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Introduction[1]

La question de l’invention littéraire des médias concernant aussi bien les textes fictionnels que scientifiques, je propose dans cet article de l’aborder à travers le motif du cinéma comme machine à halluciner, à une époque – autour de 1900 – où les troubles nerveux tels l’hystérie, la neurasthénie et le somnambulisme induisent chez les sujets concernés un trop-plein sensoriel difficile à maîtriser. Dans la littérature médico-psychologique et neurologique du tournant de siècle, bien des savants décrivent l’hallucination (spontanée ou suggérée) sous la forme d’une perception d’images animées projetées sur une surface plane située à l’extérieur du sujet. Le spectateur du cinématographe semble alors offrir aux théories médicales un modèle idéal pour repenser la manière dont une réalité imaginaire rivalise avec une réalité objective au sein même du sujet halluciné. Or, cette conception de l’hallucination entre singulièrement en résonance avec la manière dont l’expérience du cinéma est considérée par de nombreux observateurs, les vues animées étant susceptibles de provoquer chez des individus dits faibles (femmes, enfants, névrosés) une confusion de la représentation avec son référent. La construction du cinématographe comme dispositif hallucinatoire semble ainsi inséparable des discours qui décrivent les illusions perceptives sous la forme d’une projection incontrôlable d’images mouvantes hyperréalistes sur un écran virtuel.

À travers une lecture de la littérature médicale et paramédicale, je souhaite montrer comment le cinématographe (entendu au sens large de dispositif d’images animées) devient, autour de 1900, un opérateur de pensée privilégié dans l’étude de l’hallucination, mais aussi de manière plus large, un modèle épistémologique de la perception et la subjectivité à l’ère de la modernité technologique et sociale. Il s’agira par la même occasion d’apporter des éléments de réponse aux questions suivantes : pourquoi les discours scientifiques et parascientifiques recourent-ils si volontiers aux métaphores technologiques pour expliciter le fonctionnement de l’esprit et du corps humain ? Quel rôle a joué la littérature médico-psychologique dans l’invention du cinéma comme machine hallucinatoire ? On observera non seulement comment le cinéma est appréhendé dans les théories de l’hallucination, mais aussi comment le spectateur est codifié en tant que sujet halluciné.

Le cinéma , un modèle pour les théories de l’hallucination

Si l’étude de l’hallucination comme phénomène psychique ne date pas du XIXe siècle, elle reçoit autour de 1900 des interprétations qui ne relèvent plus exclusivement d’une vision métaphysique de l’humain, mais qui enregistrent la découverte d’un inconscient cérébral, à savoir une double conscience responsable des conduites automatiques restées inexpliquées jusque-là (Gauchet 1992). Étayé sur le concept de « cérébration inconsciente », ce nouveau modèle neurophysiologique met en exergue la part décisive de l’activité réflexe dans le fonctionnement psychique, sapant du même coup les bases de la représentation classique du sujet conscient. Surgit alors la figure d’un sujet scindé, partagé entre conscient et inconscient, stratifié en plusieurs « couches » identitaires qui cohabitent comme autant de marques d’une aliénation multiple à soi, en soi-même et aux autres. Ce concept dévoile alors à quel point les frontières de l’identité humaine sont mouvantes, à l’image d’un monde moderne dominé par la vitesse, le mouvement et l’automatisation des activités sociales et individuelles.

L’hallucination apparaît précisément comme l’une des manifestations principales de cet inconscient cérébral, c’est-à-dire comme l’expression d’une conscience inférieure, réflexe et automatique. Considéré comme un signe avant-coureur de maladie mentale, l’hallucination réduit le malade au statut de simple « machine » obéissant aux lois de son inconscient cérébral. De manière significative, l’hallucination prend la plupart du temps le caractère d’une projection (durable ou éphémère) d’images (fixes ou animées) et de sons (bruits, voix, musiques, etc.) qui se développe sur un écran psychique virtuel, provoquant chez le sujet une sensation d’extériorité. En effet, le sujet halluciné souligne toujours qu’il se sent extérieur à son hallucination, qu’elle lui parvient de l’extérieur et qu’il n’en a pas la maîtrise. Il se décrit souvent comme étant réduit à l’état de spectateur passif face à ses images hallucinatoires qui prennent la forme d’un véritable « spectacle ». Les phénomènes hallucinatoires entraînent ainsi un véritable trouble face au statut de l’image mentale qui mime la perception réelle.

Partant, avançons l’hypothèse suivante : la conceptualisation de l’hallucination aurait été façonnée par de nouveaux modèles perceptifs dont le cinématographe est l’une des actualisations majeures en ce tournant de siècle. On peut notamment le vérifier dans des textes qui mobilisent le dispositif cinématographe à titre de métaphore de l’hallucination. En 1905, dans un ouvrage destiné à des étudiants en droit, Paul-Maurice Legrain présente la crise hallucinatoire d’un patient alcoolique de la manière suivante :

Le premier cas que je vais vous présenter est celui d’un délirant alcoolique simple, chez lequel vient d’exister la bourrasque hallucinatoire classique, d’une durée éphémère. Les images sensorielles ont été, comme toujours, surabondantes. […] Je lui laisse la parole : « Cela m’a pris tout d’un coup ; je voyais du monde qui me poursuivait pour me faire du mal. Pour moi, c’était réel ; maintenant que je vais mieux, je commence à voir que c’était une attaque de folie. […] Je voyais des bêtes qui passaient sur mon lit, des personnes, des figures difformes, des serpents, des chiens, des morts. J’entendais des cloches, de la trompette, des orages. Je rêvais que ma lampe à souder faisait explosion »… (Remarquez que le malade lui-même se sert constamment du mot rêve. En effet, c’est un vrai cauchemar auquel il a assisté, éveillé, et qui est en tout comparable à ceux que l’on fait pendant le sommeil. […] « Je voyais passer des dessins partout sur les murs comme dans un cinématographe »…  La comparaison est tout à fait exacte. Les images sensorielles sont si abondantes que le malade a l’impression qu’il est devant un kaléidoscope. Aucun état de conscience n’a le temps de se former ; le malade est figé, uniquement animé par les sensations rapides que suscitent les hallucinations)… « Les images avaient la couleur du phosphore ; ça allait et revenait. Cela représentait des hommes, de belles femmes, des images d’église plutôt. […] Tout à coup les images sont devenues noires. Et je vis arriver de belles dames, toutes costumées de noir ; elles portaient des fleurs et chuchotaient en approchant de mon lit. C’était ma fin dernière. C’étaient des esprits ».

(1906, 47‑50)

Dans ce passage où Legrain donne la parole à son patient et la commente entre parenthèses, différents éléments indiquent la prégnance du modèle du dispositif cinématographique ou pour le moins d’un dispositif d’images animées. On peut par exemple relever la proximité implicite entre les expériences du délire, de l’hallucination, du rêve, de la spectralité et du cinématographe qui se rapportent toutes à une surcharge d’images et de sons défilant devant les yeux (ouverts ou fermés) du sujet et produisant un effet d’inquiétante étrangeté. Le spectateur devient ici le modèle du patient en pleine crise de paranoïa hallucinatoire pensée sous la forme d’une projection des perceptions qui vont et viennent – alors que le patient s’attribue le délire dans l’après-coup. Rappelant les théories spirites sur le rayonnement du psychisme ou de la pensée (Bonnaymé 1908), la luminosité des manifestations hallucinatoires (phosphorescentes ou noires) entre également en résonance avec le domaine des images animées projetées.

Ainsi, le caractère machinique de l’hallucination comme expression de l’inconscient cérébral semble particulièrement propice à sa conceptualisation via le modèle cinématographique : pour des nécessités purement techniques et descriptives, certes, mais également pour des raisons « idéologiques » plus diffuses que je souhaiterais mettre en lumière dans la suite de cette réflexion. Car si le cinéma sied si bien à l’hallucination et vice versa, c’est surtout parce que le spectateur et l’halluciné apparaissent comme des sujets « pathologiques », marqués du sceau de la modernité et de ses stimuli.

Le spectateur « halluciné » des vues animées

L’individu en proie à des hallucinations est considéré comme un corps automatique qui produit machinalement des images et des sons. Le sujet qui hallucine devient alors le site d’une perception dont il est à la fois le créateur et le spectateur, rappelant la posture des spectateurs du cinéma, lesquels sont nombreux à rappeler le réalisme fantastique des vues animées. C’est probablement grâce à sa capacité à offrir au public une série d’images animées ressenties comme « plus que réelles » que le cinéma devient dans les théories médico-psychologiques le comparant et le modèle idéal pour décrire ce phénomène psychique.

En effet, le film apparaît très souvent aux yeux des observateurs comme susceptible de provoquer chez certains spectateurs des illusions, voire même parfois des hallucinations, comme l’illustre la fiction de la peur des spectateurs face à l’entrée en gare d’un train et ses multiples variantes (Sirois-Trahan 2004 ; Belloï 2002). Les autorités médicales, juridiques et administratives redoutent en particulier que les âmes les plus fragiles (femmes, malades, mais surtout enfants) ne fassent l’amalgame entre la fiction et la réalité de la vie quotidienne. Elles évoquent notamment le danger que représente le cinématographe en termes de délire d’imagination, certains spectateurs encourant de graves troubles psychiques face à des intrigues invraisemblables et des images dites pseudo-réalistes. Certains films en particulier (les films à trucs) contribueraient à brouiller les limites entre réalité et représentation, vérité et mensonge, bien et mal, et auraient ainsi la capacité d’engendrer des rêveries pathologiques et des dysfonctionnements du comportement social.

Selon le magistrat allemand Albert Hellwig, la fréquentation trop régulière des salles de cinéma générerait une « exaltation socialement dangereuse de l’imagination » (1911, 43) en raison de l’impact que peut avoir, dans « les têtes non critiques » des enfants, « la restitution photographique de la réalité » (1911, 44). Hellwig dénonce les « troubles du sens de la réalité » qu’entraînent les projections filmiques, en particulier chez les enfants et les adultes « disposés » (c’est-à-dire, nerveux ou névrosés) (1911, 41). Par sa manipulation de la réalité, le cinématographe agirait comme « une mystification, une supercherie et une fraude de la faculté pensante » (1911, 46). Les mauvais films, précise l’auteur, peuvent aller jusqu’à déclencher des « effets hallucinatoires » susceptibles de dégénérer en délire ou en hystérie (1911, 55).

Une partie des autorités médicales et institutionnelles redoutent que les spectateurs fassent l’amalgame entre une représentation fictive hyperréaliste et la réalité de la vie quotidienne. Il semblerait que la crainte d’une hypertrophie possible de l’imagination au détriment du principe de réalité reste alors inséparable de son corollaire : la méfiance vis-à-vis d’une image produisant sur le sujet une très forte impression de réalité. Aussi, ce qui inquiète véritablement, c’est que le spectateur ne confonde les images filmiques avec la réalité de sa vie effective.

En 1915, deux psychiatres italiens, Umberto Masini et Giuseppe Vidoni, avancent l’hypothèse d’une « psychose spéciale » due au cinématographe. Le cinéma encouragerait des « impressions délétères du faux réalisme » (1915, 621), des hallucinations visuelles à caractère « vivace, net et précis » et des dérangements sensoriels liés au défilé rapide des images sur la toile. Ils considèrent également que le cinéma peut provoquer des « convulsions, terreurs nocturnes, névroses, troubles oculaires, etc. », ainsi que des « états d’angoisse, des hallucinations et des idées délirantes » (1915, 620). C’est pourquoi ils déconseillent vigoureusement le cinéma aux malades nerveux et aux enfants.

Le médecin adjoint belge Henri Hoven, quant à lui, décrit plusieurs cas de malades atteints de « psychoses hallucinatoires sous l’influence du cinématographe » (1914) suite à une fréquentation trop assidue des vues animées. Alors que celles-ci ont sans aucun doute une action néfaste sur les « psychopathes » et les sujets prédisposés aux troubles mentaux, elles peuvent aussi induire périodiquement des délires hallucinatoires chez « un homme bien portant » (1914, 206). Dans cette étude, Hoven constate chez quatre patients, des femmes et des hommes adultes de 17 à 41 ans, l’apparition de « certains symptômes […] communs » :

Les malades sont effrayés et inquiets […]. Ils présentent des hallucinations visuelles et parfois auditives très intenses : les scènes cinématographiques émouvantes vues antérieurement se déroulent de nouveau devant leurs yeux. Souvent leurs idées délirantes se rapportent à ces mêmes sujets. Il semble donc qu’il existe un tableau clinique un peu particulier, qui est en rapport avec le cinématographe, cause de la psychose.

(1914, 207‑8)

L’effroi provoqué par des « scènes très dramatiques telles guerres, incendies, catastrophes, assassinats » (1914, 201) s’avère particulièrement propice au développement de cette psychose. Si le cinéma cause des émotions aussi fortes, c’est également en raison du caractère singulier de son dispositif :

Les vues cinématographiques en tant qu’images se succédant rapidement dans l’obscurité présentent le caractère hallucinatoire qui doit frapper très vivement l’imagination de certaines personnes.

(1914, 202)

« La passion du cinématographe », comme la nomme Hoven, peut donc déclencher des hallucinations intenses qui transforment le sujet en une sorte de cinématographe qui revoit parfois en boucle les scènes à l’origine du mal. L’halluciné apparaît ainsi à la fois comme l’opérateur, le projectionniste et le spectateur de son « film intérieur ».

Comme le montrent ces extraits, l’expérience cinématographique fait alors l’objet d’une pathologisation qui rapproche le spectateur du sujet névrosé accablé par des hallucinations, que ce soit pendant ou après la projection. Or, si le cinéma sied si bien à l’hallucination et vice versa, c’est surtout parce que le spectateur et l’halluciné apparaissent comme des sujets pathologiques, marqués tous les deux du sceau de la modernité et de ses nombreux stimuli provoqués par un surplus d’informations, d’images, de bruits, d’odeurs, etc. Davantage que la photographie (technologie amplement acceptée au tournant du siècle), on constate que le cinéma devient au début du XXe siècle le lieu de fixation d’angoisses concernant le sujet fragilisé par la modernité. Le spectateur de cinéma et l’halluciné ne sont alors que des incarnations possibles de cette peur d’une précarisation de la subjectivité devenue à la fois incontrôlée et incontrôlable. Toutefois, cette lecture du cinéma comme machine hallucinatoire doit être nuancée, car si pour une partie des membres de la communauté médicale le pouvoir de suggestion de l’image filmique présente des risques, pour d’autres, elle aurait des vertus éducatives propices à l’apprentissage, voire elle aurait des effets tonifiants ou relaxants selon l’état physique et mental des spectateurs (Berton 2015, 504‑46).

L’hallucination, symptôme de la modernité

La récurrence des épisodes hallucinatoires dans les maladies typiques du tournant de siècle, à savoir l’hystérie et la neurasthénie, ainsi que leur prégnance dans les écrits qui décrivent le cinéma comme une expérience de type hallucinatoire, invitent à faire l’hypothèse suivante : l’hallucination est peut-être le symptôme par excellence de la modernité, renvoyant plus largement aux préoccupations causées par un monde moderne en perpétuelle transformation et dont le cinéma serait l’une des expressions les plus significatives. En effet, la globalisation de l’information, l’industrialisation du travail, l’accélération des mouvements des biens et des personnes, la multiplication des images et des sons, l’urbanisation croissante, etc. modifient le rapport de l’individu au temps et à l’espace. Si la modernité est perçue dans les discours médico-psychologiques comme un facteur de progrès, elle est également rendue coupable de multiplier les névroses, telle l’hystéro-neurasthénie provoquée par les accidents de transports en commun comme le train ou le tram. Dans ce contexte, l’hallucination devient le signe d’une hypersensibilité perceptive du sujet à son environnement immédiat, source d’excitations constantes.

Mais l’hallucination peut aussi être recherchée activement par les citadins en quête de sensations fortes émoussées par la ville moderne. À cet égard, les phénomènes hallucinatoires et les projections cinématographiques participent tous deux à l’élaboration d’une culture perceptive que l’on peut appeler « névrose du vrai », laquelle se caractériserait par une soif des apparences visibles assouvie, par exemple, par des spectacles hyperréalistes alors très en vogue (Schwartz 1998). Cette « névrose du vrai » est observable aussi bien dans la presse illustrée, la littérature, le théâtre, les musées de cire, les spectacles de la morgue qu’au cinéma. Avec leurs images « plus que réelles », les vues animées s’inscrivent dans cette tradition de représentations qui cherchent à procurer des sensations fortes, adressant ainsi une réponse aux aléas du monde moderne. Aussi, le cinématographe peut être appréhendé à la fois comme le symptôme et l’agent de ces transformations du monde moderne : d’une part, il propose un spectacle où la représentation est capable de rétrécir les espaces géographiques, de contracter/dilater les temporalités, d’échapper à la logique rationnelle, de brouiller les limites entre la réalité et l’imaginaire ; et d’autre part, il augmenterait les névroses favorisées par la modernité et ses perturbations.

C’est sur le terrain de cette « névrose du vrai » conçue comme phénomène culturel et social que le cinéma et l’hallucination se rencontrent : dans les deux cas, le sujet est confronté à un excès de visualité et de sensorialité, mais qui lui procure également de nouvelles sensations revitalisant son rapport au monde. Symbolique de cette « névrose du vrai », l’expérience du cinématographe offre ainsi aux spectateurs la possibilité de tester expérimentalement une condition nécessaire à l’adaptation à un environnement spécifiquement urbain.

Conclusion

Les dispositifs d’images animées/projetées, tels que le cinématographe, inspirent aux discours médico-psychologiques une conception renouvelée de l’hallucination dictée notamment par les médias modernes. Après la lanterne magique, la fantasmagorie et le panorama mobile (Huhtamo 2013), le cinématographe devient non seulement un opérateur de pensée privilégié dans les théories de l’hallucination, mais également et plus largement dans les sciences du psychisme où il est utilisé selon deux modalités : soit implicitement via un réseau sémantique précis qui laisse deviner son influence, soit explicitement en tant que modèle de la pensée, de la mémoire, du rêve ou de l’imaginaire.

Parmi toutes les inventions de l’époque, il est en particulier le dispositif qui permet d’expliciter au mieux le psychisme comme lieu d’une représentation et d’une thésaurisation infinie du perçu susceptible d’être réactualisé, comme à l’occasion d’une crise hallucinatoire. Extrêmement populaires, les projections lumineuses offrent aux savants un outil rhétorique et conceptuel extrêmement efficace au moment d’expliquer et de conceptualiser le fonctionnement du psychisme humain qui, par définition, relève de l’invisible. Pensé comme rendant possible l’accès à des zones que l’humain ne peut pénétrer par ses seules facultés biologiques immédiates, l’« œil » des médias qui prend forme dans ces textes devient ainsi l’auxiliaire idéal de sciences qui se fantasment comme disciplines d’un regard qui capte, captive et capture.

Juan Rigoli (2001) dans son étude sur la rhétorique médicale rappelle en effet que les psychiatres conçoivent leur métier comme l’art de lire dans le cœur et dans l’esprit des hommes – à ce titre ils se sentent capables de décoder les pensées de leurs malades, s’imaginant pouvoir dissiper, par la seule acuité de leur œil expert, l’opacité de troubles par nature indécelables sur le plan anatomique ou physiologique. On peut donc supposer que le besoin des médecins d’investir rhétoriquement et didactiquement les dispositifs audiovisuels comme le cinéma est en partie justifié par leur frustration face aux mystères des opérations psychiques.

Mais, si le cinématographe modifie les théories du psychisme, à leur tour celles-ci impactent la réception des projections lumineuses et la manière dont on les interprète – sans compter la manière dont on va intégrer les thèmes de la maladie mentale dans le contenu des films eux-mêmes : les mises en scène de l’inconscient cérébral dans les films de Méliès où dominent les motifs du démembrement, de la décapitation ou de la démultiplication subjective (2001, 2013). Aussi, semble-t-il fondamental, lorsque l’on réfléchit aux liens entre littérature et médias, d’envisager ces liens sous un angle dialectique, car discours et médias sont toujours pris dans un rapport de co-construction épistémologique. De fait, ils s’offrent mutuellement comme conditions de possibilité les uns des autres, notamment parce qu’ils s’inscrivent dans une épistémè commune au sein de laquelle circulent des idées, des concepts, des motifs, des imaginaires amplement partagés. Ces échanges donc entre software et hardware, entre dispositifs imaginés et dispositifs actualisés opèrent toujours dans la réciprocité, se construisent dans le mouvement même de leurs interférences, des interférences au sein desquelles, par ailleurs, ils ne sont jamais dupliqués à l’identique.