VariaChronique

Y a-t-il un intellectuel de gauche dans l'avion ?[Record]

  • Michèle Narvaez

Les magazines, à qui mieux mieux, se posent la question de la place de la philosophie aujourd’hui, et, surtout, en appellent au retour de l’intellectuel de gauche, du maître à penser progressiste. Dès qu’apparaît un philosophe au coin de la rue ou d’une revue, le journaliste plein d’espérance brandit vers lui le micro : « alors, vous êtes donc de gauche ? ». Et faute de le trouver, il serait presque tenté de le fabriquer. « Comment les penseurs de l’émancipation peuvent-ils réinvestir le champ public ? », demande par exemple L’Humanité. Dans notre société française dont ils décrivent la « décomposition politique », journaux et magazines esquissent figures périmées et figures nouvelles, au risque de toutes les caricaturer. L’intellectuel de gauche est brusquement devenu une espèce très « protégée ». On essaie de lui recréer un biotope favorable, on le cajole. Difficile d’ignorer toutefois que ce n’est pas ainsi qu’on produira des lions à même de mener une vraie guérilla idéologique contre les hérauts de l’identité française malmenée », lance Aude Lancelin pour ouvrir le débat dans L’Obs. Sous le titre « L’intellectuel de gauche bouge-t-il encore ? », l’intéressant dossier paru dans L’Obs pose la question et donne quelques réponses que nous présentons ici. Le triomphe de la pensée de droite dans les élites, le discrédit qui touche les postures de la gauche radicale, la place « tonitruante » de la télévision et de ses vedettes médiatiques, celle « de l’essayisme » (selon François Cusset, p.98) et des chroniqueurs, voilà qui rendrait impossible l’émergence d’une philosophie « de gauche ». À noter cette évocation d’une remarque « honnête » de Pierre Nora dans le numéro anniversaire des 20 ans de la revue Le Débat : à une époque où « la démocratie a largement triomphé », les intellectuels ne sont plus requis dans le rôle de « contre-pouvoir du pouvoir politique ». Disparus donc nos grands hommes de la pensée : Camus, Sartre, Foucault, Bourdieu. En voie de disparition Marcel Gauchet, Régis Debray, Alain Finkielkraut, Michel Onfray. Silencieux, ou très discrets, les penseurs engagés comme Alain Badiou ou Jacques Rancière, « évincés du champ de la discussion publique […] par des journalistes comme Éric Zemmour ou des philosophes provinciaux comme Michel Onfray » (selon Jean-Loup Amselle, p. 99). L’article introductif cite également Pierre Rosanvallon, et son « Parlement des invisibles » (2014), mais note que cette initiative n’a pas passé non plus la barre des médias... Et, en contrepoint de toutes les pensées « tièdes » qui se sont développées, dans le sillage du « politiquement correct » et d’une démocratie soi-disant apaisée, un petit opuscule d’à peine trente pages fut publié, pour nous dire « Indignez-vous ! ». C’était en 2010, et ce livre a connu l’engouement qu’on sait. Mais Stéphane Hessel n’est plus là. Le dossier de L’Obs assume une grande hétérogénéité. On y trouve une suite de portraits très divers. Par exemple, la sociologue Ester Duflo étudie la pauvreté, l’historien Pascal Blanchard part de l’histoire de l’empire colonial. Tristan Garcia y interroge quant à lui l’effondrement des certitudes et annonce un ouvrage sur le « nous » en 2016. Julien Coupat (auteur de L’Insurrection qui vient, essai politique publié en 2007 aux éditions Sémiotext(e) et rédigé par un « Comité invisible ») est considéré comme un penseur radical, et est associé, peut-être trop hardiment, à Hessel. On trouve encore Raphaël Liogier, professeur à l’IEP d’Aix – en - Provence, qui fustige les chantres du déclinisme ». Cynthia Fleury , philosophe et psychanalyste, met en avant l’exigence de « courage ». Gaël Giraud …

Appendices