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Christophe PREMAT, Député des Français établis hors de France, 3ème circonscription Europe du Nord
Mesdames les ministres,
Mesdames et Messieurs les député(e)s, chers collègues
Mesdames et Messieurs, les conseillers de l’Assemblée des Français de l’étranger,
Mesdames et Messieurs les ambassadeurs,
Mesdames et Messieurs les représentants de l’administration et des acteurs économiques,
Je vous remercie ainsi d’avoir répondu à cette invitation pour venir discuter des enjeux du numérique dans la promotion de la francophonie. C’est un jour particulier car l’Assemblée des Français de l’étranger se réunit aujourd’hui pour la première fois depuis la réforme. Je me réjouis de ce que la voix des Français de l’étranger dispose d’un canal d’expression renouvelé. La mobilité de nos concitoyens s’accélère et je suis intimement persuadé que le numérique peut leur proposer des solutions.
De même, le numérique constitue un vecteur de promotion du français et des Français au-delà de nos frontières comme l’a justement souligné le rapport Attali remis au Président de la République le 26 août dernier.
Nous allons essayer au cours de cette table ronde d’aborder les enjeux du numérique comme vecteur de diffusion de la francophonie. Je vous propose trois axes que nos réflexions permettront de compléter :
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Le premier axe concerne le numérique comme outil facilitant l’accès à la formation tout au long de la vie. Je souhaite que ces formations puissent être qualifiantes voire diplômantes pour faciliter les mobilités internationales. Le rapport Attali propose à juste titre de développer les contenus éducatifs numériques, des MOOCs à la française qu’il nomme des FLOTs.
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Le deuxième axe est relatif au numérique comme vecteur de croissance économique. Il peut favoriser l’essor d’une économie des supports et d’une économie des contenus développés par des entreprises françaises.
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Le troisième axe porte sur le numérique comme instrument de la promotion de l’éducation en français, de l’éducation du français et de l’accès au français sous toutes ses formes. La francophonie est en train de se positionner sur le marché numérique.
Je suis sûr que nos échanges seront très riches et je cède tout de suite la parole à Gérard Wormser, philosophe et directeur de la revue Sens Public qui nous fait l’honneur d’animer cette table ronde.
Gérard WORMSER, philosophe et directeur de Sens Public
Il convient de développer les formations en e-learning et de permettre aux étudiants d’accéder à des formations qualifiantes.
Il faut que les personnes qui suivent ces cours en ligne disposent de diplômes reconnus par l’Université.
La proposition n°44 permet aux étudiants de bénéficier d’un suivi par une plateforme numérique.
Le lycée français à l’étranger est un instrument magnifique mais les étudiants ne sont pas suivis à ce stade alors qu’ils constituent une force magnifique pour notre pays.
Je vous invite également à télécharger le rapport Ferry 3.0 concernant le numérique dans l’éducation en général.
Axelle LEMAIRE, Secrétaire d’État chargée du Numérique
Monsieur le député cher Christophe,
Mesdames et messieurs les ambassadeurs,
Merci pour l’invitation, nous sommes tous les deux élus et représentants de l’Europe du Nord, Christophe spécialiste de la francophonie et moi du numérique.
C’est la première fois, me concernant, que l’occasion m’est donnée de m’exprimer sur cette double thématique. J’y suis d’autant plus intéressée que la Francophonie est au cœur de mon histoire personnelle. Je suis Franco-québécoise et avant tout francophone, citoyenne de cette communauté que Gille Vigneault appelait « le vaste pays, sans frontière, celui de la langue française, le pays de l’intérieur, le pays invisible, spirituel, mental, moral qui est en chacun de vous. »
Désormais en charge du numérique, je retrouve dans ce domaine une autre communauté de valeur, une autre forme de fraternité, de coopération, de partage qui s’exprime à travers des outils innovants, mais des univers qui somme toute sont potentiellement proches dans leur façon d’être et d’agir.
La courbe de la diffusion de la francophonie suit de manière assez fidèle les perspectives de déploiement des usages de l’internet en particuliers sur le continent africain. Dans son histoire relativement courte, internet est passé entre 1998 et aujourd’hui de trois cents milles utilisateurs à trois milliards. L’Afrique compte pour 15% de la population mondiale et seulement 2,6% des utilisateurs d’internet.
Cette évolution nous oblige à repenser nos modèles d’analyse, nous francophones, puisque ces modèles ont été ancrés depuis de très nombreuses décennies sur une prééminence européenne en matière de locuteurs alors que l’avenir du numérique et de la francophonie sera en Afrique.
Pourtant le déploiement de la langue est encore inégal et le statut du français comme langue mondial vis-à-vis de l’anglais doit être renforcé. Je ne reviens pas sur les enjeux éducationnels liés à l’apprentissage du français, je crois que ma collègue Annick Girardin abordera ces question plus longuement lors de son intervention mais c’est une ambition que je partage, celle d’élargir l’accès de tous à la langue française et en particulier grâce au numérique. C’est la raison pour laquelle j’ai lancé la plateforme d’apprentissage du code dans sa version francophone, une plateforme qui s’appelle CODEKDEMIE, libre d’accès et qui permet à des jeunes où qu’il soient d’ouvrir une porte sur le numérique avec des potentiels d’expression créatif mais aussi de débouchés professionnels intéressants, tout cela gratuitement.
L’élaboration de contenus pédagogiques à partir des contenus numériques.
La construction des référentiels, la terminologie scientifique, culturelle et de valeur se fera de plus en plus grâce aux outils d’éducation numériques et, à ce titre, je salue l’action de l’AEFE qui mène une action pilote en ce domaine très précurseur et qui, avec le CNED, sont en capacité d’expérimenter des solutions très innovantes dans ce domaine.
Le parallélisme entre numérique et francophonie se retrouve en matière de chiffres mais c’est à peu près tout car la francophonie pour l’instant a du mal à exister dans l’univers du numérique.
Pour des raisons historiques tout d’abord puisque le numérique est né dans la Silicon Valley et ses racines historiques sont aujourd’hui ancrées au point d’ériger en domination la soft power américaine dans le monde du numérique, au point que tout le vocabulaire emprunté à cet univers est anglophone. On me reproche souvent d’utiliser les mots « start up », « scale up », « digital », « corporate venture », « business angels », le « coding », « les clusters » mais ils sont pratiquement intraduisibles en français !
C’est là où la francophonie a son rôle à jouer. Les communautés doivent encourager la production en termes de contenus ouverts. Le projet AFRIPEDIA lancé en juin 2012 par un accord entre Wikimédia France et l’Institut français universitaire de la Francophonie vise à développer l’accès à Wikipédia en Afrique francophone. La technologie est un moyen au service de la diffusion d’un savoir co-construit et librement partagé. La finalité du programme est en effet surtout d’inciter à la contribution, afin de créer une sphère Wikipedia dans tous les pays de l’Afrique francophone pour donner aux experts, aux scientifiques et tout simplement au peuple africain un moyen de s’exprimer et de partager sa culture.
Il y a un autre enjeu, économique, présenté par le rapport Attali que j’ai lu avec beaucoup d’intérêt. La perspective que le français devienne l’une des premières langues parlées dans le monde constitue une opportunité de marché majeur. Le numérique a pour atout de supprimer les barrières à l’entrée, ce sera donc la prime aux plus audacieux et aux plus rapides. Les groupes français détiennent les atouts pour bénéficier de l’essor de la francophonie, mais ils pourraient être rapidement doublés par des groupes étrangers, pour le moment beaucoup mieux préparés pour cibler les marchés internationaux.
A titre d’illustration, l’Afrique constitue le deuxième marché au monde pour la téléphonie, les téléphones s’y vendent quatre fois plus que les ordinateurs. Si moins de 5% de la population africaine a aujourd’hui accès à des smartphones, ce taux devrait passer à près de 20% en 2017.
L’enjeu n’est pas d’exploiter les ressources du continent africain, mais bien de mener des politiques d’innovation et de développement économique, s’appuyant sur les potentialités des différents partenaires dans une démarche de co-construction et donc de co-développement. C’est la raison pour laquelle j’ai tenu à me rendre au forum ICT4ALL, le numérique pour tous, qui était organisé à Tunis, ville stratège dans l’essor du marché numérique africain parce que plateforme tournante entre l’Europe, l’Afrique Subsaharienne et le Moyen Orient. Et c’est à cette occasion que j’ai célébré le premier anniversaire de l’alliance franco tunisienne pour le numérique (AFTN) : accords signés entre des entreprises situés en Tunisie et en France qui travaillent ensemble à rapprocher leur produits pour favoriser les interactions, les synergies, faire des échanges de personnel éventuellement et surtout aller conquérir ensemble les marchés internationaux. C’est ainsi la première fois que lors d’un sommet qui va se tenir à Dubai, les entreprises françaises tiendront des stores en communs avec des entreprises tunisiennes. Cette alliance accompagne des binômes qui sont formés en commun grâce à la langue commune qu’ils partagent. J’ai très souvent entendu des investisseurs américains m’expliquer que la raison pour laquelle, au moment de venir en Europe, de franchir le grand pas de l’Océan atlantique, ils venaient à Londres, ce n’était pas des raisons réglementaires mais parce qu’ils avaient en commun la langue, ce qui donne accès au droit anglo-saxon et des réflexes sociaux et culturels plus proches que ceux que connaissent ces investisseurs. Je leur répondais alors qu’une fois au Royaume Uni, il fallait encore refaire la même opération en Europe.
La diversité linguistique progresse énormément sur le web, même si la part exacte de chaque langue est difficile à mesurer. On peut estimer que le français se place entre la 4ème place et la 8ème place.
Au-delà d’une communauté de langue, l’espace francophone et francophile est un espace de coopération, d’échanges, de rencontres. Pour se comprendre, pour commercer, pour coopérer, pour travailler avec la société civile, pour ouvrir de larges zones de confiance et de transparence, il faut un vocabulaire partagé, mais aussi des référentiels communs (cartographie par exemple), des formats comparables (en comptabilité par exemple)...
La question de la traduction des documentations de logiciels, en particulier des logiciels libres, est également à encourager. A ce titre, on peut souligner l’action exemplaire de l’Association Francophone des Utilisateurs du Libre (AFUL) qui se positionne comme un acteur clé dans le domaine l’éducation, avec l’accord cadre passé avec le ministère français de l’éducation nationale (depuis 1988) et avec l’agence Universitaire de la Francophonie (depuis 1999).
Enfin, la question des standards et, plus largement, de la gouvernance de l’internet constitue un défi majeur. Dans cette perspective, les pays francophones doivent contribuer au développement d’une gouvernance de l’internet qui assure l’expression de la diversité culturelle et linguistique. Cette gouvernance doit être inclusive, transparente, indépendante et fondée sur le modèle multi acteurs.
En matière de gouvernance de l’internet, la francophonie est en capacité d’offrir une voie alternative à une menace réelle. Je suis allée à Sao Paulo pour le Sommet mondial quelques jours après ma nomination. Qu’est ce que j’ai observé ? Deux blocs qui se faisant face : d’un côté les pays favorables à un contrôle des contenus : la Russie, la Chine, l’Iran entre autres et de l’autre côté les pourfendeurs d’un internet ultra libéral, livré aux seuls grands géants de l’internet qu’on appelle les grandes plateformes, en anglais les OTT (over the top), avec l’idée que parce que c’est la sphère virtuelle, il n’y a pas de lois, il n’y a pas de législation applicable autre que les règles du marché, sans garantie de protection autant pour les citoyens – notamment en terme de protection de leurs données personnelles – que pour la préservation de la diversité culturelle. Je crois qu’entre ces deux blocs, il y a une troisième voie qui est possible pour construire une gouvernance qui soit plus ouverte, qui soit plus juste et que ce chemin, les pays francophones peuvent le tracer au côté de grands pays émergents comme le Brésil par exemple ou encore l’Inde. Donc c’est un enjeu politique et même géopolitique autant que technique et culturel.
J’aimerais terminer simplement en vous rappelant que le Président de la République lors de l’Assemblée générale des Nations unies à New York il y a deux semaines à parler de l’Open Government Partnership (OGP) qui est une association internationale qui réunit les gouvernements qui s’engagent à avoir des pratiques exemplaires en matière de transparence des affaires publiques et qui essayent d’utiliser les outils numériques, notamment l’open data, les données publiques qui peuvent être réutilisées par les citoyens pour favoriser la croissance, la légitimité et la crédibilité démocratique de leur action. J’aimerais que la francophonie joue un rôle en ce domaine comme elle a su en jouer un au sein d’autres instances internationales peut être plus officielles, peut être plus institutionnalisées mais je crois que l’OGP n’est pas moins importante au vu des enjeux dont j’ai parlé.
Pour conclure je citerai un grand monsieur, Boutros Boutros Gali qui, a Kotomou il y a près de 20 ans avant l’avènement de l’internet, disait : « la francophonie sera subversive et imaginative ou ne sera pas ». Cette phrase, on aurait pu la transposer au numérique car les gens qui travaillent dans ce domaine aiment bien se voir comme des hackers au sens positif du terme, comme des gens subversifs qui arrivent à remettre en cause les ordres établis. C’est un manifeste auquel nous pouvons encore adhérer.
Angélique DELORME et Adrienne BROTONS, rapporteurs pour Jacques Attali sur la Francophonie Numérique
Angélique DELORME, auditrice au Conseil d’État,
Madame la Secrétaire d’État, monsieur le député, mesdames et messieurs,
Nous sommes chargées ce soir de représenter M. Attali, qui ne pouvait pas être présent ce soir. Présentation à deux voix et en trois points.
Une première partie pour vous rappeler le lien entre la diffusion d’une langue et le développement économique. Une deuxième partie sur le numérique et en quoi il sera un facteur de croissance pour le développement de la langue, et enfin une troisième partie sur les différentes propositions du rapport.
Nous avons utilisé la théorie macroéconomique de la « gravité » qui stipule que lorsqu’on partage une langue, on a 65% d’échange supplémentaire avec la communauté en question. Ce constat au niveau macro économique par la théorie de la gravité, on a pu le constater aussi au niveau micro économique. Les pays les plus francophones sont ceux où les produits français s’exportent le mieux. Cela s’explique car en partageant une langue, on partage un cadre de pensée. Confiance entre hommes d’affaire nécessaire en développant des relations commerciales.
On peut également dire que le partage d’une même langue favorise le co-développement : dans un certain nombre de secteurs la localisation d’activité et d’industries peut dépendre de la capacité pour ces industries à recruter une main d’œuvre qui parle la langue du pays d’origine de l’entreprise.
C’est le cas de Renault qui s’est implanté au Brésil en 1996, important sur place une industrie de montage de voitures. Lorsque Renault s’est implanté au Brésil, l’entreprise a également décidé de monter une école de formation en français pour les salariés brésiliens qui seraient recrutés dans cette entreprise, parce qu’il était nécessaire selon Renault que les ouvriers qui travaillent sur la chaîne comprennent un certain nombre de termes français.
En ce sens, le fait de partager une même langue permet également aux industries des pays francophones du nord de s’implanter dans des pays francophones du sud et de créer dans ces pays une dynamique en offrant des emplois et en formant la main d’œuvre car cela permet de diffuser dans un bassin d’emplois un certain nombre de savoir-faire techniques et peut être de faire monter en compétence des salariés d’un secteur donné.
Nos avons constaté que l’identité francophone était un atout économique à fort potentiel. Dans un monde qui est maintenant mondialisé et en partie uniformisé, les consommateurs vont vers des produits différentiés qui vont permettre de sortir du moule anglo-saxon.
Dans cette dynamique, l’identité francophone est une identité forte. Qui attire un certain nombre de consommateurs et pas uniquement des consommateurs francophones. C’est pour ça que notre rapport s’est aussi intéressé à la francophilie, le fait qu’un certain nombre de personnes à travers le mode qui ne sont pas nécessairement francophones aient un intérêt pour la langue, pour la culture française et les produits français. Quand je dis produits français, je pense aussi à des produits francophones au sens large.
Quand on regarde par exemple la musique, la consommation de musique francophone dépasse très largement le périmètre de pays francophones d’Afrique. Elle n’est ainsi pas négligeable dans les pays asiatiques. Cette attractivité de l’identité francophone explique également que certains secteurs économiques bénéficient d’une attractivité internationale, je pense dans le cas français au secteur agroalimentaire, à la musique, au cinéma mais aussi à la médecine, au droit et au tourisme.
Enfin peut-être pour finir sur les principaux éléments de contexte du rapport de M. Attali, nous constatons que la francophonie deviendra une composante du développement ou du déclin économique des pays francophones.
Angélique DELORME, auditrice au Conseil d’État
Merci monsieur le député pour cette invitation. Je vais vous démontrer en quoi le numérique est effectivement un formidable atout et un vrai outil pour diffuser la langue française dans le monde et pourquoi nous avons consacré plusieurs propositions du rapport à ce secteur.
Trois points :
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les utilisateurs d’internet
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la technologie d’une langue
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la mise à jour des secteurs traditionnels grâce au numérique
Avec aujourd’hui trois milliards d’utilisateurs d’internet dans le monde, le nombre d’internautes explose. Les utilisateurs d’internet sont de plus en plus mobiles à travers ce qu’on appelle en français « les terminaux intelligents » ou les « smartphones » qui permettent d’écrire des contenus en temps réel. Le web s’enrichit chaque seconde de nouveaux contenus et cette explosion du nombre de contenus fait qu’il y a une véritable concurrence des langues. Par exemple il y a beaucoup de pages Wikipedia qui ne sont qu’en anglais ce qui semblerait indiquer la prédominance de l’anglais sur beaucoup de contenus. Cependant cette diffusion de l’internet ne va pas forcément rimer avec une victoire écrasante de l’anglais.
Pour illustrer ce propos, Jacques Attali utilise souvent la métaphore de l’invention de l’imprimerie: « On aurait pu croire avec la naissance de l’imprimerie que tout le monde deviendrait chrétien », la bible ayant été le premier texte imprimé, mais cela n’a pas été le cas. C’est un peu la même chose qu’on essaye d’analyser ici : le web n’implique pas forcément une victoire écrasante de l’anglais, qui bien entendu est devenu une espèce d’Espéranto, maintenant qu’il est devenu une langue si véhiculaire, il n’a plus véritablement d’identité. Les internautes sont à la recherche de contenus dans leurs propres langues et les auteurs continuent d’écrire dans leur propre langue.
Deuxièmement le secteur de la technologie des langues : secteur très porteur, pas si connu que cela dans le numérique mais qui est voué à révolutionner notre usage d’internet et des terminaux mobiles. Il s’agit notamment des traductions automatiques. J’envoie un texto en français que mon interlocuteur va recevoir en allemand. Il s’agit aussi de tout ce qui est relié à la voie sémantique (l’écriture d’un mot vous donne tout un nuage de mots reliés au même mot). Et dans ce secteur à haute valeur ajoutée, le Français a vraiment son rôle à jouer, afin que le français soit intégré à ces logiciels. Si le français n’est pas intégré, cela risque de devenir une langue mineure car seulement cinq ou six langues seront l’objet de ces traductions automatiques et seront intégrées spontanément dans les logiciels.
La France a des PME, qui parfois ont malheureusement été rachetées par des grands groupes américains, qui sont pionnières dans ce secteur : je pense à SISTRAN qui était une entreprise française spécialiste de la traduction automatique, nous avons aussi des ingénieurs d’excellence dans le numérique. La secrétaire d’État a parlé de la Silicon Valley, il faut rappeler qu’il y a 66.000 français qui vivent et travaillent dans la baie de San Francisco, donc nous avons notre rôle a jouer pour nous saisir de ce secteur clé du numérique.
Enfin je parlais des secteurs qui ne sont pas liés directement au numérique et qui se transforment par le numérique.
Le secteur culturel : notamment le secteur de la culture de masse avec la TV : la TNT a fait exploser le nombre de chaînes partout dans le monde. Aussi pour tout ce qui est applications mobiles pour collecter de la musique, cela peut être un atout grâce à la musique francophone. Et le secteur de la musique a été complètement bouleversé par le numérique. Avant quand on achetait un disque dans les bacs, on n’avait que l’offre qu’on nous soumettait, maintenant on peut être en Inde et vouloir écouter des chanteurs francophones comme STROMAE. Ce secteur pourrait être boosté grâce à l’utilisation de ces plateformes mobiles pour télécharger de la musique. Le cinéma aussi, on a parlé de NETFLIX qui peut rapidement se diffuser mieux dans les pays francophones, mais également hors des pays francophones grâce au numérique.
L’éducation aussi : on va consacrer une grande partie de cette table ronde à ce sujet. Pas seulement les MOOCS (ou les FLOTS) comme on aime dire dans le rapport mais aussi l’apprentissage des langues à travers des applications mobiles qui permettent d’apprendre sur son smartphone.
L’e-Santé : cela recouvre d’autres secteurs de gestation où là aussi il y a des opportunités à travers la vidéoconférence, si on veut consulter un docteur par internet. Là encore, la langue est essentielle et la médecine française a son rôle à jouer vu son image de qualité notamment au Vietnam où de nombreux médecins ont été formés en France.
Enfin la Finance : à travers le micro crédit en Afrique, qui devient un outil numérique avec le global banking, car il est plus simple pour une personne nomade d’avoir une banque en ligne sur son téléphone plutôt que d’aller à un guichet.
Mais le numérique peut aussi être une menace pour la langue française si on ne fait pas de politique proactive en la matière. Pourquoi ? Car en Afrique on a remarqué que l’explosion de la TNT a vu naître de nombreuses chaînes dans des langues vernaculaires. Si l’on ne parvient pas à faciliter la diffusion du bilinguisme, cela pourrait signifier à terme, la disparition de l’usage du français, ce qui sera désastreux pour le nombre de francophones.
Enfin on assiste à une guerre des contenus sur internet. La France est pour l’instant en retard puisque nous ne sommes qu’au huitième rang en terme de contenus tandis que nous sommes la cinquième langue la plus parlée au monde.
Petit rappel des propositions de M. Attali concernant le numérique :
- Proposition numéro 5 : Adapter l’offre du CNED aux évolutions sociologique et technologique en le rapprochant du ministère des Affaires étrangères
- Proposition numéro 6 : Structurer une offre de FLOTs (MOOCS) francophones interactifs et diplômant
- Proposition 10 : Distribuer aux écoles Francophiles des pays en développement des manuels scolaires et logiciels
- Proposition 16 : Créer un Netflix francophone
- Proposition 18 : Lier l’obtention d’une aide du CNC au sous-titrage du film en cinq langues
- Proposition 26 : Mettre en place une politique industrielle francophone dans le secteur des technologies numériques
- Proposition 44 : Créer une plateforme numérique recensant les étudiants ayant suivi une partie de leur scolarité dans un lycée français de l’étranger ou dans une université française ou francophone
Raphaël TAÏEB, directeur du ’livrescolaire.fr’
Monsieur le Député, Mesdames et Messieurs, je tiens à vous remercier pour l’invitation sur un thème qui nous touche particulièrement. Je souhaitais commencer par une présentation dulivrescolaire.fr mais en prenant des notes au cours de l’intervention de Madame la Ministre Axelle Lemaire, il m’est apparu que je pouvais m’appuyer sur ses déclarations.
Je la cite ainsi : « Il faut créer des ressources co-construites libres », « Il faut développer des ressources pour le numérique axées sur les tablettes » et « penser tout de suite à l’international » et telle est la philosophie du livrescolaire.fr. Nous sommes techno-éditeurs ; c’est à dire que nous sommes à la fois une entreprise de technologie – plus communément appelée start-up – mais aussi éditeurs puisque nous réalisons des livres scolaires tant en version papier qu’en version numérique.
Tous ces contenus sont créés par des communautés d’enseignants puisque nous nous appuyons sur une communauté de 1.000 professeurs à travers toute la France mais également dans des lycées français à l’étranger. Notre philosophie est précisément de co-construire les ressources afin de les rendre disponibles gratuitement sur l’Internet sous un format Open Source sous licence Creative Commons.
Ce modèle a fait ses preuves puisque 35.000 professeurs utilisent les manuels en France ou à l’étranger avec leurs élèves. Nous sommes actuellement concentrés sur le collège et nous sommes en train de nous développer sur le lycée. J’attire votre attention que 35.000 professeurs de collège représentent un professeur sur trois et qu’ils sont au contact de 250.000 élèves.
Le recours à l’Open Source est quelque chose de fondamental pour nous. Quand nous nous sommes lancé en 2009, on sentait venir cette révolution éducative et digitale avec le lancement de l’I-pad au début 2010. Nous avions cette vision que la révolution digitale passerait par le livre, le logiciel libre et le travail collaboratif. Je tiens à vous rappeler qu’en 2010, lorsque nous avons sorti nos premiers manuels scolaires collaboratifs et Open Source, nous avions alors damé le pion aux États-Unis et nous étions devant la Californie. Son gouverneur de l’époque – Arnold Schwarzenegger – avait à l’époque demandé des contributions pour réaliser des manuels scolaires Open Source accessibles gratuitement sur Internet. Nous avions réalisé une incursion en territoire américain en réalisant un site Internet similaire à celui que nous avons créé en France. Il regroupait une communauté de cinquante professeurs américains qui enseignaient le français comme langue étrangère afin de réaliser un manuel qui a été édité par la suite. A l’époque, nous avions démontré que la France pouvait être en pointe sur les questions de numérique et d’éducation.
Nous avions donc cherché des leviers pour notre développement et nous avions proposé aux collectivités locales en France de mettre en œuvre un nouveau modèle économique. En effet, l’achat de manuels scolaires représente près de 250 millions d’euros dépensés chaque année. Nous avions proposé un modèle économique innovant avec le financement de la partie fixe de conception d’un manuel : rédaction des contenus, achat de l’iconographie et des cartes, ainsi que la compilation de ces données par les collectivités au travers d’appels d’offre. Nous aurions alors placé gratuitement le contenu sur Internet à travers le logiciel libre. Nous avions rencontré une vingtaine de collectivités locales à l’époque mais nous n’avions pas reçu de réponse. Nous nous sommes faits doubler par les Américains qui ont aujourd’hui une offre conséquente de manuels scolaires réalisés sur Open Source et disponible gratuitement sur Internet.
Aujourd’hui, je saisis la balle au bond et je propose de faire une proposition concrète au regard de la proposition n°10 du rapport Attali qui prévoit de : « distribuer gratuitement aux établissements francilophones des pays en voie de développement des manuels scolaires et des logiciels ». L’idée est bien de proposer des manuels à très bas prix qui permettent de réduire le coût croissant de la scolarisation des enfants dans ces pays et de diffuser la culture française. Une politique forte dans ce secteur pourrait permettre de réaliser des ressources pédagogiques Open Source co-construites avec des acteurs locaux. Nous sommes en train de trouver des relais locaux dans les pays concernés pour co-construire les contenus et mettre en œuvre l’une des propositions du rapport Attali.
Deux autres propositions contenues dans le rapport ont retenu mon attention. La proposition n°26 portant sur la mise en place d’une politique industrielle francophone dans le domaine des technologies numériques propose de soutenir les entreprises françaises du e-learning en leur ouvrant notamment l’accès à des fonds de capitaux. A cet égard, je peux témoigner que les start-ups dans le numérique et dans l’éducation éprouvent de grandes difficultés à lever des fonds auprès des acteurs institutionnels. Il est très difficile en France de convaincre les investisseurs sur un projet éducatif aussi innovant soit-il et en dépit des garanties qui peuvent être apportées. Le développement de l’innovation dans le numérique éducatif passe forcément par l’accès à l’investissement public ou au financement des fondations et des fonds d’investissement. L’enseignement numérique peut permettre de passer à l’apprentissage adaptatif facilitant l’adaptation des contenus aux élèves afin d’assurer un enseignement personnalisé. Nous avons développé ainsi une application dans le domaine de la grammaire qui permet d’identifier les carences de l’élève et offre la possibilité de lui proposer de revoir les bases qui lui font défaut.
Olivier NUSSE, président du Bureau Export de la Musique française, Directeur de Mercury
Monsieur le Député, je vous remercie de l’invitation. Je suis producteur dans la maison de disques Universal et je préside le Bureau Export de la Musique française. Je tenais à dire que le rapport Attali était très attendu par l’industrie musicale (BUREX). Il souligne l’importance de l’export de la musique française et préconise de : « tirer profit du succès des artistes francophones en particulier musicaux partout dans le monde y compris dans les pays non francophones pour inciter à l’apprentissage du français ». Aujourd’hui, l’export est un relais de croissance essentiel pour l’industrie de la musique française. Cette industrie a connu une révolution avec l’arrivée du numérique et elle cherche des relais de croissance. La France est certes le pays de Daft punk et de David Guetta mais la production en langue française se porte également très bien. 17 des 20 meilleures ventes en France étaient en langue française en 2013. Des artistes de la nouvelle scène française comme Fauve pour le rock, Christine and the Queens pour la chanson ou Zaz pour la variété ainsi que Stromae pour la musique urbaine électronique sont de formidables ambassadeurs de notre langue. Ils entraînent avec eux toute une génération d’artistes et les motivent à chanter en français.
La France a la chance de disposer du bureau export de la langue française qui a été créé il y a une vingtaine d’années à l’initiative des gros producteurs phonographiques et des producteurs indépendants. Il est financé pour moitié par des capitaux privés et pour moitié par des capitaux publics, principalement le Ministère de la Culture et le Ministère des Affaires Étrangères. Les missions principales du BUREX sont le conseil en stratégie de développement à l’export, la veille de marché et l’aide à la promotion de projets d’artistes. Il peut également octroyer des aides financières pour soutenir des projets de développement discographique ou dans le domaine du spectacle vivant. Le BUREX dispose de cinq bureaux à l’étranger : Berlin, Londres, Tokyo, New-York et Sao Paulo.
La musique numérique est maintenant disponible partout et est accessible sur toutes les plateformes car les frontières sont devenues poreuses. Toutefois, la présence sur le terrain est essentielle afin d’accompagner les artistes à monter leur projet. Le BUREX accompagne particulièrement les projets francophones qui représentent plus d’un tiers des projets français et dont le développement est important aussi dans les pays non francophones, notamment en Allemagne qui représente le 3ème marché mondial de la musique.
Le BUREX édite depuis 1992 des compilations pédagogiques – intitulées Génération française – diffusées auprès des enseignants de français dans le monde via le réseau diplomatique. Le bureau de Berlin propose une compilation de chansons françaises dont les textes sont utilisés dans l’enseignement du français grâce aux supports pédagogiques qui les accompagnent. Ce sont ainsi 200.000 élèves dans toute l’Allemagne qui peuvent accéder à l’enseignement du français à travers cette initiative.
Le BUREX a récemment fusionné avec une autre association appelée Francophonie diffusion. Cette association a pour mission d’opérer la promotion de la production musicale francophone auprès des médias étrangers. Les opérations de promotion s’opéraient autrefois par l’envoi de disques aux médias étrangers et depuis les années 2000 s’opèrent à travers une plateforme de diffusion. Cette plateforme servira désormais au BUREX 2.0 qui doit être repensé.
Il me semble important de rappeler le poids de la musique française à l’export. Elle génère 239 millions d’euros de revenus à l’export qui reviennent en France et 574 millions d’euros dans sa globalité, soit plus que le cinéma. Le rapport Attali rappelle que la musique se voit allouer huit fois moins d’aides publiques que le cinéma alors qu’elle représente deux fois plus de revenus à l’export. La musique est sans doute le moyen le plus viral de diffusion de la francophonie auprès des jeunes. Le rapport Attali rappelle que la musique française connaît un grand succès à l’étranger notamment dans les pays non francophones. Sur les cent-vingt-cinq pays dans lesquels la plateforme de streaming Deezer est implantée, au moins une chanson en français est présente dans le top 100.
Ainsi Stromae s’est fait connaître en diffusant des contenus sur Internet depuis la Belgique et continue à connaître le succès en chantant en français. Il revient ainsi d’une tournée aux États-Unis où il chantait en français devant un public américain. C’est un ambassadeur incroyable pour la chanson française. La Pop French Touch a également le vent en poupe. C’est donc un moment particulièrement judicieux pour développer les outils de promotion de la musique française.
Il faut développer le réseau du BUREX en ouvrant des antennes dans d’autres pays notamment en Afrique où se trouvent 100 millions de francophones. Les majors de la musique commencent à s’implanter là-bas où plus de 80% de la population est connectée à un réseau mobile. Il existe ainsi des opportunités de connexion à partir des réseaux sociaux, des plateformes de streaming. C’est ainsi un modèle qui est en train d’émerger à partir des mobiles qui sera explosif dans peu de temps. On estime ainsi que 30% à 40% des fans des artistes francophones sur l’Internet sont en Afrique.
Il faut mobiliser le réseau culturel du Quai d’Orsay, en particulier les attachés audiovisuels qui sont presque exclusivement dédiés au cinéma. Nous avons la chance de disposer du deuxième réseau diplomatique mondial, il faut qu’il vienne en soutien à la musique française. Le BUREX doit de son côté moderniser cette plateforme digitale en développant des interfaces complètement dédiées à la musique francophone. Cet outil doit être le plus fonctionnel possible afin d’être utilisé par nos partenaires sur le terrain. Nous allons également développer les applications pour téléphones mobiles et nous allons développer les pages éducatives et ludiques autour de la musique.
Le budget de développement de la musique française est très limité. Le BUREX ne dispose que de 3,1 millions d’euros alors que les Britanniques, les Suédois et les Coréens se positionnent et investissent sur l’export. Nous estimons que nous pouvons faire progresser l’activité de l’industrie musicale française d’au moins 5% dans les années à venir en investissant dans les outils de promotion.
Clara DANON, Responsable Mission Numérique pour l’Enseignement Supérieur (MINES)
Je représente le Ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche et mon intervention portera sur la politique nationale autour de la formation en ligne et sur la plateforme numérique qui a été mise en place. Les FLOTs – également baptisés CLOMs – ont pour nom officiel, le terme CLOs qui n’est utilisé par personne puisqu’il signifie le contraire d’ouverture. Les autres interlocuteurs ont utilisé des termes anglais et nous continuons à nous battre pour imposer les termes français.
Cela fait longtemps qu’il y a de la formation à distance ou de la formation en ligne. Mais les FLOTs sont différents car les technologies d’aujourd’hui permettent à plusieurs dizaines voire plusieurs centaines de milliers de personnes de se connecter en même temps. En outre, nous constatons une forte demande mondiale de formation tout au long de la vie. Certains annoncent que l’on passera de 100 à 198 millions d’étudiants d’ici 2025 et qu’il faudrait créer une université par semaine de 30.000 étudiants pour répondre aux besoins. Nous nous acheminons ainsi vers des modalités différentes d’enseignement associant la distance et la présence.
Les FLOTs sont ouverts car ils sont gratuits et sans prérequis. Toutefois, de nouveaux modèles économiques se déploient car la partie gratuite est adossée à des services payants. Il s’agit essentiellement de la certification dans le cadre des FLOTs. Ils reposent également sur la collaboration entre pairs parce qu’il n’est pas possible de suivre 30.000 personnes. Les apprenants sont ainsi censés s’entraider.
Aux États-Unis, de grands établissements prestigieux se sont lancés dans les formations en ligne. Pourquoi ne pas laisser les établissements français qui sont censés être autonomes en faire de même ? L’initiative France Université Numérique (FUN) a ainsi été lancée pour servir d’accélérateur, mettre en synergie les compétences et améliorer la visibilité de l’offre de formation en ligne des établissements universitaires français. Cette plateforme technique s’adosse sur une charte de qualité pour assurer la confiance dans les contenus ainsi que sur une animation collaborative et une ouverture sur l’écosystème industriel en mobilisant des start-ups ou des grands groupes.
Il y a une croissance continue des FLOTs présents sur cette plateforme. On en dénombre soixante-quatre aujourd’hui joués sur quelques semaines ; car le cycle de formation des FLOTs est plus court que les cycles traditionnels. On attend quatre-vingt-douze FLOTs en 2015 avec une quarantaine d’établissements supérieurs présents sur toutes les disciplines telles que le droit, l’environnement ou les mathématiques. Ces contenus peuvent être à la fois très pointus ou au contraire être ouverts au grand public. Toutefois, la moitié des usagers de la plateforme disposent au moins d’un diplôme de master. Il s’agit donc bien d’un outil pour la formation tout au long de la vie concernant des personnes autonomes.
Nous sommes très attentifs à la sécurité et à la confidentialité des données enregistrées sur le portail. Les données collectées ne doivent pas faire l’objet d’une exploitation commerciale mais doivent pouvoir être mobilisées dans le cadre de la recherche car nous nous orientons vers des pratiques d’apprentissage personnalisées. La plateforme est ouverte tant eux établissements français qu’aux établissements étrangers sous certaines conditions et notamment aux établissements francophones. Un certain nombre d’établissements de Belgique francophone ainsi que de pays d’Afrique du Nord ou d’Afrique souhaitent travailler sur la coproduction et veulent utiliser cette plateforme. Une masse critique d’établissements est ainsi en train d’émerger. Les formations sont dispensées en français mais les autres langues ne sont pas exclues, puisque certaines formations sont plurilingues. 18% des gens qui suivent les FLOTs disponibles sur cette plateforme sont étrangers et 13% viennent de la francophonie.
Cette plateforme s’inscrit dans le cadre des ressources libres car il faut à la fois ouvrir l’accès à de la connaissance au plus grand nombre tout en assurant que l’exploitation de la plateforme permette de gagner de l’argent. Il est ainsi nécessaire de donner de la visibilité à la plateforme, d’assurer la co-élaboration avec les pays francophones – notamment africains – pour assurer la production de contenus contextualisés répondant à des besoins spécifiques. Les pays africains sont ainsi en demande de formation sur le paludisme. Le partenariat avec l’association des universités francophones (AUF) est à cet égard précieux. Enfin, il est nécessaire d’avancer sur la certification en ligne.
Le numérique peut également favoriser la mobilité car la formation en ligne constitue une préparation pour une formation demandant une présence physique dans le pays d’accueil. Il est ainsi possible de se former à distance sur la discipline mais également sur la langue et la culture française. Les FLOTS sont ainsi un véritable atout pour la francophonie.
Annick GIRARDIN, Secrétaire d’État à la Francophonie
J’aurais souhaité m’adresser à vous en même temps que ma collègue Mme Axelle Lemaire afin de souligner que le numérique et la francophonie étaient indissociablement liés. Toutefois, des contraintes d’emploi du temps me conduisent à intervenir de manière différée.
Le numérique constitue une opportunité pour diffuser le français et enseigner en français et pour donner ainsi les clés pour réussir. Il n’est pas la seule réponse à cette problématique mais il constitue l’une des clés pour la promotion de notre langue. Nous avons tous en tête la prophétie de 800 millions de locuteurs francophones au milieu du siècle mais elle ne se réalisera que si les nouvelles techniques accompagnent la diffusion du français.
L’expérience de l’Institut français proposant une offre numérique de formation à distance nous enseigne que ce mode d’enseignement apporte un triple bouleversement. Pour l’apprenant d’abord qui se trouve au centre d’une pédagogie inversée. L’apprenant commence en effet à se former avant de développer les interactions avec les enseignants. Cela constitue donc un bouleversement également pour les enseignants qui ne se positionnent plus comme des formateurs mais comme des animateurs voire des entraîneurs. C’est un bouleversement enfin en ce qui concerne l’évaluation et la validation des cursus dans le cadre de ces dispositifs nouveaux. On assista ainsi à un bouleversement de ces enseignements qui invitent à anticiper les tendances de demain et à nous adapter aux nouvelles réalités.
Le numérique nous offre des possibilités nouvelles pour soutenir l’effort d’enseignement en français. Le programme « 100 000 professeurs pour l’Afrique » lancé cette année mise sur la formation à distance des enseignants et surtout sur la mise en réseau à travers des dispositifs développés par l’Institut français. Il s’appuie également sur une base de données numérique sur l’enseignement du français professionnel et sur le réseau social des professeurs de français. Ces deux outils seront présentés le mois prochain à l’occasion du sommet de la francophonie qui se tiendra à Dakar. Ces dispositifs viennent en complément de ceux développés par l’Organisation Internationale de la Francophonie dont on ne peut que regretter qu’elle ne puisse bénéficier d’un soutien plus important y compris de notre propre part. La révolution de l’enseignement en numérique recouvre également le recours aux DVD comme compléments au travail des enseignants. Nous pouvons également mentionner les programmes d’apprentissage du français développés par RFI et TV5 monde tant sur leurs antennes que sur leurs sites web. Ces deux réseaux constituent des outils exceptionnels et je souhaitais les citer.
L’offre d’enseignement du français et en français doit être positionnée dans l’offre globale. Si nous ratons ce rendez-vous notre langue perdra de son intérêt, de son utilité et donc de son intérêt. J’ai la conviction que la langue française continuera à vivre et à progresser dans le monde que si elle considérée comme une chance par ceux qui la pratiquent. La francophonie doit aussi véhiculer un message positif et dynamique. Elle doit correspondre à un intérêt culturel mais aussi économique en termes de formation, d’entrée sur le marché du travail et de potentiel commercial. La condition pour que cette évolution porte ses fruits est que les réseaux soient disponibles pour porter les contenus jusque dans les régions les plus reculées. L’électricité doit également être au rendez-vous et la France encourage actuellement les acteurs publics comme privés à s’engager davantage dans l’immense chantier de l’accessibilité aux réseaux en Afrique.
En ce qui concerne les contenus, notre programme vise à généraliser l’offre de cours en ligne et de le proposer pour chaque enseignement quel qu’il soit. Le succès de ce programme dépend de l’augmentation de l’offre de formation universitaire et professionnelle en français. Après un démarrage tardif, l’offre française comble son retard. Il faut par ailleurs continuer à innover en utilisant par exemple les tablettes numériques en substitution aux manuels traditionnels. L’agence française de développement l’expérimente dans des collèges à Madagascar, au Niger ou au Sénégal. Ce type d’innovations ne relève pas du gadget. Je recevais la semaine dernière le ministre de l’Éducation et de la Culture d’Uruguay – pays membre observateur de la Francophonie – qui évoquait la distribution à chaque élève d’un ordinateur portable de faible coût. A la suite d’une expérimentation menée en 2007, la pratique a été généralisée et a débouché sur la distribution de plus de 500.000 ordinateurs portables. Aujourd’hui ce pays tire profit du développement de l’offre de contenus en ligne. Ils ont souhaité développer l’enseignement à distance de l’anglais et j’ai été interpellée sur le développement d’une offre de formation du français en ligne. Nous ne savons pas encore quel acteur français public ou privé se positionnera afin de répondre à cette demande solvable. Le rapport Attali nous invite à nous employer collectivement à y répondre dans les meilleurs délais.
La francophonie ne doit pas être traitée comme une question à part mais elle doit s’articuler avec notre politique de développement et de solidarité. Nous soutenons ainsi la création de la Fondation franco-africaine pour la croissance qui va développer les échanges de jeunes talents, les partenariats éducatifs au niveau universitaire de même qu’une plateforme numérique. Nous serons attentifs à ce que la francophonie y prenne toute sa part car nous devons utiliser tous les canaux pour promouvoir la langue française. J’évoquais également les innovations au service de la francophonie et je souhaite que l’innovation au service du développement n’oublie pas la francophonie. Nous avons ainsi une politique de développement qui touche les seize pays les plus prioritaires dont tous sont francophones à l’exception de l’un d’entre eux. Or nos réponses qui s’opèrent souvent avec le concours de nos voisins européens sont formulées en anglais. Dans les pays d’Afrique francophone, les actions de prévention des risques climatiques ou de renforcement des systèmes de santé sont plus efficaces lorsqu’elles sont menées en français. Le ministre de Guinée me disait que l’ONU avait nommé un coordinateur anglais à la tête de la mission de lutte contre Ebola. Il ne parle pas français alors que de nombreux pays francophones se trouvent dans la région de l’Afrique de l’Ouest. Nous devons être vigilants sur cette question. La francophonie ne doit pas subir la concurrence des autres langues mais nous devons être à l’initiative pour la positionner sur des projets concrets et innovants impliquant tant la puissance publique que des acteurs privés.
Hélène FARNAUD-DEFROMONT, Directrice de l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger
Je représente l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger (AEFE) qui regroupe les lycées français à l’étranger homologués par le Ministère français de l’Éducation nationale et où sont dispensés les programmes français. 327.000 élèves sont accueillis pour cette rentrée scolaire dans 500 établissements présents dans 133 pays. La France est le seul pays au monde à disposer d’un tel réseau ; ce qui résulte d’une politique volontariste. Ce réseau est investi d’une triple mission :
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L’accueil d’élèves français qui résident à l’étranger ;
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L’accueil d’élèves étrangers qui font le choix du système éducatif français ;
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La coopération éducative dans un certain nombre de pays où les établissements ne se referment pas sur eux mêmes. Nos établissements s’ouvrent de plus en plus sur la langue et la culture des pays qui les accueillent.
La francophonie est donc transversale dans nos établissements même si elle n’apparaît pas de prime abord. Ainsi, sur les 327.000 élèves scolarisés cette année, plus de 200.000 ne sont pas Français. La majorité d’entre eux ne sont du reste pas des locuteurs francophones natifs. Le français est alors la langue de l’école conformément au choix des parents. C’est un défi important du point de vue des méthodes pédagogiques utilisées au sein de nos établissements. Nous essayons d’avoir un temps d’avance car nous formons des enfants trilingues. Nous formons d’excellents francophones et nous faisons en sorte qu’ils progressent dans leur langue natale et qu’ils apprennent également l’anglais. Ces enfants trilingues arrivent au seuil du choix de la poursuite des études supérieures en position confortable. La francophonie se trouve dans cette coexistence harmonieuse avec d’autres langues.
L’innovation consiste à mettre en œuvre le plan de refondation de l’école qui fait du numérique l’une des priorités pour le système éducatif français. Nous avons recensé un certain nombre d’innovations mises en œuvre spontanément par nos équipes pédagogiques. Nous partageons ces innovations avec le Ministère de l’Éducation nationale. Parmi celles-ci figure la dématérialisation de l’ensemble des copies du baccalauréat et notre objectif est que l’ensemble des copies soient dématérialisées d’ici deux ans. Actuellement les deux tiers des 15.000 élèves voient leurs copies dématérialisées. Nous mobilisons une technologie française pour réaliser cet objectif en lien avec le Ministère de l’Éducation nationale.
L’animation d’un réseau international rend nécessaire le recours au numérique y compris dans les méthodes de travail et de communication entre les établissements et les enseignants. Nous sommes comme d’autres exposés à des crises internationales, qu’elles soient politiques ou sanitaires. Le virus Ebola qui sévit en Afrique de l’Ouest nous affecte notamment puisque nous avons des établissements en Guinée équatoriale et au Nigeria. Dans ce pays, les autorités ont repoussé de trois semaines la rentrée scolaire pour l’ensemble des établissements scolaires du pays. L’ensemble de nos élèves et de nos enseignants étaient présents le 2 septembre dans l’établissement. Nous avons donc mis en place une plateforme pédagogique permettant à chacun de rester chez soi pour que ces trois semaines ne soient pas perdues. Les enseignants avaient également mis en place une plateforme pédagogique pour les élèves du lycée Liberté au Mali au moment de l’intervention française dans ce pays.
Nous allons lancer au printemps prochain dans l’ensemble du réseau des lycées français de l’étranger le premier MOOC de mathématiques en français adapté à des publics scolaires. Ce MOOC sera coproduit par le réseau de français à l’étranger. De même, l’enseignement de philosophie – l’une des raisons pour lesquelles des familles veulent inscrire leurs enfants dans un lycée français – fera l’objet d’une plateforme pédagogique spécifique. Nous sommes en effet confrontés à une pénurie d’enseignants de philosophie.
Pierre OUEDRAOGO, Directeur de la francophonie numérique à l’Organisation Internationale de la Francophonie
La stratégie numérique a été adoptée en 2012. Sur le point de vue technique, la question du nom de domaine « .fr » est en train d’être pris par une entreprise américaine. Les mieux organisés tirent le profit de cet environnement où tout est permis. Le « .vin » ou le « .champagne » doivent être réservés. Il vaut mieux se positionner sur le soft power.
Si nous perdons les cédilles et les accents nous perdons une partie de l’âme de notre langue. Nous devons nous approprier la technologie.
La charte de la francophonie pose un certain nombre de valeurs humanistes. Nous pensons que les francophones doivent collaborer. Si l’argent public paye un outil, il devrait profiter à l’ensemble des francophones.
Concernant les écosystèmes Internet, les pays qui gagnent sont ceux qui mettent en place les écosystèmes de partage. Il y a des pays où les gens ne se parlent pas et payent très cher une expertise extérieure alors qu’elle déjà présente chez eux.
Nous avons l’impression d’être timides et d’avoir une francophonie qui n’ose pas. La réponse est l’innovation conformément au forum organisé à Namur. Nous devons investir dans les technologies de pointe pour permettre aux jeunes ou aux femmes d’oser créer.
Il y a des expériences qui montrent que le fait de commencer l’apprentissage par la langue nationale améliore l’apprentissage du français (IFAM). Dans cette question des FLOTS et des CLOMS il y a la question du tutorat.
Lorsque l’on met les Africains francophones et les anglophones ensemble, on constate que le francophone ose moins. Il faut une francophonie économique qui ose car si nous sommes les plus pauvres et les derniers, notre langue disparaîtra.
De la salle
Le numérique pour répondre aux besoins des Francophones et des Francophiles. Il faut construire plus intelligent pour répondre aux besoins. Les Américains ont investi plus de 500 millions de dollars dans les MOOCs. Est-ce que nous ne ratons pas une nouvelle bataille ? Si on ne convertit pas en parts de marché, alors il ne faudra pas s’étonner que d’autres le fassent à notre place.
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Je suis Président de l’association des entreprises de l’enseignement. Il n’y a plus beaucoup d’argent public et nous avons un marché énorme avec la francophonie et l’Europe. Les Américains s’étonnent de notre sous-capitalisation car nous disposons de 7 millions d’euros quand ils en ont 70. Les Américains prévoient d’investir 1,6 milliards. C’est l’océan bleu car les profits seront énormes.
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La question du numérique est transversale. Nous n’avons pas examiné la question de la sécurité alimentaire pour de futures discussions.
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L’avenir de la francophonie n’est pas qu’une question économique. Il est important que cette francophonie existe dans le temps mais toutes les projections se font si la tendance se maintient. Il faut donc que les populations parlent français demain ou après-demain et pour ce faire, il nous semble que c’est une responsabilité partagée. La France certes, le Canada, les Wallons ou les Suisses mais les Africains eux mêmes doivent s’en saisir. L’Afrique doit importer tout ce qu’elle consomme parce qu’elle n’a pas de marché intérieur. Le marché africain peut faciliter la diffusion de la francophonie. C’est un élément très important car il y a pluralité de cultures même avec une langue en partage.
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Toutes les personnes qui parlent de l’enseignement en parts de marché me choquent car nous avons des retours très faibles sur les MOOCs. Il me semble qu’il faut faire attention à ne pas investir de sommes colossales simplement parce que les Américains sont là.
Clara DANON, Responsable Mission Numérique pour l’Enseignement Supérieur (MINES)
Il est vrai que seulement 10% des apprenants vont à la certification mais beaucoup d’apprenants ne veulent pas aller au bout. Ces formations servent de produits d’appel pour les établissements qui espèrent que des personnes viendront s’inscrire dans des formations diplômantes.
Les gens ont été poussés à réfléchir sur les formations à distance. Les MOOCs ne sont pas l’alpha et l’oméga. Le succès est aussi autour de l’accompagnement humain en ligne. Il y a une demande des entreprises pour que les salariés ne partent pas trop longtemps en formation.
Christophe PREMAT, Député des Français établis hors de France, 3ème circonscription Europe du Nord
Il y a eu trois axes importants ce soir.
Sortie de l’âge prophétique de la francophonie :
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On code dans une novlangue qui diffuse des normes et nous devons y réfléchir pour avoir des réseaux de plus en plus francophones ;
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Sur le numérique éducatif : il n’est pas certain qu’il y ait un marché qui s’ouvre. Avant d’ouvrir le robinet. Il faut promouvoir le multilinguisme avec la francophonie.
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Il faut réinstaurer un projet politique fort et restaurer un projet politique de la francophonie. Depuis le sommet de Kinshasa en 2012, l’OIF a posé une organisation économique. Il fallait le faire près de 40 ans après le traité de Niamey. Nous devons désormais avoir un débat autour de la structuration des marchés émergents.
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Francophonie du Nord : nécessité de dialectiser les espaces. Il serait intéressant de trouver d’autres partenaires pour développer le multilinguisme au côté de l’OIF.