VariaChronique

Par-delà le repli ou le refuge, l'urgence d'un cosmopolitisme européen[Record]

  • Gérard Wormser

Le conservatisme et le repli sur soi des Européens ont fini par engendrer leur contraire. L’exode des réfugiés syriens produira-t-il le changement d’orientation qui seul prémunira l’Europe de devenir malgré elle le recours de populations mal aimées ? Des milliards d’euros vont être dépensés en soutien d’urgence, donnant tardivement raison à ceux qui militent depuis longtemps contre la focalisation de nos politiques sur le contrôle des entrées dans l’espace Schengen. Il fallait bien qu’explose la contradiction entre les discours prônant la démocratisation des régions mitoyennes de l’Union européenne, notre incapacité à infléchir la situation syrienne et la condamnation de fait de populations menacées à rester bloquées en Turquie ou en Libye. Les discours sur le « co-développement » ont fait florès, mais de manière générale l’Europe ne s’engage pas assez pour soutenir les initiatives indépendantes à son voisinage ou les projets transfrontaliers des résidents européens venus du « reste du monde ». Il n’y a rien de scandaleux à dire que l’Europe n’a plus de frontières – elle n’en eut jamais et son expansion fut mondiale, si bien que la mondialisation la concerne dans son rapport aux populations qui l’entourent, et pas seulement dans ses traités de libre-échange ou dans sa défense d’un périmètre à ses frontières officielles. Dialoguant avec Niels Planel, qui publie une somme de ses expériences internationales, notamment à la Banque mondiale, nous voyons que les politiques macro-économiques doivent se doubler de soutiens aux initiatives singulières prises par ceux qui jouent leur existence en prenant leurs responsabilités – par des bourses, le micro-crédit et diverses incitations locales, à l’échelle des villes où se rassemblent les populations. Les étudiants se déplacent massivement, les centres d’expertise (et plus seulement de production) sont à présent délocalisés partout où existent un marché solvable et une abondance de main d’œuvre, les communautés d’expatriés sont souvent le fer de lance de la croissance dans leur région d’origine, et leurs membres sont autant de passeurs interculturels dont l’action, chaque matin, contribue à faciliter les dialogues entre cultures et modes de vie. Il importe bien sûr de distinguer entre des mobilités choisies et des exils subis, mais cette mobilité est un fait irréversible de notre temps, et c’est en la soutenant activement que nous pourrons anticiper les évolutions collectives et éviter les drames des situations d’urgence. L’évidence du lien entre l’essor des fondamentalismes religieux et la fermeture sur elles-mêmes des sociétés qui les abritent a pour analogue dans nos pays une défiance vis-à-vis des étrangers qui croît avec la diffusion des idéologies identitaires. Comme si l’Europe, qui connaît depuis toujours le brassage de ses populations, était le moins du monde menacée par l’ajout éventuel d’1 % de sa population en provenance de ses marges. Faut-il que les patrons français ou le ministre allemand de l’Économie viennent expliquer que l’anémie démographique est un risque plus grand que l’accueil d’étrangers ? La séquence qui va de la révolution tunisienne à l’accueil actuel des réfugiés syriens impose de redéfinir les politiques européennes en fonction de la vocation plurielle de notre continent qui englobe et déborde largement sa stratégie économique. C’est faute d’y parvenir qu’une Europe vieillie et ankylosée donnerait prise aux idéologies xénophobes. Et une telle Europe serait vouée à dépérir tant les apports liés aux dynamiques de mobilité contemporaines sont essentiels pour tous. L’illusion européenne fut de croire qu’un unique modèle de fonctionnement pouvait régir l’investissement financier, les politiques sociales et les relations internationales. Ce schéma consistait à traiter prioritairement avec la Chine et les États-Unis aux plans industriel, financier et commercial, et laisser plus ou moins le marché réguler le reste. Ce cadre relègue aux aides …

Appendices