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C.L.R. James, pionnier du « marxisme noir » : une réponse à l’eurocentrisme ? C.L.R. James. La vie révolutionnaire d’un « Platon noir », de Matthieu Renault[Record]

  • Jean-Jacques Cadet

« S’il fallait résumer la pensée et la pratique politique de James à un seul objet, ce serait à n’en pas douter le mouvement des masses », affirme Matthieu Renault, maître de conférences en philosophie à l’université Paris-8 Vincennes-Saint-Denis, dans son dernier ouvrage, C.L.R. James. La vie révolutionnaire d’un « Platon noir », nous invitant à découvrir un auteur méconnu en France. Dans son enquête biographique, Matthieu Renault insiste sur le projet d’émancipation, axé sur une critique de l’eurocentrisme, proposé par le penseur trinidadien. Se démarquant des perspectives postcoloniales, James, précise-t-il, ne nous invite ni à « provincialiser l’Europe », ni à « déprovincialiser le monde non européen » , mais plutôt à « distendre » les pensées européennes en les déplaçant et élargir de leurs frontières. Il met en discussion la démarche jamesienne consistant à intégrer les luttes anticoloniales-antiraciales dans la révolution socialiste internationaliste. Pourquoi une nécessaire antécédence de la révolution en Occident tandis que les luttes dans le Sud global sont indispensables ? L’auteur fait de cette tension les conditions premières d’une « pensée de l’émancipation qui soit à la mesure du monde. » Le livre s’ouvre sur l’enfance de Cyril Lionel Robert James, né le 4 janvier 1901 à Trinidad. Il insiste sur la trajectoire mouvementée d’un intellectuel ayant vécu aux Etats-Unis, en France et en Angleterre. Cela est perceptible dans ses œuvres où se croisent l’Afrique, les Caraïbes et l’Europe. On y retrouve les grands tournants de sa vie, comme son devenir marxiste en Angleterre et ses rencontres stratégiques avec Pierre Naville, Martin Luther King et Karl Korsch. Homme de culture, James était un « intellectuel total » s’intéressant à l’art et au sport, d’où ses deux passions de jeunesse : le cricket et la littérature. Matthieu Renault cherche à nous introduire à la vie et l’œuvre de cet écrivain « venant de loin », nous invitant à repenser nos rapports avec l’Europe. L’objectif, affirme Matthieu Renault, est de contribuer au débat sur l’eurocentrisme. Il vise un renouvèlement da la critique de l’eurocentrisme par appropriation des termes jamesiens. Pour lui, la pensée de James permet d’interroger la centralité de l’Europe tout en utilisant certains de ses présupposés. L’usage singulier du marxisme par James illustre bien sa façon de déraciner les pensées européennes. L’unes des plus originales constructions dans la pensée de James est l’introduction de la question noire dans l’analyse des formes d’oppression du marxisme. En affirmant l’hétérogénéité de ces dernières, James pose l’importance des luttes afro-américaines en vue de la révolution socialiste. Il estime que « les Noirs ne pouvaient être amenés au socialisme que sur la base de leurs expériences concrètes. » C’est pourquoi ce proche de Trotski est considéré par Cédric Robinson comme le pionnier du « marxisme noir ». Il s’intéresse aux préjugés raciaux sans leur donner la première place dans la mesure où, dit-il, il n’y a pas, en parlant des Antilles, d’« antagonisme racial ». Ce « marxisme noir » s’inscrit dans un mélange pluriel des questions raciales et de classes tout en plaçant en priorité la lutte des secondes. Ce qui le distingue du mouvement de la négritude qui n’a jamais eu la sympathie de James en dépit de ses multiples rencontres à Paris avec Léon-Gontran Damas, un des chefs de file (avec Aimé Césaire et Léopold Sédar Senghor) de ce mouvement. James choisit les Etats-Unis pour expérimenter sa traduction du marxisme. Il propose de « bolchéviser l’Amérique » en passant par l’« américanisation du bolchévisme » consistant à « plonger le marxisme dans la société et l’histoire américaines . » L’opération de nationalisation du marxisme doit, selon …

Appendices