Les naissances du cinéma numériqueSommaire dossier

Les naissances du cinéma numériqueIntroduction[Record]

  • Thomas Carrier-Lafleur and
  • Marcello Vitali-Rosati

Pour mettre à l’épreuve l’expression aujourd’hui consacrée de cinéma « numérique », ce qu’entend faire ce dossier, il faut ainsi tenter un exercice d’équilibrisme : à la fois suivre un devenir historique, pour en questionner la trop lisse progression, et plonger dans la spirale du contemporain, pour en démêler les strates et tenter d’en faire l’archéologie. Le défi n’est pas simple : il faut viser une position médiane, qui résulte d’un double point de vue temporel où passé trop cohérent et présent trop anarchique coexistent sur la même lame tranchante. Comme l’écrit avec justesse Maurizio (2014, 21), ce qui dans notre réalité médiatique devient de plus en plus nécessaire de penser, c’est une « ontologie de l’actualité », soit la « conscience que dans la mutation et dans l’altération se manifestent l’essence, la structure ». Ce n’est donc qu’en effectuant le procès du spectre de la permanence et de l’illusion de la nouveauté que l’on peut s’interroger sur ce moment privilégié, mais historiquement et ontologiquement flou, que constitue la naissance, l’origine ou le commencement. Il n’y a pas de commencement, il n’y a pas de naissance, il n’y a pas d’origine. Et de la même manière il n’y a pas véritablement de média : Un média n’est pas un objet substantiel aux limites claires qui a un commencement et une fin. Il y a plutôt des séries culturelles (Gaudreault et Marion 2013), ou des conjonctures médiatrices (Larrue et Vitali-Rosati 2019). Analysé à partir de ces outils théoriques, « cinéma » est plus que jamais le nom donné à une multiplicité non systématique de dispositifs, de supports, de discours, d’imaginaires et d’enjeux rétrospectivement agencés. L’entrée du cinéma dans l’ère particulièrement métissée du numérique n’a donc fait que rendre plus sensible le chaos qui était déjà celui de son origine, redevable d’une autre épistémè, celle du 19e siècle, et d’un autre rapport à la culture, celle de la modernité visuelle et de la reproductibilité technique. C’est pour cette raison, comme le notent André Gaudreault et Philippe Marion – dont il sera beaucoup question dans ce dossier –, qu’il faut « faire comprendre l’histoire du cinéma comme succession de commencements et de morts » (Gaudreault et Marion 2013, 151). Plutôt que de nous faire aveugler par le renouveau technologique et ses promesses en apparence infinies, chaque nouvelle identité du cinéma doit être l’occasion d’interroger autrement sa fonction, sa mort et sa (re)naissance. Dans le sillage de telles considérations, le présent dossier tente de mener simultanément deux réflexions. D’une part, quelles sont les renaissances du cinéma provoquées par le numérique ? D’autre part, en quoi la sphère cinématographique contemporaine représente-t-elle un observatoire privilégié pour rendre compte des naissances du numérique ? Si l’arrivée d’un cinéma numérique se forme dans l’actualité, c’est pour mieux la dépasser de toutes parts et repotentialiser notre rapport au temps, qui devient actif et incertain. Étudier les naissances du cinéma numérique sera ainsi l’occasion de revisiter certains aspects de l’histoire globale du cinéma – de ses œuvres, de ses rêves, de ses craintes –, qui, depuis la fin de l’ère analogique, se sont dotés d’une importance nouvelle. En somme, les articles qui composent ce dossier nous amènent tous à prendre conscience que l’évolution du média cinéma est inséparable de celle des discours sur le numérique. On y découvrira aussi, non sans vertige, que le « numérique » n’existe pas, sinon que comme discours qui crée le numérique et recrée le cinéma. Le dossier s’ouvre avec l’article « La pensée im-matérielle de l’écriture filmique », dans lequel Lucie Roy propose une réflexion philosophique …

Appendices