés à la diffusion des oeuvres des compositrices québécoises. Le présent article vise à compléter cette information par un premier inventaire non exhaustif, proposé en annexe, couvrant un peu plus de cent ans de création en musique de concert québécoise.

L’objectif visé par cette étude est d’offrir un aperçu historique d’une profession qui était jusqu’alors principalement réservée à la gent masculine et qui, grâce aux institutions religieuses féminines, ouvrira les portes de la composition aux femmes. Rappelons que, jusqu’au début des années 1960, seuls les collèges classiques masculins recevaient depuis 1922 des subventions gouvernementales (Collectif Clio 1992, 340). Pour pallier à ce manque de revenus, quelques communautés féminines[2] ont alors greffé à leurs collèges, entre 1926 et 1937, des écoles supérieures de musique afin d’ouvrir des carrières professionnelles en enseignement, en interprétation et en composition[3]. Profitant du retour d’Europe de jeunes musiciens formés au Conservatoire national de Paris et à la Schola Cantorum durant la décennie 1920-1930, elles ont ainsi invité plusieurs d’entre eux à diriger des classes de composition[4].

Le coup d’envoi des recherches sur les réalisations des femmes en musique a eu lieu, en grande partie, dans la foulée de l’Année internationale des femmes en 1975. Des chercheur·es américain·es ont en effet proposé, entre 1981 et 1991 différents outils de référence (encyclopédies, anthologies, discographies, critiques), permettant ainsi le déploiement de plusieurs publications sur le sujet[5].

Au Québec, depuis 1900[6], il y a eu dans les journaux plusieurs allusions à la présence de compositrices, d’ici et d’ailleurs. Ce n’est toutefois qu’en 1980 qu’est fondée « l’Association canadienne des femmes compositeurs[7] ». En 1988, nous avons proposé un premier bilan (Lefebvre 1988), à une époque où, faut-il le rappeler, les archives des compositrices étaient (et demeurent) peu nombreuses et où la numérisation des journaux n’existait pas encore. Nous avions alors relevé, pour la période 1900-1975, et de manière chronologique, le nom de 160 compositrices et plus de 1000 partitions d’inspiration classique (mélodies, valses, gavottes, etc.), la plupart rédigées avant 1950 et publiées dans les revues populaires de cette période dont Le Passe-Temps[8], auxquelles s’ajoutait un nombre important de compositions écrites par des religieuses, demeurées pour la plupart à l’état de manuscrit.

Commentaires en lien avec l’annexe

La chronologie des concerts, critiques et travaux de recherche proposée en annexe prend d’abord sa source dans les documents pédagogiques présentés lors de nos séminaires en 1984 et 1984 et complétés au cours de nos diverses publications sur le sujet, et complétés au cours de nos diverses publications sur le sujet, en inscrivant aux moteurs recherches des journaux numérisés sur le site de BAnQ les termes « femmes compositeurs », « compositeures » et « compositrices[9] ». Nous avons par la suite consulté le catalogue du Centre de musique canadienne (CMC) pour actualiser les informations, tout en étant cependant consciente que les données sur les compositrices du secteur électroacoustique et multimédia demeurent très parcellaires.

L’analyse de cette collecte de données a permis de mieux comprendre le sens, l’évolution et la fréquence de l’utilisation de ces expressions par les critiques musicaux, qui passe progressivement du rattachement de la fonction au métier masculin (femme compositeur) jusqu’à l’affirmation assumée de son équivalent féminin (compositrice). À la lumière de cette chronologie, se dessine un avant et un après 1975, ce moment charnière où les femmes se mobilisent et prennent publiquement la parole pour revendiquer leur droit et leur présence légitime dans le milieu de la création artistique, littéraire et musicale.

Avant 1975

De 1926 à 1949, à l’instar des professeurs d’instruments (surtout les pianistes), les compositeurs reconnus de l’époque organisaient annuellement les récitals de leurs élèves à des fins de publicité. Ainsi, Rodolphe Mathieu et Claude Champagne, alors professeurs d’écriture (harmonie, contrepoint, fugue) dans les écoles de musique dirigées par les religieuses et s’adressant essentiellement à une clientèle féminine, ont fait la promotion de leur enseignement en proposant de modestes concerts. Le public pouvait ainsi découvrir la production musicale de leurs étudiantes, et les quelques comptes rendus publiés dans la presse offraient à ces professeurs une plus grande visibilité.

Cependant, les compositions de leurs élèves n’obtiennent que peu de rayonnement. À l’exception des oeuvres d’Albertine Morin-Labrecque[10] diffusées à CKAC en 1931, aucune des pièces jouées lors de ces concerts pédagogiques n’a fait partie des programmes plus officiels des 14 Festivals de musique canadienne présentés par CKAC et à CBF entre 1934 et 1939[11], probablement parce que le milieu musical considérait tacitement ces oeuvres comme « des travaux scolaires », sans plus. En outre, les deux interventions de Léo-Pol Morin (1932 et 1937) n’évoquent que quelques femmes compositeurs européennes, et de manière assez péjorative. Celui-ci écrit en effet à propos d’Augusta Holmes (1847-1903) qu’elle compose « une musique un peu épaisse, marchant mal, sans personnalité » ; des compositions de Cécile Chaminade (1857-1944) comme d’« une musique assez creuse, pleine de lieux communs, d’un esprit bête assez souvent et féminine à l’excès en ce que ce mot peut avoir de péjoratif » et de Germaine Tailleferre (1892-1983) « elle a beaucoup de talent, mais son métier est assez faible ». Ne trouvent grâce à ses yeux que les Fanny Mendelssohn (1805-1847), Clara Schumann (1819-1896), Lili Boulanger (1893-1918) et Yvonne Desportes (1907-1993), dont il n’évoque pourtant que le nom (Morin 1932).

Bien que la Ligue canadienne des compositeurs admette parmi ses membres quelques compositrices anglophones peu de temps après sa fondation en 1951, dont Violet Archer (1913-2000), Barbara Pentland (1912-2000) et Jean Coulthard (1908-2000), les compositrices sont pratiquement ignorées par les médias jusqu’en 1975 ; même par la modeste publication de Claude Gingras en 1955, Musiciennes de chez-nous, qui présente en une centaine de pages 19 portraits de musiciennes québécoises (interprètes et historiennes uniquement). Et aucune n’a été invitée à participer à la Conférence internationale des compositeurs qui a eu lieu à Stratford en 1960 (Beckwith et Kasemets 1961).

Depuis 1975

La journaliste féministe Catherine Lord[12] sera la première à aborder de front la question au cours de L’Année internationale des femmes. « Pourquoi la création est-elle si difficile pour les femmes ? », écrit-elle dans le magazine Châtelaine en juin 1975. Après avoir relevé quelques citations misogynes de Platon, Voltaire, Valéry, Barbey d’Aurevilly, Auguste Comte et autres intellectuels, la journaliste évoque les difficultés vécues par plusieurs artistes et présente les témoignages de Marcelle Ferron (arts visuels), Marie Savard (littérature), Anne-Claire Poirier (cinéma) et Micheline Coulombe Saint-Marcoux (musique).

L’élan est donné. Entre 1976 et 1984, les créatrices de tous horizons expriment haut et fort leurs revendications féministes à travers des oeuvres choc, tant visuelles, théâtrales que musicales. Pensons aux réalisations (répertoriées dans la chronologie) des artistes et dramaturges Francine Larivée, Judy Chicago, Luce Guilbeault, Denise Boucher, à celles des compositrices Danielle P. Roger, Joane Hétu et Diane Labrosse à l’origine du groupe Wondeur Brass, ainsi qu’aux oeuvres de Micheline Coulombe Saint-Marcoux (1938-2005) et Marcelle Deschênes.

À partir de 1984, la création musicale produite par les femmes au Québec devient un objet de recherche. D’abord sous forme de séminaires que nous avons dirigés, puis en tant que sujet de mémoires et de thèses, elle donne lieu en 1993 à un colloque Les Bâtisseuses de la Cité au Congrès de l’Association canadienne-française pour l’avancement des sciences (ACFAS), (Descarries et Hardy 1993).

La publication en 2009 de la revue Circuit consacrée à la création au féminin est venue, comme l’indique le directeur de ce numéro, Jonathan Goldman, « célébrer la diversité et la qualité des sons organisés par des femmes afin de comprendre et de faire connaître un peu mieux les démarches qui sont à l’origine de ces créations singulières ». Une publication qui vient donc ainsi souligner cette période de recherches et de publications qui a permis de soulever le voile de la participation des femmes à l’histoire musicale du Québec au cours du xxe siècle.

Plus récemment, les articles proposés par Vicky Tremblay dans Les Cahiers de la SQRM en 2017 et par Ariane Couture paru dans Recherches féministes en 2019 offrent désormais des synthèses fort bien documentées sur les contributions des compositrices du Québec. Et, autre apport majeur pour la valorisation et la diffusion de la musique des femmes : le lancement en 2020 de la base de données numérique française « Demandez à Clara », qui recense à ce jour 933 oeuvres de compositrices canadiennes[13].

Parallèlement à ces publications, plusieurs festivals et concerts ont mobilisé les compositrices à partir des années 1980, témoignant ainsi de la vitalité de leur production. L’histoire retiendra certainement, entre autres, le mémorable « Festival Super MicMac » présenté par Productions SuperMusique du 25 octobre au 12 novembre 2000 et qui réunissait plus d’une centaine d’artistes canadiennes (Stévance 2011[14]).

Toutefois, au-delà de ces bilans récents, on constate que les études visant spécifiquement la promotion des oeuvres des femmes ont été progressivement délaissées au profit d’une programmation qui intègre désormais les contributions à la fois des compositrices et des compositeurs.

Parmi les publications récentes, la thèse d’Ariane Couture (2013) sur les institutions et la création musicale à Montréal entre 1966 et 2006 utilise la formulation « compositrices et compositeurs » pour démontrer le rôle qu’ont tenu la Société de musique contemporaine du Québec, les Événements du Neuf, le Nouvel Ensemble Moderne et l’Ensemble contemporain de Montréal dans la diffusion des productions musicales contemporaines.

En 2014, Jonathan Goldman sollicite différents auteurs (tous masculins) pour publier des analyses substantielles d’oeuvres de 13 compositeurs et de 3 compositrices : Isabelle Panneton, Ana Sokolović et Nicole Lizée.

En 2018, sur le site Ludwig Van, Réjean Beaucage propose une liste de 16 jeunes compositeurs et 10 compositrices qui mériteraient d’être mieux connues. Et en 2020, Danick Trottier prononce une conférence sur les difficultés du métier de la composition exercé autant par les uns que les unes, précisant toutefois que certaines inégalités persistent : « Je constate plusieurs structures qui génèrent des inégalités de genre : au niveau institutionnel, ceux qui obtiennent des postes, ce sont encore majoritairement des hommes compositeurs. De plus, les enjeux d’identité sont trop facilement balayés du revers de la main par certains acteurs du milieu — ce qui semble être un élément en soi, qui nuit à l’inclusion des femmes » (Trottier 2020).

Cette intégration se reflète-t-elle également dans la programmation des organismes musicaux ? Depuis 2009, les concerts dédiés spécifiquement aux oeuvres des compositrices sont de plus en plus rares[15] et celui de l’Orchestre symphonique de Montréal (OSM), présenté en juin 2021, semble bien être l’exception qui confirme la règle[16].

Conclusion

La reconnaissance de la légitimité des femmes en tant qu’autrices d’oeuvres musicales est relativement récente. Selon les données disponibles sur le site du Centre de musique canadienne[17], le nombre de compositrices québécoises agréées a augmenté au fil des ans, passant de 6 dans les années 1960 à 13 dans les années 1970, puis à 37 depuis le début des années 1980. Le pourcentage demeure tout de même à près de 30 pour cent par rapport au total des personnes agréées. Pour le Québec, on recense en effet 268 compositeurs, dont 209 hommes (dont 42 sont décédés), 58 femmes (dont 2 sont décédées) et une personne qui se définit comme genderqueer[18].

Plusieurs d’entre elles sont très actives dans le milieu musical, mais la recherche qui les concerne se limite aux oeuvres accessibles au CMC et à leur réception. En effet, leurs archives demeurent du domaine privé, ce qui rend l’accès à leurs écrits (correspondance et journaux personnels) et aux contextes entourant leur production plus difficile.

Par contre, on peut s’interroger sur le nombre réel d’oeuvres de compositrices qui, depuis 1975, ont été diffusées par différents ensembles. L’étude d’Ariane Couture, publiée en 2019 et qui porte sur seulement quatre ensembles de musique contemporaine (ce qui est déjà un sujet très riche), ouvre la voie à une recherche d’une plus grande ampleur[19] car il est fort probable que l’ajout, par exemple, des performances du groupe SuperMémé/SuperMusique à l’ensemble des concerts de différents groupes musicaux aura une influence sur le portrait global. Pensons, entre autres, à la programmation du Festival Montréal / Nouvelles Musiques (MNM) qui, entre 2003 et 2021, est passée de 13 pour cent à 36 pour cent d’oeuvres de compositrices grâce aux interventions de Joane Hétu et de l’Ensemble SuperMusique.

30 % : tel est le pourcentage à ce jour du nombre de compositrices que révèle le site du CMC. Il serait donc souhaitable et normal de leur réserver cette même proportion, en termes de durée, dans les programmations des musiques de concert présentées au Québec.