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Cette nouvelle parution des Cahiers de la Société Québécoise de recherche en musique est centrée, une fois de plus (voir le vol. 18 no 1), sur la relève. Après un numéro thématique (le vol. 21 no 1), ce nouveau numéro contient cinq textes sur des sujets tout aussi divers qu’originaux, qui témoignent de l’intérêt des nouveaux chercheurs et chercheuses pour des domaines — et des méthodes — d’investigation moins fréquentés. D’abord, Rita Bélisle s’intéresse aux ressources à la disposition des personnes enseignantes dans les écoles primaires du Québec lorsqu’elles souhaitent aborder en classe les musiques traditionnelles d’ici et d’ailleurs. Face au constat que l’approche interculturelle gagne à être appliquée tout autant à l’enseignement de la musique qu’aux autres domaines de formation, y compris auprès des enfants, elle a patiemment analysé plusieurs centaines de ressources pédagogiques pour en évaluer le contenu selon les critères de l’interculturalité. Ses résultats montrent que les enseignantes et enseignants pourraient être mieux outillé·e·s, en particulier pour encadrer l’enseignement du patrimoine folklorique québécois et déconstruire certains clichés, notamment racistes et androcentriques, dans la représentation de la différence culturelle. Enfin, je tiens à souligner que cette nouvelle venue en musicologie, diplômée récente de l’Université Laval en pédagogie musicale, est issue de l’horizon des études littéraires médiévales, ce qui confère à sa démarche une autorité singulière, par exemple sur le plan méthodologique.
Curieusement, les trois textes suivants sont centrés sur un instrument « exotique », rare ou utilisé de façon distinctive : un tambour rituel « déritualisé », un ensemble d’idéophones calqué sur un modèle lointain et enfin la voix humaine, traitée de façon si spécifique qu’elle en devient la signature d’un genre musical. Ce dossier organologique, aux proportions certes modestes, s’ouvre par une étude de l’ethnomusicologue Stéphanie Folio-Paravéman, qui nous conduit à l’île de La Réunion, dans l’océan Indien. Les utilisations dans divers contextes du tambour malbar, un instrument considéré comme sacré par de nombreux Indo-réunionnais et autrefois associé à des usages rituels, amènent l’autrice à s’interroger sur le sens que prennent aujourd’hui les prestations musicales qui y font appel, en fonction notamment des variantes rythmiques introduites. Elle souligne ainsi les transformations du rôle conféré à l’instrument dans un cadre de sécularisation progressive de la société réunionnaise. Cette étude de terrain lui permet de mettre en lumière un phénomène particulier de réappropriation culturelle.
L’équipe des Cahiers est heureuse de pouvoir ensuite offrir à son fidèle lectorat le texte de Laurent Bellemare, intitulé « L’angklung américain : Spectre d’une rencontre coloniale oubliée ». Concurrent à l’édition 2021 du Concours de conférences de la SQRM, ce jeune musicologue y a remporté haut la main le premier prix. Passionné par la musique indonésienne, il partage ses découvertes concernant un instrument rare conçu au tout début du xxe siècle par une compagnie américaine spécialisée dans la facture de xylophones ; cette invention présente des similarités troublantes avec l’angklung indonésien, en dépit du matériau utilisé, fort différent de l’original. Une clé de cette filiation énigmatique pourrait bien remonter à l’Exposition universelle de Chicago, en 1893, où les puissances coloniales faisaient étalage de leurs joyaux soi-disant « exotiques ». Le texte suivant, signé par Corinne Cardinal, nous introduit aux divers types de chant guttural pratiqués par les interprètes de musique métal, et en particulier au growl, au fry scream et au harsh vocal, une terminologie déjà fort intrigante. Elle propose une classification de ces principaux types de voix saturée, emblème incontournable du genre métal, qui suscite nouvellement l’intérêt des chercheurs·se·s émergent·e·s.
Ce numéro résolument tourné vers des réalités musicales situées en dehors des sentiers battus se poursuit avec le texte d’Héloïse Rouleau, qui a répondu avec empressement à une invitation lancée par les Cahiers aux jeunes chercheurs·se·s à donner suite à leurs mémoires de maîtrise, de façon à leur permettre le partage plus large des fruits de leurs découvertes. L’autrice explore les canaux alternatifs empruntés par les rappeurs et rappeuses québécois·e·s, en l’occurrence les ressources du Web, afin de se faire connaître dans un contexte où le milieu musical « officiel » (radios commerciales, compagnies de disques, critiques musicaux, etc.) les a longtemps invisibilisé·e·s. La popularité actuelle du hip-hop au Québec (et ailleurs dans le monde) témoigne de l’efficacité de leurs stratégies. Cette convaincante étude permet de réfléchir aux difficultés sociales et économiques vécues par des artistes marginalisé·e·s, ainsi qu’aux lacunes d’une industrie qui tarde à s’ajuster aux nouvelles réalités musicales. Il est à prévoir — c’est notre souhait le plus vif — que les textes réunis ici constitueront autant de pierres d’assise de futurs travaux.
La publication de ce numéro ayant été retardée en raison d’aléas de production hors de notre contrôle, je tiens à remercier tout spécialement les cinq auteur·rice·s pour leur confiance en l’équipe des Cahiers, leur persévérance et leur indulgence. À mi-chemin entre deux numéros thématiques assez élaborés, cette livraison riche en contrastes s’est fait attendre plus longtemps qu’il n’est confortable de l’admettre. La patience de nos collaborateur·rice·s a été exemplaire, tout comme la qualité des nombreux échanges indissociables du déroulement normal de l’édition de textes scientifiques. L’équipe éditoriale espère que le résultat saura compenser, au moins en partie, les désagréments liés à ces délais. Nous sommes très confiants que la suite des choses confirmera que la situation, où la pandémie a hélas joué un rôle, était exceptionnelle et qu’un rythme de production plus régulier pourra être maintenu.
Ce numéro est le premier dont Jordan Meunier a entièrement assuré la préparation en tant que secrétaire de rédaction, une tâche qui exige autant de minutie que de discernement, une grande disponibilité et un calme à toute épreuve. Je me sens privilégié de pouvoir compter sur un collaborateur aussi précieux et passionné par la recherche et par les mots qui la traduisent.
Je tiens à souligner ici à nouveau le travail sérieux accompli depuis plusieurs années par Federico Lazzaro en sa qualité de responsable des comptes rendus, et à le féliciter pour le poste de professeur de musicologie que lui a offert récemment l’Université de Fribourg, en Suisse. Son apport à la revue a été plus que précieux. Nouvelle preuve de son professionnalisme constant, il s’est assuré de trouver, avant son départ, la remplaçante idéale en Héloïse Rouleau, que nous sommes très heureux et fiers d’accueillir dans notre petite équipe (le hasard a voulu qu’elle soit d’ailleurs elle-même mise en valeur dans ce numéro en tant qu’autrice). La transition s’est effectuée de façon très souple, de sorte que nous pouvons compléter cette livraison par trois comptes rendus d’ouvrages récents, fruits du travail rigoureux de musicologues passionnés. Ce numéro se conclut par le compte rendu de Lysandre Champagne de la monographie signée par Ariane Couture intitulée La création musicale à Montréal de 1966 à 2006 vue par ses institutions (2019). Suit celui de Tommaso Sabbatini du livre de Kimberly White, Female Singers on the French Stage, 1830-1848 (2018). Enfin, en écho au précédent numéro des Cahiers consacré à l’usage, comme outil de propagande, de la musique de Mozart par le régime nazi, Artur Alvés a lu attentivement pour nous la monographie Mozart 1941 : la Semaine Mozart du Reich allemand et ses invités français que signent Marie-Hélène Benoit-Otis et Cécile Quesnay (2019). Nous remercions ces précieux collaborateurs·rice·s pour leur dévouement, de même que tous les membres du comité scientifique de la revue et les évaluateur·rice·s externes, spécialistes des questions abordées par chacun des articles spécifiques ; tout ce travail étant bien sûr bénévole. Notre reconnaissance également à la direction de la Société québécoise de recherche en musique et aux membres du conseil d’administration pour leurs encouragements et leurs démarches parfois souterraines en vue d’assurer le fonctionnement et le développement de la revue. Enfin, nous tenons à remercier tout spécialement le Fonds de recherche du Québec — Société et culture (FQRSC) pour son récent soutien financier, aussi inattendu qu’indispensable, qui permettra dans le futur à la revue de poursuivre son mandat, qui apparaît plus pertinent que jamais. Sur ce, bonne lecture !